Les Vrais Sous-Offs

Les Vrais Sous-Offs : réponse à M. Descaves
Albert Savine, éditeur (p. 5-69).

GEORGES DARIEN ET ÉDOUARD DUBUS


LES VRAIS


Sous-Offs



RÉPONSE À M. DESCAVES


Il faut passer par la mort pour naître à la gloire.
Sergent Bobillot.





PARIS
nouvelle librairie parisienne
ALBERT SAVINE, ÉDITEUR
12, RUE DES PYRAMIDES, 12


AUX SOUS-OFFICIERS
Des Armées de Terre et de Mer,
AUX GLORIEUX MUTILÉS
DONT LES MEMBRES
JONCHENT LES PAGES DE NOTRE HISTOIRE :
AUX INVALIDES, À L’ARMÉE, À LA PATRIE
Cette Œuvre de Réparation
est dédiée.


LES VRAIS SOUS-OFFS




À l’heure où l’ennemi nous guette par dessus la frontière ; à l’heure où la barbarie teutonne étire ses griffes, encore rouges de sang, vers la civilisation latine ; à l’heure où un adversaire brutal médite d’étouffer sous le talon de sa botte notre génie national ; à l’heure lugubre où, devant les ambitions affamées du despotisme, va sonner peut-être le tocsin vengeur des dernières libertés, un homme s’est rencontré qui n’a pas craint de lancer la calomnie, comme un bélier destructeur, contre les remparts de la Patrie ; qui n’a pas hésité à éclabousser de boue le drapeau tricolore ; qui a osé se rire de notre honneur et railler nos espérances :

Il a insulté l’armée française !

Un livre scandaleux a paru, qui a la prétention de faire un tableau fidèle de la vie des sous-officiers. Dans ce livre, il n’est question ni de dévouement, ni de courage, ni de désintéressement, ni de loyauté. On n’y parle que de lâcheté, que de mœurs honteuses, que de concussions. À en croire ce livre, du caporal à l’adjudant, on ne trouve dans les casernes que prévaricateurs, couards, équivoques gredins…




Ce n’est pas la première fois, disons-le, en nous voilant la face, qu’un écrivain sans doute altéré de réclame, a déversé l’immonde injure, l’ignoble outrage, sur les défenseurs de nos foyers. MM. Péladan, Huysmans, — il sent son Prussien, ce nom là — Abel Hermant, Perrin, Octave Mirbeau, Bonnetain, Robert Gaze, ont voulu nous peindre, sous les couleurs les plus odieuses, cette vie d’abnégation, de renoncement et d’héroïsme discret, qui est celle des cadres de notre armée.

L’indifférence avait jusqu’ici fait justice de ces attaques haineuses inspirées par une basse rancune ou une étrange aberration.

Quant aux diffamés, ils avaient su montrer sur le terrain qu’on ne se jouait pas impunément de leur honneur.

Les honnêtes gens pouvaient croire que la leçon avait été comprise et que c’en était fini de cette campagne anti-française.

Ils se trompaient.

Ramassant toutes les infamies tombées au ruisseau, renchérissant sur elles, les aggravant encore, M. Lucien Descaves, puisqu’il faut l’appeler par son nom, est parvenu à forcer l’attention publique, par une accumulation d’outrages encore sans précédent.




Dans Sous-Offs, M. Descaves affiche l’outrecuidante prétention de nous donner la psychologie du sous-officier.

À cet effet, il imagine un régiment, tout de fantaisie — et quelle fantaisie ! — un régiment, où les officiers paraissent à peine, où les sous-officiers, déchargés de tout contrôle supérieur, s’abandonnent à des instincts mauvais, qu’aucune autorité, ni morale ni hiérarchique, ne vient refréner.

Il en fait des rustres, des manants, sans éducation, sans instruction, sortis des couches les plus abjectes de la société, apportant au régiment des mœurs de repris de justice, des habitudes de souteneur.

Sans autre souci que celui du bien-être à satisfaire à tout prix, remplaçant le sentiment du devoir à remplir par un appétit effréné de jouissance, ils mettent dans la poche des plus misérables créatures, des doigts crochus qu’ils n’hésitent pas à plonger au besoin dans la caisse du régiment.

Sans cesse occupés à parfumer d’odeurs canailles, dérobées dans des maisons louches, leur peau qu’efféminent chaque jour des contacts dégradants — une peau qu’ils marchandent sans vergogne au Pays en danger — ils endorment un temps volé à l’exercice de leurs fonctions dans la paresse et l’ivrognerie.

Précisons. Étudions le roman de M. Descaves. Portons le scalpel de l’analyse dans cette production monstrueuse.

Ou plutôt ; non ! Qu’on ne nous accuse point ici de partialité ! Refrénons l’indignation qui fait bondir le cœur de tout bon Français à la lecture de ces pages maudites. Laissons la parole aux organes autorisés de l’opinion publique. Quelque doctrine politique qu’ils défendent, à quelque parti qu’ils soient inféodés, ils se sont rencontrés, cette fois, dans un sentiment d’unanime réprobation.




Monsieur Francisque Sarcey écrivait dans le Parti National du 15 novembre 1889 :

« Il a paru un volume de M. Descaves, qui a pour titre Sous-Offs. Je n’ai pu en soutenir la lecture jusqu’au bout. Elle est impatientante et parfois même révoltante. »

Dans la Liberté du 17 novembre, M. de Molènes, ce judicieux critique, s’écriait :

« Quant aux mœurs infâmes, accompagnées d’escroqueries chez certains, laissons les conseils de guerre en faire justice et détournons les yeux. »

Oui ! Mais quel est le conseil de guerre qui fera justice du calomniateur ?

M. Scaramouche, le sosie de M. Henri Fouquier, publiait dans le Gaulois du 29 novembre, ces lignes où court un grand souffle patriotique :

« On vole dans la caserne, on s’y saoûle en payant les sous-officiers ; et si on en sort, c’est pour vivre en d’ignobles et gratuites débauches dans de mauvais lieux. Et voilà l’armée ! »

Nous lisons dans l’Estafette du 30 novembre, sous la signature transparente d’un anonyme :

« Qui touche à l’armée est un mauvais Français. »

Vous entendez, M. Descaves ?

M. de Lyden s’exprime ainsi dans la Patrie du 5 novembre :

« Ce livre est un livre contre l’armée ; j’ajoute que c’est un livre contre la France. Et je ne serais pas surpris que M. de Bismarck lui infligeât le déshonneur d’être traduit en allemand, pour la plus grande édification de nos implacables ennemis ! »

M. de Lyden a été bon prophète : c’est fait !!!

M. Laisant imprimait dans les colonnes de la Presse du 6 décembre l’appréciation suivante :

« Je ne crois guère à l’existence des mauvais livres. Celui dont je veux parler aujourd’hui fait exception, car il est de nature à ralentir la grande œuvre de réconciliation nationale autour du drapeau, et à réjouir nos ennemis de l’autre côté du Rhin ! »

Dans le Paris du 13 décembre, M. Charles Laurent donne cet excellent conseil :

« Avez vous lu Sous-Offs ? Non. Eh bien, ne le lisez pas ! »

M. Tony-Révillon, dans les colonnes du Radical du 15 décembre, flétrissait en ces termes les inventions nauséabondes de M. Descaves :

« Sous-Offs est une satire de l’armée. C’est la vie à la caserne, dans la brasserie de femmes et dans la maison de filles. Tous les soldats, dont nous parle l’auteur, sont des brutes… Et tous les sous-officiers qu’il nomme sont des voleurs et des souteneurs. »

Nous n’avons rien à ajouter à une appréciation aussi judicieuse.

M. Paul de Cassagnac, dans l’Autorité du 13 décembre, se montrait sévère mais juste :

« Pour ce livre, il ne faut pas de circonstances atténuantes. On doit le flétrir comme doivent être flétries les œuvres qui s’attachent à détruire ce qu’il y a de plus respectable au monde, ce qu’il y a de plus sacré après Dieu, après la famille, l’Armée enfin ! »

« Le feu seul peut épurer une telle œuvre en la détruisant. »

Plus d’un soldat a déjà dû lancer au feu, après en avoir parcouru la première page, le volume dont il s’agit.

M. Carle des Perrières, dans le Gaulois du 12 décembre, s’adresse à M. le ministre de la guerre :

« Je suppose, M. le ministre, que votre désir est d’avoir une armée vigoureuse, instruite, brave, et fière de son uniforme… Votre mission est de la faire respecter sur l’heure, de la mettre à l’abri des insultes du ruisseau. »

Cet appel éloquent a été entendu.

Dans le XIXe Siècle du 15 décembre, M. Francisque Sarcey écrit en ces termes émus à M. Saint-Genest du Figaro :

« Le régiment a été pour vous, mon cher Saint-Genest, ce qu’a été pour moi l’École Normale, avec cette différence tout à votre avantage que l’École Normale n’est après tout qu’une coterie de professeurs, tandis que l’armée c’est la France ! »

Il est réconfortant d’entendre de pareilles vérités exprimées dans un pareil style.

Dans la France du 17 décembre, nous trouvons sous la signature de M. Mermeix :

« Les poursuites contre M. Descaves sont fâcheuses, parce que, le jour où il se défendra devant le jury, les correspondants allemands seront tous à leur poste dans la salle. »

Nous trouvons dans le Petit Journal du 17 décembre :

« On compte dans l’armée 30, 000 officiers, 100, 000 sous-officiers. Si l’auteur du livre en question veut faire un peu de statistique, il verra que l’armée, au point de vue du caractère, est encore l’école qui développe au plus haut degré les sentiments d’honneur et de moralité. »

La statistique : c’est le salut, c’est le droit ! Faites-en, M. Descaves.

Après avoir cité des passages de Sous-Offs, M. Paul Bluysen écrivait dans la République Française du 15 décembre :

« Ces citations qui font bondir tout Français appelé à servir le pays en quelque contrée que ce soit, ne suffisent pas encore à prouver combien est fausse et écœurante l’œuvre de M. Descaves. »

Dans le Gil Blas du 21 décembre, M. Charles Leser donne cette appréciation :

« C’est l’armée que M. Descaves a outragée, et l’armée ne peut pas avoir d’autre avocat que son chef. C’est une honte déjà qu’elle ait besoin d’un avocat. »

En réponse à une sorte de protestation en faveur de Sous-Offs, M. de Cassagnac, dans l’Autorité du 26 décembre, revient sur un sujet qui l’écœure profondément :

« J’ose croire que le gouvernement repoussera honteusement cette levée de plumes d’oie. Il nous plaît, à nous, de défendre contre vos prétentions exorbitantes l’âme de la France ! Nous vous défendons d’y toucher, vous entendez. »

C’est ce qui s’appelle clouer d’un seul coup le bec à la plume des folliculaires.

Dans le Matin du 9 janvier 1890, M. Jules Simon, jugeant qu’il n’est jamais trop tard pour dire une bonne chose, s’écrie :

« Le collège préparera la caserne, c’est parfait. Que la caserne, à son tour, rappelle un peu et continue le collège. »

Dans l’Éclair du 9 janvier, M. Camille Doucet, de l’Académie française, dans sa passion pour la considération, reproche à M. Descaves les moyens qu’il y a employés pour s’assurer un succès de mauvais aloi :

« Je n’ai pas lu Sous-Offs. Mais l’auteur a choisi un excellent moyen de forcer l’indifférence et de s’imposer à l’attention publique. »

Dans la République Française du 9 janvier, M. Albert Delpit, un de nos illustres romanciers, donne l’appréciation suivante :

« Le roman de M. Descaves n’est qu’une lanterne magique, où passent et repassent des bonshommes grotesques et répugnants. Ce sont des caricatures… Je comprends qu’on aille de temps en temps dans un mauvais lieu, mais, vrai ! ça « me fatiguerait d’y passer ma vie tout entière. »

C’est la leçon de l’expérience.




Assez de citations. Nos lecteurs sont édifiés sur la portée de Sous-Offs. Personne n’a été dupe de ce roman et l’opinion publique s’est chargée d’infliger à M. Descaves le démenti le plus sévère.

C’est une rude leçon, mais elle n’est point complète. À chacune des accusations échappées à une plume aigrie par la rancune, il ne suffit pas de répondre par une négation : une affirmation est nécessaire.

Il est temps d’élever une digue indestructible devant le flot débordant d’injures, d’imputations calomnieuses, qui tente de submerger l’honneur de notre armée.

Aux faits imaginaires avancés par l’invention malade du malsain pamphlétaire, nous allons opposer des faits historiques, des faits indiscutables, des faits qui prouveront qu’aujourd’hui, comme par le passé, il y a dans l’âme du Sous-Offs autre chose que de la sanie et de la boue !

Où M. Descaves trouve couardise et lâcheté, nous allons montrer bravoure et héroïsme.

Où M. Descaves trouve concussion et vol, nous allons montrer abnégation et sacrifice.

Où M. Descaves trouve des vices honteux et des mœurs infâmes, nous allons montrer une tempérance parfois stoïque et de généreuses passions.

Où M. Descaves trouve l’égoïsme le plus abject, nous allons montrer la France !




« On demandait des volontaires pour le Tonkin.

« … Les gradés devaient faire l’objet d’un état ad hoc.

« Au déjeuner des sergents, les fourriers qui venaient d’assister à la lecture du rapport, dans les chambres, divulguèrent l’impression générale :

« — C’est un four. Un seul sous-officier s’est fait inscrire : l’adjudant Rupert.

« — Parce qu’il sait qu’on ne le prendra pas, avec sa maladie.

« — Oui, mais vis à vis des chefs, c’est adroit.

« On discutait surtout l’abstention du seul sergent rengagé que possédât le bataillon, Vaubourgeix.

« — Vaubourgeix ! dit quelqu’un, on devrait l’envoyer là-bas d’office. C’est son métier, n’est-ce pas ? Mais voilà : ceux qui restent au régiment lui donnent non leur peau, mais le poil qu’ils ont dans la main…

« … Quant aux hommes, les quatre compagnies réunies n’en fournissaient que huit. On cita deux caporaux récemment cassés de leur grade, deux engagés volontaires, deux découcheurs tenaces, actuellement en prison, un ivrogne et une forte tête.

« … — Leur Tonkin, on l’a quelque part !

« … Et, sous ce raisonnement en façade, sous ces prétextes décoratifs, une inquiète lâcheté s’aménageait, se terrait dans les caves de l’âme, ou bien apparaissait aux fenêtres du for intérieur, aux lucarnes du corps, fardée, tremblant pour la bâtisse, criant éperduement, par la bouche et par les yeux, son insatiable amour de la peau… »

Sans la crainte d’être accusé de parti pris et d’exagération en affirmant que Sous-Offs représente notre armée, comme un ramassis de lâches, jamais nous ne nous serions permis de citer les lignes honteuses qui précèdent.

Nous ne voulons pas les discuter. Notre histoire militaire tout entière crie au mensonge et s’inscrit en faux.

Depuis qu’il y a des sous-officiers, les exemples de courage, les traits d’héroïsme ne se comptent pas.

N’était-ce pas un sous-off, ce grenadier qui, à l’assaut de Prague, monta le premier sur les remparts et assura la capture de la ville par l’héroïque Chevert ?

Dans la même campagne (1745 à 1748), lorsque Chevert fut obligé d’abandonner la ville de Moncalvo, il y laissa, dit le duc de Broglie, à qui nous empruntons ces lignes, ses blessés et ses malades, en les recommandant à la clémence du vainqueur, qui, entrant dans la ville sans résistance, n’aurait eu aucune raison pour maltraiter des infortunés. Mais avant que les Piémontais eussent paru devant les remparts, un de ces pauvres abandonnés, un sergent, qui portait le nom de guerre de Va-de-bon-cœur, se soulevant sur son grabat et se retournant vers ses compagnons : « Camarades, leur dit-il, est-ce que nous allons nous rendre sans souffrir au moins pour deux liards de siège ? » Et il leur fit comprendre que, moyennant quelques vieilles pièces de canon rouillées, mises en place sur les remparts, on pouvait faire un simulacre de défense qui leur donnerait droit aux conditions d’une capitulation honorable. Aussitôt dit, aussitôt fait, et quand le baron de Leutrum arriva aux portes de la ville, il fut reçu, à sa grande surprise, par une décharge d’artillerie qui mit quelques-uns de ses hommes hors de combat. Touché lui-même de ce trait d’énergie, il fit tout de suite offrir à ces défenseurs improvisés de leur accorder le traitement qui leur conviendrait. « Non, répondit Va-de-bon-cœur, nous ne nous rendrons pas que vous n’ayez fait une tranchée, ne fût-elle que de la longueur de ma pipe. » Leutrum se prêta à la plaisanterie, et après une heure de bombardement assez mollement opéré, il accorda aux assiégés une capitulation qui leur permettait de sortir avec les honneurs de la guerre. Le régiment des infirmes défila alors devant lui, chacun portant, en guise des armes qu’il n’aurait peut-être pas été en état de soutenir, quelque signe de sa maladie ou de sa blessure : celui-ci brandissant sa béquille, cet autre le bras en écharpe, quelques-uns montés sur les épaules de leurs camarades, et ce fut dans cet appareil qu’ils rejoignirent l’armée française, où ils furent reçus avec de joyeuses acclamations.

N’était-ce pas un sous-off, encore, que ce sergent Dubois, qui, avec le chevalier d’Assas, poussa, à Klostercamp, un cri héroïque et légendaire, qui lui valut la mort : « À moi, Auvergne, ce sont les ennemis ! »


Mais qu’est-il besoin de citer des exemples empruntés à l’histoire du siècle dernier ? Sans parler des quatre sergents de la Rochelle, les récentes guerres sont pleines de traits d’héroïsme accomplis par des sous-officiers.

Le 4 juin 1853, à Magenta, l’adjudant Savière du 2e bataillon des zouaves, s’élance sur un porte-drapeau autrichien et à la gloire de s’emparer de l’étendard ennemi.

Le 24 juin 1859, c’est le sergent Garnier, de la 1re compagnie du 10e bataillon de chasseurs, qui s’empare du drapeau du 60e de ligne autrichien.

Au Mexique, à l’affaire du Borezzo, un drapeau est enlevé par le sergent de grenadiers Picarent. Le fourrier Besançon, le 28 janvier 1865, s’empare d’un drapeau de la division Rojas.

À la bataille de l’Alma, le sergent-clairon Gesland, le poignet brisé par un boulet, se fait amputer, et revient se placer à la tête de ses clairons.

Est-il besoin de retracer les exploits du sergent Blandan en Algérie ? La France reconnaissante élevait hier un monument à sa mémoire, et le récit de ses exploits est encore dans toutes les bouches.

C’était aussi un sous-off, que ce sergent Bobillot, tombé au champ d’honneur, dans ce Tonkin dont, au dire de M. Descaves, les Français ont peur, et où ils ne vont point.

Savez-vous ce qu’il écrivait dans une lettre, la dernière peut-être qu’on ait reçue de lui :

« Moi, je rêve de quelque grand projet irréalisable, d’une flèche iroquoise, d’une fièvre jaune ou d’un chemin de fer transatlantique.

« … Il paraît qu’il faut passer par la mort pour naître à la gloire.

« Je voudrais mourir comme Chénier sur l’échafaud, comme Dolet sur le bûcher, comme Mürger à l’hôpital. Mais l’hôpital est encore si peu. Oh ! qu’il vienne une guerre sibérienne, chinoise ou patagonienne, mais qu’elle vienne et que j’y tombe : je me relèverai roi. »

Dans un court billet, écrit à la veille de sa mort, il disait encore :

« j’ai le pressentiment joyeux que je ne reviendrai pas en france… »

Et l’illustre sergent Hoff, le héros du siège de Paris, qui attend aujourd’hui, entre le revolver d’honneur qui lui a été offert, et ses bottes déjà graissées pour le départ, l’heure où il faudra marcher pour la Revanche, savez-vous en quelle estime le tiennent ses chefs hiérarchiques ?

Le général Le Flô, dans une lettre datée de 9 mars 1873 raconte ce qui suit :

« Chaque fois que je l’ai vu, il m’a touché par sa simplicité, sa modestie, et j’ajoute : par son désintéressement. Au moment de quitter Paris pour essayer de porter une lettre de moi au maréchal Bazaine, et ayant reçu la promesse d’une récompense de 20, 000 francs, s’il me rapportait une réponse à cette dépêche, il me dit : merci, mon général, mais permettez-moi de refuser toute récompense pécuniaire, je ne veux pas d’argent. »

Nous pourrions multiplier à l’infini de pareils exemples. Il n’est pas un de nos régiments qui ne possède les noms de sous-officiers inscrits sur son livre d’or. Nos annales sont remplies d’actes d’héroïsme, car le soldat français n’a pas son égal au monde. Il sait obéir et mourir pour son pays et il aura toujours pour devise ces deux mots gravés dans son cœur : « Honneur et Patrie ! »

Ne vous rappelez-vous point, M. Descaves, vous qui avez eu l’honneur de porter l’uniforme, avoir entendu, le soir, les conteurs ordinaires des chambrées, enthousiasmer leur auditoire avec le récit dramatique des exploits accomplis par quelqu’un des sous-officiers légendaires dont nous avons cité les noms ?

Ah ! Ce n’est pas le vôtre qu’ils citeront, soyez en sûr ! Ceux qu’ils citent ont trouvé la gloire par l’héroïsme avant que vous n’ayez atteint à la célébrité par le scandale…


À votre âge, Monsieur, Bobillot était mort !!




S’il a été facile de convaincre M. Descaves de mauvaise foi, alors qu’il accusait nos sous-officiers de lâcheté, il ne sera pas moins aisé de le confondre, alors qu’il essaye de les flétrir en leur reprochant le vol et la concussion.

« C’était de la part du fourrier, écrit-il à la page 56 de son libelle, les semaines de distribution, un rabiau minutieux sur le pain, sur le sucre et le café livrés au percolateur, sur le vin fourni par l’ordinaire, sur les étiquettes de paquetage et de râtelier d’armes, sur les permissions établies, vendues aux bleus.

« Toute l’ignominie de l’exploitation des grades, toutes les roueries de l’intimidation, des responsabilités esquivées, déplacées ; le cynisme dans l’escroquerie et la lâcheté dans le dépouillement — les deux nouveaux fourriers firent ce honteux apprentissage à bonne école… »


Il faut supposer dans le lecteur l’ignorance la plus profonde des lois et règlements militaires pour oser lui imposer de pareilles allégations.

Est-ce que, dans l’armée, l’examen le plus rigoureux ne s’étend pas aux faits les plus minimes ?

Les sous-officiers donnent le prêt irrégulièrement, prétend M. Descaves.

Est-ce que, s’il en était ainsi, les soldats hésiteraient à réclamer, avec d’autant plus de certitude d’être écoutés, sans courir le moindre risque, que le sergent-major prévaricateur serait immédiatement cassé ?

Est-il nécessaire de discuter des histoires de compromissions indignes avec les fournisseurs ? Mais les denrées fournies par ces derniers ne sont-elles pas soumises à l’examen scrupuleux de la commission des ordinaires ?

Est-ce que la sollicitude paternelle des chefs de corps, qui s’intéresse aux plus infimes détails de l’existence du troupier, ne peut pas contrôler à l’improviste la gestion de l’ordinaire, et rectifier immédiatement une erreur, d’ailleurs improbable ?

Le décret du 28 décembre 1883, portant règlement sur le service intérieur des troupes d’infanterie, porte, en termes exprès au paragraphe 9, chapitre premier :

« Le colonel a la haute surveillance des ordinaires du régiment. Il détermine le mode de gestion à suivre d’après les instructions du commandement et suivant les circonstances locales. Il provoque la concurrence entre les fournisseurs, il recourt à l’intervention des autorités municipales, du sous-préfet et du préfet, lorsque le régiment éprouve des difficultés provenant de coalitions ou de collusions.

« Il fixe le versement à faire à l’ordinaire, demande des ordres au général de brigade au sujet du taux du boni, veille à la formation judicieuse des fonds d’économie et s’assure que la somme qui dépasse le maximum fixé est déposée dans la caisse du trésorier (art. 90). »


Ainsi, rien n’échappe à l’œil vigilant du colonel.

N’est-elle pas légendaire au régiment, la visite de cet officier supérieur dans les cuisines ? Qui ne l’a pas vu goûter diligemment au succulent bouillon qu’on prépare pour les hommes ?

M. Descaves a vraiment de l’impudeur lorsqu’il vient vous raconter que sous-officiers et bouchers s’entendent comme larrons en foire pour empoisonner nos soldats avec des viandes de rebut !

Et d’ailleurs, la condamnation sévère qui, tout dernièrement encore, frappait des misérables, coupables d’avoir fourni des vivres avariés aux troupes du camp d’Avor, est un exemple saisissant, présent à toutes les mémoires, de la surveillance exercée par l’autorité militaire pour rendre impossibles les faits avancés sans vergogne par l’auteur de Sous-Offs.




Il n’a pu dissimuler sur ce point, comme sur bien d’autres du reste, la fragilité de ses arguments. Il a senti trembler sous ses pieds, comme le sol de l’Etna à la veille d’une éruption, le terrain sur lequel il se plaçait. Aussi a-t-il employé, à l’appui de sa thèse, un artifice subtil, un stratagème de composition, que nous ne saurions trop flétrir.

À côté d’une foule de sous-officiers, qu’il habille en gibier de Cour d’Assises, et pour nous faire croire à une impartialité dont nous ne sommes pas dupes, il a tracé le portrait d’un adjudant intègre.

Le piège est grossier, et personne n’y a été pris.

Il aurait fallu, pour le tendre avec quelque chance de succès, que M. Descaves ne couvrît point de ridicule, en nous le peignant comme un esprit borné, le seul honnête homme qu’il ait daigné voir dans l’armée.

Ah, certes ! en mettant en scène l’adjudant Boisguillaume, qui vit modestement à la caserne, passant entre son épouse et son sabre les rares instants que lui laisse l’accomplissement de ses doubles devoirs, on avait une belle œuvre à faire.

C’est une œuvre de haine qu’on a perpétrée !


Ah ! la haine !!…

Combien il eut mieux valu, pourtant, ne pas se laisser aveugler par la rancune, et voir les choses telles qu’elles sont.

Mais, vous n’avez donc jamais assisté, M. Descaves, au défilé prestigieux de nos braves troupiers, à Longchamps, le 14 juillet ?

Le colonel en avant, précédé des tambours et des clairons, les capitaines à la tête de leurs compagnies, nos braves sous-officiers en serre-file, les régiments, sous les plis claquants du drapeau qui semble rire à la victoire, aux mâles accents de la Marseillaise, défilent devant les représentants de la Patrie !

Si vous aviez assisté à ce spectacle grandiose, M. Descaves, vous auriez appris, à l’allure martiale, à la belle tenue, à la santé radieuse, à l’héroïque gaîté de nos soldats qu’il ne peut y avoir place dans leurs rangs pour toutes les plaies honteuses que vous avez voulu nous y montrer !


Et puis, prenez y garde, M. Descaves. En accusant les mœurs de l’armée, en taxant d’immoralité ceux qui sont ses véritables instructeurs, vous jetez l’injure à la France tout entière.

L’uniforme, tout le monde le porte, aujourd’hui. Les galons, ils sont l’apanage des plus dévoués et des plus dignes ; tous peuvent y prétendre ; et c’est maintenant surtout, que tout soldat porte dans sa giberne le bâton de maréchal !

L’armée n’est plus une caste ; c’est l’incarnation du Peuple. Le fossé qui séparait autrefois l’élément militaire de l’élément civil n’existe plus.

Ce fossé, la redingote de M. de Freycinet l’a comblé !




Admettre la corruption de l’armée, c’est croire à la corruption de la nation elle-même. Accuser les sous-officiers de vol et de concussion, c’est accuser tous ces modestes travailleurs qui, dans nos administrations, tant privées que publiques, dans nos usines, dans nos ateliers, sont les plus intelligents et les plus dévoués auxiliaires de cette prospérité dont notre immortelle Exposition a donné un éclatant témoignage.

Ouvrez les journaux à la Chronique du Bien, lisez les comptes-rendus de ces séances où l’Académie française récompense solennellement des actes de vertu ou de haute probité ; prenez connaissance de ces longues listes de médailles qui vont briller, éclatants témoignages de dévouement, sur la poitrine des sauveteurs, et comptez combien de noms d’anciens sous-officiers figurent sur les palmarès de l’honneur !

Pour les besoins de son infâme campagne de calomnies, M. Descaves veut nous faire croire que des gens qui font preuve, après avoir quitté l’uniforme, du désintéressement le plus méritoire, n’ont pas fait sous les drapeaux l’apprentissage de la vertu !

C’est se moquer de nous !

Non ! Les soldats d’aujourd’hui sont les dignes fils de leurs aînés et nous pourrions les voir, si des heures lugubres sonnaient encore pour les destinées de la Patrie, sacrifier jusqu’à l’or de leurs galons sur ses autels, et, semblables aux vétérans de l’An II, porter comme l’a dit Victor Hugo :


L’épaulette de laine et la dragonne en cuir !




M. Descaves ne s’est pas tenu pour satisfait de nous montrer les sous-officiers lâches et cupides, il lui a fallu encore les souffleter avec une abominable accusation d’ivrognerie et de mœurs infâmes.

Alcool et absinthe, voilà leurs dieux !

Femmes mariées, servantes d’auberges, filles de mauvais lieu, sont l’objet de leur exploitation éhontée. Pour en tirer de l’argent, tous les moyens leur sont bons. Ils s’en vantent entre eux. Ils en rient. Leur cynisme laisse bien loin derrière lui celui des rôdeurs de barrière. M. Descaves a cousu le galon de leur grade sur une casquette à trois ponts !

Il nous est douloureux de nous étendre sur un pareil sujet, et, sans notre désir ardent de ne pas laisser debout une seule des poutres de cet échafaudage de carton qu’est Sous-Offs, nous nous arrêterions ici.

D’ailleurs, le sujet que nous traitons maintenant est d’une gravité exceptionnelle. Il ne suffit plus de donner un aperçu du livre, il faut en citer des passages entiers, pour n’être point taxé d’invraisemblance et de parti pris dans sa réfutation.

Laissons la parole à M. Descaves. Puisqu’il a osé porter le vilebrequin du cynisme dans le tonneau de la honte, qu’il en boive l’amère liqueur.


Voici des passages entiers de Sous-Offs :


Page 45 :

« Deux sous-officiers, au moment de rentrer au quartier, heurtèrent deux vieilles femmes en cheveux, grelottant, l’une dans un paletot d’homme, l’autre dans un vaterproof trentenaire.

« — Nous nous retrouverons là, dit Favières.

« Et, sommairement, ils en emmenèrent chacun une, droit devant soi… Favières était tombé sur le dos, tout à coup impuissant, les yeux délicieusement frais sous les compresses de nuit pleuvante, roulé dans le beuglement de cette formidable bouche d’ombre qui l’injuriait, crachotait sur sa nudité partielle, tandis que la vieille femme rémunérée s’escrimait honnêtement.

« Il retrouva Tétrelle — délesté — qui l’attendait… »


Page 55 :

« C’est drôle, notait Favières, chez le soldat, les sentiments habitent les parties basses ; l’âme se répartit dans la culotte, entre la poche, la brayette et le fond… »


Décidément, pour la peinture des tableaux infâmes, M. Descaves est sans rival.


Page 59 :

« Petitmangin, de ses nuitées en ville, ne rapportait que des sucreries et des pâtisseries légères, pêle-mêle avec du tabac, au fond de ses poches… »

Des goûts de petite fille à un militaire ? Allons donc !


Page 5 :

« Alors le sergent, les yeux humides, la face cuite, le nez pareil à une langue de feu dans un incendie de façade… À peu près ivre, il parlait seul, faisait des tournées d’inspection dans les compartiments voisins. On devait le hisser. On le passait comme un colis triomphal qui s’écroulait sous les banquettes. »

Quelle invraisemblance ! Cet ivrogne amène des conscrits au régiment !


Page 62 :

« Il s’était assis en tailleur, par terre, devant la malle béante, exposant le premier de ses compartiments superposés : Un capharnaüm où les objets de toilette et d’étagère confondus semblaient provenir du pillage d’une chambre de fille. »

C’est clair, cela. L’accusation est précise ! Sans une citation textuelle, on ne l’eut pas cru.


Page 64 :

« Nous dînons tous les dimanches au restaurant. Elle me donne son porte-monnaie avant d’entrer et je le lui rends en sortant, après avoir payé… par exemple, des cadeaux utiles toujours… »

Cela soulève le cœur.


Page 84 :

« Aucun choix n’était possible. Ils empoignèrent au hasard les femmes, la mère et la fille côte à côte, les renversèrent sur eux toujours assis…

« Favières exulta lorsque ses approches fourragères eurent pressenti Généreuse à l’indulgent accès d’un praticable estuaire. »

Sans le devoir de révéler tout entières les turpitudes du livre, jamais nous ne nous serions permis de reproduire cette abominable scène !


Page 88 :

Dans une maison publique :

« Des femmes sur les genoux ou collées aux flancs, buvant, chantant et fumant, dans une atmosphère de luxure et d’ivresse, des soldats… »

Des soldats ! M. Descaves ne les a jamais vus que dans un lieu infâme. Il ignore donc ce que c’est qu’un champ de bataille ?


Page 90 :

Une fille parle à un sous-officier :

« Justement mes amies n’ont personne ; elles voudraient bien un petit homme comme toi, bien gentil, et qui les aimerait bien. Vrai, je fais des jalouses. »

Cette fille n’avait donc pas vu les deux sardines d’or ?


Page 95 :

« Deux prostitutions se partageaient le soldat sans relâche. La Maison se couchait quand s’éveillait le Quartier. »

C’est hideux !


Page 100 :

« — Comment ! Vous payez encore le coucher, s’écria Devouge, en réponse à l’énumération geignarde faite par Tétrelle des frais qu’entraînaient les plaisirs tarifés.

« — Ah ! Tu ne voudrais pas. C’est déjà joli de ne leur rien donner, protesta Favières.

« — C’est différent… du moment que vous mettez du sentiment dans ces choses-là !…

« — Si vous vouliez, je dirais deux mots à Laure, qui parlerait à vos femmes… Le Gouvernement ne vous paye pas pour les entretenir…

« — C’est vrai, insinua Tétrelle. En somme il ne nous reste rien entre les mains…

« — L’argent n’a pas d’odeur, rectifia Devouge. »

La langue française n’a pas de mots pour flétrir de semblables indignités !


Page 102 :

« Pâquerette s’était rassise en face de son amant ; elle s’accroupit, explora une resserre dérobée, parvint à en extraire une pièce blanche, qu’elle glissa dans la main de Tétrelle :

« — Règle, dit-elle.

« Il prit l’argent… »

!   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !   !


Page 110 :

Une fille écrit à son sous-off :

« Ne viens donc pas cette semaine. Je ne pourrais pas payer pour toi. »

Quel abîme de scélératesse !


Page 111 :

« Autour d’eux, la boue montait, plus dense. Comme les femmes continuaient à payer les consommations, et qu’elles ne se trouvaient pas toujours là, quand le garçon rapportait la monnaie, Tétrelle réduisait le pourboire au strict convenable, et empochait la différence.

« Ce qui tombe au fossé est pour le soldat, disait Devouge. »

Ce qui tombe à l’égoût du mépris c’est un roman souillé de pareilles calomnies !!!


Page 125 :

« C’était Blanc, le sergent de la classe, se soûlant effroyablement avec les pompiers de Neuville, sous prétexte d’apprendre les batteries à leur tambour.

« C’était Edeline, réussissant à s’introduire dans toute une famille… Il dînait, flattait le père, s’insinuait dans les bonnes grâces de la mère, tout prêt d’atteindre son but. Le gîte, la table et… le reste, ce qu’il appelait les accessoires de solde. »

L’insulte à la famille, maintenant !


Page 126 :

« Civil, dans la bouche du soldat, cela n’a d’équivalent que pante dans l’argot des souteneurs. »

Quelles expressions ! C’est sans doute dans les carrières d’Amérique que le pamphlétaire les a recueillies.


Page 193 :

« Des soldats attirés par le fracas de la musique avaient envahi la salle, s’y bousculaient pour tarir les bouteilles, recueillir le fond des verres, boire au moins l’ivresse des autres, pendant que Blanc, à croupetons dans un coin, facilitait paisiblement la libération de son estomac. »

Cela se passe le 14 Juillet, dans une cantine où nos braves sous-officiers célèbrent par un banquet fraternel notre grande fête nationale !


Page 201 :

« C’était jour de repos officiel, jour de trêve. Le gros numéro et le numéro matricule prenaient campos. La Prostituée suspendait l’adultération du sang français que la patrie lui abandonne, quand ses chantiers de carnage n’en ont pas soif. »


C’est encore le 14 juillet, qu’on n’a pas honte de choisir, pour lancer un crachat à la face de la Patrie !

Ô jour anniversaire de la prise de la Bastille, jour immortel, où le sang d’un peuple secouant ses chaines a scellé le monument de la Liberté future, c’est en vain que des reptiles visqueux essayent de te souiller de leur bave ; tu es un soleil radieux et sans tache, qui planes trop haut dans les cieux modernes pour que l’outrage puisse t’atteindre jamais !

Une imagination en délire aura beau vouloir te représenter, fête auguste, comme une odieuse saturnale, comme une priapée abjecte, tu n’en resteras pas moins le grand jour, sacré entre tous, où pas un Français — si ce n’est peut-être M. Descaves — n’oserait se déshonorer par une intempérance qui ferait la joie de nos ennemis !

Ils ne sont pas nés en France, les ivrognes du 14 Juillet !




Toutes les concessions qu’on peut accorder à la thèse de M. Descaves, elles ont été énumérées par la plume trop impartiale peut-être de M. Edmond Lepelletier.

« Tous nos sous-officiers, écrivait-il dans l’Écho de Paris du 15 décembre 1889, ne sont pas des anges. Il est parmi eux, comme partout, des souteneurs, des hypocrites, des lâches, des débauchés, des filous et des Alphonses. Ils sortent de la société, les sous-offs, avant de sortir du rang.

« Mais tous des misérables, des gibiers de lupanar, en attendant qu’ils deviennent gibier de bagne ou de peloton, allons donc !

« Ce n’est pas seulement calomnier les gradés de la jeunesse armée, c’est insulter odieusement toute la jeunesse française. »

L’éminent écrivain, à qui nous empruntons ces lignes, a dû se borner, dans un article de journal, à montrer l’exagération cynique des reproches adressés aux mœurs des sous-officiers. Il a montré ce qu’ils ne sont pas, nous allons faire voir ce qu’ils sont.

Qui n’a pas vu, par un radieux matin de printemps, par une belle après-midi d’été, par un beau ciel d’automne clair et rose, le pays et la payse, ce couple légendaire, s’avancer à pas lents, côte à côte, pleins d’affectueux respects mutuels, et chuchotant, avec une passion contenue, des mots d’amour ? — Vision attendrissante que l’un de nos poëtes militaires les plus distingués rendait en ces vers mâles et vigoureux, où il rappelle ses modestes plaisirs hors de la caserne :


Le soir tombait, un soir équivoque d’automne
Les bonnes se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spéciaux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.

Et ce sont ces gens là qui ne connaîtraient d’autre distraction que les plaisirs malsains des maisons de débauche, dont ils mettraient les filles en coupe réglées !

Ce n’est pas à dire, certes — et M. Edmond Lepelletier en a fait la judicieuse remarque — qu’on ne voie jamais la capote à galons étalée sur des canapés suspects. Mais, si certains civils mettaient un peu plus de discrétion dans les invitations qu’ils adressent à nos sous-officiers, de pareils faits n’auraient guère d’exemple.

D’ailleurs, une chute n’est jamais irrémédiable. Si bas qu’on soit entraîné, on peut toujours s’arracher à l’influence néfaste des mauvais conseils et rentrer dans le chemin du devoir et de l’honneur.

Nous n’en voulons pour témoin que cette citation d’un beau livre de C.-J. Lecour, la Prostitution à Paris et à Londres : « Le tragique, c’est ce militaire qui, en 48, entré pendant la nuit dans un lieu de débauche, se réveillait le lendemain dans les bras de sa sœur. »

L’auteur ne nous donne pas la suite de cet épouvantable récit, mais d’autres la connaissent. Le militaire, devenu sous-officier, sut faire des économies pour payer les dettes de sa sœur et l’arracher à l’infamie. Il la maria à un de ses collègues. Elle fut bonne épouse et bonne mère.




Nous n’avons pas parlé jusqu’ici du mariage des sous-officiers. C’est un sujet que M. Descaves a traité avec son venin habituel. Il n’a pas hésité à nous montrer le cantinier du régiment qu’il met en scène, marié avec une coquine de bas étage, dont la seule préoccupation est de le tromper.

Vous êtes là pour répondre, noble pléïade de Françaises, héroïnes modestes, toutes cantinières, qui avez reçu la croix de la Légion d’honneur : Veuve Perrot décorée en Afrique ; Annette Drevon, décorée en 1859, pour action d’éclat sur le champ de bataille de Magenta, où vous avez sauvé le drapeau du deuxième zouaves ; Perrine Cros, du bataillon de chasseurs à pieds de la garde impériale, blessée à Palestro et à Magenta ; Jeanne Bonnemère, du 21e régiment d’infanterie, médaillée en 1870, pour avoir avalé une dépêche au moment où les Prussiens s’emparaient de vous !


Si toutes les femmes de sous-officiers ne sont pas arrivées à votre gloire, du moins donnent-elles dans leur ménage l’exemple de toutes les vertus civiques, qui sont l’apanage de la Française.

Celles-ci, lorsque leurs maris, ayant quitté l’armée, occupent une de ces places accordées si libéralement par l’État à ses anciens serviteurs ; celles-là apportent dans la vie civile l’exemple de toutes les qualités militaires. Elles nous préparent une génération forte et saine, ornement de nos sociétés de gymnastique et de nos orphéons ; et le jour venu, elles n’hésiteraient pas, comme les mères Spartiates, à envoyer leurs fils au combat. Elles leur mettraient elles-mêmes dans la main l’arme vengeresse, en criant, sans pâlir :

— Voilà le sabre de ton père !




Il est temps de conclure.

Que reste-t-il de l’œuvre de M. Descaves ?

Dans l’opinion publique, elle est jugée. Ce n’est pas seulement un mauvais livre, c’est une mauvaise action. Les esprits, un instant troublés par l’audace des attaques contre notre armée, se sont heureusement rassérénés. Le peuple français tout entier sait qu’il peut avoir confiance dans ses défenseurs, et les familles, lorsque leurs enfants quittent le foyer pour aller payer l’impôt du sang, les confient joyeusement à la Caserne, comme à une école de dévouement et d’honneur.

La tentative anti-patriotique de M. Descaves a échoué. Il n’a plus, maintenant, devant le flot unanime des réprobations, qu’à courber la tête comme un coupable démasqué.

S’il lui reste au fond du cœur quelque chose de ce qui constitue un Français, il doit faire d’amères réflexions.


Le remords doit hanter vos nuits, M. Descaves. Comme les petits soldats du magnifique tableau de Detaille regardent passer en rêve les grandes ombres glorieuses des aïeux, qui, la face auréolée de gloire, agitent d’illustres drapeaux, vous devez voir, dans vos sommeils troublés de cauchemars, les spectres des héros que vous avez insultés, tendre vers votre front des bras accusateurs !


Par toutes leurs blessures béantes, ils crient vengeance contre vous.

Puissiez-vous, rentrant enfin en vous même, faire amende honorable ; et, si vous ne brisez pas votre plume, après en avoir fait une arme empoisonnée, l’employer maintenant à cicatriser les plaies qu’elle a ouvertes.

Quant à vous, sous-officiers, héros modestes, serviteurs obscurs et dévoués de la plus noble des causes, ne vous inquiétez pas des viles attaques dirigées contre vous.

La patrie vous couvre de son palladium.


« Voulez-vous mon avis, mes chers sous-offs ? écrivait M. Saint-Genest dans le Figaro du 13 Décembre 1889 ; ne vous inquiétez pas : cela n’est rien. Secouez dédaigneusement la boue que l’on vous jette, et continuez à porter la tête haute, car tous ceux qui vous attaquent voudraient bien avoir la considération dont vous jouissez. »