Les Travailleurs de la mer/L’archipel de la Manche/02

Émile Testard (Tome Ip. 9-11).
L’archipel de la Manche


II

GUERNESEY


Granit au sud, sable au nord ; ici des escarpements, là des dunes ; un plan incliné de prairies avec des ondulations de collines et des reliefs de roches ; pour frange à ce tapis vert froncé de plis, l’écume de l’océan ; le long de la côte, des batteries rasantes, des tours à meurtrières, de distance en distance ; sur toute la plage basse, un parapet massif, coupé de créneaux et d’escaliers, que le sable envahit, et qu’attaque le flot, unique assiégeant à craindre ; des moulins démâtés par les tempêtes ; quelques-uns, au Valle, à la Ville-au-Roi, à Saint-Pierre-Port, à Torteval, tournant encore ; dans la falaise, des ancrages ; dans les dunes, des troupeaux ; le chien du berger et le chien du toucheur de bœufs en quête et en travail ; les petites charrettes des marchands de la ville galopant dans les chemins creux ; souvent des maisons noires, goudronnées à l’ouest à cause des pluies ; coqs, poules, fumiers ; partout des murs cyclopéens ; ceux de l’ancien havre, malheureusement détruits, étaient admirables avec leurs blocs informes, leurs poteaux puissants et leurs lourdes chaînes ; des fermes à encadrements de futaies ; les champs murés à hauteur d’appui avec des cordons de pierre sèche dessinant sur les plaines un bizarre échiquier ; çà et là, un rempart autour d’un chardon, des chaumières en granit, des huttes casemates, des cabanes à défier le boulet ; parfois, dans le lieu le plus sauvage, un petit bâtiment neuf, surmonté d’une cloche, qui est une école ; deux ou trois ruisseaux dans des fonds de prés ; ormes et chênes ; un lys fait exprès, qui n’est que là, Guernesey lily ; dans la saison des « grands labours », des charrues à huit chevaux ; devant les maisons, de larges meules de foin portées sur un cercle de bornes de pierre ; des tas d’ajoncs épineux ; parfois des jardins de l’ancien style français, à ifs taillés, à buis façonnés, à vases rocailles, mêlés aux vergers et aux potagers ; des fleurs d’amateurs dans des enclos de paysans ; des rhododendrons parmi les pommes de terre ; partout sur l’herbe des étalages de varech, couleur oreille-d’ours ; dans les cimetières, pas de croix, des larmes de pierre imitant au clair de lune des Dames blanches debout ; dix clochers gothiques sur l’horizon ; vieilles églises, dogmes neufs ; le rite protestant logé dans l’architecture catholique ; dans les sables et sur les caps, la sombre énigme celtique éparse sous ses formes diverses, menhirs, peulvens, longues pierres, pierres des fées, pierres branlantes, pierres sonnantes, galeries, cromlechs, dolmens, pouquelaies ; toutes sortes de traces ; après les druides, les abbés ; après les abbés, les recteurs ; des souvenirs de chute du ciel ; à une pointe Lucifer, au château de Michel-Archange ; à l’autre pointe Icare, au cap Dicart ; presque autant de fleurs l’hiver que l’été ; — voilà Guernesey.