Les Règles de l’éducation des enfants/Préface

Estienne Michallet (Tome Ip. 15-22).


PREFACE


COmme nous ne sommes pas à nous-mêmes, Mon cher Lecteur, mais à Dieu & à son Eglise ; chacun doit tâcher de la servir dans son état, & selon les dons qu’il a reçûs du Ciel.

Il n’appartient qu’aux grands genies, comme parle S. Jerôme[1], d’offrir de l’or, de l’argent, & des pierres précieuses pour l’ornement du Tabernacle : & c’est un grand bonheur pour les autres de pouvoir au moins presenter des poils de chévres & des peaux pour le couvrir.

La divine Providence m’ayant engagé dés ma jeunesse à l’éducation de quelques enfans de qualité ; je me crûs obligé, pour apprendre les plus essentiels de mes devoirs, de lire avec assez d’application la pluspart des livres qui avoient été faits sur la maniére dont il se faut conduire en ces fortes d’emplois ; & j’en fis des extraits & des remarques pour mon usage particulier.

Je vous les presente icy, Mon cher Lecteur ; & je fais ce que les Historiens[2] rapportent que fit autrefois un des plus grands Capitaines de la Gréce[3], lequel ne pouvant dire de bouche aux Ioniens plusieurs choses qu’il jugeoit leur estre utiles, s’avisa de les faire graver sur un rocher, devant lequel il présumoit qu’ils passeroient. Je mets, dis je, icy sur le papier ces remarques & ces observations, qu’une assez longue experience m’a fait faire, & que je présume pouvoir estre utiles au moins à quelques-uns de ceux qui entrent en de pareils engagemens, si ce Livre vient à leur tomber entre les mains ; & à l’imitation des Pilotes, qui retournent des grands voyages qu’ils ont faits dans les païs éloignez, je montre icy les routes que j’ay suivies, & les écueils qu’il faut éviter, pour arriver heureusement au port d’une veritable érudition, auquel doivent tendre les études.

Je sçay bien, Mon cher Lecteur, que plusieurs habiles gens ont déja traité ce même sujet ; mais comme il est d’une tres vaste étenduë, l’on peut s’y prendre de si differentes maniéres, qu’on ne s’y rencontre presque point.

Pour moy, j’ay crû devoir descendre à un grand détail, pour rendre ce Livre utile à tout le monde.

Il pourra servir aux parens comme de miroir, pour leur faire remarquer les fautes qu’ils font assez souvent dans leur conduite.

Les Enfans y apprendront quelles font leurs principales obligations envers Dieu, envers eux-mêmes, & envers le prochain.

Les Precepteurs y verront quelle est l’étenduë de leurs devoirs ; & de quelle maniére ils doivent s’y prendre ; non seulement pour avancer dans les belles Lettres ceux qui sont confiez à leurs soins ; mais aussi pour leur inspirer une solide pieté, & les former dans la politesse.

Enfin, j’espere que toutes sortes de personnes y trouveront des maximes tres-salutaires, que j’ay tirées des saintes Ecritures, & des Peres de l’Eglise ; & principalement de S. Augustin, de S. Jean Chrysostome, de S. Gregoire, & de S. Bernard.

Et pource qui regarde les belles Lettres, j’ay pris dans Ciceron, Quintilien, & Plutarque, qu’on sçait être les plus judicieux Auteurs de l’Antiquité, ce que j’ay cru pouvoir servir à mon sujet.

L’autorité d’Erasme & de Vivés, dont je me suis quelquefois servi, m’a paru devoir être d’autant plus recevable en ces sortes de matieres, qu’on sçait qu’ils y ont passé pour les plus habiles gens de leur siécle.

Si j’ay quelquefois confondu le nom de Maîtres & de Precepteurs, il n’est pas malaisé de distinguer ce qui est propre à celuy qui n’a que deux ou trois Enfans à conduire, d’avec celuy qui en a quarante ou cinquante.

Quand je parle aussi de certaines choses qui ne conviennent qu’à des personnes déja mariées ; l’on voit bien que des enfans ne demeurent pas toûjours dans la foiblesse de cét âge ; & que c’est dans la jeunesse qu’il leur faut donner les instructions qui doivent servit comme de base & de fondement à la conduite de toute leur vie.

Rien n’est si different que les goûts des hommes ; & il est impossible de plaire à tous en même temps. Quelques-uns ont souhaité que je misse icy plus de passages Latins que je pourrois, parce qu’ils servent le plus souvent de preuve à ce que j’avance. Cela déplaist aux autres, parce que la suite du discours en est interrompuë. Pour satisfaire tout le monde, j’ay presque toûjours mis ou la Traduction entiere, ou du moins le sens des passages Latins que je cite, que ceux qui n’entendent pas cette langue, peuvent passer.

Au reste, Mon cher Lecteur, si faute de lumiere ou d’exactitude, j’ay avancé quelque chose qui merite la censure de ceux qui sont plus clairvoyans que moy, je n’auray, par la grace de Dieu, aucune peine, ou de corriger ce que je n’auray pas dû dire, ou ce que je n’auray pas dit en la maniére qu’on l’auroit souhaité ; & je me croiray toûjours tres-obligé à ceux qui auront la bonté de me donner sur cela leurs avis. Je sçay bien que tout ce qui part de la main ou de l’esprit des hommes, porte toûjours des marques de sa foiblesse ; & je suis trop convaincu de la mienne, pour en pouvoir douter, ou pour en estre surpris.

Il ne me reste donc plus, Mon cher Lecteur, si vous me sçavez quelque gré de ce petit travail qu’à vous demander part en vos prieres ; pouvant dire avec bien plus de raison, que n’en avoit le Grand S. Gregoire[4] : Perfectum depinxi hominem pastor fœdus ; aliosque ad perfectionis littus dirigo, qui adhuc in delictorum fluctibus versor.

  1. Hier, in Prologo Galeato.
  2. Herodote, l. 3. Justin, l. 2.
  3. Themistocle.
  4. In fine Pastor.