Les Quatre livres/L’Invariable milieu

(attribué à)
Traduction par Séraphin Couvreur.
Imprimerie de la mission catholique (p. 27-67).


TCHOUNG IOUNG


L’INVARIABLE MILIEU
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Avertissement de Tchou Hi.


Mon maître Tch’eng tzeu dit : « On appelle milieu ce qui n’incline d’aucun côté, et constant ce qui ne change pas. Le milieu est la voie droite pour tous les êtres, et la constance est la loi invariable qui les régit. Ce traité contient les enseignements moraux donnés de vive voix par Confucius, et transmis par son école. Tzeu seu, craignant qu’avec le temps l’erreur ne s’y mêlât, les a consignés par écrit. Ils sont ainsi parvenus à Meng tzeu. Tzeu seu est le prénom de K’oung Ki, fils de Pe iu et petit-fils de Confucius. Il eut pour maître Tseng Tzeu. L’auteur, au commencement, parle d’un principe unique ; dans le corps de son livre, il le développe et traite de tous les êtres ; à la fin, il ramène tout à ce principe unique. Quand il le développe, il embrasse tout l’univers ; quand il se renferme dans des considérations générales, il se plonge dans les mystères les plus profonds. La saveur de sa doctrine est inépuisable ; dans tout le livre, cette doctrine est solide. Le lecteur intelligent la médite, cherche à la comprendre ; et, quand il y est parvenu, il la met en pratique toute sa vie ; elle est un trésor inépuisable.


1. La loi que le Ciel a mise dans le cœur de l’homme s’appelle la loi naturelle. L’observation de la loi naturelle s’appelle la voie (ou la règle de nos actions). Réparer la voie (ou remettre en lumière dans le cœur des hommes la règle des actions que les passions ont obscurcie) cela s’appelle enseigner. Il n’est jamais permis de s’écarter de la règle de nos actions, même un instant ; s’il était permis de s’en écarter, elle ne serait plus règle. Pour cette raison, le sage prend garde et fait attention, même quand il ne voit rien qui réclame sa vigilance ; il craint et tremble, même quand il n’entend rien qui doive l’effrayer. Pour lui, rien n’apparaît plus à découvert que les secrets replis de son cœur ; et rien n’est plus manifeste que les plus petits indices. Aussi veille t il avec soin sur ce que lui seul connaît (sur ses pensées et ses sentiments les plus intimes).

Quand il ne s’élève dans l’âme aucun sentiment de joie, de colère, de tristesse ou de plaisir, on dit qu’elle est en équilibre (parce qu'elle n'incline d'aucun côté). Quand ces sentiments naissent dans l’âme sans dépasser la juste mesure, on dit qu’ils sont en harmonie. L’équilibre est le point de départ de toutes les transformations et de tous les changements qui s’opèrent dans l’univers. L’harmonie est la loi générale de tout ce qui se fait dans l’univers. Quand l’équilibre et l’harmonie atteignent leur plus haut degré, chaque chose est à sa place dans le ciel et sur la terre ; tous les êtres se propagent et se développent heureusement.

Dans ce premier article, Tzeu seu exprime les idées qu’il a reçues (des disciples de Confucius) et qui feront la base de son livre. Il montre d’abord que la loi naturelle a son fondement dans le ciel et est immuable ; qu’elle est tout entière en chacun de nous, et qu’il n’est jamais permis de s’en écarter. Il enseigne ensuite la nécessité d’en conserver et d’en entretenir la connaissance, et de nous examiner nous même. Enfin il parle de cette influence méritoire et toute puissante de l’homme qui, doué de la plus haute sagesse, transforme tout l’univers. Il désire que le disciple de la sagesse cherche en lui-même et trouve par lui-même ces vérités, afin qu’il repousse les mauvaises impressions faites sur lui par les objets extérieurs, et rende parfaites ses vertus naturelles. Ce premier article est ce que Iang tzeu appelle la substance et le résumé de tout l’ouvrage. Dans les dix articles qui vont suivre, Tzeu seu cite les paroles du Maître, pour compléter la doctrine du premier article. (Tchou Hi).


2. Confucius dit : L’homme vertueux reste dans l’invariable milieu ; celui qui n’est pas vertueux s’en écarte. (Tchoung, qui n'est ni oblique ni incliné, et atteint la limite sans la dépasser. Ioung, ordinaire et constant). Pour ce qui concerne l’invariable milieu, l’homme vertueux ne s’en écarte jamais, parce qu’il est vertueux ; celui qui n’est pas vertueux n’évite et ne craint rien, parce qu’il est vicieux. »

3. Confucius dit : « Se tenir dans l’invariable milieu, oh ! c’est la plus haute perfection ! Peu d’hommes sont capables de la garder longtemps. »

4. Confucius dit : « La voie de la vertu n’est pas suivie ; je le sais. Les hommes intelligents et éclairés vont au delà, et les ignorants restent en deçà. La voie de la vertu n’est pas bien connue ; je le sais. Les sages veulent trop faire, et les hommes vicieux, pas assez. C’est ainsi que tout homme boit et mange, et peu savent juger des saveurs !. »

5. Confucius dit : « Hélas ! la voie de la vertu n’est pas suivie ! »

6. Confucius dit : « Que Chouenn était prudent ! Il aimait à interroger ; il aimait à peser toutes les propositions qu’il entendait, même les plus simples. Il taisait ce qu’elles avaient de faux, et publiait ce qu’elles avaient de bon. Dans les bons avis, il considérait les deux extrêmes et choisissait le milieu pour s’en servir à l’égard du peuple. Oh ! c’est par ce moyen qu’il est devenu le grand Chouenn ! »

7. Confucius dit : « Chacun se vante d’être habile en affaires. On court précipitamment ; et l’on tombe au milieu des filets, des pièges, et des fosses, à la manière des animaux sauvages ; personne ne sait échapper. De même, chacun dit : je connais parfaitement la voie de la vertu. On sait trouver l’invariable milieu ; mais on n’y peut persévérer l’espace d’un mois. »

8. Confucius dit : « Houei était homme à trouver et à tenir l’invariable milieu en toute occurrence. Dès qu’il avait connu une vertu, il la pratiquait avec énergie, la faisait pénétrer au fond de son cœur, et ne la laissait plus échapper. » Houei, nommé Ien Iuen, était disciple de Confucius.

9. Confucius dit : « Un homme peut être assez sage pour gouverner l’empire et des principautés, assez désintéressé pour refuser des dignités avec leurs revenus, assez courageux pour marcher sur des épées nues, et n’être pas capable de se tenir dans l’invariable milieu. »

10. Tzeu lou (ou Tchoung Iou, disciple de Confucius) ayant demandé à Confucius en quoi consiste la force d’âme, le Philosophe répondit : « Parlez vous de celle des habitants du midi ou des habitants du nord, ou bien de celle que vous, vous devez acquérir (vous, disciple de la sagesse) ? Enseigner avec indulgence et douceur, ne pas se venger des injustices, c’est la force d’âme des habitants du midi. Le sage la pratique constamment. Prendre son repos tout armé, donner sa vie sans regret, c’est la force d’âme des habitants du nord. Les braves (les soldats et les autres) la pratiquent. Le sage est accommodant ; mais il ne s’abandonne pas au courant (des passions humaines). Que sa fermeté est courageuse ! Il se tient dans le juste milieu, sans incliner d’aucun côté. Que sa fermeté est courageuse ! Si le gouvernement est bien réglé, (il accepte une charge, mais) dans la vie publique il est le même que dans la vie privée. Que sa fermeté est courageuse ! Si le gouvernement est mal réglé, il reste toujours le même jusqu’à la mort. Que sa fermeté est courageuse ! »

11. Confucius dit : « Scruter les secrets les plus impénétrables, faire des choses extraordinaires, pour être loué dans les siècles à venir, c’est ce que je ne veux pas. (la lettre sôn, d'après les annales de Han, doit être remplacée par souô). Le sage marche dans la voie de la vertu. Rester à moitié chemin, c’est ce que je ne puis faire. Le sage s’attache à l’invariable milieu. Si, fuyant le monde, il demeure inconnu, il n’en éprouve aucun regret. Le sage est seul capable d’arriver à cette perfection. »

12. La règle des actions du sage est d’un usage très étendu (elle s'applique à tout), et cependant elle reste en partie cachée. Les personnes les plus ignorantes, hommes ou femmes, peuvent arriver à la connaître ; mais les plus grands sages eux mêmes ne la connaissent pas dans toute son étendue. Les personnes les moins courageuses, hommes ou femmes, peuvent entreprendre de la suivre ; mais les plus grands sages eux mêmes ne peuvent y conformer entièrement leur conduite. C’est ainsi que le ciel et la terre, malgré leur immensité, ne peuvent satisfaire pleinement les désirs des hommes, (qui se plaignent du froid, du chaud …). Quand le sage expose les grands principes de la loi naturelle, rien dans l’univers ne peut les contenir. Quand il en explique les principes particuliers, il n’est rien de plus subtil sous le ciel.

Il est dit dans le Cheu king : « L’épervier dans son vol s’élève jusqu’au ciel ; le poisson bondit au fond des abîmes. » Cela signifie que la loi naturelle se manifeste dans les régions les plus basses comme dans les plus élevées. La règle des actions du sage se trouve, quant à ses premiers principes, dans le cœur des personnes les plus vulgaires. Ses limites extrêmes atteignent celles du ciel et de la terre.

Dans ce douzième article, c’est Tzeu seu qui parle. Il y explique cette proposition du premier article, qu’« il n’est pas permis de s’écarter de la voie de la vertu ». Dans les huit articles qui vont suivre, il cite différentes paroles de Confucius à l’appui de cette doctrine.


13. Confucius dit : « La règle des actions n’est pas loin de l’homme. Si quelqu’un faisait une règle qui fût loin de l’homme, elle ne pourrait être considérée comme règle. Il est dit dans le Cheu king : « Celui qui fait un manche de hache a un modèle tout près de lui (à savoir, le manche de la hache dont il se sert). Il prend un manche (une hache munie de son manche) pour faire un autre manche. (Bien que le modèle ne soit pas loin), l’ouvrier qui le considère en tournant les yeux obliquement juge qu’il est à distance du bois destiné à la confection d’un nouveau manche. (La règle de nos actions ou la loi naturelle est encore beaucoup plus près de nous ; elle est en nous) Le sage forme l’homme par l’homme (par le moyen de la loi naturelle qui est dans le cœur de l'homme) ; il se contente de le corriger de ses défauts. Il s’applique sérieusement à la pratique de la vertu, mesure les autres avec la même mesure que lui-même, et ne s’écarte guère de la voie de la perfection. Il évite de faire aux autres ce qu’il n’aime pas que les autres lui fassent à lui-même. « Le sage observe quatre lois principales ; moi, K’iou (Confucius), je n’ai pas encore pu en observer une seule. Je n’ai pas encore pu rendre à mon père les devoirs que j’exige de mon fils, ni à mon prince les devoirs que j’exigerais de mes sujets, ni à mon frère aîné les devoirs que j’exige de mon frère puîné ; je n’ai pas encore pu faire le premier à mon ami ce que j’exige de lui à mon égard. Celui-là n’est-il pas un sage vraiment parfait, qui, dans la pratique des vertus ordinaires et dans ses conversations de chaque jour, s’efforce d’éviter jusqu’aux moindres défauts, qui craint toujours de promettre plus qu’il ne peut tenir, et fait en sorte que ses paroles répondent à ses actions, et ses actions à ses paroles ?

14. Le sage règle sa conduite d’après la condition dans laquelle il se trouve ; il ne désire rien en dehors de sa condition. Dans les richesses et les honneurs, il agit comme il convient à un homme riche et honoré. Dans la pauvreté et l’abjection, il agit comme il convient à un homme pauvre et méprisé. Au milieu des barbares de l’occident ou du septentrion, il agit comme il convient au milieu de ces barbares. Dans le malheur et la souffrance, il agit comme il convient dans le malheur et la souffrance. Partout et toujours le sage a ce qui lui suffit (à savoir, la vertu).

Dans un rang élevé, il ne vexe pas ses inférieurs ; dans un rang inférieur, il ne recherche pas la faveur des grands. Il se rend lui-même parfait, et ne demande rien à personne ; aussi ne se plaint il jamais. Il ne se plaint pas du Ciel, il n’accuse pas les hommes. Le sage ne quitte pas le chemin uni ; il attend tranquillement les dispositions de la Providence. Celui qui n’est pas vertueux court chercher fortune à travers les précipices. Confucius dit : « L’archer a un point de ressemblance avec le sage. Quand sa flèche n’atteint pas le milieu de la cible, il en cherche la cause en lui-même, (et n’accuse personne).

15. Le sage est comme le voyageur qui, pour aller loin, part du lieu le plus rapproché de lui ; comme un homme qui, voulant gravir une haute montagne, commence par le bas. Il est dit dans le Cheu king : « Votre femme et vos enfants s’accordent comme le luth et la lyre. Vos frères de tout âge vivent en bonne harmonie, et se réjouissent ensemble ; ils font régner le bon ordre dans votre famille, et comblent de joie votre femme et vos enfants. »

Confucius ajoute : « Que le père et la mère en éprouvent de contentement ! » Dans une famille, le père et la mère occupent le premier rang, ils vont au dessus et à distance des autres. La femme, les enfants, les frères de tout âge sont au second rang ; ils sont en bas, et tout près de nous. Commencer par mettre le bon accord entre la femme, les enfants et les frères, et par cette voie arriver à rendre heureux les parents, n’est ce pas aller loin en partant d’un lieu rapproché, gravir une haute montagne en partant du pied ?

16. Confucius dit : « Que l’action des esprits est puissante ! L’œil ne peut les voir, ni l’oreille les entendre. Ils sont en toutes choses, et ne peuvent en être séparés. Pour eux, dans tout l’univers, les hommes se purifient par l’abstinence, se revêtent d’habits magnifiques, et offrent des dons et des sacrifices. Ils sont partout en grand nombre ; ils se meuvent au dessus de nos têtes, à notre droite et à notre gauche. Il est dit dans le Cheu king : « L’arrivée des esprits ne peut être devinée ; beaucoup moins peut elle être comptée pour rien. Tant il est vrai que les esprits se manifestent sans se montrer aux regards, et que leur action ne peut être cachée ! »

17. Confucius dit : « Que la piété filiale de Chouenn fut remarquable ! Il fut doué de la plus haute sagesse, obtint la dignité impériale, posséda toutes les richesses comprises entre les quatre mers ; ses ancêtres ont agréé ses offrandes ; ses descendants ont perpétué sa race. (Chouenn a signalé sa piété filiale, parce que sa vertu et sa dignité ont fait honneur à ses parents, ses richesses les ont nourris, ses offrandes ont été agréables à ses ancêtres, et ses descendants ont perpétué leur race). Ainsi sa grande vertu appelait nécessairement la dignité, l’opulence, la renommée et la longévité dont il a joui. (Il vécut, dit-on, cent dix ans).

« Le Ciel, qui produit tous les êtres, donne l’accroissement à chacun d’eux d’après ses qualités particulières. Il donne ses soins à l’arbre qui est debout, et renverse celui qui est incliné. Il est dit dans le Cheu king : « Notre excellent et aimable prince brille par ses vertus. Il gouverne le peuple et dirige les ministres avec sagesse. Le Ciel le comble de biens ; il le conserve, il l’aide, il lui confie le pouvoir ; il lui renouvelle ses faveurs. Ainsi une vertu éminente obtient infailliblement l’empire. »

18. Confucius dit : « Wenn wang est le seul homme qui fut constamment heureux. Il eut pour père Wang ki et pour fils Ou wang. Il continua ce que son père avait commencé. Ou wang succéda à T’ai wang, à Wang ki et à Wenn wang. Il prit les armes une seule fois, (chassa le tyran Tcheou sin), et l’empire fut à lui. L’éclat de sa vertu brilla dans tout l’univers et ne s’obscurcit jamais. Il obtint la dignité impériale, posséda toutes les richesses comprises entre les quatre mers. Ses ancêtres agréèrent ses offrandes, et ses descendants perpétuèrent sa race.

« Ou wang parvint à l’empire dans sa vieillesse. Tcheou koung (son frère punié) acheva son œuvre et celle de son père. Remontant au passé, il donna le titre de roi à T’ai ki et à Wang ki (qui de leur vivant n'avaient pas été rois). Remontant plus haut, il fit des offrandes aux princes ses ancêtres suivant les rites réservés aux empereurs.

« Des usages semblables furent adoptés par les princes, les grands officiers, et même les lettrés et les hommes du peuple. Ainsi, quand le père était grand officier, et le fils simple lettré, le fils faisait à son père des obsèques comme les grands officiers, et des offrandes comme les lettrés. Quand le père était simple lettré, et le fils grand officier, le fils faisait à son père des obsèques comme les lettrés, et des offrandes comme les grands officiers. L’usage du deuil d’un an s’étendit jusqu’aux grands officiers. L’usage du deuil de trois ans s’étendit jusqu’à l’empereur. Le deuil d’un père ou d’une mère fut de même durée pour tous, sans distinction de rang ou de dignité. »

19. Confucius dit : « Quelle n’était pas l’étendue de la piété filiale de Ou wang et de Tcheou koung ! Ils savaient admirablement poursuivre les objets et continuer les œuvres de leurs pères. Au printemps et en automne, ils nettoyaient et préparaient la salle des ancêtres ; ils exposaient rangés en ordre les objets et les vêtements dont leurs pères s’étaient servis  ; ils leur offraient les mets et les fruits de la saison.

« (Dans les cérémonies en l’honneur des ancêtres), les parents se plaçaient à droite et à gauche, dans un ordre correspondant à celui des tablettes des défunts ; les aides principaux étaient rangés par ordre de dignité, on distinguait ainsi les différentes classes de dignitaires ; les ministres étaient rangés par ordre d’offices, on distinguait ainsi les différents degrés de capacité et de vertu. Après les offrandes, quand on versait à boire à tous les assistants, les moins élevés servaient ceux qui étaient au dessus d’eux ; c’était un honneur accordé aux moins élevés. Au festin (qui suivait), la couleur des cheveux servait à ranger les assistants par ordre d’âge.

« Occuper les mêmes places que les ancêtres, accomplir les mêmes cérémonies, exécuter les mêmes chants, respecter ceux qu’ils avaient honorés (à savoir, leurs pères), aimer ceux qu’ils avaient aimés, leur rendre les mêmes devoirs après leur mort que pendant leur vie, après qu’ils avaient disparu que quand ils étaient présents ; c’était la perfection de la piété filiale. « Par les sacrifices kiao et che on rendait hommage au Souverain Seigneur (et à la Terre). Les cérémonies usitées dans la salle des ancêtres accompagnaient les offrandes faites aux parents défunts. Si quelqu’un connaissait parfaitement les cérémonies des sacrifices kiao et che et le sens des offrandes qui se faisaient en l’honneur des ancêtres, l’une tous les cinq ans, l’autre chaque automne, il lui serait aussi facile de bien gouverner un État que de regarder la paume de sa main.

20. Ngai (prince de Lou) interrogea Confucius sur l’administration. Le philosophe répondit : « Les principes d’administration suivis par Wenn wang et Ou wang sont exposés dans les livres. Si de tels hommes existaient encore, (ainsi que leurs ministres), leur administration serait en vigueur. Ils sont morts ; et elle a péri avec eux. La vertu des hommes d’État établit vite un bon gouvernement, comme la vertu de la terre fait croître rapidement les plantations. Les bonnes institutions se développent avec la même rapidité que les joncs et les roseaux. La perfection du gouvernement dépend des ministres. Un prince attire de bons ministres par les qualités de sa personne. Il rend sa personne aimable par la vertu. Il cultive la vertu en se montrant humain. L’humanité, c’est ce qui fait l’homme ; l’amour envers les parents est le principal devoir qu’elle porte à remplir. La justice consiste à traiter chacun comme il convient ; le principal devoir qu’elle impose est d’honorer les sages. Les degrés d’affection correspondant aux divers degrés de parenté, et les degrés de respect correspondant aux divers degrés de sagesse, sont déterminés par les lois des relations mutuelles.

« Un prince sage doit donc se perfectionner lui-même. Pour se perfectionner lui-même, il doit remplir ses devoirs envers ses parents. Pour remplir ses devoirs envers ses parents, il doit connaître les hommes, (afin de savoir le degré d’affection ou de respect dû à chacun). Pour connaître les hommes, il faut qu’il connaisse le Ciel, (auteur des lois qui règlent les relations sociales).

« Les lois communes à tous les hommes sont au nombre de cinq ; trois vertus aident à les observer. Ces cinq lois générales sont celles qui régissent les relations entre le prince et le sujet, entre le père et le fils, entre le mari et la femme, entre le frère aîné et le frère puîné, entre les compagnons ou les amis. Les trois vertus nécessaires à tous les hommes sont la prudence, l’humanité et la force. Pour n’être pas stériles, elles doivent avoir une qualité commune, (être vraies, sincères).

« Parmi les hommes, les uns possèdent en naissant la connaissance des cinq grandes lois morales ; les autres la reçoivent par l’enseignement d’autrui ; d’autres l’acquièrent au prix de recherches laborieuses. De quelque manière qu’elle soit obtenue, elle est toujours la même. Les uns observent les cinq lois générales sans la moindre peine ; les autres, sans grande difficulté ; d’autres, au prix de grands efforts. Le résultat final est le même pour tous. »

Confucius dit : « Celui qui aime à apprendre, aura bientôt la vertu de prudence. Celui qui fait des efforts, aura bientôt la vertu d’humanité. Celui qui sait rougir aura bientôt la vertu de force. Savoir ces trois choses (c'est-à-dire, apprendre avec ardeur, faire des efforts, rougir de ce qui est mal), c’est savoir le moyen de se perfectionner soi-même. Savoir le moyen de se perfectionner soi-même, c’est connaître l’art de gouverner les hommes. Connaître l’art de gouverner les hommes, c’est savoir gouverner tous les peuples de l’empire.

« Quiconque gouverne l’empire doit observer neuf lois ; à savoir, il doit se perfectionner lui-même, respecter les hommes sages, chérir ses proches, honorer les grands officiers, demeurer uni de sentiments avec les officiers inférieurs, aider paternellement ses moindres sujets, attirer toute sorte d’ouvriers, accueillir avec bonté les étrangers, aimer les princes feudataires.

« S’il se perfectionne lui-même, il offrira à ses sujets un modèle de vertu en sa personne. S’il respecte les hommes sages, il ne sera jamais dans l’incertitude. S’il aime ses proches, ses parents du côté paternel, soit d’une génération antérieure, soit d’une génération postérieure à la sienne, ne seront pas mécontents. S’il honore les grands officiers, il ne commettra pas d’erreur. S’il est uni de cœur avec la foule des officiers, ceux ci en retour lui prodigueront leurs services avec zèle. S’il traite tous ses sujets comme ses enfants, le peuple aimera à lui obéir. S’il attire des ouvriers de toute sorte, les denrées et les objets utiles ne manqueront pas. S’il accueille les étrangers avec bonté, ils viendront à lui de toutes les contrées. S’il aime les princes feudataires, il sera respecté dans tout l’empire.

« Un prince sage se purifie par l’abstinence, porte des vêtements magnifiques, ne se permet rien de mal ; et par là il relève sa personne. Il écarte les flatteurs, bannit la volupté, fait peu de cas des richesses, estime la vertu ; et par là il encourage les hommes sages. Il élève en dignité les princes de sa famille, augmente leurs revenus, partage leurs sentiments d’affection ou d’aversion ; par là il excite les parents à s’aimer entre eux. Il établit beaucoup d’officiers subalternes qui aident les grands officiers ; par ce moyen il encourage les grands officiers. Il témoigne une confiance sincère à tous les officiers inférieurs et augmente leurs appointements ; par là il les encourage.

« Il choisit les temps convenables pour employer le peuple aux travaux publics, et n’impose que des taxes légères ; par là il encourage le peuple. Il fait inspecter les travaux des ouvriers tous les jours, examiner l’habileté de chacun tous les mois, et distribuer des récompenses proportionnées au travail ; par là il encourage les ouvriers de tout genre. Il fait reconduire les étrangers qui s’en vont, envoie au devant de ceux qui viennent, donne des éloges à leurs talents, et n’exige pas d’eux plus qu’ils ne peuvent ; par là il témoigne sa bonté envers les étrangers. Il donne des héritiers adoptifs aux familles sans postérité, relève les principautés tombées, rétablit l’ordre dans celles qui sont troublées, soutient celles qui menacent ruine, reçoit à sa cour les princes feudataires ou leurs envoyés aux temps marqués, leur offre un festin magnifique à leur départ, ne reçoit d’eux qu’un faible tribut à leur arrivée ; par là il témoigne son affection aux princes ses vassaux. Celui qui gouverne tout l’empire a neuf règles ; pour les garder, une chose lui est nécessaire, (un vrai désir de bien faire).

« Une chose qui a été préparée d’avance réussit ; celle qui ne l’a pas été, ne réussit pas. Un ordre qui a été médité d’avance ne rencontre pas d’obstacle insurmontable dans l’exécution. Une affaire combinée d’avance n’est pas abandonnée faute de ressources. Une action déterminée d’avance n’est pas défectueuse par manque de conseil ou de réflexion. Une règle de conduite fixée d’avance mène sûrement au but.

« Le peuple ne peut espérer d’être bien gouverné par celui qui, étant dans un rang inférieur, n’a pas la confiance ni le mandat de son supérieur. Pour les obtenir, une chose est nécessaire. Celui qui n’a pas la confiance de ses amis n’obtient pas la confiance de son supérieur. Pour obtenir la confiance des amis, une chose est nécessaire. Celui qui ne satisfait pas ses parents n’a pas la confiance de ses amis. Pour satisfaire les parents, une chose est nécessaire. Celui qui, en s’examinant, reconnaît qu’il n’est pas vraiment vertueux, ne satisfait pas ses parents. Pour devenir vraiment vertueux, une chose est nécessaire. Celui qui ne comprend pas bien en quoi consiste la vraie vertu n’est pas vraiment vertueux.

« La vraie perfection est l’œuvre du Ciel ; la faire briller en soi-même est le travail et le devoir de l’homme. (Le Ciel donne à l'homme, avec l'existence, toutes les vertus. Parfaites en elles-mêmes, elles sont plus ou moins obscurcies en nous, selon que les éléments constitutifs du corps sont plus ou moins grossiers, et les passions plus ou moins violentes. Quelques hommes seulement les reçoivent et les conservent dans toute leur intégrité et leur pureté ; ce sont les cheng jenn sages par excellence. Les autres hommes ont le devoir de rendre à ces vertus leur éclat naturel en eux-mêmes. Voy. Ta Hio, page 2). Celui qui est naturellement parfait, (qui a reçu du Ciel et conservé toujours toutes les vertus dans leur intégrité), atteint le but sans effort, suit la voie droite sans y penser, se tient dans le juste milieu aisément et sans peine ; c’est le sage par excellence.

« Celui qui se perfectionne lui-même embrasse ce qui est juste et bon, et s’y attache de toutes ses forces. Il l’étudie complètement, se le fait expliquer à fond, le médite attentivement, le distingue clairement, et l’exécute sérieusement. Il est des choses qu’il n’étudie pas ; mais ce qu’il étudie, il ne l’abandonne pas, quand même il n’arriverait pas à le savoir. Il est des choses sur lesquelles il n’interroge pas ; mais celles sur lesquelles il interroge, il ne les abandonne pas, quand même il ne comprendrait pas les réponses. Il est des choses sur lesquelles il ne médite pas ; mais celles sur lesquelles il réfléchit, il ne les abandonne pas, quand même il ne trouverait pas ce qu’il cherche. Il est des choses qu’il ne cherche pas à distinguer ; mais celles qu’il cherche à distinguer, il ne les abandonne pas, quand même il ne les discernerait pas clairement. Il est des choses qu’il ne fait pas ; mais celles qu’il entreprend de faire, il ne les abandonne pas, quand même il ne les ferait pas parfaitement. Ce que d’autres, (mieux doués), peuvent faire au premier essai, il le pourra faire au centième ; ce que d’autres peuvent faire au dixième essai, il le pourra faire au millième. Sans aucun doute, celui qui tiendra cette conduite, fût il ignorant, deviendra éclairé ; fût il faible, il deviendra fort. »

21. La connaissance du bien qui, chez le sage par excellence, fait partie de sa perfection naturelle, s’appelle don naturel. La perfection qui, chez les sages ordinaires, suit la connaissance acquise du bien, s’appelle perfection acquise par l’enseignement. Celui qui est naturellement parfait comprend naturellement ce qui est bien. Celui qui acquiert la connaissance par l’enseignement devient ensuite parfait.

Dans ce vingt et unième article, Tzeu seu reprend ce qui a été dit dans le précédent, à savoir, la pensée de Confucius sur « l’œuvre du Ciel » et « l’œuvre de l’homme » ; il en fait le fondement du reste de son traité. Les douze articles qui vont suivre sont tous de Tzeu seu ; il y répète et met en lumière les idées exprimées dans celui-ci.

22. Seul sous le ciel le sage par excellence est capable de développer et de déployer entièrement ses qualités naturelles. Pouvant développer et déployer entièrement ses qualités naturelles, il peut (par ses exemples et ses enseignements) faire que les autres hommes développent et déploient entièrement leurs qualités naturelles. Ensuite, il peut (par de sages règlements) faire que toutes choses servent à l’homme selon toute l’étendue de leurs qualités naturelles. Pouvant faire que toutes choses servent selon toute l’étendue de leurs qualités naturelles, il peut aider le ciel et la terre à former et à conserver les êtres. Pouvant aider le ciel et la terre à former et à conserver les êtres, il peut être associé au ciel et à la terre.

23. Après ces hommes (qui sont naturellement parfaits) viennent ceux qui perfectionnent une nature défectueuse. Une nature défectueuse peut devenir parfaite. Aussitôt sa perfection paraît ; elle devient manifeste, elle brille, elle exerce de l’influence (sur les hommes et les choses), elle les change, elle les transforme. Seul sous le ciel celui qui est vraiment parfait a le pouvoir d’opérer des transformations.

24. Un homme vraiment parfait peut connaître par lui-même l’avenir. Lorsqu’une nouvelle dynastie va surgir, elle est toujours annoncée par d’heureux présages. Lorsqu’une dynastie va disparaître, les animaux et les choses inanimées donnent de mauvais augures. On aperçoit certains signes sur l’achillée et la tortue, certains mouvements dans les membres du corps de l’homme. A l’approche d’un événement heureux ou malheureux, l’homme vraiment parfait sait toujours d’avance ce qui arrivera de bon ou de mauvais. Il est semblable aux esprits.

25. La bonté constitue les êtres (car tout être est bon) ; et la voie (la loi naturelle) conduit naturellement l’homme. La bonté est le commencement et la fin des êtres, (tout être qui commence ou finit, est bon). Il n’y a pas d’être qui ne soit vraiment bon. Pour cette raison, le sage met la perfection au-dessus de tout. La vraie vertu ne perfectionne pas seulement l’homme qui la possède, mais elle perfectionne aussi toutes choses. Ce qui rend un homme parfait, c’est la vertu d’humanité (sans laquelle l'homme n'est pas vraiment homme) ; ce qui perfectionne les choses extérieures, c’est la prudence, (qui discerne et applique les moyens convenables pour atteindre la fin proposée). Ces deux vertus sont des dons de la nature. Par elles l’homme embrasse à la fois l’intérieur et l’extérieur (il se perfectionne lui-même et tout ce qui est bon en lui). Consulter les circonstances pour l’exercice de ces deux vertus, c’est le propre du discernement.

26. La vraie perfection est toujours agissante, toujours persévérante. Elle se manifeste par des effets, s’étend et se propage au loin. Elle devient large et profonde, élevée et brillante.

Large et profonde, elle soutient les êtres ; élevée et brillante, elle les met à couvert ; vaste et persévérante, elle les perfectionne. Elle est large et profonde comme la terre, élevée et brillante comme le ciel. Son étendue et sa durée n’ont pas de limites. Aussi, elle brille sans chercher à se montrer ; elle transforme sans produire aucun mouvement ; elle perfectionne sans agir.

L’action du ciel et de la terre peut être exprimée en un seul mot : ils forment ensemble un seul agent parfait et, pour cette raison, leur action créatrice est immense. L’action du ciel et de la terre est large, profonde, élevée, brillante, vaste, persévérante.

Le ciel, (si l’on en considère qu’une petite partie), n’est qu’un point lumineux ; considéré dans toute son étendue, il est la voûte immense où sont suspendus le soleil, la lune et les étoiles, et qui couvre tous les êtres de l’univers. La terre, (si l’on en considère qu’un point), n’est qu’une poignée de poussière. A raison de sa largeur et de sa profondeur, elle soutient le mont Houa, et n’est pas accablée sous ce poids ; elle reçoit les fleuves et les mers, et n’en laisse rien échapper ; elle porte tous les êtres.

Les montagnes, (si l'on n'en considère qu'un petit endroit), ne sont qu’une poignée de pierres ; considérées dans leur largeur et leur étendue, elles produisent toutes sortes de plantes, servent de retraite aux oiseaux et aux quadrupèdes, et abondent en trésors (en minéraux) précieux. L’eau, (si l'on n'en considère qu'une petite étendue), tiendrait dans une cuiller ; considérée dans son immensité, elle nourrit les grandes tortues, les crocodiles, les dragons, les poissons, les petites tortues ; elle fournit beaucoup de richesses et de ressources.

Il est dit dans le Cheu king : « Oh ! l’action du Ciel est mystérieuse, et n’est jamais interrompue voilà ce par quoi le Ciel est Ciel, (à savoir, son action constante) ; Oh ! la vertu pure et parfaite de Wenn wang ne brille t elle pas d’un vif éclat ? » voilà ce par quoi Wenn wang fut Wenn wang, à savoir, sa vertu sans mélange et toujours agissante.

27. Combien grande est la vertu (l'action, l’influence) d’un homme parfaitement sage ! Elle s’étend au delà de toute limite, fait surgir et entretient tous les êtres. Elle s’élève au-dessus de la terre et arrive jusqu’au ciel. Dans son immensité, elle embrasse les trois cents lois de la morale et les trois mille règles de l’urbanité. Quand il surgira un homme vraiment parfait, il accomplira toutes ces choses. On dit que sans un homme parfaitement vertueux, la vertu parfaite n’est pas pratiquée.

Le disciple de la sagesse fait grande attention aux vertus que donne la nature et s’applique à interroger, à apprendre. Il développe le plus possible ses vertus et scrute les points les plus subtils de la loi naturelle. Il donne à ses vertus toute l’élévation et la perfection dont elles sont capables et se tient constamment dans l’invariable milieu. Pour ne pas oublier ce qu’il a appris, il le répète souvent, et il apprend ce qu’il ne sait pas encore. Il cultive et perfectionne ses vertus ; il apprend et observe entièrement les règles de l’urbanité.

Sur le trône, il ne s’enfle pas d’orgueil ; dans un rang inférieur, il ne s’arroge aucune liberté déréglée. Dans un État bien gouverné, ses enseignements font fleurir la vertu. Dans un État mal gouverné, son silence met sa personne à l’abri de tout mal. Il est dit dans le Cheu king : « Sa perspicacité et sa prudence préservent sa personne de tout danger. » Ce passage exprime la même vérité.

28. Confucius dit : « Un ignorant qui veut suivre son propre jugement, un inférieur qui veut suivre sa propre volonté, un homme de notre siècle qui veut ramener les usages anciens, tous ces hommes s’attirent des malheurs.

« Personne, sauf le Fils du Ciel, n’a le droit de délibérer sur les rites, ni de faire des lois, ni de changer les caractères de l’écriture. De là vient que, dans tout l’empire, toutes les voitures tracent deux ornières également distantes entre elles ; tous les livres sont écrits avec les mêmes lettres ; la conduite de tous les hommes est soumise aux mêmes lois.

« Quelqu’un eût il la dignité requise (la dignité impériale), s’il n’a pas la vertu nécessaire, il ne doit pas se permettre d’introduire de nouveaux rites ou de nouveaux chants. De même, eût-il la vertu nécessaire, s’il n’a pas la dignité requise, il ne doit pas se permettre de faire des innovations dans les rites ou la musique. »

Confucius disait : « Je parle des rites des Hia ; les princes de K’i les ont abandonnés et ne peuvent nous en donner une connaissance certaine. J’ai étudié les rites des In ; les princes de Soung les ont conservés. J’ai étudié les rites des Tcheou ; ils sont observés à présent ; je me conforme aux rites des Tcheou. »

29. Le chef de tout l’empire réglant seul ces trois importantes institutions (les rites, les lois et l'écriture), il se commet moins de fautes. Les institutions des anciens empereurs, bien qu’excellentes, ne sont plus connues avec certitude ; n’étant plus connues avec certitude, elles n’obtiennent pas créance ; n’obtenant pas créance, elles ne sont pas acceptées par le peuple. Les institutions faites par un autre que l’empereur n’ont pas d’autorité. N’ayant pas d’autorité, elles n’ont pas la confiance du peuple ; n’ayant pas la confiance du peuple, elles ne sont pas acceptées.

Le gouvernement d’un prince sage a pour base la vertu du prince et se manifeste par ses effets sur tout le peuple. Si on le compare avec le gouvernement des fondateurs des trois dynasties (Hia, In, Tcheou), on trouve qu’il ne s’en écarte pas. Si on le compare avec l’action du ciel et de la terre, on voit qu’il ne lui est pas contraire. Si on le compare avec la manière d’agir des esprits, il n’inspire aucun doute. S’il surgissait un grand sage, ne fût ce qu’après cent générations, il n’y trouverait rien d’incertain.

Comparé avec la manière d’agir des esprits, il n’inspire aucun doute, parce qu’un prince sage connaît (et imite) l’action du Ciel (et des esprits). S’il surgissait un grand sage, ne fût ce qu’après cent générations, il n’y trouverait rien d’incertain, parce qu’un prince sage connaît la voie que l’homme doit suivre.

Aussi, la conduite d’un prince sage sera à jamais le modèle de tout l’empire ; ses actions seront à jamais la règle de tout l’empire ; ses paroles seront à jamais la loi de tout l’empire. Ceux qui sont loin de lui désirent s’en approcher ; ceux qui sont près de lui ne se lassent jamais de sa présence.

Il est dit dans le Cheu king : « Là, personne ne les hait ; ici, personne n’est lassé de leur présence ; leur mémoire sera célébrée dans tous les âges. » Jamais prince n’est parvenu de bonne heure à se faire un nom dans tout l’empire, si ce n’est par cette voie.

30. Confucius fut l’héritier et le successeur de Iao et de Chouenn, l’imitateur et l’image resplendissante de Wenn wang et de Ou wang. Il imita les saisons de l’année et fut semblable à l’eau et à la terre. Il fut comparable au ciel qui couvre et abrite tous les êtres, à la terre qui les porte et les soutient, aux quatre saisons qui reviennent successivement, au soleil et à la lune qui brillent tour à tour.

Tous les êtres se nourrissent sans se nuire mutuellement. Les saisons, le soleil et la lune suivent leur cours sans confusion. L’action particulière du ciel et de la terre se partage comme en ruisseaux qui atteignent chaque être séparément. Leur action générale atteint à la fois et produit tout l’ensemble des êtres. C’est ce qui fait la grandeur du ciel et de la terre.

31. Celui qui possède la parfaite sagesse a seul assez de perspicacité, d’intelligence, de sagacité et de prudence pour gouverner des sujets ; assez de générosité, de grandeur d’âme, d’affabilité et de bonté pour aimer tous les hommes ; assez d’activité, de courage, de fermeté et de constance pour remplir fidèlement tous ses devoirs ; assez d’intégrité, de gravité, de modération et de droiture pour se garder de toute négligence ; assez d’ordre et de suite dans ses actions, assez de soin et de vigilance dans les affaires, pour savoir discerner.

La vertu parfaite embrasse toutes choses dans son immensité ; elle est profonde et sort comme d’une source inépuisable. Le sage la fait paraître selon les circonstances. Elle est immense et partout, comme le ciel ; profonde et inépuisable, comme la mer. Le sage se montre, et chacun le respecte ; il parle, et chacun le croit ; il agit, et chacun est content.

Sa renommée grandit et se répand par tout l’empire ; elle s’étend au nord et au midi jusqu’aux contrées les plus barbares. Partout où les navires et les voitures peuvent atteindre, partout où les forces de l’homme parviennent, partout où la voûte du ciel s’étend, partout où la terre porte des êtres, partout où le soleil et la lune répandent leur lumière, partout où le givre et la rosée se forment, tout ce qui a esprit et vie vénère et aime l’homme sage. Aussi le compare-t-on au ciel.

32. Seul l’homme vraiment parfait est capable de fixer les grandes lois des cinq relations sociales, d’établir le fondement de la société humaine (les vertus d’humanité, de justice, d’urbanité, de prudence et de sincérité) et de connaître comment le ciel et la terre produisent et conservent toutes choses. Et quel secours trouve-t-il hors de lui-même ?(il fait tout cela par lui-même, sans aucun secours étranger).

Sa vertu est très diligente, sa science très profonde, son action immense comme celle du Ciel. Celui qui n’est pas lui-même très perspicace, très prudent, très versé dans la connaissance des vertus naturelles, peut il connaître l’homme parfaitement sage ?

33. On lit dans le Cheu king : « Sur un vêtement de soie à fleurs, elle porte une robe simple. » Elle ne veut pas laisser paraître un vêtement si brillant. De même, la vertu du sage aime à rester cachée, et son éclat augmente de jour en jour. Au contraire, la vertu de l’homme vulgaire aime à se montrer, et elle disparaît peu à peu. La vertu du sage n’a pas de saveur, particulière, et elle n’excite jamais le dégoût ; elle est simple, mais non dépourvue d’ornement ; sans apprêt, mais non sans ordre.

Celui qui connaît les moyens rapprochés qui mènent très loin ; celui qui sait qu’on arrive à réformer les mœurs en se corrigeant soi-même ; celui qui sait que la vertu intérieure se manifeste au dehors ; celui-là peut être admis dans l’école de la sagesse.

Il est dit dans le Cheu king : « Quand même le poisson se cacherait au fond de l’eau, il serait vu parfaitement. » Quand le sage s’examine et ne trouve en lui-même aucun défaut, son cœur est satisfait. Le lieu où le sage exerce sa vigilance plus que personne, c’est celui où il n’est vu de personne, (à savoir, son propre cœur).

Il est dit dans le Cheu king : « Dans votre maison, il importe que vous n’ayez rien dont vous deviez rougir, même dans les appartements qui (sont situés au nord-ouest, et) ne reçoivent la lumière que par les ouvertures du toit (et où vous êtes toujours vu, sinon des hommes, au moins des esprits). » Le sage se tient sur ses gardes, même quand il n’agit pas ; il est sincère, même quand il ne parle pas.

Il est dit dans le Cheu king : « Quand il offre le ragoût et invite les Mânes, il ne parle pas ; alors il ne surgit aucune discussion (tous les assistants imitent son silence respectueux). » Le sage, sans donner de récompenses, encourage le peuple ; sans s’irriter, il se fait craindre plus que le glaive ou la hache du bourreau.

On lit dans le Cheu king : « Leur vertu, sans briller d’un vif éclat, est imitée par tous les princes feudataires. » Le sage veille attentivement sur lui-même, et tout l’empire est en paix.

Dans le Cheu king, (le Souverain Roi) dit : « J’aime la vertu parfaite de Wenn wang, dont la voix, le visage n’ont rien d’impérieux. » Confucius dit : « En celui qui instruit le peuple, le ton de la voix, l’air du visage sont des chose secondaires. » Le Cheu king dit plus encore. « La vertu, dit il, est légère comme une plume. » Une plume a encore un certain poids. (Le Cheu king décrit) le plus haut degré de la perfection, en disant : « L’action du Ciel n’est perçue ni par l’ouïe ni par l’odorat. »

Dans ce trente-troisième article, Tzeu seu, après avoir, dans les précédents, parlé de la vertu parfaite, remonte à la source, (qui est le Ciel). Il rappelle que le premier soin du disciple de la sagesse doit être de veiller attentivement sur ses pensées et ses actions les plus secrètes, et peu à peu il arrive à parler de la toute puissante influence du sage, qui, en veillant attentivement sur lui-même, fait régner l’ordre et la paix dans l’univers. Enfin il exalte les merveilleux effets de la vertu, en disant que son action échappe à l’ouïe et à l’odorat. Il récapitule ainsi le contenu de tout l’ouvrage. Il répète et inculque ses enseignements avec un vif désir de persuader. Le disciple de la sagesse ne doit il pas les étudier de tout cœur ? (Tchou Hi).


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