Traduction par De Slane.
Imprimerie Impériale (p. 1-12).

PRÉFACE DE L’AUTEUR.



Au nom du Dieu miséricordieux et clément !Texte arabe,
p. 1.

Que Dieu répande ses bénédictions sur notre seigneur Mohammed, sur sa famille et sur ses Compagnons[1]!

Voici ce que dit Abd er-Rahman Ibn Mohammed Ibn Khaldoun el-Hadrami[2], le pauvre serviteur qui sollicite la miséricorde du Seigneur, dont les bontés l’ont déjà comblé. Puisse Dieu le très-haut le soutenir par sa grâce !

Louanges à Dieu, qui possède la gloire et la puissance, qui tient en sa main l’empire du ciel et de la terre, qui porte les noms et les attributs les plus beaux ! (Louanges) à l’Etre qui sait tout, auquel rien n’échappe de ce que manifeste la parole et de ce que cache le silence ! (Louanges) à l’Être tout-puissant auquel rien ne résiste, rien ne se dérobe ni dans les cieux, ni sur la terre ! De cette terre il nous a formés individuellement, et il nous l’a fait habiter en corps de peuples et de nations ; de cette terre il nous a permis de tirer facilement notre subsistance et nos portions de chaque jour. Renfermés d’abord dans le sein de nos mères, puis dans des maisons, nous devons à sa bonté la nourriture et l’entretien. De jour en jour le temps use P. 2. notre vie ; puis survient à l’improviste le terme de notre existence, tel qu’il a été inscrit dans le livre du destin. La durée et la stabilité n’appartiennent qu’à l’Eternel.

Salut et bénédiction sur notre seigneur Mohammed, le prophète arabe, dont le nom est écrit dans le Pentateuque et indiqué dans l’Evangile[3]! Salut à celui pour l’enfantement duquel l’univers était en travail[4] avant que commençât la succession des samedis et des dimanches, avant l’existence de l’espace qui sépare Zohel de Béhémout[5]! Salut à celui dont la véracité a été attestée par l’araignée et la colombe[6]! Salut à sa famille et à ses compagnons, qui, par leur zèle à l’aimer et à le suivre, ont acquis une gloire immortelle et qui, pour seconder ses efforts, se tinrent réunis en un seul corps, tandis que la discorde régnait parmi leurs ennemis ! Que Dieu répande sur lui et sur eux ses bénédictions tant que l’islamisme jouira de sa prospérité et que l’infidélité verra briser les liens fragiles de son existence !

Passons à notre sujet : l’histoire est une de ces branches de connaissances qui se transmettent de peuple à peuple, de nation à nation; qui attirent les étudiants des pays lointains, et dont l’acquisition est souhaitée même du vulgaire et des gens désœuvrés ; elle est recherchée à l’envi par les rois et les grands, et appréciée autant par les hommes instruits que par les ignorants.

Envisageons l’histoire dans sa forme extérieure : elle sert à retracer les événements qui ont marqué le cours des siècles et des dynasties, et qui ont eu pour témoins les générations passées. C’est pour elle que l’on a cultivé le style orné et employé les expressions figurées ; c’est elle qui fait le charme des assemblées littéraires, où les amateurs se pressent en foule; c’est elle qui nous apprend à connaître les révolutions subies pas tous les êtres créés. Elle offre un vaste champ où l’on voit les empires fournir leur carrière; elle nous montre comment tous les divers peuples ont rempli la terre jusqu’à ce que l’heure du départ leur fût annoncée, et que le temps de quitter l’existence fût arrivé pour eux.

Regardons ensuite les caractères intérieurs de la science historique : ce sont l’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance. L’histoire forme donc une branche importante de la philosophie et mérite d’être comptée au nombre des sciences.

Depuis l’établissement de l’islamisme, les historiens les plus distingués ont embrassé dans leurs recherches tous les événements des siècles passés, afin de pouvoir les inscrire dans des volumes et les P. 3. enregistrer; mais les charlatans (de la littérature)[7] y ont introduit des indications fausses, tirées de leur propre imagination, et des embellissements fabriqués à l’aide de traditions de faible autorité. La plupart de leurs successeurs se sont bornés à marcher sur leurs traces et à suivre leur exemple. Ils nous ont transmis ces récits tels qu’ils les avaient entendus, et sans se mettre en peine de rechercher les causes des événements ni de prendre en considération les circonstances qui s’y rattachaient. Jamais ils n’ont improuvé ni rejeté une narration fabuleuse, car le talent de vérifier est bien rare ; la vue de la critique est en général très-bornée; l’erreur et la méprise accompagnent l’investigation des faits et s’y tiennent par une liaison et une affinité étroites; l’esprit de l’imitation est inné chez les hommes et reste attaché à leur nature; aussi les diverses branches des connaissances fournissent une ample carrière au charlatanisme; le champ de l’ignorance offre toujours son pâturage insalubre; mais la vérité est une puissance à laquelle rien ne résiste, et le mensonge est un démon qui recule foudroyé par l’éclat de la raison. Au simple narrateur appartient de rapporter et de dicter les faits; mais c’est à la critique d’y fixer ses regards et de reconnaître ce qu’il peut y avoir d’authentique ; c’est au savoir de nettoyer et de polir pour la critique les tablettes de la vérité.

Plusieurs écrivains ont rédigé des chroniques très-détaillées, ayant compilé et mis par écrit l’histoire générale des peuples et des dynasties; mais, parmi eux, il y en a peu qui jouissent d’une grande renommée, d’une haute autorité, et qui, dans leurs ouvrages, aient reproduit en entier les renseignements fournis par leurs devanciers. Le nombre de ces bons auteurs dépasse à peine celui des doigts de la main, ou des (trois) voyelles finales qui indiquent l’influence des régissants grammaticaux. Tels sont Ibn Ishac[8], Taberi[9], El-Kelbi[10], Mohammed ibn Omar el-Ouakedi[11], Seïf Ibn Omar el-Acedi[12], Masoudi[13], et d’autres hommes célèbres qui se sont élevés au-dessus de la foule des auteurs ordinaires. Il est vrai que dans les écrits de Masoudi et de Ouakedi on trouve beaucoup à reprendre et à blâmer : chose facile à vérifier et généralement admise par les savants versés dans l'étude des traditions historiques et dont l'opinion fait autorité. Cela n'a pas empêché la plupart des historiens de donner la préférence aux récits de ces deux auteurs , de suivre leur méthode de composition et de marcher sur leurs traces. Déterminer la fausseté ou l'exactitude des renseignements est l'œuvre du critique intelligent qui P. 4. s'en rapporte toujours à la balance de son propre jugement. Les événements qui ont lieu dans la société humaine offrent des caractères d'une nature particulière, caractères auxquels on doit avoir égard lorsqu'on entreprend de raconter les faits ou de reproduire les récits et les documents qui concernent les temps passés.

La plupart des chroniques laissées par ces auteurs sont rédigées sur un même plan et ont pour sujet l'histoire générale des peuples ; circonstance qu'il faut attribuer à l'occupation de tant de pays et de royaumes par les deux grandes dynasties musulmanes[14] qui florissaient dans les premières siècles de l'islamisme ; dynasties qui avaient poussé jusqu'aux dernières limites la faculté de faire des conquêtes ou de s'en abstenir. Quelques-uns de ces écrivains ont embrassé dans leurs récits tous les peuples et tous les empires qui existèrent avant l'établissement de la vraie foi, et ont composé des traités d'histoire universelle. Tels furent Masoudi et ses imitateurs. Parmi leurs successeurs un certain nombre abandonna cette universalité pour se renfermer dans un cercle plus étroit ; renonçant à se porter jusqu'aux points les plus éloignés dans l'exploration d'un champ si vaste , ils se bornèrent à fixer par écrit les renseignements épars qui se rattachaient aux faits qui marquaient leur époque. Chacun d'eux traita à fond l'histoire de son pays ou du lieu de sa naissance, et renfermer dans un cercle plus étroit ; renonçant à se porter jusqu’aux points les plus éloignés dans l’exploration d’un champ si vaste, ils se bornèrent à fixer par écrit les renseignements épars qui se rattachaient aux faits qui marquaient leur époque. Chacun d’eux traita à fond l’histoire de son pays ou du lieu de sa naissance, et se contenta de raconter les événements qui concernaient sa ville et la dynastie sous laquelle il vivait. C’est ce que fit Ibn Haiyan[15], historiographe de l’Espagne et de la dynastie oméiade établie dans ce pays, ainsi qu’Ibn er-Rakik, l’historien de l’Ifrîkiya[16] et des souverains de Cairouan.

Ceux qui ont écrit après eux ne furent que de simples imitateurs, à l’esprit lourd, à l’intelligence boi-née, des gens sans jugement, qui se contentèrent de suivre en tout point le même plan que leurs devanciers, de se régler sur le même modèle, sans remarquer les modifications que la marche du temps imprime aux événements, et les changements qu’elle opère dans les usages des peuples et des nations. Ces hommes ont tiré de l’histoire des dynasties et des siècles passés une suite de récits que l’on peut regarder comme de vains simulacres dépourvus de substance, comme des fourreaux d’épée auxquels on aurait enlevé les lames; récits dont le lecteur est en droit de se méfier, parce qu’il ne peut pas savoir s’ils sont anciens (et authentiques) ou modernes (et controuvés). Ce qu’ils rapportent, ce sont des faits dont ils laissent ignorer les causes, des renseignements dont ils n’ont pas su apprécier la nature ni vérifier les détails. Dans leurs compositions, ils reproduisent bien exactement les récits qui courent parmi le peuple, suivant ainsi l’exemple des écrivains qui les ont précédés dans la même carrière ; mais ils n’entreprennent pas d’indiquer les origines des nations, parce qu’ils n’ont personne capable de leur fournir ces renseignements ; aussi les pages de leurs volumes restent P. 5. muettes à ce sujet. S’ils entreprennent de retracer l’histoire d’une dynastie, ils racontent les faits dans une narration uniforme, conservant tous les récits, vrais ou faux ; mais ils ne s’occupent nullement d’examiner quelle était l’origine de cette famille. Ils n’indiquent pas les motifs qui ont amené cette dynastie à déployer son drapeau et à manifester sa puissance, ni les causes qui l’ont forcée à s’arrêter dans sa carrière. Le lecteur cherche donc en vain à reconnaître l’origine des événements, leur importance relative et les causes qui les ont produits, soit simultanément, soit successivement ; il ne sait comment soulever le voile qui cache les différences ou les analogies que ces événements peuvent présenter. C’est ce qui sera exposé complètement dans les premiers chapitres de cet ouvrage.

D’autres, qui vinrent après eux, affectèrent un excès de brièveté et se contentèrent de mentionner les noms des rois, sans rapporter les généalogies ni l’histoire de ces princes ; ils y ajoutèrent seulement le nombre des années de leur règne, exprimé au moyen des chiffres appelés ghobar[17]. C’est ce qu’a fait Ibn Rechik[18] dans son Mizan el-Amel[19], ainsi que plusieurs autres écrivains peu dignes d’attention. Dans quelque cas que ce soit[20], aucun égard n’est dû aux paroles du passé et du présent, je suis parvenu à réveiller mon esprit, à l’arracher au sommeil de l’insouciance et de la paresse, et, bien que peu riche en savoir, j’ai fait avec moi-même un excellent marché en me décidant à composer un ouvrage. J’ai donc écrit un livre sur l’histoire, dans lequel j’ai levé le voile qui couvrait les origines des nations. Je l’ai divisé en chapitres, dont les uns renferment l’exposition des faits, et les autres des considérations générales. J’y ai indiqué d’abord les causes qui ont amené la naissance des empires et de la civilisation, en prenant pour sujet primitif de mon travail l’histoire des deux races qui[21], de nos temps, habitent le Maghreb et en ont rempli les provinces et les villes. J’y ai parlé des dynasties à longue durée et des empires éphémères que ces peuples ont fondés, et j’ai signalé les princes et les guerriers qu’ils ont produits dans les temps anciens. Ces deux races, ce sont les Arabes et les Berbers, les seules[22] nations qui occupent le Maghreb, ainsi que chacun sait. Elles y ont demeuré pendant tant de siècles, que l’on peut à peineP. 6. s’imaginer qu’à une certaine époque elles ne s’y trouvaient pas. Hormis ces deux peuples, on ne connaît aucune autre race d’hommes qui habite ce pays.

J’ai discuté avec grand soin les questions qui se rattachent au sujet de cet ouvrage; j’ai mis mon travail à la portée des érudits et des hommes du monde; pour son arrangement et sa distribution, j’ai suivi un plan original, ayant imaginé une méthode nouvelle d’écrire l’histoire, et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un système tout à fait à moi. En traitant de ce qui est relatif à la civilisation et à l’établissement des villes, j’ai développé tout ce qu’offre la société humaine en fait de circonstances caractéristiques. De cette manière, je fais comprendre les causes des événements, et savoir par quelle voie les fondateurs des empires sont entrés dans la carrière. Le lecteur, ne se trouvant plus dans l’obligation de croire aveuglément aux récits qu’on lui a présentés, pourra maintenant bien connaître l’histoire des siècles et des peuples qui l’ont précédé; il sera même capable de prévoir les événements qui peuvent surgir dans l’avenir.

J’ai divisé mon ouvrage en trois livres, précédés de plusieurs chapitres préliminaires (Mocaddemat, c’est-à-dire Prolégomènes) renfermant des considérations sur l’excellence de la science historique, l’établissement des principes qui doivent lui servir de règles, et un aperçu des erreurs dans lesquelles les historiens sont exposés à tomber.

Le premier livre traite de la civilisation et de ses résultats caractéristiques, tels que l’empire, la souveraineté, les arts, les sciences, les moyens de s’enrichir et de gagner sa vie; il indique aussi les causes auxquelles ces institutions doivent leur origine[23].

Le second livre renferme l’histoire des Arabes, de leurs diverses races et de leurs dynasties[24], depuis la création du monde jusqu’à nos jours. On y trouve aussi l’indication de quelques peuples célèbres qui ont été leurs contemporains et qui ont fondé des dynasties. Tels sont les Nabatéens, les Assyriens, les Perses, les Israélites, les Coptes, les Grecs, les Turcs et les Romains.

Le troisième livre comprend l’histoire des Berbers et de leurs parents, les Zenata, avec l’indication de leur origine, de leurs diverses tribus, des empires qu’ils ont fondés, surtout[25] dans le Maghreb.

Ayant P. 7.ensuite fait le voyage de l’Orient afin d’y puiser des lumières, d’accomplir le devoir du pèlerinage et de me conformer à l’exemple du Prophète en visitant la Mecque et en faisant le tour de la Maison-Sainte, j’eus l’occasion d’examiner les monuments, les archives et les livres de cette contrée. J’acquis alors ce qui m’avait manqué auparavant, c’est-à-dire, la connaissance de l’histoire des souverains étrangers qui ont dominé sur cette région, ainsi que des dynasties turques et des pays qui leur ont été soumis. J’ajoutai ces faits à ceux que j’avais précédemment inscrits sur ces pages, les intercalant dans l’histoire des nations (musulmanes) qui étaient contemporaines de ces peuples, et dans mes notices des princes qui ont régné sur diverses parties du monde. M’étant astreint à suivre toujours un même système, celui de condenser et d’abréger, j’ai pu éviter bien des difficultés et atteindre facilement le but que j’avais en vue. M’introduisant, par la porte des causes générales, dans l’étude des faits particuliers, j’embrassai, dans un récit compréhensif, l’histoire du genre humain; aussi ce livre peut être regardé comme le véritable dompteur de tout ce qu’il y a de plus rebelle parmi les principes philosophiques qui se dérobent à l’intelhgence; il assigne aux événements politiques leurs causes et leurs origines, et forme un recueil philosophique, un répertoire historique.

Comme il renferme l’histoire des Arabes et des Berbers, peuples dont les uns habitent des maisons et les autres des tentes; qu’il traite des grands empires contemporains de ces races; qu’il fournit des leçons et des exemples instructifs touchant les causes primaires des événements et les faits qui en sont résultés, je lui ai donné pour titre[26]: Kitab el-îber, oua diouan el-mobteda oaa’l-khaber ; fi aiyam il-Arab oua’l-Adjem oua’l-Berber, oua men aasarahom min dhoui ’s-soltan il-akber (le Livre des exemples instructifs et le Recueil du sujet et de l’attribut [ou bien : des Origines et de l’histoire des peuples], contenant l’histoire des Arabes, des peuples étrangers, des Berbers et des grandes dynasties qui leur ont été contemporaines).

Pour ce qui concerne l’origine des peuples et des empires, les synchronismes des nations anciennes, les causes qui ont entretenu l’activité ou amené des changements chez les générations passées et chez les diverses nations; pour tout ce qui tient à la civilisation, comme la souveraineté, la religion, la cité, le domicile, la puissance, l’abaissement, l’accroissement de la population, sa diminution, les sciences, les arts, le gain[27], la perte, les événements amenés par des révolutions P. 8. et retentissant au loin, la vie nomade, celle des villes, les faits accomplis et ceux auxquels on doit s’attendre, j’ai tout embrassé et j’en ai exposé clairement les preuves et les causes. De cette manière, l’ouvrage est devenu un recueil unique, attendu que j’y ai consigné une foule de notions importantes et de doctrines naguère cachées et maintenant faciles à entendre.

J’avoue toutefois que, parmi les hommes des différents siècles, nul n’a été plus incapable que moi de parcourir un champ si vaste[28] ; aussi je prie les hommes habiles[29] et instruits d’examiner mon ouvrage avec attention, sinon avec bienveillance, et, lorsqu’ils rencontreront des fautes, de vouloir bien les corriger, en me traitant toutefois avec indulgence. La marchandise que j’offre au public aura peu de valeur aux yeux des savants; mais, par un aveu franc, on peut détourner le blâme, et l’on doit toujours compter sur l’obligeance de ses confrères. Je prie Dieu de rendre mes actions pures devant lui ; je compte sur lui, et c’est un excellent protecteur[30]. (Coran, sour. iii, vers. 167.)

  1. Les docteurs de la loi musulmane définissent ainsi le mot Saheb (Compagnon) : « Le titre de Saheb se donne à tous ceux qui, croyant déjà à la mission du Prophète, l’ont rencontré et sont morts dans l’islamisme.» Dans cette définition, on a préféré employer le verbe qui signifie rencontrer, plutôt que celui qui signifie voir, pour ne pas exclure de la catégorie des Compagnons quelques aveugles, tels que Abou Horeïra, Ibn Omm Mektoum et autres. Tout musulman orthodoxe est tenu de montrer une profonde vénération pour les Compagnons. Lors de la mort de Mohammed, leur nombre dépassait cent quatorze mille. On conserve encore les notices biographiques des plus illustres d’entre eux. Le Talkîh d’Ibn el-Djouzi, manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 631, renferme une liste alphabétique des principaux Compagnons.
  2. L’adjectif ethnique El-Hadrami signifie membre de la tribu de Hadramaout. Voy. l’Introduction, p. vii.)
  3. Voici les versets de la Bible par lesquels, selon les musulmans, est prédite la venue de Mohammed : « Et ait (Moyses) : Dominus de Sinaï venit, et de Seir ortus est nobis : apparuit de monte Pharan.» (Deut. xxxiii, 2.) Seir, la chaîne de montagnes qui s’étend de la mer Morte à la mer Rouge, est, disent-ils, la montagne où Jésus reçut du ciel le saint Evangile ; Pharan, c’est la Mecque avec les montagnes des alentours. Ou pourrait répondre que Pharan est le désert qui s’étend depuis le mont Sinaï jusqu’à la limite méridionale de la Palestine, celle où les Israélites passèrent trente-huit ans. Le second verset est celui-ci : « Ex Sion species decoris ejus.» (Ps. xlix, 2.) Selon la version syriaque, le texte hébreu signifie : « Ex Sion coronam ogloriosam Deus ostendet. » Or, disent-ils, la couronne, c’est le royaume de l’islamisme, et gloriosus est l’équivalent de Mohammed (laudatus). Nous lisons dans l’Évangile de saint Jean (xvi, 7) : « Si enim non abiero, Paraclelus non veniet ad a vos.» Les musulmans prétendent que les chrétiens ont altéré le texte de leurs livres sacrés et que, voulant en faire disparaître tout ce qui annonçait la mission de Mohammed, ils ont substitué le mot παράκλητος à περικλυτός (inclytus, celebris), mot qui est l’équivalent d’Ahmed (laude dignior) ; or le Coran, sourate lxi, verset 6, donne le nom d’Ahmed à Mohammed.
  4. Croyance fondée sur ces deux paroles de Mohammed : كنت نبيا وادم بين الروح رالسد نين اللء رالطين, « Adam était encore entre le corps et l’esprit, entre l’eau et l’argile, que j’étais déjà prophète ; » ارل ما خاق ازاسه نورى, « la première chose que Dieu créa, ce fut ma lumière.»
  5. C’est-à-dire, entre la partie supérieure du monde, le septième ciel, celui de la planète Saturne (Zohel) et la partie inférieure. Le terme béhémout est emprunté à la langue hébraïque où il signifie animal, bête. En arabe il est employé pour désigner le poisson monstrueux qui porte sur son dos les sept terres. Dans la cosmographie musulmane, il y a sept cieux, placés l’un au-dessus de l’autre (voyez Coran, sour. lxv vers. 12), et sept terres dont six sont placées successivement au-dessous de la nôtre. Dieu chargea un ange de supporter le poids de ces terres ; l’ange se tient debout sur le dos d’un taureau, ثور : le taureau est porté par un poisson, حوت (ou نون), appelé béhémout ; le poisson est soutenu par l’eau; l’eau par l’air ; l’air par les ténèbres. Aucun être créé ne sait ce qui soutient les ténèbres. Cette indication, prise dans la vingt-troisième section du Mesalek el-Ahsar, ouvrage composé par Chihab ed-Dîn Ibn Fadl-Allah, a été reproduit par Damîri dans son Dictionnaire zoologique, le حياة اليوان sous l’article ثور. Il y revient encore sous l’article نون. Ibn el-Ouerdi en parle aussi dans son Traité de géographie ; il dit : « Les sept terres et leurs mers sont portées par le nun, نون, c’est-à-dire le haout, حوت (poisson), dont le nom est béhémout. Au-dessous du poisson est placé le vent ; au-dessous du vent, sont placées les ténèbres ; au-dessous des ténèbres, l’humidité ; au-dessous de l’humidité, Dieu seul sait ce qu’il y a. » (Ms. arabe de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, no 577, fol. 78 recto.) Le mot béhémout signifie aussi le fond d’un puits, la profondeur d’un abîme ; il s’emploie quelquefois avec la signification de guerrier, héros.
  6. Forcé par ses ennemis de s’enfuir de la Mecque, Mohammed, disent les légendaires, alla se cacher, avec Abou-Bekr, dans la caverne du mont Thour, près de la ville. Ils y étaient encore quand une colombe vint pondre ses œufs devant l’ouverture de la grotte, et une araignée y tissa sa toile. A cette vue, les gens envoyés à leur poursuite retournèrent sur leurs pas, étant persuadés que personne n’était entré dans la caverne.
  7. Le mot tofaïl signifie parasite, intrus, imitateur.
  8. Mohammed Ibn Ishac, auteur d’un recueil de traditions relatives à Mohammed et à ses expéditions militaires (Kitab el-Meghazi), mourut à Baghdad vers l’an 150 de l’hégire (767 de J. C.). Ce fut d’après ces documents qu’Ibn Hicham rédigea son Siret er-Rasoul, ouvrage très-important, dont M. Wüstenfeld a publié dernièrement le texte entier.
  9. Mohammed Ibn Djerîr et-Taberi, commentateur du Coran et auteur d’une histoire très-célèbre, naquit à Amol dans le Taberistan et mourut à Baghdad, en l’an 310 (923 de J. C.).
  10. Abou ’l-Monder Hicham Ibn Mohammed el-Kelbi, généalogiste et historien des anciens Arabes du désert, était natif de Koufa. Il composa un grand nombre de traités dont nous ne connaissons que les titres. Son Djemhera, ou collection complète de généalogies, était un ouvrage très-estimé. Il mourut vers l’an 204 (819 de J. C.).
  11. Mohammed Ibn Omar el-Ouakedi composa un grand nombre d’ouvrages dont les plus importants traitaient des expéditions et conquêtes faites par les musulmans après l’établissement du klialifat. Né en l’an 130 (747 de J. C.), il passa de Médine à Baghdad, remplit les fonctions de cadi dans cette ville, et mourut en l’an 207 (822-23 de J. C.).
  12. Seïf Ibn Omar el-Acedi et-Temîmi composa un grand ouvrage sur les conquêtes des premiers musulmans, une histoire des révoltes et apostasies des tribus arabes, et une histoire de la bataille du Chameau. Taberi reproduit très-souvent les récits de cet historien dans sa grande chronique.
  13. Abou ’l-Hacen Ali el-Masoudi, auteur des Prairies d’or (Moroudj ed-deheb), du Tenbîh et de plusieurs autres ouvrages, mourut en l’an 345 (956 de J. C.). Les travaux de M. de Sacy, de M. Quatremère, de M. Reinaud, de M. Sprenger et d'autres orientalistes, ont fait bien connaître les ouvrages de cet écrivain. La société asiatique est sur le point de publier le premier volume, texte et traduction, des Prairies d'or. Le mot que nous écrivons Masoudi doit se prononcer Messaoudi.
  14. La dynastie des Omeïades et celle des Abbacides.
  15. Pour ابن ابو حيان, lisez ابن حيان. Abou-Merouan Haiyan Ibn Khalef, natif de Cordoue et généralement connu sous le nom d’Ibn Haiyan, composa deux grands ouvrages sur l’histoire de l’Espagne musulmane, le Moctabès, en dix volumes, et le Mutîn, en soixante. On ne possède en Europe qu’un seul volume du Moctabès; le Matin est resté inconnu. Cet historien mérite bien la haute réputation dont il a toujours joui. Né en l’an 677 (987-88 de J.-C.), il mourut en 469 (1076).
  16. Chez les historiens arabes, le mot Ifrikiya désigne la Mauritanie orientale. La régence actuelle de Tunis, celle de Tripoli et la province de Constantine, formaient le royaume de l’Ifrîkiya, pendant que le reste de l’Algérie et les États marocains composaient le Maghreb. — Abou-Ishac Ibn er-Rekîk composa aussi une notice généalogique des tribus berbères. Il mourut postérieurement à l’an 340 (952 de J.-C.). (Voyez le Journal asiatique de septembre 1844.)
  17. Voy. la Grammaire arabe de Silv. de Sacy, 2e édit. t. I, p. 91 et planche VIII.
  18. Abou Ali el-Hacen Ibn Rechîk, natif de Cairouan et auteur de plusieurs ouvrages philologiques, poétiques et historiques, mourut à Mazzera, en Sicile, l’an 463 (1070).
  19. Haddji Khalifa dit que, dans cet ouvrage, l’auteur se borne à indiquer combien de jours chaque souverain avait régné.
  20. Littéral. «qu’ils changent de place ou qu’ils restent tranquilles ; » expression analogue à celle-ci : لا يُرّ ولا يَاى, « cela n’est ni amer ni doux ; c’est-à-dire, c’est indifférent, peu importe.»
  21. Voy. sur ce passage la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, tome II, page 290.
  22. Pour الذان, lisez اللذان. Toutes les corrections indiquées dans les notes sont autorisées par les manuscrits.
  23. La partie de l’ouvrage à laquelle on donne ordinairement le litre de Prolégomènes se compose des prolégomènes proprement dits et du premier livre.
  24. Hors du Maghreb, les Berbers avaient fondé en Egypte l’empire des Fatemides. En Espagne, les Zîrides de Grenade, les Almoravides et les Almohades étaient des Berbers.
  25. Pour واواهم, lisez ودواهم.
  26. Voy. la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. I, p. 390.
  27. Littéral. l’acquisition. C’est le κτῆσις d’Aristote ; voy. Politique, liv. I, ch. v.
  28. Pour القضاء, lisez الفضاء.
  29. Littéral, qui ont la main blanche.
  30. Le texte de ce chapitre, étant en prose rimée, offre nécessairement des mots inutiles, des expressions peu naturelles et plusieurs exemples de tautologie.