Les Puritains d’Écosse/Introduction

INTRODUCTION

Le personnage appelé Old Mortality était bien connu en Écosse à la fin du siècle dernier : son véritable nom était Robert Paterson. On dit qu’il était natif de la paroisse de Closeburn, et maçon de profession. Par suite de querelles de famille, il quitta sa demeure, et adopta une existence bizarre : celle d’errer comme un pélerin à travers l’Écosse.

Il y a environ trente ans, que l’auteur rencontra ce singulier personnage dans le cimetière de Dunnottar, lorsque lui-même il consacrait quelques journées, avec le savant et excellent M. Walker, ministre de la paroisse, à explorer les ruines du château de ce nom et les autres antiquités du voisinage.

Ce fut en 1685, lorsque Argyle menaçait l’Écosse d’une irruption, et que de son côté Monmouth se préparait à envahir l’ouest de l’Angleterre, que le conseil privé, cédant à une prudence cruelle, ordonna l’arrestation de plus de cent personnes des provinces du sud et de l’ouest, ainsi que de plusieurs femmes et enfants. Ces captifs furent traînés du côté du nord comme un troupeau de bœufs, et finalement enfermés dans un cachot souterrain du château de Dunnottar. Ces malheureux avaient beaucoup souffert pendant leur voyage. Le repos d’un triste donjon ne fut pas même respecté. Les gardiens leur vendaient tout, jusqu’à l’eau.

Dans cette prison, encore appelée aujourd’hui le souterrain des whigs, plusieurs moururent de maladies ; d’autres se cassèrent les membres en essayant de s’évader. Après la révolution, les amis de ces infortunés firent élever un monument sur leur tombe avec une inscription convenable.

Cette espèce de relique des whigs martyrs est particulièrement honorée. Mon ami le révérend M. Walker m’a dit que, pendant un voyage qu’il faisait en Écosse, il eut le malheur de s’engager dans le labyrinthe de passages et de sentiers qui traversent en tous sens la vaste solitude appelée Lochar Moss, près de Dumfries, et d’où il est presque impossible à un étranger de se tirer. Il lui était fort difficile de se procurer un guide. M. Walker se voyait dans une position critique, lorsqu’il s’adressa à un fermier. Le vieillard usa d’abord de la même excuse que ceux qui avaient déjà refusé de servir de guide au voyageur ; mais s’apercevant de sa perplexité et entraîné par le respect dû à sa profession : — Vous êtes un ministre de l’église, Monsieur, lui dit-il, et je m’aperçois à votre accent que vous venez du nord ?

— Vous avez deviné juste, mon ami, répondit M. Walker.

— Puis-je vous demander si vous avez jamais entendu parler d’un lieu appelé Dunnottar ? demanda l’habitant de Dumfries.

— J’en sais en effet quelque chose, puisque j’ai été pendant plusieurs années le ministre de cette paroisse.

— J’en suis bien aise, car un de mes parents y est enterré, et il y a, je crois, un monument sur sa tombe ; je donnerais la moitié de ce que je possède pour savoir si ce monument existe encore.

— Votre parent était de ceux qui périrent dans le souterrain des whigs ?

— C’est cela, répondit le vieux caméronien, car le fermier appartenait à cette secte ; et il s’offrit à conduire le ministre hors du Lochar Moss.

M. Walker crut devoir prouver sa reconnaissance en récitant au vieillard l’épitaphe qu’il se rappelait par cœur. En effet, celui-ci fut enchanté que la mémoire de son grand-père ou arrière-grand-père eût été fidèlement rappelée parmi les noms de ses frères de douleur.

C’est pendant que j’écoutais cette histoire et que j’examinais le monument, que je vis Old Mortality occupé de rapproprier et de réparer les ornements et les épitaphes des tombeaux. Son extérieur et son costume étaient exactement tels que je les décris. J’éprouvais le désir de connaître plus particulièrement un personnage si singulier. Mais quoique M. Walker l’eût invité à venir après dîner prendre un verre de grog, il refusa de s’expliquer avec franchise sur le but ou la cause de ses occupations. Il était de mauvaise humeur. Ses opinions avaient été amèrement blessées, dans une certaine église aberdonienne. Peut-être bien aussi ne se trouvait-il pas à son aise dans notre société. Old Mortality continua son chemin, et je ne le revis plus.

« Robert Paterson, communément appelé Old Mortality, était fils de Walter Paterson et de Margaret Scott, qui occupèrent la ferme d’Haggisha dans la paroisse d’Hawick, pendant presque la moitié du dix-huitième siècle. Il naquit dans l’année mémorable de 1715.

« Comme le plus jeune enfant d’une famille nombreuse, il alla servir chez son frère aîné qui tenait une petite ferme appartenant à sir John Jardine d’Applegarth, dans Comcockle-Moor, près de Lochmaben. Ce fut durant son séjour dans cet endroit qu’il fit la connaissance d’Élisabeth Cray, fille de Robert Gray, jardinier de sir John Jardine, qu’il épousa dans la suite. Élisabeth avait été, pendant un temps assez considérable, cuisinière de sir Thomas Kirkpatrick de Closeburn ; ce dernier procura à Paterson un bail avantageux de la carrière de pierres de taille de Gatelowbrigg, dans la paroisse de Morton, laquelle carrière appartenait au duc de Queensberry. Robert y bâtit une maison, c’était peu avant 1746. Lorsque les habitants des hautes-terres retournaient d’Angleterre à Glascow, dans l’année 1745-46, ils pillèrent la maison de Gatelowbrigg, et en emmenèrent le propriétaire prisonnier jusqu’à Glenbuck, simplement parce qu’il avait dit à un des traîneurs de l’armée que leur retraite aurait pu être facilement prévue, parce que le bras formidable du Seigneur était évidemment levé, non seulement contre la maison sanglante et perverse des Stuarts, mais contre tous ceux qui essaieraient de soutenir les abominables hérésies de l’église de Rome. D’après cette circonstance, il paraît qu’Old Mortality était, même à cette époque peu avancée de sa vie, animé de l’enthousiasme religieux qui le distingua dans la suite.

« La secte religieuse qu’on a appelée les hommes de la montagne, ou caméroniens, était célèbre alors par l’austérité de sa dévotion qui s’efforçait d’imiter celle de son fondateur Cameron, des principes duquel Old Mortality devint un des plus fermes soutiens. Il fit de fréquents voyages dans le Galloway pour assister à leurs conventicules, et très souvent il y transporta de sa carrière de Gatelowbrigg des pierres sépulcrales qu’il élevait à la mémoire des justes dont la poussière avait été rejoindre celle de leurs pères. Old Mortality n’était pas un de ces dévots qui, un œil tourné vers le ciel, contemplent de l’autre avec ardeur les objets terrestres. À mesure que son enthousiasme augmenta, ses voyages dans le Galloway devinrent plus fréquents ; bientôt même il négligea jusqu’au devoir si naturel de pourvoir aux besoins de sa jeune famille. Vers l’an 1758, il oublia entièrement de revenir à Gatelowbrigg près de sa femme et de ses cinq enfants, ce qui obligea Élisabeth à envoyer son fils aîné Walter, qui n’avait pas plus de douze ans, à la recherche de son père dans le Galloway. Après avoir traversé presque en entier ce district, le petit voyageur trouva enfin l’auteur de ses jours en train de travailler aux monuments caméroniens dans le vieux cimetière, et ce fut en vain qu’il usa de toute son influence pour l’engager à retourner à Gatelowbrigg. Plus tard, mistress Paterson chargea de la même mission quelques-unes de ses filles : elles n’obtinrent pas plus de succès que leur frère. Enfin, dans l’été de 1768, elle transporta ses pénates au petit village de Balmaclellan dans le Glenkens de Galloway, y ouvrit une petite école, et soutint sa nombreuse famille avec les faibles bénéfices que lui procura cette entreprise.

« De Caldon, les travaux d’Old Mortality s’étendirent peu à peu dans toutes les basses-terres d’Écosse. Il y a peu de cimetières dans l’Ayrshire, le Galloway et le Dumfrieshire, où l’on ne retrouve l’ouvrage de son ciseau. Pendant plus de quarante ans, cette tâche de réparer et d’ériger des monuments funèbres, sans salaire ou récompense, fut la seule occupation de ce singulier personnage.

« Le dévot pélerin était bien pauvre dans les dernières années de sa vie ; cependant c’était plutôt par choix que par nécessité, car à cette époque ses enfants se trouvaient dans une position heureuse, et ils éprouvaient le plus grand désir d’avoir leur père chez eux : aucune supplication ne put le décider à changer son genre de vie. Il continua de voyager d’un cimetière à un autre, et mourut à Bankhill, près de Lockerby, le 14 février 1801, dans sa quatre-vingt sixième année.

« Old Mortality avait trois fils, Robert, Walter et John. Robert, demeure dans le village de Balmaclellan : il est dans une position heureuse, et respecté de ses voisins. Walter mourut, il y a quelques années, laissant une famille aujourd’hui bien établie. John se rendit en Amérique dans l’année 1776, et après diverses chances de fortune il se fixa à Baltimore. »