Les Principes de 89 et le Socialisme/Livre 1/Chapitre 5

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CHAPITRE V


Les lois naturelles.



Caractère des lois naturelles. — Une loi naturelle est un rapport constaté entre des phénomènes déterminés.Elle devient une puissance mentale et une puissance matérielle. — Ses preuves. — Netteté de ses conséquences. — Non à cause de, mais conformément à… — La loi de la chute des corps. — La loi de l’offre et de la demande. — Loi humaine. — Une loi humaine est d’autant plus efficace que la sanction en est plus précise et plus immédiate. — Principe établi.


Il est nécessaire, tout d’abord, de rappeler le véritable caractère d’une loi scientifique.

Les phénomènes de cet ensemble de matières et de forces que nous appelons la Nature, sont tous liés les uns aux autres d’une manière intime. Si nous les séparons, si nous les définissons, si nous les classons, c’est en vertu d’une action mentale, l’abstraction. Quand nous parlons donc d’une « loi naturelle », il ne faut pas s’imaginer qu’elle est de celles que Moïse a rapportées du Sinaï. Elle n’est gravée sur aucune table de pierre ; elle n’a été édictée par personne.

Un exemple. On a pu mesurer, par différents procédés, les espaces parcourus par un corps qui tombe librement, et on en est arrivé à établir :

1o Que tous les corps, dans le vide, tombent avec une égale vitesse ; 2o que les espaces parcourus par un corps qui tombe dans le vide sont proportionnels aux carrés des temps employés à les parcourir ; 3o que les vitesses acquises par un corps qui tombe dans le vide sont proportionnelles aux temps écoulés.

Quand une certaine cause est toujours suivie d’un certain effet, nous appelons cette constance de relations loi naturelle.

Une loi naturelle est un rapport constaté entre des phénomènes déterminés.

Cette loi, dit fort bien Littré[1], devient une puissance mentale, car elle se transforme en instrument de logique ; une puissance matérielle, car elle nous donne le moyen de diriger les forces naturelles.

Une telle loi n’admet aucune exception. Son exactitude se prouve par la netteté de ses conséquences. Huxley a remarqué avec juste raison que la loi naturelle, fixée par nous, n’est pas la cause des phénomènes ; mais elle indique les phénomènes qui se produiront, dans certaines circonstances, d’une manière implacable. Si vous jetez une pierre par la fenêtre, vous la voyez tomber immédiatement. Ce n’est pas à cause de la loi de la pesanteur qu’elle tombe, mais conformément à la loi de la pesanteur que l’homme a pu préciser ; elle ne tombe pas avec les vitesses que nous venons de rappeler à cause des lois des espaces et des vitesses, mais conformément à ces lois.

La loi de l’offre et de la demande n’est pas la cause de la baisse ou de la hausse du prix des marchandises. C’est une formule d’après laquelle on est certain que si, sur un marché, il y a plus de marchandises offertes que de marchandises demandées, leur prix baissera, et que, si le contraire se produit, leur prix haussera.

La loi élaborée par le législateur a le même caractère. Il fixe certains rapports et détermine certains effets qui résulteront de l’observation ou de la non-observation de la loi.

Telle ou telle loi vous oblige à payer tel impôt. C’est une obligation dont vous vous déchargeriez volontiers sur votre voisin, avouez-le entre nous, si bon citoyen que vous puissiez être. Cependant vous payez ; pourquoi ? Non pas à cause de la loi, mais à cause des effets qu’elle comporte.

Vous savez que la loi a des sanctions qui la rendent obligatoire et que, si vous ne vous y conformiez pas volontairement, vous y seriez contraint. Par accoutumance, vous accomplissez aisément ce devoir, de même que lorsque du cinquième étage vous voulez descendre dans la rue, vous consentez sans hésitation aux détours de l’escalier au lieu de prendre la verticale.

Une loi humaine est d’autant plus efficace que la sanction est plus précise et plus immédiate.

En constatant le caractère et l’efficacité des lois naturelles, nous en arrivons déjà à déterminer, dans une formule, un des caractères des lois positives. Nous venons d’établir un principe.


  1. Auguste Comte, p. 42.