Les Singularitez de la France antarctique/80
CHAPITRE LXXX.
Bâti du païs de Canada. Le païs et terrouer de Canada, est beau et bien situé, et de soy très bon, hormis l’intemperature du ciel, qui le defauorise : comme pouuez aysément coniecturer. Il porte plusieurs arbres et fruits, dont nous n’auons la cognoissance par deçà. Entre lesquels y a un arbre[1] de la grosseur et forme d’un gros noyer de deça, lequel a demeuré longtemps inutile, et sans estre congnu, Suc dudit arbre ayant goust de vin. iusques à tant que quelcun le voulant coupper en saillit un suc, lequel fut trouvé d’autant bon goust, et delicat, que le bon vin d’Orleans, ou de Beaune : mesmes fut ainsi iugé par noz gens qui lors en firent l’experience : c’est à sçauoir le Capitaine, et autres gentils homes de sa compagnie, et recueillirent de ce ius sur l’heure de quatre à cinq grands pots. Ie vous laisse à penser, si depuis ces Canadiens afriandez à ceste liqueur, ne gardent pas cest arbre cherement, pour leur bruuage, puisqu’il est ainsi excellent. Couton arbre. Cest arbre, en leur langue est appellé Couton. Une autre chose quasi incredible est, qui ne l’auroit veüe. Ceps de vigne naturels en Canada. Il se trouue en Canada plusieurs lieux et contrées, qui portent tres beaux ceps de vigne[2], du seul naturel de la terre, sans culture, auec grande quantité de raisins gros, bien nourris, et très bons à manger : toutefois n’est mention que le vin en soit bon en pareil. Ne doubtez combien trouuerêt cela estrâge et admirable ceux, qui en firent la première decouuerte. Ce pais est acompli de montagnes et plauures. Pierres de couleur de mine d’or. En ces hautes montagnes se trouuent certaines pierres retirâs en pesanteur et couleur à mine d’or : mais quand on la voulut esprouuer, si elle estoit légitime, elle ne peult endurer le feu, qu’elle ne fust dissipée et convertie en cendre. Il n’est impossible, qu’en cest endroit ne se trouuast quelque mine aussi bône, qu’aux isles du Peru, qui caueroit plus auât en terre. Mines de fer, mines de cuiure. Quât à mines de fer[3], et de cuiure il s’en trouue assez. Au surplus de petites pierres, faites et taillées en pointe de diamant qui prouiennent les unes en plainure, les autres aux montagnes. Ceux qui premièrement les trouuerent, pensoyent estre riches en un moment, estimâs que fussent vrays diamans, dont ils apportèrent abôdance : Diamant de Canada, prouerbe. et de là est tiré le prouerbe auiourd’huy connu par tout. C’est un diamant de Canada. De fait il tire au diamât de Calicut, et des Indes Orientales. Aucuns veulent dire, que c’est une espèce de fin christal : de quoy ie ne puis donner autre resolution, sinon ensuyuant Pline[4], qui dit le cristal prouenir de neige, et eau excessiuement gelée, et ainsi concrée. Opiniôs sur la côcreation du cristal. Parquoy es lieux subiets à glace et neige se peut faire que quelque partie d’icelles par succession de temps, se deseche et côcrée en un corps luysant, et transparent côme crystal. Solin estime ceste opinion faulse, que le cristal viêne totalement de neige : car si ainsi estoit, il se trouueroit seulement es lieux froids, comme en Canada, et semblables regions froides, mais l’experiêce nous monstre le contraire : côme en l’isle de Cypre, Rhodes, et en plusieurs lieus d’Egypte et de la Grèce, côme moymesme ay veu du temps que i’y estois, où il se trouuait, et encores se trouue auiourd’huy abondance de cristal. Qui est vray argument de iuger que le cristal n’esi eau congelée, considéré qu’ê ces païs desquels parlons, la chaleur est trop plus frequente et vehemente sans comparaison, qu’en Canada païs affligé de perpetuelles froidures. Diodore dit que le cristal est concrée d’eau pure, non congelée par froideur, mais plus tost sechée par chaleur vehemente. Cristal de Canada. Neantmoins celuy de Canada est plus luysant, et sent mieux en toures choses sa pierre fine, que celuy de Cypre, et autres lieux. Combien le cristal estoit estimé des anciens, et à quels usages appliqué. Les anciens Empereurs de Rome, estimoyent beaucoup le fin cristal, et en faisoyent faire des vases où ils mangeoyent. Les autres en faisoyent simulacres, qu’ils tenoient particulierement enfermez en leurs cabinets et tresors. Pareillement les Roys d’Egypte[5], du temps que florissoit Thebes la Grande, enrichissoient leurs sepultures de fin cristal, que l’ô apportoit de l’Armenie maieur, et du costé de Syrie. Et de ce cristal estoyent representez les Roys par portraits au naturel, pour demeurer, ce leur sembloit, et estre en perpetuelle memoire. Voila côme les Anciens estimerêt le cristal, et à quels usages estoit appliqué. Auiourd’hui il est employé à faire vases et coupes à boire, chose fort estimée, si elle n’estoit tant fragile. Iaspes. Cassidoines. Au surplus en ce païs se trouue grande abondance de iaspes et cassidoines.
- ↑ Cet arbre est une espèce particulière de hêtre. Sagard (§ 9) en parle en ces termes : « Si au temps que les bois estoient en seue, nous auions quelque indisposition ou debilité du cœur, on faisoit une fente dans l’escorce de quelques gros fouteau, et auec une escuelle on amassoit la liqueur qui en distilloit, qu’on beuuoit comme un remede de bien peu d’effect, et qui affadit plus tost qu’il ne fortifie, mais on se sert de tout où la necessité contrainct. » — Thevet. Cosmographie universelle. P. 1014 : « Le capitaine Iaques Cartier auec lequel me suis tenu cinq mois, en sa maison à Sainct Malo en Bretaigne, et autres capitaines et gentils hommes dignes de foy, mesmes un chanoine de la ville d’Angers qui assista à l’ambarquement, m’asseurerent tous la chose estre véritable. Les Canadeês n’oubliront pas l’excellence de ceste liqueur, et se souuiendront tousiours de ceux qui en trouuerent l’usage. »
- ↑ On sait que les Norvégiens, quand ils débarquèrent en Amérique au Xe siècle de l’ère chrétienne, y trouvèrent des vignes en telle abondance, qu’ils donnèrent au pays le nom de Vinland. Voir Gravier. Découverte de l’Amérique par les Normands. — Rafn. Antiquitates Americanæ, etc. Cartier (Second voyage. § iii.) « Etant à ladite île (il s’agit de l’île d’Orléans dans le Saint Laurent), nous la trouuames pleine de fort beaux arbres… et pareillement nous y trouuames force vignes, ce que nous auions vu par ci-deuant en toute la terre. Et pour cela, nous la nommames l’île de Bacchus. » Les missionnaires essayèrent plus tard de faire du vin avec les raisins du pays. On, lit dans Sagard (§ 9) : « Il fut tres bon et boullut en nostre petit baril et en deux autres bouteilles que nous auions ; de mesme qu’il eust pu faire en de plus grands vaisseaux, et si nous en eussions encore eu d’autres, il y auoit moyen d’en faire une assez bonne prouision, pour la grande quantité de vignes et de raisins, qui sont en ce païs là. »
- ↑ Cartier (3e voyage. § ii) : « De l’autre costé de ladite montagne (le cap rouge, près Québec) se trouue une belle mine du meilleur fer qui soit au monde… le sable sur lequel nous marchions est terre de mine parfaite prête à mettre au fourneau. Et sur le bord de l’eau, nous trouuames certaines feuilles d’un or fin, aussi épaisses que l’ongle… On voit des veines de l’espèce des minéraux, et qui luisent comme or et argent…, en quelques endroits. Nous auons trouué des pierres comme diamants, les plus beaux, polis, et aussi merueilleusement taillés qu’il soit possible à homme de voir, et lorsque le soleil iette ses rayons sur ceux-ci, ils luisent comme si c’étaient des étincelles de feu. » En effet, le fer se rencontre fréquemment au Canada. L’or natif gît en assez grande quantité dans le comté de Beauce. En fait de pierres précieuses, on trouve des agates, du jaspe, des labradoristes, des hyacinthes, des améthystes, du jais, et parfois des grains de rubis. Voir Esquisse sur le Canada, par J. Taché. — Sagard. (Voyage au pays des Hurons. ii, 4), confirme la richesse minérale du pays : « Il y a des mines de cuiure qui ne deuroient pas estre mesprisées… on tient qu’il y en a encore vers le Saguenay, et mesme qu’on y trouuoit de l’or, des rubis et autres richesses… puis de certaines pierres bleues transparentes, les- quelles ne vallent moins que les Turquoises. Parmy ces rochers de cuyure se trouuent aussi quelquefois des petits rochers couuers de diamants y attachez, et peux dire en auoir amassé et recueilly moy-mesme vers nostre couuent de Canada, qui sembloient sortir de la main du Lapidaire, tant ils estoient beaux, luisans et bien taillez. le ne veux assurer qu’ils soient fins, mais ils sont agréables et escriuent sur le verre. »
- ↑ Pline. Hist. nat. xxxvii, 9. Contraria causa crystallum facit, gelu vehementiore concreto non aliubi cette reperitur, quam ubi maxime hibernæ nives rigent.
- ↑ Pline. H. N. xxxvii, 9, 10.