Les Relations de la France et de la Prusse de 1867 à 1870/09

Les Relations de la France et de la Prusse de 1867 à 1870
Revue des Deux Mondes3e période, tome 78 (p. 287-315).
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LES RELATIONS
DE
LA FRANCE ET DE LA PRUSSE
DE 1867 A 1870

IX.[1]
LA PRUSSE ET LA CONFÉRENCE. — LA QUESTION ROMAINE AU CORPS LÉGISLATIF.


I. — LE COMTE DE BISMARCK ET M. BENEDETTI.

La France par une action rapide avait su faire respecter la convention de septembre, sauver Rome et le pape, sans avoir à s’expliquer avec la Prusse. On s’était mépris sur la politique du cabinet de Berlin en lui prêtant l’arrière-pensée d’intervenir dans les affaires romaines. Les propos énigmatiques de la diplomatie prussienne à Florence et à Paris, qu’invoquaient les italianissimes aux Tuileries pour impressionner l’empereur, n’avaient pas la portée que leur prêtaient M. Nigra et ses amis. Le comte d’Usedom et le comte de Goltz cédaient à leurs penchans et non à leurs instructions lorsqu’ils s’apitoyaient sur les épreuves que traversait l’Italie. Ils reflétaient, tout au plus, les sentimens personnels du prince royal, qui défendait à la cour de son père non pas la cause de Garibaldi assurément, mais celle d’une alliée éventuelle. Rappelés à une attitude plus circonspecte, ils avaient, du reste, promptement modifié leur langage. Le comte de Bismarck n’avait aucune envie de sortir d’une stricte réserve : l’Italie, à cette heure, n’entrait qu’indirectement dans l’échiquier de sa politique. Il se méfiait d’ailleurs du roi Victor-Emmanuel et des hommes d’état italiens. Quelle sécurité pouvait lui offrir une puissance qui méconnaissait ses engagemens dès qu’ils l’incommodaient? L’Italie n’avait-elle pas, sous le prétexte de satisfaire ses aspirations nationales, violé coup sur coup le traité de Zurich et la convention de septembre? M. de Bismarck ne se souciait pas, pour complaire à une alliée si peu sûre, de s’aliéner les catholiques allemands ; il se préoccupait des quatre-vingts députés qu’ils comptaient au Reichstag; il semblait pressentir ce qu’il en coûte de rompre avec l’église. Son jeu n’était pas de nous inquiéter, ni de prendre couleur dans la question romaine; laisser se développer l’antagonisme entre la France et l’Italie et s’envenimer les blessures était à ses yeux un moyen infaillible d’empêcher tout retour à l’alliance de 1859. Il nous confiait que les Italiens étaient venus solliciter son assistance, qu’il les avait éconduits en leur disant que la France était légitimement fondée à protéger le pape, et qu’il se garderait bien de se brouiller avec une puissance avec laquelle il entretenait d’excellens rapports. Il n’aurait pas caché d’ailleurs au chargé d’affaires du cabinet de Florence, lorsqu’il lui annonçait l’entrée de l’armée italienne sur le territoire du saint-siège, combien cette résolution était téméraire ; il l’aurait invité à recommander instamment à son gouvernement d’éviter avec le plus grand soin toute rencontre avec l’armée française. Ses paroles dénotaient une résolution nettement arrêtée de ne pas s’engager dans les affaires romaines. Le ton de la presse officieuse reflétait fidèlement sa pensée; elle restait correcte, comme si elle obéissait à la consigne d’éviter toute polémique irritante. L’attitude du chancelier était d’autant plus méritoire que plusieurs de nos journaux, toujours disposés à subordonner l’intérêt français à l’intérêt italien, faisaient un crime à l’empereur de secourir le pape et se plaisaient à jeter le trouble dans ses conseils en tenant l’intervention prussienne pour inévitable. Mais ni ces incitations, ni les sollicitations venues de Florence, ne parvenaient à émouvoir le conseiller du roi Guillaume. Il restait tout aussi insensible aux suggestions de l’Angleterre, dont la diplomatie s’était compromise dans menées garibaldiennes. Lord Stanley lui proposait en vain une intervention morale, ou, comme il l’appelait « une pression protestante. » Il lui avait répondu que sa politique, toute pacifique, ne lui permettait pas de sortir d’une situation expectante, à moins d’être appelé d’un commun accord par la cour des Tuileries, par le pape et par le cabinet de Florence à servir de médiateur, que le roi Guillaume portait une égale sollicitude à ses sujets protestans et à ses sujets catholiques, et que prendre fait et cause contre le saint-siège serait peu généreusement créer des embarras aux gouvernemens bavarois et wurtembergeois qui venaient d’arracher à leurs chambres, après de laborieux efforts, en lutte avec les influences ultramontaines, la sanction des traités d’alliance.

La cour de Prusse, cela ressortait de toutes ses manifestations, n’était nullement disposée à se départir du programme qu’elle s’était tracé après l’entrevue de Salzbourg ; elle entendait rester étrangère à toute complication extérieure tant qu’elle ne se serait pas assimilé ses nouvelles conquêtes et tant que les armées du nord et du midi ne se seraient pas fusionnées dans une même organisation.

L’empereur éprouvait un véritable soulagement en voyant le cabinet de Berlin approuver notre intervention et répudier toute solidarité avec la révolution italienne. Prompt à céder aux illusions, il se plaisait à voir dans la correction de son attitude le retour aux sentimens qu’on nous témoignait à Berlin avant 1866. Il croyait, en se rappelant les protestations conciliantes dont il avait été l’objet lors de l’exposition universelle, que M. de Bismarck, sincèrement converti à de nouvelles tendances, prendrait à honneur de lui faire oublier l’affaire du Luxembourg et qu’il lui faciliterait la tâche en s’associant à ses efforts pour résoudre le problème romain. Le discours que le roi avait prononcé à l’ouverture du Landtag était de nature à confirmer ses espérances.

Les parlemens s’étaient ouverts en quelque sorte simultanément à peu de jours d’intervalle, le 15 novembre à Berlin, le 17 à Paris et le 19 à Londres, dans de dramatiques circonstances, au lendemain de Mentana, sans que personne pût prévoir comment se résoudraient les redoutables problèmes sortis des événemens de 1866. Pour rassurer les esprits, les souverains avaient manifesté une quiétude qu’au fond du cœur ils n’éprouvaient pas. Ils s’étaient appliqués à donner le change à l’Europe par de conciliantes déclarations sur les questions qui l’agitaient et la divisaient profondément. Le roi Guillaume avait fait allusion à son séjour à Paris en parlant des entrevues personnelles qu’il avait eues dans le courant de l’été avec plusieurs souverains étrangers pour en tirer des conclusions pacifiques. Il avait constaté que « les récentes inquiétudes causées par deux grandes nations avec lesquelles il était lié d’amitié s’étaient heureusement dissipées, et il avait ajouté « qu’en présence des graves questions qui réclamaient une solution, son gouvernement consacrerait ses efforts à donner satisfaction d’un côté aux droits de ses sujets catholiques à sa sollicitude pour le maintien de la dignité et de l’indépendance du chef suprême de leur église, et de l’autre aux intérêts politiques de la Prusse et de l’Allemagne. »

Ces déclarations semblaient ne laisser que peu de doutes, malgré l’ambiguïté de la dernière phrase, sur le concours que nous prêterait le cabinet de Berlin au sein de la conférence et sur sa sollicitude pour le maintien du pouvoir temporel.

Aussi l’empereur, le surlendemain, à l’ouverture de la session législative, après quelques considérations consacrées à l’Italie[2], au prochain rapatriement de notre corps expéditionnaire et à la conférence, s’était-il efforcé, à son tour, d’accentuer la note pacifique et de combattre les inquiétudes qui s’étaient emparées de l’Europe : « Malgré les déclarations de mon gouvernement, qui n’a jamais varié dans son attitude pacifique, disait-il, on a répandu cette croyance que les modifications dans le régime intérieur de l’Allemagne devaient être une cause de conflit. Cet état d’incertitude ne saurait durer plus longtemps. Il faut accepter franchement les changemens survenus de l’autre côté du Rhin, proclamer que tant que nos intérêts et notre dignité ne seront pas menacés nous ne nous mêlerons pas des transformations qui s’opèrent par le vœu des peuples. Les inquiétudes qui se sont manifestées s’expliquent difficilement à une époque où la France a offert au monde le spectacle le plus imposant de paix et de conciliation. L’Exposition a disparu, mais son empreinte marquera profondément sur notre époque; car, si elle n’a brillé que d’un éclat momentané, elle a détruit pour toujours un passé de préjugés et d’erreurs. »

Il semblait après ces déclarations, réminiscences de la circulaire de La Valette, qui donnaient en quelque sorte carte blanche à la politique de la Prusse en Allemagne, que la France, désintéressée des transformations qui s’opéraient à ses portes, n’aurait plus dorénavant qu’à se consacrer, avec une absolue quiétude, au développement de sa prospérité intérieure. Mais l’empereur, malgré la confiance qu’il affectait et les argumens qu’il invoquait pour rassurer le pays, partageait au fond les émotions que manifestait le sentiment public, si bien qu’il en arrivait à conclure que les gages incontestables de concorde résultant des entrevues des souverains à Paris « ne sauraient dispenser la France d’améliorer sa constitution militaire et de perfectionner l’organisation de son armée et de sa marine. » Le roi Guillaume et Napoléon III avaient beau affirmer la paix, ils n’en étaient pas moins contraints à préparer la guerre.

Le comte Benedetti avait repris possession de son ambassade dans les premiers jours de novembre, après une longue absence. Il n’avait, cette fois, ni à revendiquer le Palatinat, ni à poursuivre la cession du Luxembourg; sa tâche se bornait à fortifier M. de Bismarck dans ses bonnes dispositions et à obtenir son acquiescement à la conférence. On était loin de pressentir à Paris les objections que notre invitation allait soulever dans la plupart des cours[3]. On se fondait sur l’accueil courtois fait à nos premières ouvertures pour considérer comme acquise l’adhésion de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Russie, du Portugal et de l’Espagne. On ne doutait pas de celle de la Prusse, et encore moins de celle de l’Italie. Le cabinet de Florence ne nous avait-il pas suggéré l’idée d’en appeler aux puissances? Et le cabinet de Berlin n’avait-il pas approuvé notre intervention? M. de Goltz, toujours tenté de prendre le contre-pied de la politique de son ministre, et M. Nigra, souvent enclin à confondre ses sentimens personnels avec les dispositions de son gouvernement, nous autorisaient à croire, par leur langage, que leurs cours étaient ralliées à nos vues. C’était une erreur. En réalité, personne en Europe n’avait envie de se compromettre dans les affaires italiennes pour nous être secourable. Notre invitation ne flattait que les états secondaires, auxquelles nous offrions l’occasion rare de siéger, à côté des grandes puissances, dans un aréopage européen. M. Benedetti s’aperçut, dès ses premiers entretiens, que, si le chancelier avait évité de s’immiscer dans nos démêlés avec l’Italie, il était tout aussi décidé à ne se prêter à aucun acte qui serait de nature à nous faciliter l’évacuation du territoire romain.

M. de Bismarck était un logicien d’une rare fécondité, il savait rehausser ses argumens par des images pittoresques, sarcastiques. Les raisons qu’il invoquait étaient souvent spécieuses, car les causes qu’il défendait ne s’appuyaient pas toujours sur la justice et le bon droit. Mais, cette fois, il avait pour lui le bon sens et l’équité. Nous lui demandions de nous aider à réparer nos fautes, à nous dégager d’une inextricable aventure, pour nous permettre, une fois libres de nos mouvemens, d’entraver l’œuvre qu’il poursuivait en Allemagne. Nous lui demandions, sans rien lui offrir en échange, si ce n’est une reconnaissance éphémère, de s’immiscer dans une affaire scabreuse, insoluble, qui l’exposerait à mécontenter à la fois les catholiques et les protestans allemands, et à se brouiller, suivant le parti qu’il prendrait, soit avec le chef de l’église, soit avec l’Italie.

Aussi disait-il à notre ambassadeur, pour sa bienvenue, avec une désespérante franchise, que, certain de l’inanité de notre tentative, il n’avait pas encore jugé à propos de prendre les ordres du roi et que la France ferait bien de renoncer à un projet « frappé d’avance de stérilité. « Il était convaincu que nous nous bercions d’illusions, que nous n’obtiendrions pas l’assentiment de toutes les puissances. Il trouvait superflu de convoquer une conférence qui ne servirait qu’à démontrer l’impuissance de l’Europe à concilier des prétentions inconciliables. Il pensait que le meilleur gage de sécurité que nous puissions offrir au pape, c’était de rester à Civita-Vecchia, que cela nous permettrait de gagner du temps, et que le temps était l’unique négociateur dont il fallait attendre les solutions que nous voulions hâtivement et inopportunément provoquer. Il estimait, en un mot, que la conférence remettrait tout en question sans rien résoudre. « Si j’avais l’honneur d’être le ministre des affaires étrangères de l’empereur, disait-il, en décochant un trait à M. de Moustier, auquel il gardait rancune, je n’hésiterais pas un instant à lui donner le sage conseil de renoncer à son dessein. »

Il ne nous cachait pas, du reste, en invoquant l’identité de situation, qu’il se concerterait avec l’Angleterre avant de prendre un parti et qu’il se renseignerait pour être fixé sur la pensée de l’Italie et de Rome. Il ne lui convenait pas de blesser des sentimens et des opinions que le gouvernement du roi avait tout intérêt à ménager ; il se préoccupait surtout du pape ; il ne voulait pas être anathématisé.

M. Benedetti cherchait, sans y réussir, à calmer ses scrupules, à le rassurer sur les dispositions du cabinet de Florence et sur les foudres du Vatican. Son siège était fait. Il n’admettait pas que son plénipotentiaire pût être exposé à un rôle insoutenable; sans prendre d’initiative, il se verrait forcé de s’expliquer sur les propositions émises par ses collègues ; il ne pourrait émettre d’avis sans nuire aux relations cordiales que le gouvernement du roi avait un égal intérêt à entretenir avec deux cours rivales. S’il s’exprimait dans un sens favorable au gouvernement pontifical, ne cesserait-il pas d’être l’interprète de la majorité du peuple prussien, naturellement hostile au pape et sympathique à l’Italie, et s’il appuyait, au contraire, les prétentions italiennes, n’aliénerait-il pas au gouvernement du roi ses sujets catholiques, qui disposaient dans les chambres d’un nombre considérable de voix? Il lui paraissait, en tout cas, indispensable que la France formulât un programme, qu’elle fixât le lieu de la réunion et les points qui seraient mis en délibération.

Deux politiques se trouvaient aux prises, l’une chimérique, se débattant, désenchantée, dans de cruels embarras ; l’autre réaliste, victorieuse, poursuivant son but avec une imperturbable volonté. Notre ambassadeur subissait les conséquences de nos erreurs, il ne pouvait plus, malgré sa vive et fine intelligence, arrêter le cours des événemens que nous avions laissés s’accomplir, sans nous prémunir contre l’ingratitude du vainqueur. Son habileté se buttait contre les partis-pris d’un ministre sans générosité, qui se refusait obstinément de nous tendre la main pour nous permettre de reprendre notre liberté d’action.

Arrivé à Berlin dans les jours où l’empire était à l’apogée de sa puissance, M. Benedetti. depuis Sadowa, voyait son influence et son autorité s’amoindrir. M. de Bismarck, jadis si souple, si déférent à nos moindres désirs, s’efforçait d’accroître nos embarras au lieu de saisir les occasions qui s’offraient à lui de nous rendre service et d’associer sa politique à la nôtre. Notre ambassadeur se reportait au temps où le conseiller du roi Guillaume ne manifestait qu’une crainte, celle de se trouver en conflit avec nous ; qu’un désir, celui de nous complaire. La paix avec la France lui apparaissait alors comme une nécessité de premier ordre, comme le complément de sa tâche. « En serait-il arrivé, disait M. Benedetti, à croire que la guerre est devenue inévitable et jugerait-il nécessaire de semer les difficultés sous nos pas? Cette politique lui est-elle conseillée par les informations qui lui arrivent de Vienne et de Paris? Sont-ce nos armemens et l’entrevue de Salzbourg qui le déterminent à compliquer les affaires italiennes? Ce que je constate, c’est que M. de Bismarck préfère aujourd’hui se ménager d’autres amitiés que la nôtre et qu’il ne craint pas de nous déplaire en entravant la solution de la question romaine[4]. »


II. — LES INVITATIONS AUX COURS ALLEMANDES.

M. de Moustier allait aggraver encore la tâche de la diplomatie française en conviant à la conférence non-seulement les états allemands du midi, la Bavière, le Wurtemberg et le grand-duché de Bade, mais aussi la Saxe et la Hesse grand-ducale, qui faisaient partie de la Confédération du nord. Notre ministre des affaires étrangères semblait protester contre l’absorption de l’Allemagne par la Prusse et ne pas admettre que les états placés sous son hégémonie immédiate eussent perdu les prérogatives d’une souveraineté indépendante. Ce n’était pas son intention assurément. Il s’appuyait, en invitant la Saxe et la Hesse, sur des précédens diplomatiques, et il ne croyait pas manquer à ses devoirs internationaux en ne s’adressant pas à la Confédération du nord, qui n’était pas encore officiellement reconnue. Il n’en commettait pas moins une faute en subordonnant à des questions de protocole ses bons rapports avec la Prusse, dont il sollicitait le concours. Le cabinet de Berlin ne devait pas manquer de relever notre procédure avec les emportemens auxquels il ne cède que trop volontiers dès qu’on porte la plus légère atteinte à ses susceptibilités, toujours en fermentation.

La presse prussienne se plut à considérer nos invitations aux cours allemandes comme une offense faite à la constitution qui confiait à la présidence fédérale, exclusivement, la direction des rapports diplomatiques avec les puissances étrangères. « Le cabinet des Tuileries, disait la Gazette nationale, a semblé complètement ignorer qu’il existait une Confédération du nord. Jamais ni la Saxe, ni la Hesse n’ont été représentées à aucune conférence européenne. A celle de Londres, en 1866, lors des affaires danoises. M. de Beust représentait la diète à côté de la Prusse et de l’Autriche, et non la Saxe, comme état indépendant, Le gouvernement français, en procédant sans informations préalables, a révélé une fois de plus sa présomption. Il en est encore à croire qu’il peut jouer en Europe un rôle prépondérant. Il aurait dû, dans la situation où il se trouve, user de plus de ménagemens. Les chambres des petits états répondront à son invitation par la suppression dans leurs budgets de la représentation diplomatique. » La Gazette de la Croix rendait un éclatant hommage à la loyauté de la Saxe, qui, d’une façon déplaisante pour notre amour-propre, avait cavalièrement renvoyé l’invitation de la cour des Tuileries à la présidence fédérale; et elle s’attaquait au grand-duc de Hesse, qui, plus soucieux de ses droits de souveraineté, l’avait acceptée avec un reconnaissant empressement, sans appréhender le courroux qu’il soulèverait à Berlin et les humiliations que lui vaudrait cet acte d’insubordination[5]. La cour de Saxe, naguère si fière de son histoire, suivant l’expression de Tacite, « se ruait dans la servitude ; » elle n’avait plus qu’un désir : sauver les débris de sa fortune. Le roi Jean, pour ne pas porter ombrage à la Prusse, nous manifestait en toute occasion l’intention d’éviter avec nous tout contact politique. .N’avait-il pas, lorsqu’il vint à Berlin, au mois de novembre 1866, pour gagner les bonnes grâces du vainqueur, poussé la circonspection jusqu’à ne pas vouloir se rencontrer avec M. Benedetti, qui cependant avait contribué pour une bonne part à le tirer des griffes de la Prusse? Il semblait être de l’école du prince de Schwarzenberg, qui faisait de l’ingratitude un dogme politique[6].

M. de Bismarck, jaloux de son autorité, ne dissimula pas au comte Benedetti le déplaisir qu’il avait éprouvé en nous voyant traiter ses confédérés comme des souverains libres de toute attache. Il nous trouvait inconséquens; il ne s’expliquait pas qu’ayant invité la Saxe, qui comptait peu de catholiques, nous n’eussions pas invité le duché d’Oldenbourg, qui en possédait trois fois plus. Il s’étonnait que nos invitations fussent descendues jusqu’au Luxembourg et il se demandait s’il pouvait lui convenir de siéger avec un état de ce rang. Il prétendait qu’on le conviait à une société mêlée : « Il me répugne, disait-il, de prendre place dans un quadrille sans bien connaître mes vis-à-vis. — Un grand gouvernement comme celui de la Prusse, ajoutait-il en se redressant, ne peut paraître dans un conseil européen sans avoir arrêté d’avance son attitude et ses résolutions ; or, nous ignorons non-seulement dans quel sens, mais même dans quelles vues seront conçues vos propositions. »

Le comte de Bismarck abusait de nos embarras pour nous faire d’ironiques leçons. Il n’était pas de ceux qu’une rapide et vertigineuse fortune rend accommodans. Exempt de vulgaires faiblesses, il était par momens comme subjugué par un immense orgueil. On eût dit qu’il voulait par ses hauteurs faire oublier les défaillances passées de la politique prussienne. Les grands hommes se donnent volontiers le plaisir des dieux ; il ne faut pas les guetter de trop près, disait Montaigne.

M. Benedetti, par le fait de nos irrésolutions au mois de juillet 1866, à une heure décisive pour nos destinées, en était réduit aujourd’hui à soutenir une lutte inégale avec un adversaire triomphant. Les instructions de son gouvernement étaient vagues ; elles le laissaient désarmé, il n’avait pas de programme à formuler, il ne connaissait pas le fond de la pensée de son souverain et il ne connaissait que trop celle du ministre prussien. Il savait qu’il lui fallait une Italie troublée pour nous paralyser sur le Rhin, et qu’il espérait, avec l’aide du parti révolutionnaire, provoquer, à l’heure des rencontres suprêmes, une violente rupture entre Paris et Florence[7].

« Si vous déclinez notre invitation, dit-il, on s’imaginera que la question romaine vous sert de moyen pour nous créer des difficultés et nous empêcher d’en sortir. » M. Benedetti se donnait la satisfaction de montrer à M. de Bismarck qu’il lisait dans son jeu et qu’il n’était pas dupe de ses raisonnemens.

Le ministre protesta de son bon vouloir, ses volte-faces étaient rapides. Il avait si peu l’intention de nous contre-carrer qu’il eût rejeté, séance tenante, sans même l’examiner, la proposition d’un congrès si elle n’était pas venue du gouvernement de l’empereur. Il regrettait, dans notre intérêt, de nous voir mettre en avant et poursuivre une idée qui n’avait l’assentiment d’aucune puissance et qui, d’après lui, n’avait aucune chance d’aboutir. Il ne croyait pas à la sincérité de nos invités. « La Russie, disait-il, a pu adhérer en principe sans se compromettre, car en diplomatie, adhérer en principe est une manière polie de refuser. Quant à l’Italie, jamais elle n’a désiré un congrès; si elle vous a dit qu’elle l’acceptait, c’était pour vous complaire dans la persuasion qu’il resterait sans résultat. »


III. — L’ATTITUDE DES PUISSANCES.

M. de Bismarck nous enlevait toutes nos illusions. Il affirmait que l’Autriche n’acceptait la conférence qu’à contre-cœur, que la Russie nous faussait compagnie, que l’Angleterre nous désapprouvait et que l’Italie nous bernait. Il n’était que trop bien renseigné. L’Autriche nous prêtait son concours officiel et plaidait notre cause à Rome et à Florence, moins par conviction que pour ne pas manquer aux engagemens de Salzbourg; l’Angleterre encourageait les résistances de l’Italie, et la Russie ne nous donnait que de l’eau bénite. A peine avait-elle adhéré « en principe, » qu’elle revenait sur ses déclarations premières. Le prince Gortchakof ne nous cachait pas que la conférence ne lui agréait à aucun titre. « Si nous y allons, disait-il avec humeur au baron de Talleyrand, ce sera, croyez-le bien, uniquement pour vous être agréable et pour ne pas vous refuser notre concours. Par générosité, il nous répugne de proclamer la chute du pouvoir temporel, et par tradition et par conviction nous ne pouvons voter pour son maintien. La Prusse vous contre-carre, l’Angleterre vous est contraire, et le cabinet de Florence joue un double jeu. Qu’espérez-vous? Tâchez de vous arranger directement avec le pape. » C’était le billet de La Châtre.

Il ne restait plus à M. Benedetti qu’un moyen, sinon de vaincre, du moins d’atténuer les résistances qu’il rencontrait à la chancellerie fédérale, c’était d’en appeler du ministre au souverain. Il demanda une audience. Le roi le convia à sa table, il le combla de prévenances, et bien que par système il évitât la politique dans ses entretiens avec les diplomates étrangers, il ne se refusa pas à parler du congrès.

M. Benedetti fut éloquent, pressant, mais le souverain souleva les mêmes objections que le ministre, dans une forme plus gracieuse et dans un esprit plus conciliant : il était courtois. Le roi parut se préoccuper plus du sort du pape que des prétentions italiennes; ses tendances autoritaires et son orthodoxie religieuse le rapprochaient moins de Florence que de Rome. Il ne déclina pas la conférence, il sembla même regretter l’attitude de son gouvernement, mais il subordonna son adhésion à une entente préalable avec le cabinet de Londres ; c’était l’équivalent d’une fin de non-recevoir, car il savait fort bien que l’Angleterre était intransigeante. Le roi Guillaume était un politique. Le lendemain, M. de Bismarck vint à l’ambassade de France; son ton s’était radouci, c’était le seul bénéfice que M. Benedetti eût retiré de son audience. Le ministre persistait dans son mauvais vouloir; il maintenait que notre démarche était prématurée et que nous devions attendre à Civita-Vecchia qu’elle devînt opportune. Il tenait à ce que la blessure faite à l’Italie demeurât béante et que notre drapeau, comme un défi aux aspirations italiennes, restât arboré sur un coin du territoire pontifical.

Le marquis de Moustier ne désespérait pas de la réunion de la conférence, malgré le mauvais vouloir qu’il relevait dans toutes les cours et particulièrement à Berlin. Son obstination grandissait avec les obstacles. Il se consacrait à la défense d’une noble cause digne de son talent et qui répondait à ses plus intimes convictions : il espérait conserver Rome aux catholiques, et réconcilier l’église avec les idées modernes. Convaincu que l’Europe ne pourrait rester indifférente au sort de la papauté, il adressait à ses agens, avec l’activité dévorante qu’il mettait aux questions qui le passionnaient, dépêches sur dépêches; il télégraphiait nuit et jour dans toutes les directions. « La plupart des gouvernemens, écrivait-il à Berlin, à la date du 23 novembre, dans un accès d’optimisme, ont répondu par une adhésion complète à la proposition que nous leur avions faite de se réunir en conférence ; les autres nous ont témoigné des dispositions qui nous laissent l’espoir d’un acquiescement prochain. Le comte de Bismarck, je regrette de le dire, est celui qui a manifesté le moins d’empressement à accueillir nos ouvertures. Il semble s’être proposé d’affaiblir les sentimens confians que nous avait inspirés le discours du roi, et il ne s’est attaché qu’à élever des doutes et à formuler des objections. »

« Les affaires italiennes intéressent tous les états européens qui ont des populations catholiques. Nous les avons invités tous, excepté la Turquie et la Grèce. Dans la Confédération du nord, nous n’avons exclu ni la Saxe ni Darmstadt. Nous n’avons jamais cessé d’entretenir des rapports diplomatiques avec la cour de Dresde, et notre démarche est un acte de courtoisie que nous lui devions. Nous n’avons entendu préjuger en rien les rapports légaux entre la Confédération du nord et la Saxe, ni détourner ce pays de ses engagemens particuliers. J’aurai peine à expliquer la persistance du comte de Bismarck à vouloir séparer sa politique de la nôtre dans une question où tout, au contraire, semblait devoir nous rapprocher. En s’associant à nous le gouvernement prussien servirait l’Italie, qui a intérêt à une prompte évacuation du territoire pontifical : il contribuerait à dissiper des deux côtés du Rhin tout ce qui pourrait rester encore dans les esprits des nuages soulevés par les événemens du commencement de cette année : il consoliderait la paix générale. Je me refuse à croire que M. de Bismarck sacrifie à de futurs et d’inavouables contingens les avantages présens et certains qu’il trouverait à marcher d’accord avec nous dans la question italienne. » M. de Moustier, prenant ses désirs pour des réalités, ajoutait à la suggestion du comte de Goltz, malgré ce que lui mandait le comte Benedetti, que les difficultés principales qui préoccupaient le cabinet de Berlin étaient aplanies, que l’Italie et le saint-siège adhéraient en principe, que l’Autriche, la Bavière, le Wurtemberg, Darmstadt et le Portugal se déclaraient également prêts à se faire représenter. Il reconnaissait toutefois qu’à Londres, sans repousser notre invitation, on désirait connaître les questions qui seraient débattues et s’assurer par des négociations préliminaires de l’empressement que mettraient l’Italie et le saint-siège à adhérer à la décision qui serait adoptée par la conférence. L’Angleterre nous était hostile, mais ses objections, bien qu’empreintes de mauvais vouloir, étaient motivées; il ne pouvait lui convenir de s’asseoir devant une table verte, les yeux bandés, elle tenait à savoir si les deux puissances dont on voulait concilier les prétentions étaient disposées à adhérer aux décisions des plénipotentiaires; elle estimait que l’Europe ne pouvait pas s’exposer, une fois réunie, à voir la cour de Rome et l’Italie décliner sa compétence et protester contre ses arrêts. Mais le gouvernement de l’empereur maintenait ses objections ; il disait qu’il ne lui appartenait pas de se constituer d’avance, en quoi que ce soit, juge et partie, en préparant lui-même les solutions qui ne pouvaient être utilement recherchées que dans la conférence.

On tournait dans un cercle vicieux. Les puissances invitées réclamaient un programme et la France se refusait à le formuler. Le pape ne demandait qu’à perpétuer le statu quo, et il répugnait à l’Italie de prendre devant l’Europe des engagemens qui lui eussent interdit à jamais la possession de Rome.


IV. — LES CONTRADICTIONS DE LA DIPLOMATIE ITALIENNE.

La tâche du général Menabrea était ingrate; déjà on oubliait, en Italie, qu’il s’était sacrifié à son roi, dans une heure critique, en prenant le pouvoir, dont personne ne se souciait. On le rendait responsable des humiliations que M. Rattazzi, par la duplicité de sa politique, avait fait subir au pays. On ne lui tenait pas compte des services qu’il avait rendus à la cause nationale en sauvant la péninsule de la révolution et en désarmant la France, dont on avait à redouter les légitimes ressentimens. On flétrissait ses compromissions avec la cour des Tuileries; on n’attendait que l’ouverture du parlement pour l’accabler. L’opposition, atterrée par Mentana, avait été la première, cependant, à conseiller le rappel immédiat des troupes italiennes du territoire pontifical : elle redoutait alors une rencontre avec les soldats français ; elle craignait qu’un conflit ne mît en question l’existence de l’Italie ; aussi avait-elle mis une sourdine à ses revendications. Mais, dès qu’elle s’était sentie à l’abri de nos coups, elle avait relevé la tête; remise de ses terreurs, elle poursuivait contre la France une lutte ténébreuse, acharnée, implacable. Les comités révolutionnaires se reformaient et décrétaient l’assassinat de l’empereur ; des complots se tramaient dans tous les coins de la péninsule. La police française était sur les dents, chaque jour on lui signalait de nouvelles conspirations. « Mentana, disait la Gazette du peuple, sera vengé à Paris avant de l’être à Rome. »

Le général Menabrea ne se laissait pas intimider : il tenait tête aux passions ; il réprimait les désordres à Turin, à Milan, à Naples ; il désarmait les volontaires de Garibaldi et traquait les séides de Mazzini. Il était soutenu par le sentiment du devoir ; mais il se préoccupait, à juste titre, de la chambre, car il n’était pas sûr d’y trouver une majorité. N était-elle pas la complice de M. Rattazzi, ne l’avait-elle pas encouragé? Ses passions ne reprendraient-elles pas le dessus aujourd’hui que le péril était conjuré? Le comte Menabrea aurait voulu gagner du temps pour arriver devant le pays en parfait accord avec la France; il ajournait, dans cet espoir, la convocation du parlement ; il songeait même à le dissoudre. Mais les esprits étaient encore trop excités pour qu’on pût se risquer d’en appeler au bon sens de la nation. Les épreuves que venait de traverser l’Italie ne l’avaient pas assagie ; elle persistait à réclamer Rome, elle poursuivait avec d’autant plus d’impatience le couronnement de son unité qu’elle espérait y trouver un terme aux agitations révolutionnaires. Le ministère avait tout lieu de craindre que ses adversaires ne s’emparassent de la question romaine, qu’il avait à cœur d’apaiser et de résoudre, pour le renverser. Il faisait appel à la modération du cabinet des Tuileries; il espérait qu’il lui ferait des concessions qui lui permettraient de prouver au parlement que, dans ses pourparlers avec la France, il n’avait pas fait litière du programme national. Mais les influences ultramontaines étaient prédominantes à Paris. On déclinait une entente directe ; ce n’est pas qu’on se refusât à toute transaction, mais on voulait, tant que la conférence ne serait pas réunie, tenir la balance égale et ne pas avoir l’air de sacrifier une partie quelconque des droits du saint-siège aux revendications italiennes. Notre mutisme mettait le cabinet de Florence aux abois; il en arrivait à ne plus vouloir du congrès, qu’au début il avait accepté chaleureusement, sans réserves, convaincu qu’il s’y présenterait d’accord avec nous. Il ne pouvait pas, en bonne conscience, paraître dans une conférence sans être certain qu’il n’y serait pris aucune détermination contraire aux aspirations nationales. La prudence lui commandait de ne pas nous heurter de front en revenant trop brusquement sur son acceptation, et le patriotisme lui faisait un devoir de prémunir l’Italie contre la contestation de ses droits devant un aréopage européen. Sa diplomatie se ressentait de cette double préoccupation ; elle donnait le spectacle de singulières contradictions en se mettant trop volontiers au diapason des gouvernemens auprès desquels elle était accréditée.

Tandis que nous nous félicitions des bonnes dispositions que nous manifestait M. Nigra, les envoyés du roi tenaient à Londres et à Berlin le langage le plus propre à faire échouer les négociations. On nous disait, à Paris, qu’on désirait la conférence, et l’on déclarait le même jour, à Berlin et à Londres, qu’on ne s’en souciait pas. Le marquis de Moustier demandait l’explication de ce quiproquo. « Lord Stanley, télégraphiait-il à Florence le 12 novembre, vient de dire au baron Baude, notre chargé d’affaires, que le ministre d’Italie déclarait, en invoquant ses instructions, que son gouvernement désirait ne plus participer à la conférence. Que veut dire cela ? Nigra, que j’ai vu encore tout à l’heure, me par le sans cesse du désir de son gouvernement de voir la conférence se réunir et se réunir promptement. Il me dit que le cabinet de Florence unira ses efforts aux nôtres pour amener l’adhésion de l’Angleterre et de la Prusse. Rien, cependant, n’est plus propre à faire hésiter le gouvernement britannique que le langage de l’envoyé italien. Nous sommes surpris et affligés. » Notre chargé d’affaires répondait aussitôt : « Le général Menabrea s’étonne et regrette l’interprétation que son représentant en Angleterre donne à ses instructions ; il dit que le langage de M. Nigra rend exactement sa pensée et il annonce qu’il l’envoie à Londres pour rectifier le malentendu. »

Notre ministre des affaires étrangères croyait le malentendu éclairci et l’Italie prête à s’associer à nos démarches. Il n’en était rien. Les agens italiens à Londres, à Berlin et à Pétersbourg ne modifiaient pas leur attitude. M. de Moustier se voyait contraint, en face des déclarations qui se croisaient et se contredisaient, de demander à M. de Malaret de lui donner enfin le mot de cette persistante énigme : « j’ai reçu votre dépêche du 19, lui disait-il, que j’ai considérée comme une adhésion explicite. Le langage de Nigra, d’ailleurs, n’a pas cessé d’être satisfaisant ; il a même annoncé au ministre de Russie l’acceptation de son gouvernement, et Budberg l’a télégraphié aussitôt à Pétersbourg. Cependant Talleyrand m’écrit : « On annonce que l’Italie accepte la conférence sans la condition d’un programme ; mais son envoyé auprès de la cour de Russie proteste, il dit qu’il n’en est rien. Quelle est la vérité ? » De son côté, Goltz me dit qu’il ne comprend plus rien au langage des agens italiens, qui semblent changer d’avis trois fois par jour. Il paraît qu’après avoir combattu à Berlin la conférence, on s’y est montré ensuite très favorable, et que maintenant on ne veut plus l’accepter que sous réserves. Goltz s’étonne qu’on ne m’ait pas fait connaître les conditions, qui seraient au nombre de huit. Je ne sais vraiment que penser de cet imbroglio. Je croyais, d’après le langage de Nigra, qu’à Florence on était résolu à marcher avec nous sur le terrain d’une confiance réciproque. »

Ces incessantes variations donnaient à réfléchir. Le rôle de M. Nigra devenait embarrassant; il se trouvait dans la situation du chancelier de la reine Elisabeth qui, sans ordres formels, se demandait, indécis et perplexe, s’il devait oui ou non procéder à l’exécution de Marie Stuart. Les équivoques ne pouvaient se perpétuer. Il fallait s’expliquer et reconnaître officiellement que les dispositions à Florence, si chaleureuses au début, s’étaient modifiées avec les circonstances et qu’en raison du peu de sympathie que les puissances marquaient pour le congrès, les agens du roi avaient reçu l’ordre de se tenir sur la réserve, tant que l’Italie et la France ne se seraient pas mises d’accord.

« Je crois que vous ne vous faites aucune illusion, écrivait M. de Moustier à M. Nigra, en réponse à sa lettre, sur la surprise et le sentiment pénible que devait nous causer votre communication. Je m’attendais à une attitude absolument contraire à celle qui, pour la première fois, nous est révélée. »

La réplique était imméritée. M. Nigra aimait la France, il s’efforçait de concilier nos intérêts avec ceux de l’Italie, et à maintenir intacte l’alliance de 1859. Mais peut-être eût-il mieux valu pour notre politique, si sujette aux illusions, que le représentant de Victor-Emmanuel à Paris eût moins de sympathies pour notre pays, qu’il fût moins intime à la cour, et surtout moins familier au Palais-Royal. Elle n’eût pas confondu les sentimens personnels de l’agent, qui étaient sincères, avec les tendances secrètes de son gouvernement ; elle se serait gardée contre les surprises et les entraînemens, elle n’eût pas si souvent subordonné l’intérêt français à l’intérêt italien. M. Nigra représentait l’Italie correcte reconnaissante ; il nous masquait, par le charme de sa personne et la loyauté de ses protestations, l’Italie qu’on ne voit pas, avec ses ambitions cachées, impatiente de secouer notre tutelle et de faire prévaloir ses tendances aux dépens des nôtres. L’envoyé du roi était, du reste, pris à partie à Florence plus encore qu’à Paris; les gouvernemens sont toujours tentés, au lendemain de grandes commotions, d’endosser à leurs interprètes les fautes qu’ils n’ont pas su éviter. En France, on prétendait que M. Nigra, dans la précipitation de ses allées et venues pendant la crise, s’était mépris sur la portée des paroles échangées ; en Italie, on disait qu’il n’avait su ni prévoir ni conjurer l’intervention ; on lui reprochait d’avoir donné une portée officielle à des conversations officieuses, en traitant derrière le dos de M. de Moustier avec M. Rouher, dont les assurances avaient été démenties par l’événement. M. Rattazzi et ses amis affirmaient que M. Nigra les avait induits en erreur, par sa diplomatie en partie double, sur la pensée prédominante dans les conseils de l’empereur; ils réclamaient son rappel. — Le reproche était excessif, car à Florence M. de Malaret ne se faisait pas faute de négocier directement avec M. Rattazzi, sans tenir compte de M. Campello, le ministre des affaires étrangères. Les diplomates vont toujours chercher l’influence déterminante là où ils croient la trouver. k Paris, souvent ils ne faisaient que traverser le cabinet du quai d’Orsay, pour arriver plus vite dans celui du ministre d’état. C’est aux gouvernemens auprès desquels ils sont accrédités de ne pas leur permettre d’enfreindre les usages internationaux. Ils avaient beau jeu à la cour des Tuileries ; ils pénétraient partout, dans le cabinet du souverain, dans les bureaux de tous les ministères, ils pactisaient avec les adversaires du gouvernement, ils avaient des intelligences dans les journaux, et ce qu’ils n’apprenaient pas dans les sphères officielles leur était révélé dans les salons, où, par étourderie, si ce n’est par vanité, on se laisse aller, devant des étrangers, à de regrettables indiscrétions. Ils avaient d’ailleurs à leur service des personnages interlopes qui. sous le masque français, s’infiltraient dans notre intimité et s’ingéraient dans nos affaires. L’éparpillement de notre action diplomatique et le contact familier incessant de l’empereur avec les représentans des puissances étrangères ont eu pour notre politique les conséquences les plus désastreuses; ils lui ont donné le caractère de l’indécision et de la contradiction ; ils ont singulièrement facilité le jeu à nos adversaires.

« Non, la diplomatie n’est pas toujours une science de ruse et de duplicité, s’écriait le prince de Talleyrand, à la veille de sa mort, devant l’Académie des sciences morales, en faisant l’éloge du comte Reinhardt, un ancien serviteur du ministère des affaires étrangères. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c’est surtout dans les transactions politiques. On a voulu confondre la ruse avec la réserve, ajoutait-il, plus préoccupé peut-être de sa propre mémoire que de celle du confrère dont il retraçait les mérites. La bonne foi n’autorise jamais la ruse, mais elle autorise la réserve, et la réserve a cela de particulier, c’est qu’elle ajoute à la confiance. »

Le comte Menabrea était la loyauté même, il ne sacrifiait pas à la ruse, sa politique était celle « de la réserve ; » mais en politique il n’est pas toujours aisé, lorsque les situations sont complexes, de concilier strictement les actes avec les déclarations. S’il est des engagemens qu’un gouvernement ne saurait méconnaître à moins de se discréditer, un homme d’état qui défend les intérêts mobiles d’un pays manquerait à sa mission s’il restait l’esclave de paroles souvent précipitamment échangées, alors que le gouvernement avec lequel il traite subit lui-même des exigences qui l’obligent à modifier son point de vue. Lorsque le comte Menabrea, après la chute de M. Rattazzi, prit en main le pouvoir, l’Italie était sous l’émotion de Mentana, elle se voyait abandonnée par la Prusse et par l’Angleterre, qui l’avait encouragée ; elle donnait à l’Europe un affligeant spectacle, ses destinées étaient en question, car on se demandait à Paris, ulcéré de son ingratitude, s’il ne serait pas prudent de revenir au traité de Zurich. L’hésitation n’était pas permise, le programme du nouveau cabinet était tracé par la force des choses; il lui imposait une prompte et sincère réconciliation avec la cour des Tuileries. Ne pas adhérer au congrès, c’était offrir aux adversaires de l’Italie, à Paris, un puissant argument pour agir sur l’esprit flottant de l’empereur et le pousser aux résolutions violentes. M. Menabrea, par l’organe de M. Nigra, adhéra au congrès sans restrictions, avec un chaleureux empressement ; il pouvait le faire sans trop engager sa politique, car il espérait n’affronter l’épreuve qu’en parfait accord avec le gouvernement impérial. Il lui était permis aussi de croire que Pie IX, retranché derrière son inflexible Non possumus, déclinerait notre invitation et protesterait contre toute contrainte morale. Le gouvernement italien ne devint hésitant que lorsqu’il vit la France se refuser à des explications et qu’il apprit que le pape, qui pressentait peut-être sa tactique, apparaîtrait au congrès pour y défendre ses droits. L’adhésion de la cour de Rome le déroutait. C’était un fait nouveau d’une portée considérable; le pape, qui avait refusé de paraître au congrès de 1863, sortait de la situation privilégiée supérieure, dans laquelle il s’était renfermé obstinément, pour repousser toute transaction ; pour la première fois, il reconnaissait la compétence de l’Europe, il se mettait sur le même rang que les autres souverains. Il est vrai qu’il ne s’engageait à rien en déférant au désir de la France, qui venait de le sauver. Décidé à ne rien concéder, il comptait uniquement saisir l’occasion pour affirmer les droits qu’il tenait de Dieu et pour revendiquer à la face de l’Europe les provinces dont il avait été dépouillé au mépris du traité de Vienne. Son secrétaire d’état prévoyait, d’ailleurs, qu’il suffirait d’accepter l’invitation pour faire échec à l’Italie. « Je ne crois pas au succès de la conférence, disait Pie IX au comte de Sartiges, mais du moment que l’empereur croit et veut tenter cette nouvelle expérience, je ne contrarierai pas son projet. Je lui ai trop d’obligations pour ne pas répondre à son appel, bien que ce soit m’embarquer sur une mer inconnue. Mais il ne faut pas que l’Italie s’imagine que je reconnaîtrai qu’elle a bien agi en volant les quatre cinquièmes des états de l’église; des faits accomplis ne sont pas des droits acquis, et jamais je ne sanctionnerai les spoliations dont j’ai été victime. » Pie IX, d’ailleurs, trouvait que la conférence était convoquée prématurément, que les passions révolutionnaires en Italie étaient encore trop surexcitées pour permettre de compter sur un résultat. « Si le congrès de Vienne, disait-il, a pu assurer vingt années de paix à l’Europe, c’est qu’il y avait des vaincus et des vainqueurs, tandis qu’aujourd’hui personne ne se tient pour battu. »

Quant au cardinal Antonelli, il était animé envers l’Italie, après la victoire de Mentana, des mêmes sentimens de colère qu’au lendemain de la défaite de Castelfidardo. Depuis cette date funeste pour l’église, il en était toujours à se souvenir des violences de l’Italie, sans tenir compte des nécessités qui s’imposent aux faibles; il n’avait rien oublié ni rien appris, et cependant il gouvernait à Rome. Aujourd’hui que la papauté nous devait son salut, il rappelait avec orgueil qu’il avait toujours annoncé que le saint-siège rentrerait en possession des provinces qui lui avaient été arrachées.

Le cabinet de Florence, en apprenant l’adhésion du pape, vit le spectre de Banquo se dresser devant lui ; il fit un mouvement de recul qui se manifesta à Berlin et à Londres avant de se produire à Paris. Il refusa de s’associer à nos démarches auprès des puissances pour leur recommander le congrès, il réclama une entente préalable sur les questions qui seraient soumises aux délibérations. Il était pénible à l’Italie de comparaître devant l’Europe pendant qu’une armée étrangère campait à Rome. Elle demandait l’évacuation préalable, et elle ne pouvait obtenir que des départs partiels et des concentrations de troupes qui n’étaient que le simulacre de la retraite. Le comte Menabrea aurait voulu nous amener à des explications qui lui eussent permis d’affirmer que, dans aucune hypothèse, les résolutions de la conférence ne seraient défavorables à l’Italie. Mais cette assurance, le cabinet des Tuileries ne pouvait la donner sans mécontenter le parti catholique. Là était le secret des indécisions du ministre de Victor-Emmanuel et des contradictions de sa diplomatie. Pour se justifier, il cherchait des argumens un peu partout. Il disait ne pas se soucier d’un nouveau congrès de Vérone, bien que l’empereur eût prouvé à l’Italie combien il était peu sympathique aux principes de 1815; il invoquait les répugnances du comte de Bismarck et de lord Stanley, qui, pour colorer leur refus, s’empressaient de se retrancher eux-mêmes, peu généreusement, derrière les hésitations italiennes. Le cabinet de Florence avait basé sa politique sur une entente cordiale avec la France ; peut-être eût-il été mieux inspiré en nous faisant résolument part de ses scrupules avant de les exposer ailleurs. De franches explications avec le cabinet des Tuileries eussent mieux valu que des pourparlers échangés, à son insu, avec Londres et Berlin. Il fallait laisser à M. Nigra le soin d’enlever à M. de Moustier les espérances dont il se berçait trop volontiers, plutôt que de s’en remettre à M. de Bismarck, au prince Gortchakof et à lord Stanley. Mais, accusé de marcher à la remorque de la France et soucieux du parlement, le général Menabrea, peu à peu, s’était éloigné de nous : il avait exagéré « sa réserve. » Forcé de pencher à gauche et de ménager le parti d’action qui avait exercé une si funeste influence sur son prédécesseur, il allait bientôt, en cédant aux passions nationales et sous la pression de la majorité, allouer des secours aux volontaires, étouffer l’action de la justice, élargir Garibaldi et se prêter à une amnistie générale. M. Menabrea, comme tous les ministres italiens, était voué à l’indulgence; il ne pouvait condamner ceux qui se sacrifiaient pour une cause qui lui était chère et qu’affirmait sa diplomatie. Tous les politiques italiens avaient le même programme, tous voulaient Rome pour capitale; ils étaient plus ou moins de connivence avec Garibaldi, sauf à le désavouer et même à l’arrêter lorsqu’il ne réussissait pas ; il y avait pour « le héros des deux mondes, » disait-on, une prison spéciale qu’on rouvrait dès que le danger était conjuré.

M. de Moustier était autorisé à se préoccuper des méandres de la politique italienne, à relever les contradictions entre le langage que M. Nigra tenait à Paris et celui que M. D’Azeglio et M. de Launay tenaient à Londres et à Berlin ; mais il manquait à l’équité en faisant un crime au gouvernement du roi d’une évolution qui lui était commandée par ses exigences intérieures. On ne fait de bonne politique que lorsqu’on sait se placer au point de vue des puissances avec lesquelles on traite et qu’on a l’esprit assez large pour faire une part équitable à leurs intérêts et même à leurs passions. Demander à un gouvernement de prendre plus d’engagemens qu’il n’en peut tenir est une faute.

M. de Moustier avait beau écrire et télégraphier avec une infatigable ardeur, il s’usait en vains efforts. Son œuvre, comme nous le disait le comte de Bismarck, « était frappée de stérilité. » Le chancelier fédéral avait donné la note, et tout le monde, avec des intonations plus ou moins sonores, s’était mis à son diapason. L’Europe ne prenait plus le mot d’ordre à Paris, déjà elle réglait sa montre sur Berlin. Il était dur de le reconnaître, mais c’était la moralité de toutes les correspondances qui arrivaient au ministère des affaires étrangères.


V. — M. THIERS ET M. ROCHER AU CORPS LÉGISLATIF.

L’opinion en France s’impatientait, elle avait cru, sur la foi du discours impérial et des journaux officieux, que les puissances étaient d’accord, que la réunion d’un congrès était certaine, que le rappel de nos troupes était imminent, et l’on s’apercevait au langage de la presse étrangère que les négociations traînaient et se heurtaient contre d’invincibles obstacles. Les chambres étaient réunies, l’opposition avait la partie belle, elle allait mettre l’empire sur la sellette et l’accabler d’amères récriminations. M. Thiers ne pouvait manquer l’occasion qui s’offrait à lui de faire le procès au gouvernement et de s’adresser aux passions du pays. Son patriotisme était grand, mais il n’était pas toujours exempt de préoccupations personnelles. Il révélait avec une merveilleuse lucidité les erreurs de notre politique et il en déduisait avec une inflexible logique les désastreuses conséquences. Ses conseils, malheureusement, au lieu d’être préventifs, n’arrivaient souvent qu’après coup, lorsque les erreurs commises étaient irrémédiables. On eût dit qu’il était moins préoccupé du désir d’éclairer le gouvernement que de la pensée d’aggraver ses fautes, de l’ébranler et de le pousser à sa perte.

Après avoir porté des coups mortels à la restauration et contribué à renverser la monarchie de juillet, il croyait bien servir son pays en faisant expier à l’empire ses origines, sans se préoccuper de la force que M. de Bismarck puiserait dans nos dissensions intérieures. Il est vrai que son patriotisme se réveilla ardent, sincère, après la catastrophe de Sedan. Il est des médecins qui attachent leur gloire à sauver les malades dont ils n’ont pas craint d’aggraver l’état. M. Thiers ne rendit pas moins à la France au lendemain de ses défaites d’inoubliables services : il la releva saignante, il libéra son territoire, il la réconcilia avec l’espérance. Mais l’histoire dira peut-être qu’il ne savait pas toujours faire à son pays, qu’il rêvait puissant et glorieux, le sacrifice de ses ressentimens. Déjà elle rappelle qu’en 1840, par ses défis à l’Europe, à propos du pacha d’Egypte, il a donné le branle aux passions germaniques et a été inconsciemment le promoteur de la politique des nationalités dont il signalait le danger, en 1867, de toutes les forces de son admirable éloquence.

Les discussions ouvertes au corps législatif sur la question romaine excitaient les esprits. Elles soulevaient à la fois les passions religieuses et les passions politiques ; les chambres donnaient à la France un spectacle dont elle était avide et dont l’empire l’avait sevré depuis 1852. Les princes de l’église avaient paru à la tribune du sénat pour défendre la cause du pape, M. Emile Ollivier et M. Jules Favre défendaient au corps législatif les principes de 89, ils prouvaient que leur parole longtemps étouffée était toujours vibrante, tandis que M. Jules Simon développait avec une haute éloquence la doctrine de l’église libre dans l’état libre, qui peut-être prévaudra dans l’avenir. Les deux principes qui divisent le monde contemporain se trouvaient face à face.

M. de Moustier affrontait une redoutable épreuve ; il n’était pas orateur. Il par la en homme d’état, sans passion, il invoqua à la fois les droits imprescriptibles de l’église et les principes modernes ; il défendit le pape sans sacrifier l’Italie. Il flétrit la politique tortueuse qui avait méconnu la convention du 15 septembre et nous avait mis dans la douloureuse nécessité de la faire respecter l’épée à la main ; mais il affirma les sympathies du gouvernement de l’empereur pour l’Italie. Il se refusa de s’arrêter aux pronostics pessimistes qui annonçaient la dislocation prochaine de la monarchie de Victor-Emmanuel. « Les événemens au milieu desquels l’Italie s’est formée, disait-il, ne sont pas de ceux qui reviennent à leur point de départ par une simple force de réaction. Le monde marche en avant et retourne rarement sur ses pas. »

M. de Moustier, avec une extrême habileté, avait, dans une forme heureuse, laissé la porte ouverte aux transactions. Ses paroles étaient de nature à réconcilier l’Europe avec la conférence. M. Thiers allait envenimer le débat, froisser mortellement l’Italie, harceler le gouvernement et le pousser sous l’influence d’une assemblée fiévreuse à des déclarations inconsidérées.

Il reprochait à la politique impériale d’avoir laissé faire l’Italie et surtout d’avoir aidé à la faire ; c’était d’après lui une faute irréparable d’avoir constitué une nation de 27 millions d’habitans à nos portes quand nous pouvions la laisser morcelée, et cette faute était d’autant plus grave que l’unification de l’Italie avait amené l’unification de l’Allemagne. M. Thiers soutenait que les grandes puissances ont le droit d’empêcher, dans l’intérêt de la sécurité commune, les états plus faibles de se grouper et de s’unifier. Il se moquait des novateurs qui invoquent le droit des nationalités et qui engagent la France à se fier assez à sa propre grandeur pour ne pas se montrer jalouse de l’agrandissement d’autrui ; il ne voyait que la France pratiquer cette politique chevaleresque. Il se plaignait qu’on fût tantôt Allemand, tantôt Italien, sans être jamais Français. Il lui semblait qu’on fût dans le parlement de Turin ou de Berlin en entendant sans cesse proclamer les droits des étrangers; il suppliait qu’en France on fût Français, alors qu’en Allemagne et en Italie on l’était si peu; il déclarait qu’avec de pareilles idées on désarmait notre politique, on déchirait notre histoire, et que c’était de la duperie, de la sottise de laisser faire ce qui était contraire à nos intérêts. « Nous n’avons plus de politique, s’écriait-il, nous en avions une mauvaise, il est vrai, lorsque nous nous faisions les propagateurs des idées fausses des nationalités qui nous ont mis dans la situation où nous sommes ; maintenant nous n’en avons plus. On parle d’une conférence; mais, avant de se réunir, l’Europe entière vous demande : Que voulez-vous? Nous avons tous les droits vis-à-vis de l’Italie, ajoutait M. Thiers : Nous l’avons faite, nous lui avons permis de renverser les princes italiens, nous n’avons fait de réserve que pour un seul, et nous en avions le droit. Je ne vous dis pas qu’il faut détruire l’unité italienne, non ; la faute est commise ; mais, confiant dans la puissance de la franchise, je dirais à l’Italie : Dans aucun cas, je ne vous abandonnerai le pape. Vous n’aurez Rome dans aucun cas, ni par les moyens moraux ni par les moyens immoraux. J’ai compromis mes intérêts en vous permettant de vous unir à la Prusse, je vous ai permis de douter de ma loyauté en vous livrant les états italiens, je ne peux pas vous livrer ma considération politique. »

Avant de descendre de la tribune, M. Thiers, dans une écrasante et pathétique péroraison, dressait le bilan de la politique extérieure de l’empire ; il la montrait en rupture avec les traditions de notre histoire, compromettant le drapeau de la France et sacrifiant les intérêts qu’elle aurait dû défendre. « Nous avons retiré nos troupes du Mexique, disait-il, nous laissons consommer en Allemagne une révolution redoutable contre nous, et aujourd’hui nous abandonnons à l’Italie l’état pontifical. Quoi! la France si puissante, si fière, abandonnerait ainsi toutes les positions que son honneur lui commande de conserver ! »

Le gouvernement de l’empereur avait conscience de ses erreurs. Les difficultés dans lesquelles il se débattait, après de fugitives années de prépondérance, ne lui montraient que trop les conséquences de la politique des nationalités : ses blessures étaient saignantes, et M. Thiers les mettait à nu pour les envenimer. Il l’accablait de ses sarcasmes et lui demandait un acte de suicide en le poussant indirectement à défaire l’Italie, qui était son œuvre de prédilection. Il irritait les passions et provoquait le gouvernement à des déclarations irréfléchies. Sans doute, il était dans son droit; ses reproches étaient fondées et ses argumens pour la plupart irréfutables, mais était-ce l’heure de soulever des tempêtes et d’attiser les haines au-delà des Alpes? Était-il sage de provoquer l’Allemagne et l’Italie et d’affaiblir en même temps le pouvoir ? Était-il logique de signaler le danger et de refuser au gouvernement le moyen d’y parer? « Il faut servir son pays en comptant avec les circonstances, disait un jour le comte de Bismarck ; il ne faut pas imposer à la patrie ses désirs ses préférences[8]. » Combien le patriotisme de M. Thiers eût été plus grand si, après avoir révélé les fautes et signalé le danger, avait, en renonçant à ses désirs et à ses préférences, supplié chambres d’abjurer tout esprit de parti, tant que la France ne serait pas en état de pourvoir à sa sécurité et de défendre son rang dans le monde contre d’ambitieux desseins !

M. Rouher, obéissant aux sommations de M. Thiers, se précipita à la tribune, pâle, décontenancé : son discours allait donner le coup de grâce à la conférence ; la chambre était frémissante, la majorité indécise ; le ministre d’état ne se préoccupa que des moyens de la rallier au gouvernement. M. Rouher, malgré sa puissante intelligence et sa merveilleuse faculté d’assimilation, avait peine à se retrouver dans les trames enchevêtrées de la politique extérieure. Il n’avait pas séjourné à l’étranger, il ne parlait que sa langue, il lui manquait le sens européen. Il avait défendu la cause de l’Italie au mois de juillet 1866, dans les conseils de la couronne, contre M. Drouyn de Lhuys, lorsqu’il ne fallait se préoccuper que de l’intérêt français ; il plaidait aujourd’hui la cause du pape quand il aurait fallu ménager l’Italie et tâcher atout prix de sortir honorablement de Rome. Il prenait le contre-pied du ministre des affaires étrangères et, dans un entraînement oratoire, renversait son échafaudage diplomatique ; il tirait le gouvernement de son impartialité religieuse et lui fermait toutes les issues qui pouvaient mener à une transaction. Son attitude était d’autant plus étrange que, dans le courant d’octobre, il avait, contrairement à notre politique officielle, accepté, dans un entretien avec M. Nigra, la coopération militaire de l’Italie au rétablissement de l’ordre dans les états romains[9].

« Les troupes françaises resteront à Rome, disait M. Rouher, tant que la sécurité du pape rendra leur présence nécessaire ; si l’Italie marchait contre Rome, elle trouverait de nouveau la France sur son chemin. Nous demanderons l’énergique application de la convention du 15 septembre, et si cette convention ne rencontre pas dans l’avenir son efficacité, nous y suppléerons nous-mêmes.

« On dit : « Le pape a besoin de Rome, et l’Italie prétend ne pas pouvoir s’en passer ; nous répondrons à ce dilemme en déclarant que l’Italie ne s’emparera pas de Rome. Jamais la France ne supportera une telle violence faite à son honneur, à sa dignité. »

Pour motiver ses déclarations, il montrait dans la tentative de Garibaldi contre Rome la première explosion d’une vaste conjuration révolutionnaire, à la fois religieuse et politique, qui, préparée à Genève, au soi-disant congrès de la paix, devait éclater d’abord dans les états romains pour se répercuter à Florence et à Paris.

Rappelé à la tribune par une perfide interpellation sur la portée de l’engagement qu’il venait de prendre, il aggrava ses déclarations en disant avec une netteté sans précédent dans les annales parlementaires : « Lorsque j’ai parlé de la capitale du territoire actuel, j’ai compris, dans la défense du pouvoir temporel du pape, le territoire actuel dans toute son intégrité. » — « Ce sont d’ineffaçables paroles ! » s’écria M. Berryer en prenant acte du commentaire que le ministre d’état venait de donner si imprudemment à son discours.

Il est des mots que les diplomates s’appliquent à bannir de leur langage: ce sont ceux qui engagent l’avenir. « l’avenir n’est à personne, l’avenir est à Dieu, » a dit le poète. M. Rouher pouvait-il savoir que jamais Rome ne serait à l’Italie? Le congrès de Vienne n’avait-il pas à jamais prononcé la déchéance des Bonaparte, et Napoléon III ne régnait-il pas aux Tuileries?

M. Rouher avait tiré plus haut qu’il ne visait. Pour éviter une interpellation incommode et prévenir un vote hostile, il avait commis une suprême imprudence, il avait brûlé ses vaisseaux ! Grisé par de frénétiques applaudissemens, il se croyait, en regagnant son banc, maître de la majorité, et il était son prisonnier : « Ce n’est pas le gouvernement, disait-on, qui tient la chambre, c’est la chambre qui tient le gouvernement. » A vrai dire, c’était M. Thiers qui triomphait ; il aurait dû prendre la place du ministre d’état et diriger, dans les conseils de l’empereur, notre politique extérieure.

Les trames de notre diplomatie étaient déchirées. La conférence était à vau-l’eau, elle n’avait plus de raison d’être ; pourquoi les puissances se seraient-elles préoccupées du sort de la papauté du moment que la France se chargeait de maintenir le pouvoir temporel et de tenir l’Italie à la distance de son épée ! Après le jamais de Rouher, Pie IX était maître de la politique française ; nous étions obligés de le défendre toutes les fois qu’on l’attaquerait ; le temps, le lieu, les circonstances ne nous appartenaient plus. La situation était nouvelle dans notre histoire : « l’empire clérical est fait, disaient les journaux libéraux. Il faut remonter jusqu’à Louis le Débonnaire pour retrouver une pareille prosternation devant le pape. Saint Louis et Louis XIV s’étaient bien gardés de contracter une de obligations absolues sans limite et sans échéance ; ils se préoccupaient moins de l’intégrité du pouvoir temporel que de leur indépendance vis-à-vis de l’église. »

La presse ultramontaine triomphait, elle ne dissimulait plus ses arrière-pensées. « Il ne suffit pas de garantir au pape son territoire actuel, disait M. Veuillot, il ne suffit pas de déclarer que nos chassepots sont au service du pouvoir temporel, il faut sur-le-champ que la France somme l’Italie de restituer au saint-père Ancône et Bologne : ou le maintien du pape ou la chute de l’Italie.» M. de Riancey, dans l’Union, allait encore plus loin : «Il faut que la leçon nous profite, s’écriait-il. La France a dans l’Italie une ennemie aujourd’hui peu redoutable, mais venimeuse. Seule, elle est impuissante, qu’on ne lui laisse pas le temps de devenir dangereuse par ses intrigues et par ses marchés avec nos rivaux. »

A l’heure même où le jamais du ministre d’état, comme un Quos ego, retentissait au corps législatif, le général Menabrea, par un étrange contraste, affirmait les droits de l’Italie sur Rome au parlement de Florence.

Le contre-coup des déclarations parties de la tribune française n’en fut que plus vif au-delà des Alpes. L’Italie fut étourdie, atterrée par les imprécations que sa politique avait soulevées au Palais-Bourbon ; elle était loin de s’attendre à des injonctions aussi catégoriques; elle y vit, à juste titre, une menace pour ses destinées; elle ne les releva pas sur l’heure ; elle comprima son émotion ; elle sut dompter ses colères ; la domination étrangère lui avait enseigné la prudence, l’art de dissimuler ses ressentimens; elle savait ronger son frein et guetter la vengeance. Ses hommes politiques lui prêchèrent le silence, le recueillement. Ils estimaient qu’il fallait laisser passer l’orage et non provoquer la foudre. Ils savaient qu’en France les tempêtes se déchaînent et s’apaisent avec une égale rapidité, que les haines et les amours n’y ont pas de lendemain. Ils comptaient, avant tout, sur Napoléon III, persuadés qu’il réagirait contre les doctrines de M. Thiers. Ils n’avaient pas tort ; déjà le cabinet de Florence avait appris que l’empereur était sincèrement affligé et le prince Napoléon profondément courroucé des blessures faites aux sentimens italiens dans la séance tumultueuse du 5 décembre. L’Italie n’avait plus rien à craindre, elle était débarrassée de la conférence, elle n’était plus qu’en face des Tuileries, et elle savait s’y prendre pour les paralyser. Le parlement de Florence pouvait sans crainte relever le gant, prendre sa revanche et protester contre le veto si violemment notifié aux aspirations italiennes. M. Sella donna le signal de la résistance à la politique française, il demanda qu’on répondît au jamais du ministre d’état par le renouvellement solennel du vote du 27 mars 1861, qui proclamait « Rome capitale. » La motion était puérile, car elle était dépourvue de sanction ; elle fut repoussée, combattue par le ministère, mais, formulée à la tribune et bruyamment applaudie, elle n’était pas moins un défi jeté à la France.

Rome, qui à vrai dire n’avait été pour l’Italie qu’une affaire de sentiment, devenait pour elle une question d’honneur, une nécessité politique et stratégique. La ville éternelle acquérait à ses yeux un nouveau prestige, plus que jamais elle prenait l’attrait du fruit défendu. Quelles que fussent désormais la conciliation de Napoléon III et la prudence de Victor-Emmanuel, l’heure devait arriver fatalement où l’Italie, au mépris de ses engagemens et des droits imprescriptibles de la reconnaissance, dès le premier heurt entre la France et l’Allemagne, se jetterait sur Rome.

La politique a d’affligeans retours, elle relève ceux qu’elle a justement renversés, elle se détourne de ceux qui l’ont bien servie ; si elle ne déconcerte pas les philosophes, elle déroute et contriste les patriotes. M. Rattazzi, qui, par ses fautes, avait mis l’Italie à deux doigts de sa perte, reparaissait sur la scène parlementaire la tête haute, comme un triomphateur. D’accusé, il devenait accusateur, il s’attaquait au ministère qui avait eu le courage de se charger de sa désastreuse liquidation ; il s’en prenait à tout le monde, excepté à lui-même, pour justifier ses fautes et ses perfidies. Il se retournait surtout contre la France, il taxait d’odieux le langage de M. de Moustier et de M. Rouher, qui s’étaient permis, preuves en mains, de révéler et de flétrir ses connivences avec la révolution. Il sommait le gouvernement de protester contre les paroles outrageantes qui, à la tribune française, prétendait-il, avaient été proférées contre l’Italie et son roi.

Le général Menabrea n’avait pas attendu la mise en demeure de M. Rattazzi pour demander des explications au cabinet des Tuileries. « Déjà, disait-il, le gouvernement du roi a reçu du gouvernement impérial l’assurance qu’il tenait sur toutes choses au rétablissement de ses bons rapports avec l’Italie. » C’était dire d’une façon polie, mais triomphante, que la politique française battait en retraite. La modération avait, en effet, repris le dessus à Paris. La volonté de l’empereur avait prévalu ; il n’était plus question de défaire l’Italie ; on s’efforçait au contraire de se réconcilier avec elle et de lui faire oublier d’imprudentes, mais de fières paroles. M. Rouher faisait les frais de la réconciliation, il était désavoué sans l’être ; on disait qu’on s’était mépris sur le sens de son discours, que le jamais n’avait pas la portée qu’on lui prêtait, que la France n’entendait pas s’opposer à l’expansion nationale et légitime de l’Italie ; qu’elle entendait uniquement s’opposer au renouvellement d’une invasion violente des états romains.

Ces explications ne suffisaient pas au gouvernement italien ; il réclamait un désaveu formel, écrit. M. de Malaret réagissait contre ces prétentions, il les tenait pour inadmissibles ; il trouvait qu’un désaveu officiel serait un acte de faiblesse qui, loin de nous ramener l’Italie, la rendrait plus intraitable. Il ne le dissimulait pas dans ses correspondances. « Les hommes d’état italiens, que nous avons habitués à une bienveillance démesurée, disait-il, ont de la peine à se persuader que leur politique ne figure pas en première ligne dans nos préoccupations. L’idée ne leur vient pas que l’empereur a à tenir compte de l’opinion qui se manifeste en France. Ils ont à cet égard des étonnemens voisins de la naïveté. Ils s’imaginaient, avant notre intervention, que la France était effrayée des conséquences d’une seconde expédition, qu’elle voulait se soustraire aux embarras d’une occupation prolongée et qu’elle se trouvait dans une certaine mesure à la discrétion de l’Italie. L’événement les a détrompés et le discours de M. Rouher a brusquement dissipé leurs dernières illusions. On a été stupéfait d’entendre un ministre de l’empereur affirmer hautement nos droits. On voudrait aujourd’hui, qu’on nous voit concilians, prouver au parlement, par la communication d’une dépêche du gouvernement français, que le ministère par son énergie nous a fait reculer et a obtenu une éclatante satisfaction. »

Les exigences de l’Italie croissaient en raison de nos faiblesses. Le cabinet de Florence profitait de ses avantages ; il publiait, malgré nos protestations, la correspondance échangée avec M. Rattazzi au sujet de la légion d’Antibes, qui découvrait un côté vulnérable de notre politique; il nous voyait ébranlés et comme effrayés d’un accès de véhémente énergie, il aurait voulu nous imposer une rétractation écrite. C’était trop demander.

La situation était renversée, il semblait que la France eût aujourd’hui tous les torts. On avait mis sa patience aux plus rudes épreuves, méconnu toutes les promesses et déchiré tous les traités, M. Rattazzi avait sollicité l’intervention militaire de la Prusse; la révolution italienne venimeuse, vindicative, nous abreuvait d’outrages ; ses sicaires menaçaient journellement la vie de l’empereur et on nous enjoignait de répudier notre politique, de violenter notre conscience et de faire publiquement amende honorable. On croyait rêver! On se demandait si Solférino, si tous les sacrifices que nous avions faits depuis cinquante ans pour frayer fraternellement le chemin à l’unité italienne n’étaient pas une légende !

Le gouvernement de l’empereur en accourant au secours du pape, sans se préoccuper d’un conflit avec l’Italie et d’une intervention de l’Allemagne, avait risqué beaucoup ; il avait déployé une énergie disproportionnée avec les résultats qu’il avait atteints ; il se trouvait au lendemain de sa campagne militaire et diplomatique, en face des mêmes difficultés, condamné à une occupation nouvelle, indéfinie, des états romains qui, jusqu’à sa chute, devait peser sur sa politique. Il avait préservé momentanément la souveraineté temporelle contre un coup de force, mais rien ne disait que la France serait toujours en état de la sauver d’une mort violente, et à plus forte raison d’une fatale décomposition.

L’Italie, plus sage, moins impatiente, aurait pu attendre de l’avenir ce que le présent lui refusait et laisser Rome venir à elle attirée par la communauté d’origine et de sentimens, par la juxtaposition géographique, par la fusion des intérêts matériels. C’était le conseil que lui adressait son grand ministre du haut de la tribune du parlement de Turin, à la veille de sa mort, dans la séance du 26 mars 1861. Pour aller à Rome, disait-il, il faut s’entendre avec la France. Nous irions à Rome, sans affecter l’indépendance de la papauté, que même dans ce cas nous ne pourrions y aller malgré la France. Si nous pouvions le faire matériellement, sans qu’elle pût s’y opposer, nous devrions encore respecter sa volonté. Les bienfaits que nous avons reçus de la France nous font une loi de ne pas agir contre sa volonté. On me dira que nous n’atteindrons pas notre but ; mais, si nous pouvons assurer l’indépendance du pape, la France ne fera pas d’opposition.

L’Italie, au lieu de respecter le testament de l’homme d’état qui avait présidé à son relèvement, a préféré profiter des désastres de la France, qui lui avait donné l’essor, pour pénétrer dans Rome par la brèche ensanglantée de la Porta Pia.

L’attitude du comte de Bismarck se modifia subitement au lendemain des déclarations du gouvernement impérial au corps législatif; il était garanti désormais contre tout retour à l’alliance de 1859. Il n’avait plus de motifs pour contre-carrer la conférence, elle était mortellement atteinte par le jamais de M. Rouher, son intérêt lui commandait maintenant de nous faire oublier son mauvais vouloir.

« Je ne saurais dire, écrivait M. Benedetti, combien M. de Bismarck se montre aujourd’hui affable, courtois, et combien sa parole diffère du langage qu’il me tenait hier encore. Son but est atteint, il n’a plus à craindre le rétablissement de notre intimité avec l’Italie, dont il se réserve l’alliance ; il est certain que notre liberté d’action restera entravée. »

Les évolutions du comte de Bismarck étaient soudaines, déconcertantes.


G. ROTHAN.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 janvier, 1er février, 15 mars, 15 avril, 1er et 15 mai, et 1er novembre.
  2. « La paix, que nous voulons tous, a semblé un instant en péril. Les agitations révolutionnaires, préparées au grand jour, menaçaient les états pontificaux. La convention du 15 septembre n’étant pas exécutée, j’ai dû envoyer de nouveau nos troupes à Rome et protéger le pouvoir du saint-siège en repoussant les envahisseurs. Notre conduite ne pouvait avoir rien d’hostile à l’indépendance de l’Italie, et cette nation, un instant surprise, n’a pas tardé à comprendre le danger que les manifestations révolutionnaires faisaient courir au principe monarchique. Le calme est aujourd’hui rétabli dans les états du pape, et nous pouvons calculer l’époque prochaine du rapatriement de notre corps expéditionnaire. Pour nous, la convention du 15 septembre existe tant qu’elle n’est pas remplacée par un nouvel acte international. Les rapports de l’Italie avec le saint-siège intéressent l’Europe entière, et nous avons proposé aux puissances de régler les rapports dans une conférence et de prévenir ainsi de nouvelles complications. »
  3. Dépêche d’Allemagne. 12 novembre 1867. — « Il serait difficile de pressentir exactement la réponse que le cabinet de Berlin fera à notre invitation. Ses journaux ne se sont pas montrés jusqu’ici fort sympathiques à l’idée d’une conférence, et le langage qu’ils persistent à tenir autorise à croire que notre démarche embarrasse le gouvernement prussien. Il lui en coûte évidemment de sortir de la réserve dans laquelle il s’est retranché dès l’envahissement du territoire pontifical. Il ne saurait s’exposer cependant à abandonner à la Bavière, si elle devait répondre à notre appel, le privilège de plaider la cause des catholiques allemands au sein du congrès. Il est difficile aussi de croire qu’il ne soit pas impressionné par le pétitionnement en faveur du pape, qui semble tout à coup vouloir se généraliser. Les journaux de ce matin nous apprennent en effet qu’une grande manifestation catholique vient d’avoir lieu à Cologne; des orateurs ont proposé, devant une nombreuse assemblée populaire, de demander au roi, par voie de pétitionnement, de sauvegarder les droits de ses 10 millions de sujets catholiques; une adresse suppliant Sa Majesté d’appuyer de son influence la liberté et l’indépendance du trône pontifical a été adoptée à l’unanimité: il a été arrêté aussi qu’on ferait signer cette adresse par toute la population catholique des provinces rhénanes avec l’espoir que l’exemple serait suivi dans toute l’Allemagne. Le gouvernement prussien, toujours si soucieux d’éviter toute contestation avec ses sujets catholiques, ne saurait rester indiffèrent devant de pareilles manifestations. Mais il est probable qu’avant de se prononcer il cherchera à se concerter avec le cabinet anglais et le cabinet de Saint-Pétersbourg et à connaître la réponse qu’ils comptent faire à nos ouvertures. M. de Bismarck, si je suis bien renseigné, n’admettrait pas, dans les instructions, très bienveillantes, d’ailleurs, pour les intérêts du saint-père, qu’il a adressées à ses agens, une connexité indissoluble entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, et n’ayant pas à s’ingérer dans les négociations ouvertes entre la France et l’Italie, il serait décidé à ne faire, en ce qui le concerne, aucune démarche en faveur de la consolidation de la souveraineté territoriale de la cour de Rome.
  4. M. Benedetti, Ma Mission en Prusse; Plon, 1871.
  5. Dépêche d’Allemagne, le 6 nov. 1867. — «M. de Dalwigk, violemment interpellé par M. de Wentzel, a dû faire publiquement amende honorable devant les injonctions du cabinet de Berlin; il a promis de subordonner ses résolutions, en ce qui concerne la conférence, à celles de la Prusse et il est allé jusqu’à déclarer dans la Gazette de Darmstadt, que toujours fidèle à ses obligations fédérales, il n’avait jamais aspiré à obtenir la faveur, ni l’alliance de l’étranger. Le ministre dirigeant de Hesse a donc fait une campagne fâcheuse ; il a été mal inspiré ou mal conseillé, en ne tenant aucun compte, ne serait-ce que dans la forme, des liens qui l’attachent à la Confédération du nord. Nous n’aurions pas à nous arrêter à cet incident sans la dépêche du comte de Bismarck, écrite, d’après les journaux prussiens, autant à l’adresse de la cour grand-ducale que du gouvernement français. D’après eux, le chancelier fédéral aurait fait d’une pierre deux coups : il aurait rappelé au sentiment de sa sujétion un confédéré récalcitrant et, en même temps, il aurait imposé à l’étranger le respect de la Confédération du Nord, dont il est le seul représentant. »
  6. Le prince de Schwarzenberg disait, en faisant allusion aux services que l’empereur Nicolas avait rendus à la monarchie autrichienne en la sauvant de la révolution : « Nous étonnerons un jour l’Europe par notre ingratitude. »
  7. M. Benedetti, Ma Mission en Prusse.
  8. Maurice Busch.
  9. Livre vert. — Dépêche de M. Nigra du 15 octobre 1867.