LES
UNIVERSITÉS SUÉDOISES.

À M. DE SALVANDY,
ministre de l’instruction publique.
i. — lund.

De loin, quand on navigue sur le Sund, ou sur la mer Baltique, les matelots montrent au voyageur la côte où s’élève l’antique ville suédoise et les deux tours carrées du dôme de Lund. La ville était autrefois la métropole du Nord. L’archevêque de Lund avait le titre de primat, et les évêques scandinaves étaient ses suffragans. La cathédrale semblait avoir été bâtie exprès sur une terre plate au bord de la mer, pour être vue de loin comme une reine des églises, comme un pilier du christianisme. Maintenant les prélats de la Scanie ont perdu leur suprématie, la ville est moins grande et moins puissante qu’elle ne l’était autrefois, mais elle a conservé sa vieille église, et Charles XI lui a donné une université.

L’église est l’un des monumens religieux les plus intéressans qui existent. Le dôme de Bamberg est le seul auquel je puisse le comparer pour la structure et l’ancienneté. Elle a été bâtie lentement, et l’on y distingue très bien deux styles différens, deux époques successives. Dans la nef, dans le pourtour du chœur, dans la colonnade extérieure du dôme, c’est le pur style byzantin, le plein cintre, la colonne ronde, massive, unie aux piliers et aux pilastres, le chapiteau plat sur les côtés, légèrement arrondi sur les angles, la base plate, ornée seulement de trois pointes triangulaires : toute cette partie de l’édifice date du xie siècle. Pendant qu’on l’achevait, le goût avait déjà changé, l’art avait fait un pas vers la forme gothique. Dans la partie supérieure, la colonne se délie, le plein cintre s’alonge, quelques rameaux, partis d’une tige effilée, se rejoignent au milieu de la voûte. La lourde base s’est élancée de terre, la souche de l’arbre gothique s’est ouverte, l’ogive va venir, et les colonettes au pied léger vont se répandre dans les airs. Toute cette église a un caractère solennel et imposant. Il y avait dans l’architecture byzantine un ton sévère qui répondait parfaitement à l’austère simplicité des premiers temps du christianisme. C’était pourtant l’art antique, l’art grec, mais tellement modifié, tellement dépouillé de son élégance, qu’il en était devenu méconnaissable. Le christianisme sentait qu’il pouvait avoir son architecture à lui, et il n’empruntait aux religions qui l’avaient précédé que l’élément primitif, l’élément absolu de l’art.

La cathédrale de Lund est bâtie, comme toutes les églises, en forme de croix : au milieu la grande nef avec ses lourds piliers, et de chaque côté deux nefs plus étroites et moins élevées. Au fond, le chœur, qui était autrefois séparé du reste de l’église, et où l’on arrive maintenant par un large escalier. En descendant sous cette plate-forme du chœur, on entre sous une nouvelle voûte, on se trouve dans une autre église. Elle est grande, mais peu élevée et sombre : c’était l’asile mystérieux, la chapelle souterraine réservée aux cérémonies funèbres. Le jour de la Toussaint, les prêtres y célébraient l’office de deuil. Ce jour-là, ils quittaient l’édifice ouvert au monde des vivans, ils descendaient sous cette catacombe comme pour se rapprocher des morts. Dans les temps de guerre civile, cette église servait aussi de refuge au troupeau craintif confié à la garde de l’évêque. Cinquante ans après la réformation, quand toute la Suède avait admis le dogme de Luther, le dogme romain vivait encore à Lund, les prêtres célébraient la messe dans cette église souterraine. Le catholicisme finissait comme il avait commencé, par se réfugier dans les tombeaux.

Ce monument précieux a été ravagé par un incendie. Un professeur de Lund, M. Brunius, a passé six années de sa vie à le réparer. Il s’était dévoué à cette œuvre d’art comme les architectes du moyen-âge, et il a si bien étudié le style de cet édifice, qu’on ne remarque nulle disparate entre son travail et celui des anciens maîtres[1].

Comme toutes les anciennes églises, celle de Lund a sa légende. Dans la chapelle souterraine, on aperçoit, d’un côté, un homme debout, embrassant avec force un des piliers ; de l’autre, une femme accroupie, tenant un enfant sur ses genoux et enlaçant une colonne comme pour la renverser. On raconte qu’un jour un géant de la Scanie, nommé Finn, vint trouver saint Laurent, et lui dit : « Je te bâtirai une magnifique église, à la condition, ou que tu sauras mon nom quand elle sera finie, ou que tu me donneras le soleil, la lune, ou les deux yeux de ta tête. » Le saint accepta. Finn se mit à l’œuvre, et c’était merveille de voir avec quelle force et quelle habileté il entassait pierre sur pierre. Déjà les murailles étaient achevées, déjà la voûte commençait à s’arrondir, et le saint ne savait pas encore le nom du géant. Il avait d’abord cru que c’était une chose facile de l’apprendre ; mais il eut beau le demander à tous les anges du paradis, à tous les prêtres et à tous les paysans de la Scanie : personne ne put le lui dire. Il commençait à être inquiet, car l’église grandissait chaque jour à vue d’œil. Mais un soir qu’il passait dans la campagne, il aperçut une femme assise au seuil d’une maison avec un enfant. L’enfant pleurait, et sa mère lui dit : « Tais-toi, ton père Finn va venir, et il t’apportera le soleil et la lune ou les deux yeux de saint Laurent. » Cette fois le bon saint s’en retourne au ciel tout joyeux. Quelques jours après, le géant vint le sommer de tenir sa promesse. « Allons, Finn, dit saint Laurent, l’église n’est pas encore finie, plus tard nous verrons. » Quand le malheureux architecte entendit prononcer son nom, il se précipita dans la catacombe, et embrassa un des plus forts piliers pour le renverser ; sa femme et son enfant en firent autant, et le saint les changea en pierre. Ils sont restés là suspendus à leur colonne, et l’église du saint s’est élevée sur leur tête comme la religion du Christ sur les souches pétrifiées du paganisme.

L’université fut fondée en 1666. Le roi lui assigna la plus grande partie des biens qui avaient appartenu au chapitre de Lund et au clergé catholique : quatre paroisses, trente prébendes, neuf cents pièces de terre. Elle a gardé tous ces biens et les a sagement administrés. Le gouvernement n’entre que pour une faible part dans ses dépenses annuelles ; elle paie elle-même ses professeurs. Elle s’agrandit, elle fait bâtir, elle achète des propriétés, elle a ses registres en partie double comme un négociant, ses fermiers et son intendant comme un grand seigneur. L’intendant est élu par le consistoire et nommé par le chancelier. Il doit gérer les propriétés de l’université, percevoir ses revenus, et solder ses dépenses. Chaque année il est tenu de rendre rigoureusement compte de sa gestion. Une fois le calcul fait, ce qui reste en caisse est placé non pas sur les fonds de l’état, mais à six pour cent sur bonnes et loyales hypothèques. C’est ainsi qu’elle a amassé d’abord un capital inaliénable de 100,000 écus, et ce capital s’accroît sans cesse.

Les professeurs sont payés en nature, comme dans le vieux temps : les anciens reçoivent trois cents tonnes de grain, estimées à environ 4,000 fr. ; les plus jeunes reçoivent un peu moins. Les professeurs extraordinaires ont de 600 à 1000 fr. ; les privat-docent ne sont pas payés.

Les professeurs de théologie ont une cure. Quelques professeurs laïques en reçoivent une aussi comme récompense de leurs services. Ils sont obligés alors de se faire prêtres. Ils écrivent une dissertation latine qu’ils défendent en public, après quoi l’évêque leur donne l’ordination. Ils portent une redingote noire, une cravate blanche, un petit collet, et continuent à faire leurs cours. Un vicaire les remplace dans leur paroisse. Ils sont obligés seulement d’aller trois ou quatre fois par an visiter leur cure et prêcher. C’est la même organisation que celle de l’église anglicane, mais avec moins d’abus, car le même prêtre ne peut jamais être titulaire de plusieurs cures.

Il n’est pas rare de voir des professeurs nommés non seulement curés, mais évêques. Quand un siége épiscopal devient vacant, les prêtres de chaque district se réunissent chez le prost[2]. Chacun d’eux écrit sur un bulletin le nom de trois candidats. Les bulletins réunis sont envoyés au consistoire ecclésiastique de la métropole, qui, après les avoir examinés, inscrit les trois noms qui ont obtenu le plus de suffrages et les adresse au roi. Le roi décide, mais en se conformant au vœu de la majorité. C’est ainsi que Tegner, professeur de littérature grecque à Lund, et M. Agarht, professeur de botanique, ont été nommés évêques, le premier à Wexiœ[3], le second à Carlstad. C’est ainsi que le poète Franzen, professeur à l’université d’Abo, a été appelé comme évêque dans le Norland. C’est comme dans les premiers temps du christianisme, où le peuple choisissait pour prélat l’homme en qui il avait confiance, sans s’inquiéter s’il était diacre ou laïque.

L’université de Lund est moins célèbre que celle d’Upsal. Elle a fait beaucoup cependant pour la propagation de la science dans les provinces méridionales de la Suède. Les études historiques et philologiques y sont en grand honneur ; les études théologiques y ont été poussées à un très haut degré. Plusieurs professeurs ont voyagé en Angleterre, en France, en Allemagne, dans le but unique d’acquérir de nouvelles connaissances et de les transmettre à leur pays. On trouve ici, ce qui est assez remarquable dans une ville de deux mille ames, un cabinet d’histoire naturelle, un jardin botanique, un musée d’antiquités scandinaves, une librairie très riche, et une bibliothèque de quarante mille volumes. Cette bibliothèque provient en partie de celle qui appartenait au chapitre métropolitain, en partie d’une bibliothèque de dix mille volumes, amassés en Allemagne pendant la guerre de trente ans, que Charles XI acheta, et dont il fit présent à sa jeune université de Lund. Elle renferme une collection assez complète de tout ce qui a rapport à la Suède et plusieurs grands ouvrages historiques. Le roi lui donne 2,000 francs par an ; on en prend autant sur les fonds de l’université, et cette somme doit suffire à ses achats. Le bibliothécaire actuel est M. Renterdahl, professeur de théologie, l’un des hommes les plus distingués que l’université ait eus depuis long-temps.

Les élèves n’entrent ici qu’après avoir subi un rigoureux examen. Le temps des études, pour la faculté de théologie, est ordinairement de deux années, et de trois pour les autres. L’élève en médecine peut exercer dès qu’il a passé son examen de promotion ; mais le théologien et le juriste doivent en passer encore un autre, le premier devant le consistoire ecclésiastique et l’évêque, le second devant le tribunal supérieur. L’examen de promotion est privé et public. L’examen privé a lieu successivement devant chacun des professeurs de la faculté à laquelle l’étudiant appartient. C’est le plus long, le plus important. L’examen public a lieu devant tous les professeurs de la faculté réunis.

Ces examens sont très sévères, et cependant très peu de candidats y échouent. Les élèves de l’université de Lund se distinguent par leur application au travail, par la régularité de leur conduite. Nulle part je n’ai vu une réunion d’étudians aussi calme, aussi assidue au travail, aussi respectueuse devant ses maîtres. Ici il n’est plus question ni de duel, ni de Burschenschaft, ni de Kneipe. Ici le Renommist et la Jobsiade, ces deux épopées chevaleresques des écoles d’Allemagne, ne seraient plus comprises. Les étudians de Lund ont formé un club, et il est défendu d’y boire aucune liqueur spiritueuse. Ils ont des réunions particulières, et c’est pour se proposer des sujets de dissertation et les discuter entre eux. Chose curieuse ! ce qui est regardé, en Allemagne, comme une cause continuelle d’agitation, est ici encouragé comme un moyen de discipline. Ce qui est défendu là-bas par les ordonnances de la diète, est ici prescrit par les réglemens universitaires. Tous les étudians doivent ici appartenir à une association ; tous sont divisés par nation, c’est-à-dire par districts ou provinces, et il ne leur est pas permis d’être immatriculés à l’université, sans l’être en même temps dans les registres de la nation à laquelle ils appartiennent par leur naissance. Ces assemblées ont leurs réglemens particuliers, leurs jours de fête et leurs heures de travail ; presque toutes ont aussi une bibliothèque, des instrumens de musique, des journaux, et une salle d’étude avec une chaire où les étudians viennent une fois par semaine soutenir des thèses latines. Chaque nation se divise en trois ou quatre degrés : seniores, juniores, recentiores, et quelquefois novilii. On ne passe d’un degré à l’autre qu’après avoir subi un examen devant la classe supérieure. C’est parmi les seniores que le curateur est choisi, et dans les délibérations les anciens ont deux voix, les novices n’en ont qu’une. La nation se choisit, parmi les professeurs, un inspecteur ; c’est lui qui approuve les décisions qu’elle prend et qui signe ses actes : il est le représentant de cette nation auprès du consistoire académique et le représentant du consistoire auprès de la nation ; mais il n’agit sur elle que par ses conseils et un ascendant moral. S’il est aimé, il peut exercer une grande influence, sinon il n’a qu’une autorité illusoire. Au-dessous de l’inspecteur est placé le curateur, qui administre la caisse de la nation, convoque les assemblées, inscrit les nouveaux membres et rédige les protocoles. Un comité, choisi parmi les seniores, veille à l’exécution des mesures prises par l’assemblée. Dans cette république littéraire, tout se décide à la pluralité des voix, et les décisions sont respectées par le consistoire académique. L’étudiant qui se dispose à passer son examen, doit présenter un certificat de la nation à laquelle il a appartenu, constatant quelle a été sa conduite et la nature de ses études. La nation a, sur chacun de ses membres, un droit de surveillance et de juridiction. Si un étudiant a commis une faute, le curateur lui adresse une remontrance ; s’il récidive, il est appelé devant les seniores, puis devant l’assemblée entière, et, en définitive, devant le conseil académique. Il peut arriver aussi que l’étudiant soit banni de sa nation. Le jugement se prononce à la majorité des voix, et cette sentence d’expulsion, prononcée par des condisciples, est plus terrible que l’arrêt de relégation prononcé par l’université même.

Quatre cents étudians fréquentent ordinairement l’université de Lund. Un grand nombre d’entre eux sont pauvres, mais ils ont quelques stipendes et vivent avec une rare sobriété. 600 à 700 francs par an leur suffisent.

Le nombre des professeurs ordinaires est limité ; il y en a toujours eu vingt-un. Celui des professeurs-adjoints est illimité ; il y en a maintenant seize, et vingt-quatre privat-docent, en tout soixante-un.

À la tête de l’université est le chancelier, qui intervient comme juge dans toutes les questions importantes de finance et d’administration. Le prince royal porte le titre de chancelier ; l’évêque de Lund est de droit vice-chancelier.

Les professeurs ordinaires sont nommés par le roi, sur la présentation du consistoire ; les professeurs-adjoints sont nommés par le chancelier.

La juridiction universitaire s’exerce ici de la même manière qu’en Allemagne, par le petit consistoire dans les cas habituels, par le consistoire complet dans les cas plus difficiles, et le jugement qui entraîne une peine grave doit être soumis au roi.

Mais je ne connais pas une université en Allemagne qui ait conservé, comme celle de Lund, ses anciens usages et son ancien caractère. Ici, depuis près de deux siècles, rien n’a changé ; ce sont les mêmes cérémonies dans toutes les circonstances, les mêmes fêtes naïves et le même esprit religieux. Les professeurs font la prière en commençant et en finissant leurs leçons de chaque jour, et les solennités universitaires se célèbrent au son des cloches. Quand un étudiant a passé son examen de promotion, on le conduit à l’église, et toutes les facultés et les étudians se rassemblent autour de lui ; le professeur qui remplit les fonctions de promoteur adresse au nouvel élu une harangue latine ; puis les cloches sonnent, les musiciens placés dans la tribune chantent un chant de joie. Le promoteur remet à l’étudiant le chapeau de docteur, symbole de sa dignité, l’anneau d’or qui le fiance à l’étude, et un livre de science. Ensuite le prêtre célèbre l’office divin, et la cérémonie se termine par un dîner auquel assistent les professeurs. L’évêque y vient aussi avec sa croix d’or sur la poitrine, comme pour bénir la nouvelle voie dans laquelle l’étudiant va entrer. Le recteur magnifique s’asseoit à côté de l’évêque, et le jeune docteur prend place au milieu de cette savante assemblée. Il n’est plus étudiant ; il est maître. Ses condisciples de la veille le regardent avec respect, et ses anciens professeurs le saluent comme un jeune frère. Dans quelques années, il sera peut-être aussi professeur, il fera des élèves, il assistera à leur promotion, et il se souviendra toujours de la matinée auguste où il a reçu son diplôme, et de la cérémonie religieuse qui l’a consacré.

Le recteur change à chaque semestre. Il est élu par le consistoire et confirmé par le chancelier. Son installation se fait toujours avec une grande pompe. La veille du jour où elle doit avoir lieu, le recteur dont les fonctions expirent, adresse à ses collègues un sommaire historique de tout ce qui est arrivé à l’université pendant le temps de son administration. Le lendemain, les professeurs se réunissent dans sa demeure, et toutes les facultés se rendent avec lui en procession à l’église, au son de la musique et des cloches, et précédées des sergens de l’université, des pedels portant le sceptre d’argent du recteur, comme autrefois les licteurs portaient les faisceaux des consuls. Là, il prononce un discours latin, il reçoit le serment de son successeur, et lui remet l’un après l’autre les insignes de sa dignité, le sceptre, le sceau, la clé des archives, la clé de la prison, le livre des statuts. Le secrétaire de l’académie lit un chapitre de la constitution. Le nouveau recteur adresse aux professeurs une courte harangue pour se recommander à eux ; puis on prie et l’on chante, et le corps universitaire s’en retourne en procession.

Il y a dans toutes ces réunions une telle candeur, une telle bonne foi, qu’on ne saurait y assister sans émotion. Par sa vie régulière et paisible, par son isolement, l’université de Lund est en position de garder long-temps ses anciennes mœurs, si quelque novateur imprudent ne vient pas jeter le trouble dans son cycle traditionnel.

La ville est bâtie à une lieue de la mer, dans une des plaines les plus riantes et les plus fécondes de la Suède. Elle est parsemée de fleurs et de jardins, entourée d’arbres à fruit et de champs de blé. Chaque professeur a là sa petite maison, fermée par une barrière, au milieu d’un enclos. Les arbres verts lui servent de rideau. Le matin l’alouette l’éveille en passant sous ses fenêtres, le soir le rossignol chante près de lui ; et quand on entre dans cette communauté universitaire, assise ainsi au milieu des arbres et des fleurs, on dirait une ruche d’abeilles. On y entend le bourdonnement de la science, et l’on y respire une sorte de parfum poétique.

Ces professeurs ont leurs vacances au mois de juin, et leurs vacances durent tout l’été. Les uns alors entreprennent un voyage scientifique, et ceux qui sont prêtres, se retirent ordinairement dans leur paroisse. J’ai visité un jour, avec celui qui en était titulaire et avec un de ses collègues, une de ces cures appartenant à l’université. J’entrai dans une maison champêtre bâtie au haut d’une colline. D’un côté était l’école fréquentée par une trentaine d’enfans qui se levèrent à notre approche et reprirent ensuite leurs leçons ; de l’autre, deux chambres modestes où le pasteur avait son lit, sa bibliothèque, et d’où l’on découvrait à la fois la mer, les champs, les murs de Copenhague, et une cinquantaine de villages dispersés dans la campagne. À quelques pas de là était l’église, protégée par une enceinte d’arbres, au milieu du cimetière. La demeure des morts avait reverdi au soleil de mai comme celle des vivans, et l’inscription sépulcrale était cachée sous des touffes de gazon. Au fond du cimetière, j’aperçus une tombe fraîche et riante couverte de couronnes. C’était celle du vicaire de la paroisse. Il avait été enterré peu de jours auparavant, et les jeunes filles du village étaient venues semer des fleurs sur son tombeau.

Nous entrâmes ensuite dans la maison d’un paysan. Les femmes étaient réunies dans une chambre, et filaient de la laine, comme en Islande. Quand elles aperçurent leur pasteur, elles se levèrent avec respect et s’approchèrent de lui pour lui baiser la main. Mais la mère de famille nous montra sa demeure, son jardin, et nous apporta dans un vase d’étain le lait qu’elle venait de traire.

Le soir nous nous en revînmes à travers les champs couverts de blé, et les pommiers chargés de fleurs. Le ciel était bleu comme un ciel du midi. Le soleil couchant projetait ses derniers rayons sur les vagues de la mer. Tout était calme, riant, et mes compagnons de voyage chantaient dans la voiture les ballades du Folk-Visor. À notre arrivée, l’un des professeurs trouva sa femme qui l’attendait sur la porte, et son enfant qui vint se jeter dans ses bras. Dans l’espace de quelques heures, toutes les joies avaient été réunies pour lui : joies de la religion, joies de la science, joies du cœur. Si alors une destinée humaine m’a paru digne d’envie, c’est celle d’un professeur de Lund qui a une cure à la campagne.

  1. M. Brunius a complété son œuvre en publiant une description très détaillée et très instructive de cette cathédrale : Beskrifning œfver Lunds Domkyrka.
  2. Prêtre de canton.
  3. Je prie le lecteur, une fois pour toutes, de vouloir bien me pardonner la manière très défectueuse avec laquelle j’écrirai plusieurs mots danois et suédois. Nous sommes obligés de suppléer aux lettres pointées, que nous n’avons pas dans notre langue, par des diphtongues qui n’ont ni le même son, ni la même valeur métrique.