Les Sceptiques grecs/Livre IV/Chapitre I

Impr. nationale (p. 309-330).

CHAPITRE PREMIER.

LES MÉDECINS SCEPTIQUES
MÉNODOTE ET SEXTUS EMPIRICUS.


Le scepticisme empirique ne diffère pas essentiellement du scepticisme dialectique ; il se sert des mêmes arguments et adopte les mêmes formules ; ses représentants sont les fidèles disciples d’Ænésidème et d’Agrippa. Ils trouvent sans doute de nouveaux arguments, mais ces arguments ne modifient pas le fond de la doctrine : ils sont comme des variations infiniment diversifiées sur un thème déjà connu. Le principal mérite des sceptiques de la dernière période est d’avoir systématisé et coordonné les arguments de leurs devanciers. Rassembler ces éléments épars, en former un tout qui, par sa consistance, par l’union étroite des parties, par la puissance de synthèse qu’il suppose, soit l’égal des systèmes dogmatiques les plus célèbres, et pourtant conclue contre tout dogmatisme : telle parait avoir été leur ambition.

Toutefois, si, par le fond de leurs idées, les sceptiques empiriques ne se distinguent pas nettement de leurs prédécesseurs, l’esprit dont ils sont animés, le but qu’ils poursuivent, quelques-unes des conclusions auxquelles ils sont conduits, leur assignent, selon nous, une place à part. C’est pourquoi, contrairement à la plupart des historiens, nous avons distingué le scepticisme empirique et le scepticisme dialectique.

Ænésidème et ses successeurs immédiats n’étaient, croyons-nous, que des dialecticiens : ils poursuivaient une fin purement négative et ne songeaient qu’à renverser le dogmatisme. La science supprimée, ils ne mettaient rien à sa place, et se contentaient, dans la vie pratique, d’une routine réglée sur l’opinion commune. Les sceptiques de la dernière période sont des médecins : s’ils veulent aussi, et de la même manière, détruire le dogmatisme ou la philosophie, c’est pour la remplacer par l’art, fondé sur l’observation, par la médecine, c’est-à-dire par une sorte de science. Ils sont purement et ouvertement phénoménistes, mais ils ont une méthode et en font même la théorie. Ils combattent le dogmatisme, comme de nos jours les positivistes combattent la métaphysique : à la philosophie ils opposent l’expérience ou l’observation (τήρησις), comme aujourd’hui on oppose la science positive à la métaphysique.

Par suite, il y a lieu de distinguer dans leur doctrine deux parties : l’une négative ou destructive, l’autre positive ou constructive, et cette dernière n’est pas la moins curieuse ni la moins originale. On ne trouve rien de pareil chez les sceptiques de la période précédente. La dialectique n’est plus cultivée ou aimée pour elle-même, elle est mise au service de l’empirisme ; elle est un instrument qu’on emploie, mais qu’on rejette après s’en être servi, et qu’au fond on méprise.

Nulle part ailleurs, si ce n’est peut-être pendant certaines périodes peu connues de l’épicurisme, on n’a vu éclater dans l’antiquité le débat qui divise aujourd’hui les esprits entre la science positive et la métaphysique. À ce titre, l’histoire du scepticisme empirique est pour nous d’un haut intérêt. Les mêmes questions qui nous passionnent aujourd’hui s’y retrouvent, présentées en des termes différents et vues sous un autre angle.

Avant d’exposer la doctrine sceptique sous la forme définitive que lui a donnée Sextus Empiricus, dont les ouvrages pourraient être appelés la somme de tout le scepticisme, nous devons indiquer ce qu’il nous est possible de savoir des philosophes de cette dernière période.

I. Ménodote, de Nicomédie, est le premier sceptique qui nous soit donné, en termes formels[1] comme un médecin empirique. Son contemporain, qui avait été avec lui disciple d’Antiochus, Théodas[2] de Laodicée, fut aussi certainement un médecin empirique[3]. C’est à partir de ces deux philosophes qu’est définitivement réalisée l’alliance du scepticisme et de la médecine empirique.

Il est bien difficile de fixer la date de ces deux contemporains. Sprengel[4] indique pour Ménodote 81 après J.-C., et pour Théodas, 117 ; Daremberg[5], pour tous les deux, 90-120. Mais il y a certainement une erreur dans le calcul de Sprengel : Ménodote doit, en effet, avoir survécu à Théodas, puisque, dans la liste de Diogène, que nous avons si souvent citée, nous voyons que c’est à Ménodote que succéda Hérodote. La date indiquée par Daremberg ne semble pas exacte non plus, si l’on songe que Sextus (180-210) n’est séparé de nos deux philosophes que par une génération. Haas[6], en se servant d’un livre de Galien, calcule qu’ils ont dû vivre vers 150 après J.-C. Cette solution semble bien la plus probable.

Nous savons peu de chose sur Théodas. Il avait composé deux ouvrages[7] : Eἰσαγωγή et Κεφάλαια, assez importants pour que Galien ait écrit contre eux un commentaire[8]. Théodas paraît s’être occupé surtout des divisions de la médecine ; il distinguait[9] trois parties : signativa, curativa, sanativa. Il ajoutait que la connaissance médicale s’obtient par l’observation, l’histoire, le passage du semblable au semblable : c’est la doctrine constante de l’empirisme ; nous la retrouverons plus loin, avec les corrections que Théodas et surtout Ménodote y ont apportées. Théodas paraît être le premier[10] qui se soit servi du mot observation (τήρησις) pour désigner ce qu’on appelait jusqu’à lui αὐτοψία. Il semble aussi qu’il ait eu à cœur de montrer[11] que les empiriques font usage de la raison, et ne se bornent pas à amasser machinalement des observations.

Ménodote avait écrit plusieurs ouvrages ; nous savons seulement que l’un d’eux, composé de onze livres, était dédié à Sévérus[12]. Il avait aussi réfuté Asclépiade[13] avec beaucoup de vigueur, à ce qu’il semble, et même de passion, car il se départit de la réserve sceptique, et déclara que les théories de son adversaire étaient certainement fausses[14]. Peut-être avait-il aussi écrit un ouvrage pour recommander l’étude des arts et des sciences[15], chose qui surprendrait chez un sceptique, si on ne savait que les sceptiques avaient une manière de définir l’art ou la science purement empirique, qu’ils conciliaient ou croyaient concilier avec leurs négations[16]. Enfin, il nous paraît extrêmement probable que Galien avait sous les yeux un livre de Ménodote[17], nous ne saurions dire lequel, et qu’il le suivait de très près, lorsqu’il composa le De subfiguratione empirica.

Ménodote a été un écrivain assez considérable pour que Galien ait écrit contre lui deux livres[18]. Il le prend à partie avec vivacité et paraît même avoir pour lui peu d’estime[19]. Peut-être ne faut-il pas s’en rapporter trop facilement au témoignage d’un adversaire. Mais, à en croire Galien, Ménodote aurait été un médecin peu recommandable, ne voyant dans la médecine qu’un moyen d’arriver à la richesse ou à la gloire[20]. Ce qui paraît certain, c’est qu’il malmenait fort ses adversaires : il avait toujours, dit Galien[21], l’insulte à la bouche, aboyant comme un chien ou injuriant comme un bouffon. Ces procédés rappellent assez bien la manière de Timon.

Quels qu’aient été les défauts personnels de Ménodote, il a été un puissant esprit ; personne, dans l’antiquité, n’a eu un sentiment plus vif de ce que devait être la méthode des sciences de la nature. Nous montrerons plus loin[22] que c’est lui qui a a donné à la méthode empirique une précision et une rigueur inconnues jusqu’à lui. Ménodote, si nous ne nous trompons, a le premier étroitement uni l’empirisme et le scepticisme, et donné a cette dernière doctrine un sens et une portée toute nouvelle.

À Ménodote succéda Hérodote de Tarse. Fabricius[23] et Zeller[24] croient que cet Hérodote est le médecin du même nom dont Galien[25] parle à plusieurs reprises et qui vécut à Rome[26] Mais Diogène ne nous dit pas qu’Hérodote le sceptique ait été médecin. S’il l’a été, il appartenait[27] non à la secte empirique, mais à l’école pneumatique, ce qui a un certain intérêt, parce qu’Hérodote a été le maître de Sextus Empiricus. Le sceptique empirique avait-il reçu les leçons d’un dogmatique ? Peut-être y a-t-il ici une nouvelle confusion de noms. Peut-être aussi Hérodote a-t-il fait accidentellement l’éloge du pneumatisme, comme on verra plus tard que Sextus lui-méme a des sympathies pour la secte des méthodiques.

Tout ce que nous savons de ce philosophe, c’est qu’il avait pris plaisir, suivant le procédé habituel des sceptiques, à montrer des contradictions des sens. Ainsi il soutenait que les substances les plus douces comme les plus amères ont le même pouvoir astringent[28]. Il vécut vraisemblablement vers 150-180 après J.-C.

Nous avons sur son successeur, Sextus Empiricus, ou du moins sur sa doctrine, un peu plus de renseignements. Il faut étudier de près ce personnage, l’un des plus grands noms de l’école sceptique.


II. La biographie de Sextus Empiricus, comme celle d’Ænésidème et d’Agrippa, est fort peu connue. C’est à peine si nous pouvons fixer avec quelque précision la date de sa vie. Il est cité par Diogène[29], mais la date de Diogène est aussi sujette à controverse, et parfois on se sert de cette mention de Sextus pour la déterminer. Pourtant on s’accorde assez généralement à le placer vers le milieu du IIIe siècle après J.-C., et comme Diogène cite, outre Sextus, son successeur Saturninus, il est clair que notre philosophe l’a précédé au moins d’une génération. On pourrait être tenté de croire, avec Brandis[30] que Sextus vivait au commencement du IIIe siècle ; mais il nous dit lui-même que, de son temps, les stoïciens étaient les principaux adversaires des sceptiques[31] ; or, au IIIe siècle, après les Antonins, l’école stoïcienne était en pleine décadence[32]. Il paraît donc qu’il faut faire remonter la date de Sextus à une époque antérieure : il serait alors le contemporain de Galien, qui mourut vers l’an 200.

Une circonstance plaide en faveur de cette hypothèse : c’est qu’il était, au témoignage de Diogène[33], disciple d’Hérodote, dont Galien parle souvent ; il est vrai que c’est, comme l’a remarqué Haas[34], dans les ouvrages qu’il composa vers la fin de sa vie. Mais une autre difficulté se présente : comment se fait-il, si Sextus a été le contemporain de Galien, que ce dernier ne l’ait jamais nommé ? Il cite pourtant un grand nombre de médecins de son temps, et attaque surtout les empiriques ; or, il semble que Sextus ait appartenu, au moins pendant quelque temps, à cette école[35] et on nous dit même qu’il en fut un des principaux représentants[36].

On peut toutefois diminuer cette difficulté en admettant, avec Pappenheim[37], que Sextus n’a pas eu comme médecin tout l’éclat que lui attribue le pseudo-Galien ; aussi bien le livre qu’il avait écrit sur la médecine avait fait peu de bruit, puisqu’il fut perdu de bonne heure, et ne nous est connu que par la mention qu’il en fait lui-même[38]. Il est possible enfin qu’il ne soit devenu chef d’école qu’après la publication des principaux écrits de Galien. On peut donc, malgré la difficulté signalé, fixer la date de ce philosophe au dernier quart du second siècle, entre 180 et 200 ou peut-être 210 après J.-C.[39].

Il est certain que Sextus était un Grec[40], mais nous ne pouvons savoir ni où il était né, ni où il a enseigné. Divers passages de ses écrits nous indiquent qu’il n’était ni d’Athènes[41] ni d’Alexandrie ; il connaissait pourtant Athènes[42], peut-être Alexandrie[43] et on peut conjecturer qu’il a passé au moins quelque temps à Rome[44]. Tout ce que nous savons de certain, c’est qu’il fut chef de l’école sceptique[45] et qu’il enseigna au même endroit où son maître avait enseigné[46].

Le surnom d’Empiricus, sous lequel il est désigné déjà par Diogène, semble indiquer qu’il était médecin de la secte empirique. Lui-même nous dit qu’il était médecin[47] et un autre témoignage fort précis[48] le range aussi parmi les empiriques. Enfin nous savons par lui-même[49] qu’il avait écrit un ou peut-être deux ouvrages de médecine.

D’autre part, cependant, un passage des Hypotyposes[50] indique qu’il inclinait plutôt vers l’école méthodique. Il reproche à l’empirisme d’affirmer dogmatiquement que les choses invisibles sont incompréhensibles. Les méthodiques, en s’attachant uniquement aux phénomènes, sans se préoccuper des choses cachées, soit pour les affirmer, soit pour les nier, s’accordent mieux avec les sceptiques.

Il est vrai que, dans un autre passage[51], il semble se contredire en affirmant que sceptiques et empiriques sont d’accord pour déclarer que les choses cachées sont incompréhensibles.

Pour résoudre ces difficultés, il n’est pas nécessaire de supposer, avec Pappenheim[52] qu’il n’y a, dans le second texte de Sextus, qu’une expression maladroite qui trahit sa pensée. Sextus a fort bien pu, sur un point qui n’intéresse après tout que la théorie de la connaissance, modifier les assertions des empiriques, et y apporter plus de réserves, sans cesser pour cela d’être empirique[53]. Nous trouverons dans l’exposition de la doctrine trop de preuves de la fidélité de Sextus à l’empirisme pour pouvoir douter qu’il ait bien mérité son surnom. Il convient d’ailleurs de remarquer[54] que, dans le second texte, il dit simplement que, d’après les empiriques et les sceptiques, les choses cachées ne sont pas comprises (μὴ καταλαμβάνεσθαι). C’est un simple fait qu’il constate, ce n’est pas une affirmation dogmatique qu’il soutient. Enfin, il est encore possible, comme l’a pensé Philippson[55], qu’il se soit exprimé comme il le fait dans Π. μαθ. simplement parce qu’il reproduisait un passage d’un écrivain antérieur.

Nous possédons trois ouvrages de Sextus : les Πυῤῥώνειος ὑποτυπώσεις, et, réunis à une époque récente sous le titre de Πρὸς μαθεματικούς, deux ouvrages, dirigés l’un contre les sciences en général, l’autre contre les philosophes dogmatiques. Ils forment onze livres, mais vraisemblablement il n’y en avait que dix à l’origine ; les deux livres Πρὸς γεωμέτρας et Πρὸς ἀριθμητικούς, dont l’un est fort court, n’avaient pas encore été séparés[56].

Le premier de ces ouvrages, ainsi que l’indique le titre, est un résumé et comme un bréviaire du scepticisme. Il est divisé en trois livres : le premier définit et justifie directement le scepticisme ; les deux autres le justifient indirectement et renferment une réfutation sommaire du dogmatisme.

Dans le Πρὸς μαθηματικούς, Sextus passe en revue toutes les sciences connues de son temps (τὰ ἐγκύκλια) et s’efforce de démontrer que toutes leurs affirmations ne reposent sur rien, qu’on peut leur opposer sur chaque point des affirmations contraires et d’égale valeur. Les grammairiens, les rhéteurs, les géomètres, les arithméticiens, les astronomes, les musiciens sont successivement pris à partie dans les six livres dont se compose l’ouvrage.

C’est aux philosophes qu’est consacrée la troisième œuvre de Sextus : des cinq livres dont elle est formée, la réfutation des logiciens occupe les deux premiers ; celle des physiciens, les deux suivants ; le dernier est dirigé contre les systèmes de morale[57].

On est en droit d’affirmer que les ouvrages de Sextus ont été composés dans l’ordre suivant[58] : 1o les Hypotyposes ; 2o le livre contre les philosophes ; 3o le livre contre les savants. En effet, le second de ces ouvrages est donné par Sextus lui-même[59] comme la continuation du premier. En outre, de nombreux passages disent expressément que les mêmes questions ont déjà été traitées ailleurs et font manifestement allusion aux Hypotyposes[60]. D’autre part, Sextus, dans le Πρὸς μαθηματικούς, rappelle plusieurs fois[61] les arguments qu’il a dirigés contre les physiciens. Un passage de cet ouvrage[62] semble aussi renvoyer aux Hypotyposes[63].

Outre ces trois ouvrages, nous trouvons encore dans le texte même de Sextus d’autres titres, tels que Ἀντιρρητικοί, — Τὰ περὶ στοιχείων, — Σκεπτικὰ ὑπομνήματα, — Σκεπτικά, — Περὶ τῆς σκεπτικῆς ἀγωγῆς, — Πυρρώνεια. Faut-il y voir des ouvrages distincts des précédents et qui auraient été perdus, ou seulement des désignations différentes de ces mêmes ouvrages ? C’est pour ce dernier parti qu’on se prononce après un examen attentif des textes. On retrouve, en effet, soit dans les Hypotyposes, soit dans les deux autres ouvrages, tous les passages auxquels Sextus fait allusion quand il mentionne ces différents titres[64].

Il y a pourtant des ouvrages de Sextus qui ne sont pas arrivés jusqu’à nous ; ce sont : Ἰατρικὰ ὑπομνήματα[65] identiques sans doute aux Ἐμπειρικὰ ὑπομνήματα[66] et le Περὶ ψυχῆς[67].

Les trois ou, si on réunit les deux derniers sous un même titre, les deux ouvrages de Sextus présentent entre eux les plus étroites analogies. Ils sont écrits dans le même esprit et renferment les mêmes arguments, exprimés quelquefois dans les mêmes termes. On peut dire que le second est la continuation du premier ; plus exactement, dans le Πρὸς μαθηματικούς l’auteur reprend et développe les arguments qu’il n’avait qu’indiqués dans les deux derniers livres des Hypotyposes. Ce dernier ouvrage est une sorte d’abrégé du scepticisme, écrit peut-être à l’usage des commençants.

Ces deux ouvrages sont un vaste répertoire de tous les arguments dont les sceptiques s’étaient servis contre leurs adversaires. Il semble que l’auteur se soit proposé pour but de n’en omettre aucun, de ne laisser perdre aucune parcelle de l’héritage de ses devanciers. Sur chaque point, au risque de se répéter cent fois, il reprend un à un tous les griefs qu’on peut formuler contre les dogmatistes. Il réfute le dogmatisme sur les questions générales ; il le réfute encore sur les questions particulières, bien qu’il sache et dise que la première réfutation suffit. Il ne fait grâce d’aucun détail. Parfois, il semble s’apercevoir de ce que sa méthode a de fastidieux et de rebutant ; il annonce l’intention d’abréger, d’éviter les redites, mais sa manie est plus forte que sa volonté, et bientôt il retombe dans son péché d’habitude. Une seule réfutation sur chaque point particulier ne le contente pas ; il en écrira dix, il en écrira vingt, s’il le peut : il ramasse tout ce qu’il trouve, entasse les arguments sur les arguments ; à vrai dire, il compile. Dans l’ardeur qui l’anime, dans sa fureur de destruction contre toutes les thèses dogmatiques, tout lui est bon : il prend de toutes mains, il fait flèche de tout bois. À côté d’arguments très profonds, d’objections sérieuses et de grande portée, on trouve des sophismes ridicules ; on passe brusquement de l’intérêt et de la curiosité mêlée d’admiration qu’éveillent toujours, même quand on ne les partage pas, les idées d’un esprit puissant et pénétrant, à l’impatience et à l’irritation que donnent les disputeurs sans bonne foi. Il n’est pas toujours dupe de ses arguties ; parfois il se moque lui-même de ses arguments : ses Hypotyposes se terminent sur une sorte de ricanement. Mais il lui semble que contre les dogmatistes tous les moyens sont bons. Aussi bien, en sa qualité de sceptique, il n’a pas à faire de choix entre les bonnes raisons et les mauvaises : il ne doit pas savoir, et il ne sait pas, s’il y a entre elles une différence. Il pousse à ses dernières limites l’impartialité à leur égard, et il explique ironiquement qu’à l’exemple des médecins, qui proportionnent l’énergie des remèdes à la gravité des cas, le sceptique doit se servir également de raisons fortes et de raisons faibles : les fortes guériront ceux qui sont fortement attachés au dogmatisme ; les faibles, ceux qui n’y tiennent que faiblement. Ainsi tous seront sauvés de l’orgueil et de la présomption du dogmatisme : c’est sa manière d’être philanthrope[68].

Cette multiplicité d’arguments et cette bigarrure donnent à penser que Sextus n’exprime pas des idées originales et se borne à répéter ce que d’autres ont dit avant lui : il est incontestable qu’il a fait à ses devanciers de larges emprunts. Au surplus, il n’en fait pas mystère. Ce n’est point en son propre nom, à titre de pensées originales et personnelles, qu’il présente ses aliments ; c’est toujours « le sceptique » qui parle. Rien de moins personnel que ce livre : c’est l’œuvre collective d’une école, c’est la somme de tout le scepticisme. Les maîtres même, sauf Ænésidème, n’y sont pas nommés : Agrippa n’est pas cité une fois ; c’est une question de savoir si Ménodote l’est même une fois. Pourtant tous les philosophes des autres écoles tiennent une grande place dans le Πρὸς μαθηματικούς ; leurs opinions y sont longuement exposées et discutées ; Sextus n’est muet que sur les siens.

Quelles sont les sources où il a puisé ? Avait-il sous les yeux un ou plusieurs modèles ? Y en a-t-il un qu’il ait suivi de préférence ? Toutes questions auxquelles la pénurie de nos renseignements ne nous permet pas de faire une réponse certaine. Zeller[69] conjecture que c’est surtout d’Ænésidème que Sextus s’est inspiré ; il en donne pour raison que, parmi les auteurs cités par lui, il en est bien peu qui soient postérieurs au milieu du Ier siècle avant J.-C. C’est certainement là un fait important et qui mérite d’être pris en sérieuse considération, car nous savons par Sextus lui-même que le scepticisme eut de son temps de redoutables adversaires, tels que les stoïciens, et il est étrange qu’il n’ait pas eu l’occasion de nommer ces adversaires, ou même ses propres prédécesseurs. Pourtant il fait quelquefois allusion à des théories certainement postérieures à Ænésidème, par exemple aux cinq tropes d’Agrippa et aux deux tropes qui y furent plus tard substitués[70]. En outre, toutes les fois qu’Ænésidème adopte les opinions d’Héraclite, nous voyons que Sextus se sépare de lui, et il lui arrive de le combattre directement[71]. Si on compare avec les livres de Sextus la rapide analyse que Photius nous a conservée de celui d’Ænésidème, on constate aisément, comme il fallait s’y attendre, que les mêmes questions principales sont traitées par les deux auteurs ; il y a pourtant des différences assez notables. L’ordre des questions n’est pas le même ; que ce soit à Sextus ou à un autre qu’il faille en attribuer l’honneur, il est certain que le plan de Sextus est mieux conçu et mieux ordonné. De plus, Ænésidème avait consacré trois livres sur huit aux questions morales ; Sextus, soit dans les Hypotyposes, soit dans le Πρὸς μαθηματικούς, leur fait une part bien moins large ; il est visible qu’il n’insiste pas volontiers sur ce sujet : il n’en parle qu’à son corps défendant, et, si on peut dire, par acquit de conscience. Enfin, il ne paraît pas qu’Ænésidème ait eu, comme Sextus, le goût des recherches et des comparaisons historiques. Photius nous dit bien qu’il avait pris soin, au début de son livre, de distinguer nettement le scepticisme de la nouvelle Académie ; mais sans doute c’était dans un intérêt de pure polémique et afin d’expliquer et de justifier sa désertion[72]. Sextus, au contraire, s’attache, dans les Hypotyposes, à distinguer le scepticisme non seulement de la nouvelle Académie, mais encore de toutes les doctrines qui présentaient avec lui une analogie même lointaine. De même, dans le Πρὸς μαθηματικούς, il est visible qu’il traite avec goût les questions historiques ; il s’y attarde volontiers, et il y apporte une impartialité, un souci d’exactitude et une précision auxquels il n’est que juste de rendre hommage. Ses expositions de doctrine sur le critérium de la vérité, par exemple, et sur la théorie de la connaissance des stoïciens, ont l’étendue et la valeur d’une véritable exposition historique ; on oublie presque, en les lisant, que ces théories ne sont si bien exposées que pour être réfutées, et qu’elles ne sont là que pour faire mieux ressortir le mérite des conclusions sceptiques.

Nous sommes fort loin de vouloir dire que ce n’est pas d’Ænésidème que viennent la plupart des arguments exposés par Sextus ; c’est, au contraire, notre opinion qu’il faut attribuer à ce philosophe tout ce qu’il y a d’essentiel dans la partie critique du nouveau scepticisme. Ses successeurs n’ont guère fait autre chose que d’étendre à de nouvelles questions les procédés de discussion dont il s’était servi ; ils se sont inspirés de son esprit, et ont continué son œuvre à peu près dans la direction que lui-même avait marquée. Mais ce qui nous semble difficile, c’est d’admettre que Sextus se soit attaché au texte même d’Ænésidème. Il faut songer que, dans l’intervalle qui sépare les deux philosophes, bien des écrits sceptiques avaient été publiés, dont le dernier venu a dû faire son profit. Peut-être, il est vrai, le livre d’Ænésidème avait-il servi de modèle à tous ces écrits sceptiques, et formait-il comme le thème auquel ils ajoutaient des variations. En tout cas, il ne semble pas que nous ayons le droit de refuser à Sextus le triple mérite d’avoir donné à l’œuvre une forme plus régulière, d’avoir réuni autour des arguments d’Ænésidème tous ceux que la subtilité sceptique avait inventés après lui, et de les avoir fortifiés de toutes les considérations historiques dont nous venons de parler[73].

Outre les livres d’Ænésidème, il est certain que Sextus a eu sous les yeux ceux d’un grand nombre d’autres philosophes. Nous ne saurions ici nous donner la tâche de rechercher toutes les sources auxquelles il a puisé : bornons-nous à indiquer quelques-unes de celles qu’il désigne lui-même, et qui intéressent particulièrement l’histoire du scepticisme,

Sextus cite trop souvent Timon, avec l’indication précise des ouvrages auxquels il fait des emprunts, pour qu’on puisse douter qu’il connût très exactement les ouvrages du sillographe. Il s’est de même inspiré des livres des académiciens, notamment de ceux de Clitomaque et d’Antiochus. Des pages entières, celles entre autres où il expose les arguments de Carnéade contre les Dieux, sont empruntées à Clitomaque, et la comparaison de ces textes avec ceux où Cicéron expose les mêmes idées ne laisse pas de doute sur l’exactitude du résumé qu’il nous donne. Il est même assez plaisant de l’entendre se plaindre[74] de la prolixité avec laquelle les académiciens ont développé l’Ἀντίρρησις. Le soin qu’il prend[75] d’indiquer partout le chapitre auquel il fait des emprunts nous rassure sur leur exactitude.

Parmi les écrivains qu’il ne cite guère, mais dont il s’est le plus inspiré, il faut certainement placer Ménodote : c’est le vrai maître de Sextus, s’il est vrai que son prédécesseur immédiat, Hérodote, ait été un médecin pneumatique, c’est-à-dire dogmatique. On verra plus loin, par l’exposition des doctrines, que le scepticisme de Sextus ne révoque en doute que les vérités métaphysiques, celles qui se démontrent dialectiquement. À la science abstraite et a priori des dogmatistes il veut substituer timidément encore et non sans quelque embarras, une sorte de science ou d’art, fondée uniquement sur l’observation, sur l’étude des phénomènes et de leurs lois de succession. Ce scepticisme est ce que nous appelons aujourd’hui le positivisme. C’est là sa marque distinctive, c’est le caractère nouveau du scepticisme de la dernière période. Or, cette méthode nouvelle, sinon dans ses traits essentiels, au moins par la rigueur avec laquelle elle est appliquée, est celle de Ménodote. Nul doute que Sextus ne procède directement de Ménodote. Certains chapitres, par exemple celui qui est consacré à la réfutation des sophismes[76], sont probablement inspirés par le premier sceptique médecin.

Toutefois, si Sextus a fait de nombreux emprunts, on ne saurait voir en lui un vulgaire compilateur ; on ne doit pas lui adresser les reproches que Diogène mérite si bien. Le soin qu’il prend de recourir aux textes originaux, de citer même longuement les propres paroles des auteurs qu’il combat, n’est pas le fait d’un esprit inattentif qui veut s’épargner la peine de penser et de comprendre ; c’est plutôt le souci d’un historien consciencieux et méthodique, qui ne veut rien avancer à la légère : c’est le scrupule honorable d’un écrivain qui ne veut ni affaiblir, ni travestir la pensée de ses adversaires, et met sa gloire à exposer impartialement leurs opinions. Peut-être faut-il voir là un heureux effet de cette méthode d’observation précise que Ménodote venait d’introduire dans la science.

En tout cas, même au milieu de ce fatras d’arguments qu’il reproduit d’après autrui, Sextus sait garder une sorte d’originalité. Il n’est pas besoin de le lire longtemps pour s’apercevoir qu’on a affaire à un esprit très net et très délié, très maître de sa propre pensée, et fort capable de s’assimiler celle des autres. Il prend un plaisir évident, et souvent beaucoup plus qu’il ne faudrait, à se jouer au milieu des subtilités de la dialectique. Ce n’est pas qu’il se fasse illusion sur l’utilité de cette science : il sait lui dire son fait à l’occasion, et il lui arrive d’opposer fort sensément l’inanité des arguments invoqués par les dialecticiens à la précision utile des faits sur lesquels raisonnent les médecins. Néanmoins on dirait qu’il veut montrer aux dogmatistes qu’il est capable de retourner contre eux leurs armes favorites, et qu’il sait les manier avec dextérité ; il y met une sorte de coquetterie, et il n’est pas fâché de montrer aux dialecticiens de profession qu’il pourrait au besoin leur en remontrer. S’il commet parfois de pitoyables sophismes, ce n’est pas, on l’a vu, par ignorance ou par faiblesse d’esprit, mais de propos délibéré et par dilettantisme. Malgré toutes ses subtilités, son style, d’une sécheresse et d’une précision scolastiques, sans affectation ni recherche de fausse élégance, est presque toujours parfaitement clair : il ne vise pas à l’effet, et dit toujours exactement ce qu’il veut dire.

Historien érudit, dialecticien et médecin, Sextus Empiricus, en supposant même, ce qui n’est nullement prouvé, qu’il n’ait rien tiré de son propre fonds, garde encore une assez belle part. Ses livres, malgré leurs défauts, comptent parmi les plus précieux monuments que l’antiquité nous a laissés. Sextus a bien mérité de nous par les nombreux renseignements historiques qu’il nous a transmis. Il a surtout bien mérité de son école. C’est à lui qu’elle doit d’être la mieux connue de toute l’antiquité. Nous ne connaissons pas bien les sceptiques, mais, grâce à Sextus, nous pouvons connaître parfaitement le scepticisme.


À Sextus Empiricus succéda, dans la direction de l’école sceptique, Saturninus, contemporain de Diogène Laerce[77], dont nous ne savons qu’une chose, c’est qu’il fut, lui aussi, un médecin empirique.

En dehors des philosophes de profession, qui reçurent directement l’héritage des maîtres, il ne paraît pas que le scepticisme ait recruté beaucoup d’adhérents : il en eut moins que la nouvelle Académie. Sénèque ne parle pas de cette école et semble en ignorer l’existence. Les seuls partisans du scepticisme dont les noms soient arrivés jusqu’à nous sont : Licinius Sura, à qui Pline le Jeune[78] adressa deux lettres, et Favorinus. Ce dernier, bien qu’à vrai dire il fût moins un philosophe qu’un littérateur ami de la philosophie, mérite de nous arrêter un instant.

Favorinus naquit à Arles vers 80-90 après J.-C.[79]. Il eut pour maîtres Dion Chrysostome[80] et peut-être Épictète[81], contre lequel il écrivit plus tard un livre[82]. À Athènes, il rencontra Démonax, et se lia d’une étroite amitié avec Hérode Atticus[83] ; puis il séjourna longtemps à Rome et eut pour disciple Aulu-Gelle, qui resta toujours un de ses plus fervents admirateurs[84]. Il fut aussi l’ami de Plutarque, qui lui dédia un de ses ouvrages[85]. Il mourut vers l’an 150 après J.-C.

Favorinus était eunuque ou hermaphrodite[86], circonstance qui lui valut plus d’une raillerie cruelle, comme on peut le voir dans le Démonax de Lucien. Voici le portrait qu’on nous fait de lui[87] : « Tonsam frontem, genas molles, os laxum, cervicem tenuem, crassa crura, pedes plenos quasi congestis pulpis, vocem femineam, verba muliebria, membra et articulos omnes sine vigore laxos et dissolutos. » C’était un beau parleur, également habile dans la langue grecque et dans la langue latine, capable de discourir longtemps avec une érudition abondante et facile sur tous les sujets, même les plus mesquins. Il ne paraît pas que les vrais philosophes, comme Démonax, aient eu pour lui la moindre estime.

Favorinus, d’après Suidas » avait composé un grand nombre d’ouvrages ; il était fort instruit, très au courant des doctrines philosophiques, mais plus particulièrement attaché à la rhétorique. Parmi ceux de ses livres qui ont trait à la philosophie, il faut signaler : 1o Παντοδαπὴ ἱστορία ; 2o les Ἀπομνη­μονεύματα ; Diogène Laerce s’est servi de ces deux ouvrages ; 3o Ἐπιτομή[88], qui n’est peut-être qu’un chapitre de la Παντοδαπὴ ἱστορία ; 4o Κυρηναικά[89] ; 5o Περὶ Ὁμήρου σοφίας[90] ; 6o Περὶ Πυρρωνείων τρόπων[91] ; 7o trois livres Περὶ τῆς καταληπτικῆς φαντασίας[92] ; 8o Πλουτάρχος ἢ περὶ τῆς Ἀκαδημαϊκῆς διαθέσεως[93]. Un de ses livres était consacré à prouver que le soleil lui-même ne peut être perçu[94]. Il avait aussi composé un traité Ὑπὲρ Ἐπικτήτου[95].

C’est une question de savoir s’il faut compter Favorinus parmi les partisans du pyrrhonisme ou parmi ceux de la nouvelle Académie. Zeller tient pour la première opinion, Haas pour la seconde. Il est certain que Favorinus professa une grande admiration pour Pyrrhon[96]), et il avait exposé les dix tropes d’Ænésidème. Toutefois, par bien des traits, il se rapproche plutôt de la nouvelle Académie. Il était bien, comme Arcésilas et Carnéade, un discoureur habile, qui se servait de la philosophie plutôt qu’il ne la servait ; on nous dit[97] d’ailleurs, qu’il avait l’habitude de disserter sur toutes choses, à la manière des académiciens, sans rien décider. De plus, comme Arcésilas et Carnéade, ainsi que le titre d’un de ses livres en fait foi, il s’attaqua surtout à la théorie stoïcienne de la représentation compréhensive. Enfin, dans l’argumentation contre les oracles que rapporte Aulu-Gelle[98], on le voit combattre la théorie stoïcienne par les mêmes arguments dont se servaient les nouveaux académiciens ; il insistait[99] notamment sur l’incompatibilité du libre arbitre avec la divination, et c’est un argument dont il ne paraît pas que les pyrrhoniens se soient servis.

Il ne semble pas, d’ailleurs, que Favorinus ait rien ajouté d’important à la tradition de ses maîtres. Au surplus, les rapports entre les deux écoles étaient assez étroits pour que Favorinus se considérât comme appartenant à toutes deux. Entre les académiciens, qui croient savoir qu’ils ne savent rien, et les sceptiques, qui n’en sont pas sûrs, il n’y a pas un abîme[100].

  1. Diog., IX, 116. Pseudo-Galen. Isag., 4, vol. XIV, p. 683 : Τῆς ἐμπειρικῆς προέστησαν… μεθ’ οὓς Μηνόδοτος καὶ Σέξτος, οἱ καὶ ἀκριβῶς ἐκράτυναν αὐτὴν. Cf. Sext., P., I, 222 (avec la correction de Fabricius) : Μηνόδοτον καὶ Αἰνησίδημον, οὗτοι γὰρ μάλιστα ταύτης ϖροέστησαν τῆς στάσεως (sc. σκεπτικῆς).
  2. Appelé Θειωδᾶς par Diogène, Θεοδᾶς par Galien (De libr. propr., IX, vol. XIX p. 38), Θευδᾶς par Suidas (art. Θεοδόσιος.
  3. Gal., Ther. meth., II, VII, vol. X, p. 142.
  4. Versuch einer pragmatischen Geschichte der Arzneikunde, p. 658 (Halle, Gebrauer, 1800).
  5. Hist. des sciences médicales, p. 160. Paris, Hachette, 1870.
  6. Op. cit., p. 8. Zeller (IV, p. 483, n. 2) place Ménodote dans la deuxième partie du iie siècle après J.-C.
  7. Gal., De libr. propr. IX, vol. XIX, p. 38. Cf. Suidas, loc. cit.
  8. Ibid.
  9. Galen., De subfiguratione empirica, p. 41. édit. Bonnet, Bonn, 1872.
  10. Galen., De subfiguratione empirica, 39.
  11. Ibid., 40, 66.
  12. De libr. propr., IX, vol. XIX, p. 38.
  13. Galen., De nat. fac., I, xiv, vol. II, p. 52 : Καιτοὶ τὰ μὲν Ἀσκληπιάδου Μηνόδοτος ὁ ἐμπειρικὸς ἀφύκτως ἐξελέγχει
  14. Galen., Subfig., p. 64.
  15. À en juger par le titre de l’ouvrage de Galien (De libr. propr., loc. cit.) Γαληνοῦ παραφραστοῦ τοῦ Μηνοδότου προτρεκτικὸς λόγος ἐπὶ τὰς τέχνας.
  16. Voy. ci-dessous, ch. III.
  17. Voy. ci-dessous, p. 371
  18. De libr. propr., loc. cit.
  19. Il l’appelle (De ven. sect., IX, vol. XI, p. 277) κακὸς ὁ Μηνόδοτος
  20. De plac. Hippocr. et Platon., IX, vol. V, p. 751.
  21. Subfig. emp., 63 : « Menodotus, qui nunquam defecit ab injuria et bomolochia adversus medicos, vel manifeste latrans sicut canis, vel simpliciter injurians sicut homo qui est in platea, aut vituperans bomolochice, dicens eos drimymoros, et drimyleones, et deauratos, et multis aliis talibus nominibus nuncupans dogmaticos qui ante ipsum medicos et philosophos. »
  22. Ch. III.
  23. Bibloth. græc., 184.
  24. Op. cit., p. 6.
  25. Galen., vol. XIII, 788, 801 ; XI, 429, 430, 442.
  26. Galen., vol. VIII, 751.
  27. Galen., vol. XI, p. 432. Voir, sur ce point, Pappenheim, Lebensverhältnisse des Sext. Emp., p. 15, 30. Berlin, 1875.
  28. Gal., De simpl. medic. temp. et fac., I, 34, vol. XI, p. 442, 443.
  29. IX, 87, 116.
  30. Geschichte der Entwickelung der griechischen Philosophie, Bd II, p. 209 (Berlin, Reimer, 1864).
  31. Sext., P., I, 65 : Κατὰ τοὺς μάλιστα ἡμῖν ἀντιδοξοῦντας νῦν δογματικοὺς τοὺς ἀπὸ τῆς Στοᾶς.
  32. Ritter, Philos. anc., trad. Tissot, t. IV, p. 193. Cf. Zeller, t. V, p. 8.
  33. IX, 116.
  34. Op. cit., p. 78.
  35. Voy. ci-dessous, p. 317.
  36. Pseudo-Galen., Isag., vol. XIV, p. 683 : Μηνόδοτος καὶ Σέξτος οἱ καὶ ἀκριβῶς ἐκράτυναν αὐτήν (sc. τὴν έμπειρικὴν αἵρεσιν…)
  37. Lebensverhältinesse des Sext. Emp., p. 3 (Berlin, 1875).
  38. Voy. ci-dessous, p. 320.
  39. Les historiens insistent, pour fixer la date de Sextus, sur ce fait qu’il nomme le stoïcien Basilides (M. VIII, 258), qu’on regarde généralement comme un des maîtres de Marc-Aurèle. Mais Zeller a montré qu’il s’agit peut-être ici d’un autre Basilides, compris dans la liste des vingt stoïciens dont un fragment de Diogène, récemment publié par Val. Rose (Hermès, I, p. 370, Berlin. 1865), nous fait connaître les noms. Au surplus, quand il serait acquis par là que Sextus est postérieur à Marc-Aurèle, ce fait ne jetterait pas une grande lumière sur l’époque précise de sa vie.
  40. M., I, 246 ; P., III, 211, 214. Comme l’a montré Fabricius (P. int., p. XIX, édit. de 1841), c’est par une erreur que Suidas (art. Σέξτος l’appelle Lybien. Le même Suidas le confond aussi avec Sextus de Chéronée, neveu de Plutarque (Fabric., ibid.).
  41. M., I, 246.
  42. M., VIII, 145.
  43. M., I, 213 ; M., X, 15. On ne peut rien conclure de ces textes, car Sextus prend le nom d’Alexandrie pour exemple, à cause de sa célébrité, comme ailleurs (ibid., 89) il prend pour exemple un homme habitant Rhodes.
  44. Il connaît les lois romaines (P., 149, 152, 156), ce qui, à vrai dire, ne prouve pas grand’chose. Comme son maître Hérodote avait été un célèbre médecin à Rome (Pseud.-Gal., De puls., IV, xi, vol. VIII, p. 751), peut-être Sextus avait-il aussi résidé dans cette ville.
  45. Diog., loc. cit.
  46. P., III, 120.
  47. M., I, 260.
  48. Pseud.-Galen., Isag., 4, vol. XIV, p. 683.
  49. M., VII, 202 ; M., I, 61.
  50. I, 236 : Ἡ ἐμπειρα ἐκείνη περὶ τῆς ἀκαταληψίας τῶν ἀδήλων διαβεβαιοῦται. Cf. M., VIII, 327.
  51. M., VIII, 191 : Οἱ μέν φασιν αὐτὰ (τὰ ἄδηλα) μὴ καταλαμβάνεσθαι ὥσπερ οἱ ἀπὸ τῆς ἐμπειρίας ἰατροὶ καὶ οἱ ἀπὸ τῆς Σκέψεως φιλόσοφοι…
  52. Op. cit., n. 36.
  53. Cf. Zeller, t. V, p. 40.
  54. Natorp, (p. 156) est du même avis.
  55. Op. cit., p. 62.
  56. C’est pour ce motif sans doute que Diogène (IX, 116) dit en parlant de Sextus : Οὖ καὶ δέκα τῶν σκεπτικῶν καὶ ἄλλα κάλλιστα. Zeller a bien montré, contre Pappenheim (De Sexti Empirici librorum numero et ordine, Berlin, Weber, 1874. Cf. Die tropen der griech. Skept. p. 19, 2 ; Berlin, 1885) qu’il ne s’agit pas ici des dix tropes attribués à Ænésidème, et non à Sextus, mais bien de dix livres. Suidas parle aussi des δέκα σκεπτικά. Peut-être son témoignage a-t-il un peu plus de valeur que ne lui en attribue Zeller, si, au lieu de considérer Suidas comme un simple copiste de Diogène, on admet, avec Nietzsche (Rhein. Mus., 1868, p. 228), qu’il a puisé à la même source.
  57. À l’exemple de Zeller, et pour plus de simplicité, nous citerons les deux ouvrages de Sextus sous le titre collectif Πρὸς μαθηματικούς, sans les distinguer autrement que par le numéro des livres.
  58. Pappenheim (De S. Emp. libr. num. et ordine) croit que le Πρ. μαθ. est le premier ouvrage de Sextus ; il y découvre des traces de jeunesse et un scepticisme moins décidé que dans les autres. Zeller, avec raison, selon nous, combat cette opinion. S’il y a des différences, et si elles ont quelque importance, elles proviennent plutôt des modèles que Sextus avait sous les yeux. Philippson (De Philodemi libro, p. 61, Berlin, 1881, diss. inaug.) se prononce pour l’antériorité du Πρ. δογματικοὺς sur les Hypotyposes, par cette raison que, dans ce dernier ouvrage, Sextus penche vers les méthodiques, tandis que, dans le premier, il est plus favorable aux empiriques (voyez ci-dessus, p. 317). Mais l’argument invoqué par Philippson ne nous semble pas pouvoir être mis en balance avec les preuves décisives qui résultent du texte même de Sextus. Si on admet que Sextus a composé ses ouvrages dans un autre ordre que celui de leur publication et les a corrigés pour renvoyer de l’un à l’autre, on ne voit pas pourquoi il n’aurait pas en même temps effacé dans le Πρ. δογμ., les traces de l’empirisme qui avait cessé de lui paraître vrai.
  59. M., VII, 1.
  60. M., VII, 29, et P., I, 21 ; M., VII, 345, et P., I, 36 ; M., IX, 195, et P., III, 13 ; M., XI, 144, et P., I, 25.
  61. M., I, 35, et IX, 195 ; M., III, 116, et IX, 279.
  62. M., I, 33, à P., III, 259. Mais c’est peut-être une allusion à M., XI, 236.
  63. Non content de rattacher le livre contre les dogmatiques aux Hypotyposes, Zeller croit pouvoir ajouter que les Hypotyposes annoncent le Πρ. δογματ. Il y aurait quelque chose de singulier à renvoyer d’avance à un ouvrage futur. En tout cas, les deux textes cités par Zeller peuvent s’expliquer autrement : 1° Quand Sextus dit (P., I, 21) à propos du critérium de la vérité : Περὶ οὖ ἐν τῷ ἀντιρρητικῷ λέξομεν, Zeller, avec Fabricius, croit qu’il fait allusion au passage M., VII, 29, où la même question est en effet traitée. Mais n’est-il pas plus naturel de penser qu’il songe au IIe livre des Hypotyposes, 14, où il traite aussi le même sujet ? La critique du dogmatisme entreprise dès les Hypotyposes est appelée aussi ἀντίρρησις (P., II, 17) ; 2° De même le passage P., II, 215 : Περὶ δὲ ὅλου καὶ μέρους διαλεξόμεθα καὶ ἐν τοῖς Φυσικοῖς δὴ λεγομένοις semble annoncer M., IX, 331, chapitre intitulé Περὶ ὅλου καὶ μέρους. Mais il est possible aussi et plus probable qu’il se rapporte au chapitre des Hypotyposes, III, 98.
  64. Ainsi : 1o Ἀντιρρητικὸς λόγος (P., I, 21) désigne soit M., VII, 29, soit plutôt P., II, 14. — 2o II. στοιχείων (M., X, 5), cité à propos de la question du vide, se rapporte à P., III, 124, passage compris dans un développement intitulé II. ὑλικῶν ἀρχῶν ; le mot στοιχείων est employé comme équivalent de ἀρχῶν (P., III, 37). — 3o Les Σκεπτικὰ ὑπομνήματα sont nommés trois fois : A. M., I, 29, Ἀληθὲς ἄπορον ; on retrouve P., II, 80, Ἀνύπαρκτός ἐστιν ἡ ἀλήθεια. — B. À propos de la démonstration, M., II, 106 : Οὐδέν ἐστιν ἀπόδειξις. Cf. P., II, 144 : Ἀνύπαρκτός ἐστιν ἡ ἀπόδειξις. — C. À propos de la voix, M., VI, 52 : Τὴν φώνην ἀνύπαρκτον. En corrigeant le texte, comme le fait Pappenheim pour faire droit à une objection de Fabricius, et en lisant : Ἀπὸ τῆς τῶν δογματικῶν ὁμιλίας au lieu de μαρτυρίας, on retrouve l’équivalent dans M., VIII, 131 : Οὐκ ἄρα ἐστὶν ἡ φώνη. — 4o Les σκεπτικά sont cités à propos de la notion de corps, M., I, 26 ; la même chose se retrouve dans P., III, 38 : ἀκατάληπτον τὸ σῶμα. Cf. M., IX, 359. — 5o Le Περὶ τῆς σκεπτικῆς ἀγωγῆς, où il est question du critérium (M., VII, 29), semble faire allusion à P., I, 21. — 6o Πυρρώνεια, où il est question du temps (M., VI, 61), n’est autre que P., III, 136 (Περὶ χρόνου). Cf. M., X, 169. — De même, M., VI, 58 renvoie à M., VIII, 131. Il y a pourtant ici une difficulté signalée par Fabricius (M., VI, 58, h). Le même ouvrage est encore cité M., I, 282, à propos de la lecture des poètes. Fabricius remarque qu’on ne trouve pas trace, dans les ouvrages de Sextus, du passage auquel il est fait allusion. Pappenheim (op. cit.) croit le trouver dans P., I, 147, 150. Mais il signale lui-même une difficulté qu’il ne surmonte pas. Il se pourrait que, seuls parmi tous les ouvrages que nous venons de citer, les Πυρρώνεια fussent un livre perdu de Sextus. — Remarquons encore qu’en deux endroits des Hypotyposes Sextus fait allusion à des développements qu’il a dû donner ailleurs et qu’on ne trouve pas dans les ouvrages qui nous sont parvenus : P., II, 219, à propos de la division : Πλατύτερον ἐν ἄλλοις διαλεξόμεθα, et P., II, 259, Καὶ εἰσαῦθἱς διαλεξόμεθα. — Le fait que les questions relatives au syllogisme, à la définition, aux genres et aux espèces ne sont pas traitées dans le Π. δογμ. donne à penser que Sextus les avait examinées ailleurs en détail.
  65. M., VII, 202.
  66. M., I, 61. Pappenheim, qui avait d’abord adopté cette opinion (De Sext. Emp. libr. num. et ord.), semble plus tard, et sans dire pourquoi, disposé à l’abandonner (Lebensverh. Sext. Emp., 19).
  67. M., VI, 55 ; X, 284.
  68. P., III, 280 : Ὁ Σκεπτικὸς, διὰ τὸ φιλάνθρωπος εἶναι…, κ. τ. λ.
  69. Op. cit., t. V, p. 41, 3e Aufl.
  70. Sextus fait encore allusion à des événements postérieurs à Ænésidème en divers endroits : P., I, 84, où il nomme l’empereur Tibère ; P., I, 222, où il cite soit Ménodote, soit Hérodote ; M. II, 62, où paraît le nom d’Hennagoras, contemporain d’Auguste ; M. I, 60, où on trouve le nom du péripatéticien Ptolémée, qui est du Ier ou du IIe siècle de l’ère chrétienne.
  71. M. VII, 364.
  72. Voy. ci-dessus, p. 248.
  73. Souvent Sextus semble indiquer qu’il emprunte ses arguments à quelque devancier, lorsque, par exemple, il dit : Τινὲς λέγουσι… (M., VIII, 32, 171 ; P., III, 183, etc.) Parfois, il semble qu’il ajoute lui-même un argument nouveau : M., VIII, 166 : Συνθείη τις λόγον τοιοῦτον… Cf. VIII, 194, 259, etc., et P., II, 204.
  74. M., IX, 1.
  75. M., VII, 201.
  76. P., II, 229.
  77. On lit dans le texte de Diogène (IX, 116) : Σατυρνῖνος ὁ Κυθηνᾶς. Personne n’a pu encore expliquer ce surnom de Cythènas. Il nous semble évident qu’il faut lire ὁ καθ’ ἡμᾶς. Cette correction est indiquée par Nietzsche, Beiträge zur Quellenkunde und Kritik des Diog. Laert., p. 10, Basel, Schultze, 1870. Peut-être aussi pourrait-on lire : ὁ ἐκ Κυθηρᾶς.
  78. IV, 30 ; VII, 27.
  79. Suidas dit qu’il naquit sous Trajan et vécut jusqu’au temps d’Adrien. Toutefois, il doit être né plus tôt, car Plutarque (Quæst. conv. VIII, x, 2) parle de lui comme d’un écrivain déjà célèbre. D’autre part, suivant Aulu-Gelle (N. A., II, 22), il connut Fronton après son consulat, et Fronton fut consul en 143. Il doit avoir survécu à Adrien.
  80. Philostr., Vit. sophist. I, viii, 1.
  81. Gell., N. A., XVII, 19. Gal., De opt. doctr., I, vol. I, p. 41 ; De libr. propr., 2, vol. XIX, p. 44.
  82. Gal., ibid.
  83. Lucien, Démonax, 12. Philostr., loc. cit.
  84. N. A., II, 26 ; III, 19, etc.
  85. Fabricius, Biblioth. græc., V, p. 164.
  86. Philostr., loc. cit. Suidas. Lucien, Démonax, 12.
  87. Val. Rose, Ann. gr., II, 71.
  88. Steph. Byzant., Ῥοπεῖς.
  89. Steph. Byzant., Ἀλεξανδρεία.
  90. Suidas.
  91. Gell., XI, v.  5.
  92. Gal., De opt. doctr., vol. I, p. 40.
  93. Ibid.
  94. Ibid. : Μηδὲ τὸν ἥλιον εἶναι καταληπτόν.
  95. Gal., De libr. propr., 12, vol. XIX, p. 44.
  96. Philostr., loc. cit., I, viii, 6. Gell., XI, v, 5.
  97. Gell., XX, 1 : « Noli ex me quærere quid existimem. Scis enim solitum esse me pro disciplina sectæ, quam colo, inquirere magis quam decernere. Sed quæso tecum tamen degrediare paulisper e carriculis istis disputationum academicis. » Cf. Gal., De opt. doctr., vol. I, p. 40.
  98. N. A., XIV, 1. Il faut signaler cette formule, toute académicienne : « Exercendi autem non ostentandi gratia ingenii, an quod ita serio judicatoque existimaret, non habeo dicere. »
  99. Ibid. : « Jam vero id minime ferendum censebat, quod non modo casus et eventa, quæ evenirent extrinsecus, sed concilia quoque hominam ipsa, et arbitrarias et varias voluntates, appetitionesque et declinationes, et fortuitos repentinosque in levissimis rebus animorum impetus, recessusque, moveri agitarique desuper e cœlo putarent. »
  100. Gell., XI, V, 8.