Les Veillées des maisons de prostitution et des prostituées/1

LES VEILLÉES

DES

MAISONS DE PROSTITUTION
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INTRODUCTION

Il commençait à se faire tard, les rues devenaient désertes, et comme il n’y avait plus guère d’espoir que quelques amateurs se présentassent encore, les st ! st ! à travers la grille de la porte de l’allée avaient cessé, et la vieille marcheuse, après avoir fermé le volet intérieur, était rentrée dans l’ouvroir auprès des demoiselles qui y étaient rassemblées.

Dans un sérail un peu comme il faut, on nomme assez communément ouvroir une petite chambre au rez-de-chaussée, où celles des prêtresses qui ne servent pas d’échantillon à la porte, s’occupent à travailler, et le plus souvent à ne rien faire, en attendant que les chalands se présentent.

Ce soir-là le sérail se trouvait presque au grand complet, et peu de ces demoiselles étaient dans leurs chambres, parce qu’on n’avait fait que des passes, et que pas un coucheur ne s’était présenté, toutes étaient d’une gaîté folle ; elles riaient de voir pleurer une de leurs compagnes, la petite Constance, fille à tempérament et qui était dans le métier non par intérêt, mais par goût pour le plaisir, et qui se montrait profondément affligée toutes les fois qu’elle se voyait privée du plaisir d’avoir pour la nuit un bon fouteur.

— Mais conçoit-on cette petite sotte-là, de pleurer comme ça chaque fois, dit la blonde Clarisse : eh bien ! quand tu te branlerais toute seule cette nuit, le beau malheur ! ça m’arrive assez souvent à moi, et dieu merci, il te passe assez de vits par les mains et par le con tous les jours pour ne pas te trouver si affectée parce que tu en manques pour cette nuit…

Toutes rirent de la saillie de Clarisse.

Au même moment on frappa un léger coup à la porte de l’allée, et une voix demanda à travers la serrure à la vieille qui était allée voir qui ce pouvait être, si Constance était là.

En entendant prononcer son nom, la jeune personne ne fit qu’un bond de sa chaise dans l’allée, manquant de renverser tout sur son passage et s’empressant de répondre : Oui, mon ange, me voilà.

La marcheuse venait d’ouvrir la porte de l’allée, l’ange entra.

C’était un gros joufflu de cocher de cabriolet, un des attitrés de Constance, qui, à la suite d’une partie d’amis, venait passer la nuit avec elle.

La petite putain lui sauta au cou en l’appelant son sauveur et en lui appliquant sur la bouche le plus lascif baiser, faisant frétiller sa langue amoureusement entre ses lèvres, elle se hâta de prendre la lumière et de monter avec lui chez elle, l’attirant, pour ainsi dire, par le vit le long des escaliers, il lui semblait qu’elle n’arriverait jamais assez tôt à sa chambre, tant elle craignait de voir s’échapper le bonheur qui lui était promis pour cette nuit, qu’elle s’attendait à son grand regret passer seule.

— Une longue privation de vits la rendrait folle, cette petite Constance, dirent les autres quand elle fut partie.

— Elle est bien heureuse, tout de même, dit une petite brune fort éveillée, elle a son affaire. Ah ! ça, qu’est-ce que nous allons faire, mesdemoiselles ? Je ne me sens pas encore envie de dormir : si nous envoyions Nanette auprès de madame pour lui demander sa lanterne magique, ça nous amuserait. Tu nous expliquerais les Tableaux, n’est-ce pas Nanette ?

— Je veux bien, répondit Nanette.

— C’est ça, la lanterne magique ! la lanterne magique ! s’écrièrent à la fois toutes ces demoiselles, et l’ambassadrice monta auprès de madame, qui, se trouvant ce soir-là en bonne humeur, ne fit aucune difficulté de condescendre au désir de ses pensionnaires. Nanette, enchantée du succès de sa démarche, redescendit la lanterne magique, et après avoir tout disposé convenablement, elle commença d’une voix nazillarde l’explication des Tableaux, explication interrompue plus d’une fois par les rires de ses espiègles auditeurs.