Les Romans de la Table ronde (Paulin Paris)/Lancelot du lac/22

Léon Techener (volume 3.p. 170-172).

XXII.



Gauvain ne pouvait douter de la mort du chevalier vainqueur de la Douloureuse garde. Il rentrait tristement avec ses compagnons, quand il fait rencontre d’un baron entre deux âges et de haute mine, qui leur demande qui ils étaient. « Pourquoi, dit Gauvain, tenez-vous à le savoir ? — Pour vous être peut-être de bon secours. — Eh bien, j’ai nom Gauvain, le neveu du roi Artus. — Qui vous donne l’air si désolé ? — La mort de plusieurs de nos amis que nous venons d’apprendre. — Le pays en effet est loin d’être sûr, depuis que le châtelain de la Douloureuse garde a été contraint d’abandonner la place. Il a juré de faire payer son malheur au monde entier : mais venez héberger chez moi ; mon château ne redoute aucune attaque, vous y serez en pleine sécurité. D’ailleurs je dois vous dire que vous avez été trompés et que je pourrai vous rejoindre aux amis dont on vous a montré la tombe. — Pour les revoir, s’écrie Gauvain, j’irais volontiers au bout du monde. — Suivez-moi donc. »

Ils côtoyèrent pendant quelque temps la rivière d’Hombre et arrivèrent en face d’une île sur laquelle se dressait un château. Une nacelle attachée au rivage les transporta ; le baron inconnu les conduisit dans une tour où des écuyers vinrent les désarmer en leur présentant de belles robes fourrées. On leur proposa ensuite de visiter le château : ils montèrent au solier ou étage supérieur. Tout à coup ils se voient entourés de chevaliers armés de toutes pièces qui les avertissent, en levant les épées, de ne pas résister. Comment se seraient-ils défendus ? ils étaient désarmés. Gauvain se laissa lier les mains ; mais Galegantin le Gallois, moins patient, s’élança sur un des fer-vêtus, le renversa et lui prit son épée. Vingt autres fondent sur lui, le terrassent et lui font de larges blessures. Ainsi tous furent liés et poussés au bas des degrés, jusqu’à l’entrée de la cuisine où le seigneur châtelain hâtait le manger. « Traître ! lui cria Yvain l’avoutre, est-ce l’hôtel que vous nous aviez promis ? — Assurément, répond le châtelain ; n’êtes-vous pas dans une des plus fortes maisons de la Grande-Bretagne ? Je vous ai parlé des compagnons que vous croyez déjà dans l’autre monde ; vous allez les revoir. » Il donne ordre à ses gens de conduire et enfermer ses nouveaux prisonniers dans un souterrain profond où depuis longtemps gémissaient le roi Ydier, Guiffrey de Lamballe, Yvain de Lionel, Caradoc de Karmesin, Kaeddin le petit, Keu d’Estraus, Giflet fils de Do de Carduel, Dodinel le sauvage, le duc Talas, Madot de la Porte et Lohos, le fils du roi Artus et de la belle Lisamor de Caradigan. Ce fut un grand. sujet de joie et de douleur pour tous ces bons chevaliers ; heureux de se retrouver, dolents de se voir tous à la merci du plus félon des hommes.