Michel Lévy frères (p. 2-36).
PERSONNAGES

Carolus de Valtravers, compositeur de musique.

De Vertchoisi, poète.

Ulric, peintre.

Gaudin, bourgeois.

Dumouflard, maître de forge.

Fulbert, domestique de Gaudin.

Madame Gaudin’’'

Delphine, nièce de Gaudin.

Olympe, couturière.


Scène I

FULBERT, seul
fulbert
seul assis à gauche, un livre à la main, il est en livrée de groom.

Se sentir une âme de poète et porter la livrée ! oh ! la société ! la société !

On sonne, il se lève.

Voilà ! voilà ! C’est M. Carolus de Valtravers qui demande son lait… voilà un homme harmonieux !… un compositeur magistral et truculent !… faut l’entendre quand il cause avec ses deux amis… trois beaux esprits… qui se sont installés dans la maison… ils vous ont des mots… des phrases !… les bourgeois n’y comprennent rien… ils sont si bêtes, les bourgeois !… Madame Gaudin et sa nièce cherchent à parler comme eux… mais ce n’est pas ça… c’est poncif ! — Ah ! voilà Madame !


Scène II

FULBERT, MADAME GAUDIN et DELPHINE
Mme gaudin entre, donnant le bras à delphine, elle porte des lunettes à branches très minces et tient un livre à la main.
madame gaudin

Sa broche d’opale !… qu’est-ce que ça peut être ?

madame gaudin

Mais ma tante, c’est la pâle Phœbé !

madame gaudin

Mon Dieu ! que cet auteur-là a donc d’esprit !…

Fulbert rentre avec une tasse de lait à la main et passe à droite.

Sa broche d’opale !… M. Paul de Kock aurait dit tout platement la lune… Ah ! le vilain homme !

fulbert

à part avec mépris. Il aurait dit la lune… le ferblantier !

On sonne.

Voilà ! Voilà !

madame gaudin
Ah ! Fulbert… comment vont ces Messieurs ?
fulbert

Très bien… sauf M. Carolus, le noyé, qui est toujours bien languissant.

madame gaudin

Pauvre sensitive !

fulbert

Ah ! Madame !… il y a là une ouvrière que vous avez fait demander.

madame gaudin

C’est bien… faites-la entrer.

Fulbert

Tout de suite, Madame… dès que j’aurai porté le lait au noyé…

A part, en sortant.

Oh ! la société ! la société !

Il renverse une partie de son lait et sort à droite.

Scène III

MADAME GAUDIN, DELPHINE
delphine

Ce pauvre M. de Valtravers… quand on songe qu’il n’est pas encore rétabli… depuis trois semaines qu’il est ici avec ses amis…

Madame Gaudin

Et tout cela pour avoir voulu disputer aux flots un notaire !… un prosaïque notaire !…

Delphine

Quelle abnégation !

Madame Gaudin

Les artistes sont tous comme ça !… Qu’un tabellion tombe à l’eau… il se trouvera sur la berge trois hommes d’élite… tout prêts à se précipiter… Quel bonheur que notre maison de campagne se soit trouvée là, sous leur main, au moment de l’accident… et quelle charmante surprise pour M. Gaudin, mon mari, au retour de son voyage !

Delphine

Oh ! je me souviendrai longtemps de cette scène… je vois encore la figure de l’infortuné quand ses deux amis l’ont déposé à la grille du parc !… il était bleu !…

Madame Gaudin
avec exaltation.

Oh ! voir à sa porte un homme bleu… et ne pouvoir lui dire : donnez-vous la peine d’entrer !… c’était au-dessus de mes forces… aussi foulant aux pieds des scrupules bourgeois… je n’hésitai pas à offrir un asile à ces nobles jeunes gens… et je ne m’en repens pas… car depuis qu’ils sont ici mon âme s’est ouverte sous la chaude haleine de leurs regards toujours d’azur !

Delphine
Et comme ils s’expriment bien, ma tante !
Madame Gaudin

Des lyres, mon enfant, des lyres !… M. de Valtravers surtout… quelle tendresse contenue dans son regard !… quand on l’a apporté, il m’a semblé voir la statue de la douceur sortant de l’onde amère !

Delphine

L’onde amère !… à Bougival !

Madame Gaudin

Qu’importé ? c’est pour la phrase !… et M. Ulric, le peintre… car je flotte entre ces deux enfants perdus de la poésie… quelle tête byronienne ! comme il est acre et amer !… il me fait peur et m’attire tout à la fois… comme l’abîme.

Delphine

Ah ! bien, moi, M. de Vertchoisi ne me fait pas peur, au contraire…

Madame Gaudin

Comment ?

Delphine

Je lui trouve quelque chose de surhumain, de séraphique, de pas possible !…

Madame Gaudin

Petite poète !

Delphine

Comme on sent bouillir l’inspiration sous ce vaste crâne… dégarni par les veilles !…

Madame Gaudin

Épilé par les muses !… — Mais tu en parles avec un enthousiasme…

Allant s’asseoir.

Delphine ?

Delphine

Ma tante !

Madame Gaudin

Approche… sur mes genoux…

Delphine s’assoit sur ses genoux.

Maintenant, parle, enfant… égrène dans mon sein le rosaire de tes confidences…L’aimerais-tu ?

Delphine
se levant.

Quand je respire le bruit de ses pas, je frissonne… quand sa voix éclaire mon oreille… je tremble !… quand son regard frappe à la porte du mien… je soupire !… est-ce de l’amour, ô ma tante ?

Madame Gaudin
se levant, à part.

Saprelotte !… j’en ai bien peur !…

Haut.

Mais ai-je le droit de te blâmer quand moi-même…

Delphine

Quoi ?

Madame Gaudin
riant.

Rien !

Delphine

Ce n’est pas ma faute… M. de Vertchoisi a toujours des choses si aimables à vous dire !… Hier, il m’a comparée à une goutte de rosée endormie au sein d’un pavot.

Madame Gaudin

Ah ! le sein d’un pavot !… cela flatte une femme… c’est comme ce fou de Valtravers qui, il y a trois jours, me comparait à une cavale… pétrie dans un rayon de soleil !…

Modestement.

Mais je ne l’ai pas cru… soyons fortes… ô ma nièce, et mettons un cadenas d’ivoire à la porte de nos rêveries !


Scène IV

MADAME GAUDIN, DELPHINE, OLYMPE
Olympe, entrant par la gauche, à part.

Ah ! mais, ça m’ennuie de faire le pied de grue.

Madame Gaudin

Qu’y a-t-il ?

Olympe

On m’a dit que Madame avait besoin d’une ouvrière.

Madame Gaudin

Oui ! je sais…

A part.

Quel ennui !

Olympe

Je dois prévenir Madame que je n’ai pas l’habitude d’aller en journée… c’est la première fois…

Madame Gaudin

Très bien…

Olympe

Je sais faire les robes.

Delphine

C’est bon.

Olympe

Je travaille bien dans le linge !

Madame Gaudin

Assez !… je vous arrête.

Olympe, étonnée.

Ah bah ! Et pour ce qui est de la probité…

Madame Gaudin

La probité !… on ne vous demande pas ça… savez-vous comment M. Ulric la définit, la probité !

Olympe

M. Ulric ?

Madame Gaudin, d’un ton satanique.

Un flocon de neige qui n’attend pour fondre qu’un rayon de soleil.

Delphine, avec enthousiasme.

Que c’est beau !

Madame Gaudin

Que c’est amer !

Olympe, à part.

Ah ! ça, elles sont fêlées, ces femmes-là !

Madame Gaudin

Maintenant, je dois vous prévenir d’une chose très importante.

Olympe

Laquelle, Madame ?

Madame Gaudin

Je ne veux pas qu’il entre chez moi un seul roman de M. Paul de Kock… ni le : moindre vaudeville… quant au reste, ça m’est égal.

Olympe

Madame peut être tranquille.

Madame Gaudin

Nous avons ici des artistes, peintres, poètes, musiciens…

Olympe

Oh ! là ! là !

Madame Gaudin

Et ce genre de littérature… les fait grincer comme une pomme verte.

Olympe

Alors, c’est pas des vrais artistes…

Madame Gaudin

Qu’est-ce à dire ?

Olympe

Ah ! c’est que, voyez-vous, Madame, il y en a des vrais et des faux…

Delphine

Comment ?

Olympe

Des vrais qui ne méprisent personne, parce qu’ils sont au-dessus de tout le monde… et des faux qui méprisent tout le monde parce qu’ils ne sont au-dessus de personne… j’en ai connu !… fichue clique !…

Madame Gaudin

Impertinente ! apprenez que les gens que j’abrite sous mon toit…

Delphine

Sont des hommes de six coudées !

Olympe, regardant le plafond.

Et y tiennent ?

Madame Gaudin

Taisez-vous !

Olympe

Après ça, ça ne me regarde pas… quand on travaille chez les autres, faut s’attendre à tout et savoir vivre avec tout le monde.

Madame Gaudin

C’est bien heureux ! Allez vous installer dans la li ngerie… un étage au-dessus… et vous vous entendrez avec ma femme de chambre…

Olympe

Ça suffit, Madame…

A part.

Des rapins, des écrivassiers, des croque-notes… je ne ferai pas de vieilles dents ici.

Elle sort.



Scène V

MADAME GAUDIN, DELPHINE, FULBERT, PUIS VERTCHOISI ET ULRIC
Madame Gaudin

Cette fille manque de lyrisme !

Fulbert, entrant par la droite.

M. de Vertchoisi et M. Ulric font demander si ces dames consentent à leur accorder la sucrerie d’un entretien.

Madame Gaudin

Certainement.

Delphine

Un moment ! Les deux dames courent à la glace et arrangent leur coiffure.

Madame Gaudin, à Fulbert.

Faites entrer.

Fulbert, annonçant.

M. de Vertchoisi !… M. ulric. vertchoisi et ulric entrent, ils sont en bottes vernies, gants blancs, mise très élégante. {{didascalie|Salutations graves et cérémonieuses.|c}

Madame Gaudin, à vertchoisi.

Eh bien, cher poète, avez-vous un peu dormi ?

Vertchoisi

Moi, Madame ?… Je ne dors jamais… par principe ! Qu’est-ce que le sommeil ? la soustraction de la vie ?… qu’est-ce que la veille ? la multiplication de l’existence !

Delphine

Ah ! que c’est bien dit !

Madame Gaudin

Et vous. Monsieur ulric ?

Ulric

Moi, c’est le contraire… je dors toujours… par principe ! Qu’est-ce que la vie ?… une angoisse, un long mal de dents… Qu’est-ce que le sommeil ?… un dentiste ! multipliez trois nuits par douze heures d’insomnies… et vous aurez trente-six douleurs.

Madame Gaudin, transportée.

Quelle charmante comptabilité !

Delphine

Quant à nous, nous nous sommes promenées fort tard dans le parc…

Madame Gaudin

Oui… la nuit silencieuse avait arboré sa broche d’opale.

Vertchoisi

Ah ! délicieux !… de qui est le mot ?


Madame Gaudin, hésitant.

Mais… il est de moi…

Delphine, bas.

Ah ! ma tante !

Madame Gaudin

Tais-toi donc !… il ne faut pas avoir l’air de boutiquières !

Haut.

Et comment se comporte ce matin M. de Valtravers… notre cher noyé ?

Ulric

Oh ! bien doucement…

Vertchoisi

II a eu cette nuit une petite rechute.

Madame Gaudin

Ah ! pauvre jeune homme !

Vertchoisi

Vous nous en voyez confus… car nous abusons vraiment d’une hospitalité…

Delphine

Par exemple !

Madame Gaudin

Ne parlons pas de ça !… parlons de vos œuvres plutôt… Comptez-vous bientôt faire éclore quelques-unes de ces rutilantes poésies…

Vertchoisi

Plus tard, belle dame… mes strophes sont encore suspendues aux mamelles de ma fantaisie !…

Madame Gaudin, avec ménagement.

Et… de quelle école êtes-vous ?

Vertchoisi

De la mienne, Madame… je conteste toutes les autres.

Ulric

Nous contestons toutes les autres !

Madame Gaudin

II en est, cependant, que la renommée a consacrées.

Vertchoisi et Ulric

La renommée !

Vertchoisi

Nous ne sacrifions pas à cette idole, dont les méplats et les teintes mordorées se jouent dans les pénombres de ce phantascope qui a pris le monde pour stylobate !… voilà mon opinion !

Ulric

Je la partage.

Madame Gaudin

Stylobate !… Ah ! que c’est joli !…

Bas à sa nièce.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Delphine, bas.

Je ne sais pas, ma tante.

Madame Gaudin

Mais, où allez-vous chercher tous ces mots mélodieux ?

Vertchoisi

Oh ! nous ne les puisons pas dans le dictionnaire de M. l’Académie française !

Ulric, grinçant.

Oh ! l’Académie française !

Madame Gaudin, le calmant.

Voyons !… calmez-vous… Que ferons-nous, aujourd’hui ?… je propose une promenade.

Vertchoisi

Adopté !

Madame Gaudin

Vous paraissez aimer la campagne, Monsieur de Vertchoisi ?

Vertchoisi

Si je l’aime ?… c’est-à-dire que c’est une infirmité… je serai obligé de m’en faire opérer…

Ulric, avec amertume.

Ah ! tu crois à la campagne, toi ?

Vertchoisi

Je ne m’en cache pas… j’aime les bois, les prés, les fleurs…

Ulric

Moi ! je ne crois pas aux fleurs !…

Madame Gaudin

Monsieur Ulric… je vous demande grâce pour mes rosiers.

Ulric

Les rosiers sont des petits bâtons qui tiennent la place des asperges…

Madame Gaudin, avec enthousiasme

Qu’il est amer !… Du chicotin ! pur chicotin ! (A Ulric.) Mais votre cœur est donc sourd et muet ?

Ulric

Si cela était. Madame… vous seriez bientôt son abbé de l’Éppée.

Madame Gaudin, transportée.

Son abbé de l’Épée ! Ah ! que c’est joli ! C’est outrageusement galant !

Fulbert, entrant, et très haut.

Madame, c’est la blanchisseuse de gros !

Madame Gaudin, révoltée.

Animal !

Vertchoisi

Butor !

Fulbert

Quoi donc ?

Madame Gaudin

Venu— nous parler de la blanchisseuse !

Ulric

De gros !

Madame Gaudin

Quand nous planions sur les cimes…

Fulbert, s’excusant.

Pardon… je ne savais pas que Madame planât… (A Vertchoisi.) Monsieur, il y a aussi là un Anglais qui demande si vous voulez lui vendre votre chien danois.

Ulric et Vertchoisi

Tiens !…

Vertchoisi

Et combien en offre-t-il ?

Delphine, avec reproche.

Oh !… vendre son chien !

Vertchoisi, avec feu.

Jamais… vendre son chien !… ce compagnon de nos joies et de nos misères !…

Ulric

Le chien ! la dernière élégie du pauvre !

Vertchoisi

Le chien ! Poète sublime de la résignation et du sacrifice ! (A Fulbert.) Tu entends !… jamais !… jamais !…

Ulric, bas à Fulbert.

C’est égal, si tu en trouves soixante francs… lâche-le !

Fulbert, étonné.

Ah ! bah !

Il remonte.
Madame Gaudin

Quelle noblesse de sentiments !

Delphine, à vertchoisi, avec émotion.

Oh ! merci. Monsieur… merci !., je suis heureuse ! bien heureuse de vous entendre parler ainsi…

Vertchoisi, à part.

Tiens ! comme elle a dit ça !

Fulbert, bas à Mme Gaudin.

Madame, faut-il servir ?

Madame Gaudin, à Vertchoisi et à Ulric.

Shakespeare l’a dit, Messieurs… les femmes doivent savoir quelquefois descendre sur la terre… nous allons nous occuper du déjeuner ?

Vertchoisi, à part.

Ma foi ! Shakespeare a bien fait de dire ça… s’il l’a dit !…

Saluant.

Mesdames…

Les deux dames, saluant.

Messieurs…

Madame Gaudin, sortant, suivie de Delphine.

Oh ! que ces hommes sont grands !

AIR : A ma voix rebelle (Le Chien du jardinier, scène 1re).

Une voix me crie : Pour de vils apprêts Quitte les sommets De la poésie, Car nos entremets Ne seraient pas prêts… Et je m’y soumets.

Madame Gaudin, Delphine, ensemble.

Une voix me crie, etc.

Vertchoisi, Ulric

Une voix vous crie : Pour de vils apprêts Quittez les sommets De la poésie ; Partez sans regrets, Car les entremets, N’attendent jamais.


Scène VI

VERTCHOISI, ULRIC, VALTRAVERS
Valtravers, paraissant à la porte de droite ; il est enveloppé d’une robe de chambre.

Dites donc, êtes-vous seuls ?

Vertchoisi

Valtravers !

Ulric

Veux-tu rentrer ! si on te voyait !

Valtravers

Je n’ai plus de tabac.

Vertchoisi

Tu ne dois pas fumer !

Ulric

Un noyé !

Valtravers

Ah ! mais ! il m’embête mon rôle de noyé ! j’en ai assez !

Vertchoisi

Tu n’y penses pas ! tu es notre billet de logement. Le jour où tu seras guéri… nous serons obligés de partir.

Valtravers

Vous êtes bons, vous ! vous dînez !… vous déje unez… tandis que moi… je ne bois que du lait, sapristi !… et il ne me réussit pas…

Vertchoisi

Puisque tu es noyé.

Valtravers

Ce n’est pas une raison pour me planter là… Je n’ai pour société qu’un grand dindon de domestique qui, sous prétexte de me frictionner, me brosse l’épigastre trois fois par jour… ce qui me creuse horriblement.

Ulric

Ce pauvre Carolus !

Vertchoisi

A qui la faute ?

Ulric

Notre propriétaire nous avait déposés sur le trottoir.

Vertchoisi

Promenade continuelle de nos créanciers.,.

Valtravers

Nous ne sortions plus qu’avec des lunettes bleues…

Ulric

Ce qui est fort laid pour des poètes…

Vertchoisi

Le moment était venu de faire une partie de campagne.

Valtravers

J’autorise ma femme à partir pour les eaux… avec sa noble famille !

Ulric

Nous dînons à Bougival…

Vertchoisi

Mais voilà que sur les minuit tu tombes sous la table !…

Ulric

Avec une bouteille de cognac… vide…

Valtravers

Mes enfants, je voulais m’étourdir…

Vertchoisi

Le gargotier nous flanque à la porte… Heureusement j’aperçois une lumière filtrant à travers les volets de ce cottage… Je sonne… on ouvre… Je demande des secours pour un noble jeune homme qui s’est précipité dans la Seine pour sauver un notaire, qui se noyait par mégarde.

Ulric

On pousse des cris d’admiration !… et on nous offre l’hospitalité j jusqu’à ta complète guérison…

Vertchoisi

Et tu veux guérir, imbécile !

Valtravers

Mais si je mangeais, je trouverais la farce excellente. C’est triste à dire… mais j’en suis réduit à rôder la nuit dans le verger pour chiper des abricots verts.

Ulric

Ah ! que c’est bête !… moi, qui me faisais une fête de les manger mûrs !…

Valtravers

J’ai aussi remarqué un cygne sur la pièce d’eau… je suis en train de l’apprivoiser.

Vertchoisi

Pour quoi faire ?

Valtravers

Pour lui emprunter un aileron… On dit que ça se mange.

Ulric

Ah ! mais ! je m’y oppose ! j’ai des vues sur cette volaille.

Valtravers

Toi ?…

Ulric

Pour mon tableau de Jupiter et Léda.

Vertchoisi

Tu veux faire un tableau, insensé !… tu veux prêter le flanc à la critique !… crois-moi, Ulric, ne fais rien, et reste un véritable artiste.

Valtravers

Tout homme qui se laisse discuter… est un homme perdu… et on ne discute pas le silence !…

Ulric

Jolie maxime pour un musicien !

Valtravers

Je l’ai toujours pratiquée.

Fulbert, entrant par la gauche un plat à la main.

Messieurs, les côtelettes se lamentent en votre absence !

Il sort à droite.
Valtravers

Les côtelettes !

Vertchoisi, bas à Valtravers.

Chut ! rentre dans ta chambre… nous t’avons gratifié d’une rechute…

Valtravers

Ah ! mais zut !… je vous déclare que ce soir à six heures… je suis guéri et je dîne !

Vertchoisi

Gourmand !

Vertchoisi, Ulric

A table ! à table !

Vertchoisi et Ulric, ensemble.
AIR : Jour de l’hyménée (Mosquita.

La bonne existence ! Quelle jouissance De faire bombance, Quand on n’a pas peur, Après la séance, De voir à distance Poindre la quittance Du restaurateur.

Valtravers, à part.

La triste existence ! Feindre la souffrance, Et, de l’abstinence Subir la rigueur. Vivre sans pitance Et d’une bombance Flairer à distance Le fumet railleur.

Fulbert

Pour l’homme qui pense, La triste existence ! Dans la dépendance Avilir son cœur ! Prenons patience Et bonne espérance ; Le temps qui s’avance Nous sera meilleur.


Scène VII

VALTRAVERS, FULBERT
Valtravers

Ils vont manger. {{didascalie|(Arrêtant Fulbert prêt à entrer dans la salle à manger à gauche avec un plat.)|c} Qu’est-ce que tu portes là ?

Fulbert

Monsieur, c’est du macaroni…

Valtravers, à part.

On dit que les Napolitains mangent ça avec leurs doigts. {{didascalie|Il essaie d’en attraper.|c}

Fulbert, lui mettant dans la main un album.

N’oubliez pas l’album de Madame… vous lui avez promis une pensée ingénieuse…

Valtravers

Ah ! oui !

Fulbert, sortant.

Dans une heure, je reviendrai vous frictionner. {{didascalie|Il sort à gauche.|c}

Valtravers, seul, tenant l’album.

« Pensée ingénieuse d’un noyé. » {{didascalie|(Parlé.)|c} Qu’est-ce que je vais lui plaquer là-dessus ? Voyons… {{didascalie|(Cherchant sans écrire.)|c} « O belle Madame… quand pourrai-je planter le chou de l’espérance… dans le potager de vos bonnes grâces ! » — Non ! c’est trop simple ! autre chose ! — « La femme est un lac… un lac de bitume !… » {{didascalie|(On entend des voix en dehors.)|c} Ah ! des importun ns !… Allons ciseler ça dans ma chambre… {{didascalie|(Tout en sortant.)|c} La femme est un lac… {{didascalie|Il disparaît.|c}


Scène VIII

GAUDIN, DUMOUFLARD,, portant un sac de nuit,
PUIS FULBERT


Gaudin, entrant par le fond avec Dumouflard.

Entrez, mon cher Dumouflard, nous voici arrivés… Ah ! ça fait du bien de rentrer chez soi !

Dumouflard

Vous avez une charmante habitation…

Gaudin

Oh ! c’est gentil ! nous vivons là bourgeoisement, en famille. D’abord, je vous ai prévenu, nous sommes des gens tout ronds.

Dumouflard

C’est ainsi que je les aime… un maître de forges, un industriel n’a pas de prétentions aux belles manières… et si mademoiselle votre nièce désire tout simplement épouser un honnête homme…

Gaudin

Vous lui plairez… j’en réponds !…

Fulbert, sortant de la salle à manger et parlant à la cantonade.

Fulbert le café !… oui, Madame, tout de suite !…

Gaudin, à Dumouftard.

Ah ! c’est mon domestique… un pataud…

Fulbert, l’apercevant.

Tiens !… c’est Monsieur !…

Gaudin

Bonjour, mon garçon !… Ah ! ça, a-t-on un peu pensé à moi, ici ?…

Fulbert

Ah ! Monsieur !… chez les cœurs généreux, le souvenir est un diamant que l’absence ne saurait oxyder !…

Gaudin

Qu’est-ce qu’il chante ?…

Dumouflard, à part

Diable !… pour un pataud !…

Gaudin

Voyons, où est ma femme, ma nièce ?…

Fulbert

Ces dames déjeunent avec ces Messieurs.

Gaudin

Quels messieurs ?

Fulbert

Des fantaisistes… des natures dantesques !…

Gaudin

Dantesques !., , qu’est-ce qu’ils vendent ?

Fulbert.

Oh ! monsieur !… ils ne vendent rien… ce sont des gens très comme il faut… !

Gaudin et Dumouflard, offensés.

Hein ?…

Gaudin.

Est-il venu des lettres pour moi ?…

Fulbert, tirant une lettre de sa poche.

Oui, monsieur, en voilà une.

Gaudin.

Donne.

Fulbert.

Non !…

Gaudin.

Comment, non ?…

Fulbert.

Attendez !… (Il va prendre un plat d’argent et pose la lettre dessus.)

Gaudin, le regardant.

Qu’est-ce qu’il fait ?…

Fulbert, présentant le plat d’argent.

Le courrier de monsieur.[1]

Gaudin.

Pourquoi cette argenterie ?

Fulbert.

C’est l’usage, monsieur, on met les lettres sur le plat…

Gaudin.

Et sur quoi mettra-t-on les œufs, imbécile ? pourquoi ne me les présentes-tu pas à la cuiller ?

Fulbert.

Mais, si c’était la mode…

Gaudin.

Voyons, assez !… est-ce qu’il a grêlé ici, pendant mon absence ?

Fulbert.

Non, monsieur.

Gaudin.

En traversant le verger, je n’ai plus retrouvé un seul abricot.

Fulbert.

Ce sont sans doute les autans.

Gaudin.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Dumouflard.

Le vent.

Gaudin, à Fulbert.

Alors, pourquoi ne dis-tu pas le vent ?

Fulbert.

Non, monsieur, c’est poncif.

Gaudin.

Ah ! mais !… tu m’agaces à la fin, animal, butor ![2]

Fulbert

Allez, Monsieur, vous pouvez jeter le caillou de l’injure dans la mare de mon indifférence.

Gaudin

Encore !… (A Dumouflard.) Laissez-moi le gifler ?

Fulbert, se sauvant.

Je vais vous annoncer à ces dames…

Gaudin

Dépêche-toi, et puis tu iras chercher mes bagages au chemin de fer.

Fulbert

J’irai.

(A part, en sortant.)

Oh ! la société !…

Gaudin, à Dumouflard.

Il me tarde de vous présenter à ces dames ; justement j’entends ma nièce.

Dumouflard

Permettez-moi d’abord de faire un bout de toilette. Une première entrevue… c’est grave.

Gaudin

Allez, mon ami…

(Le faisant entrer à droite, deuxième plan.)

Tenez, par là…

Dumouflard sort.

Scène IX

GAUDIN, DELPHINE, PUIS MADAME GAUDIN, PUIS VALTRAVERS
Delphine, entrant.

Mon oncle ?…

Gaudin

Ah ! Delphine !…

Il l’embrasse.

Chère petite !…

Delphine

Votre voyage a-t-il été savoureux et doux ?…

Gaudin

Non !… ces banquettes sont d’un dur…

Madame Gaudin, entrant impétueusement.

Où est-il ?… où est-il ?…

Gaudin

Ah ! voilà ma femme !…

(Voulant l’embrasser.)

Bonjour, Madame Gaudin…

Madame Gaudin, l’écartant avec lyrisme.

O tristesse de l’absence !… O joies du retour !…

Gaudin, étonné, à part.

Qu’est-ce qu’elle a ?…

(Voulant l’embrasser.)

Bonjour, Madame Gaudin.

Madame Gaudin, l’écartant

Qu’elles sont longues les heures de l’attente, qu’elles sont amères, les larmes de la séparation !

Gaudin

Alors, pourquoi ne m’as-tu pas écrit ?…

Madame Gaudin

Des reproches ? tu apportes le soupçon dans les plis de ta robe ?…

Gaudin

Ma robe !…

(Voulant l’embrasser.)

Bonjour, Madame Gaudin.

Madame Gaudin, le repoussant pudiquement.

Non !… pas devant cette enfant !…

Gaudin

Comment !… je ne peux pas souhaiter le bonjour à ma femme devant ma nièce ?…

Madame Gaudin

Plus tard, plus tard, mon ami. — Nous avons ici de la société… des âmes d’élite !…

Gaudin

Pour quoi faire ?

Madame Gaudin

J’ai des projets pour delphine.

Gaudin

Tiens !… moi aussi !… je lui ai amené un prétendu.

Delphine et Madame Gaudin

Comment ?

Gaudin

Un maître de forges… un homme tout rond !…

Delphine, bas.

Mais, ma tante…

Madame Gaudin

Sois tranquille… quand il aura vu M. de Vertchoisi.

Valtravers, entrant son album à la main.

« La femme est un lac. » Sapristi ! je ne trouve rien !

Gaudin

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Madame Gaudin

C’est le noyé…

Gaudin

Quel noyé ?

Delphine

Qui a sauvé le notaire.

Madame Gaudin, présentant.

M. Carolus de Valtravers, auteur de la Symphonie du Silence…

Gaudin

Monsieur…

Valtravers, saluant.

Monsieur !…

(A part.)

Bonne binette !…

Il remonte, Delphine aussi.
Gaudin, à part, regardant la robe de chambre de Valtravers.

Mais c’est ma robe de chambre.

(A sa femme.)

Tu l’as fourrée dans ma robe de chambre, la Symphonie du Silence.


Scène X

GAUDIN, MADAME GAUDIN, DELPHINE, VALTRAVERS, VERTCHOISI, ULRIC, PUIS DUMOUFLARD, PUIS FULBERT
Madame Gaudin, entrant en riant, suivi d’Ulric.

Ah ! ah ! délicieux, ravissant.

Madame Gaudin

Quoi donc ?…

Vertchoisi

Un mot d’Ulric… pour l’amener, il a été obligé de casser une carafe, mais le mot est charmant.

(A Ulric.)

Répète-le.

Gaudin

Pardon… est-ce qu’il faudra casser une seconde carafe ?…

Ulric

Parbleu !… sans ça le mot n’y serait pas.

Valtravers

C’est comme moi… j’en ai un superbe… mais pour le faire, il faudrait brûler un avoué.

(A Gaudin.)

Vous n’auriez pas un avoué de trop ?

Madame Gaudin et Delphine

Ah !… charmant !… charmant !…

Gaudin, à part.

Brûler un avoué !… elles trouvent ça charmant !…

Madame Gaudin

Messieurs, je vous présente mon mari !…

Gaudin, saluant.

Marchand de zinc, pour vous servir.

Madame Gaudin, à Gaudin.

Tiens !… après dîner, Monsieur fera notre quatrième au whist.

Gaudin, interloqué.

Certainement… je vous remercie…

(Bas à sa femme.)

Tu les as donc invités à dîner ?…

Madame Gaudin

Mais oui !… mais oui !…

Gaudin, voyant Dumouflard qui entre.

Ah !… à mon tour, permettez-moi de vous présenter un de mes amis, M. Dumouflard.

Dumouflard salue
Vertchoisi, à part

Oh ! ce nom !…

Gaudin

Maître de forges !…

Delphine, à part
à part.

C’est lui !…

Valtravers

Tiens !… un forgeron !…

Ulric

Je n’en ai jamais vu.

Vertchoisi

C’est très curieux !… très curieux !… Tous trois se sont posés un petit carreau-lorgnon dans l’œil, et examinent Dumouflard comme une curiosité.

Dumouflard, à part
à part.

Qu’est-ce que c’est que ces trois gamins-là ? (Haut, indiquant leurs lorgnons.) Ces messieurs sont vitriers ?

Dumouflard, vexé

Hein ?…

Madame Gaudin

Non… ces messieurs, sont artistes !

(Les présentant.)

M. de Vertchoisi… M. Ulric… M. Carolus de Valtravers.

Dumouflard, d’un air très aimable.

Ah !… {{didascalie|(Froidement.) J’en ai jamais entendu parler.

Gaudin, naturellement.


Ni moi !…

Gaudin, à Dumouflard.

Monsieur habite la province ?…

Dumouflard

Oui, Monsieur, et vous l’étranger, sans doute ?…

Gaudin

Parbleu, puisque vous êtes artistes, vous allez me donner un conseil… {{didascalie|(On s’assied.) Je désire régaler ma femme ; voyons, qu’est-ce qu’on joue de bon au théâtre, dans ce moment ?

Ulric, Valtravers et Vertchoisi

Rien !…

Gaudin

Nulle part ?…

Tous Trois

Nulle part !…

Dumouflard, à part.

Il y a de l’ensemble.

Vertchoisi

Ah ! si !… M. Isidore continue à vouloir épouser tous les soirs Mlle Ernestine.

Ulric

Exactement comme l’année dernière.

Valtravers

Et probablement comme l’année prochaine !…

Vertchoisi

C’est bien fait !… ils ne veulent pas faire place aux poètes ! l’art croupi dans le vaudeville !

Dumouflard

Ah ! vous n’aimez pas les vaudevilles…

Tous trois, rugissant


Oh !…

Tous trois, à part

Qu’est-ce qu’ils ont ?…

Valtravers

Le vaudeville est l’art d’être bête avec des couplets !…

Dumouflard

II y a tant de gens qui le sont sans couplets !

Gaudin, à part

Bon !… attrape !…

Dumouflard

On rencontre pourtant quelquefois de ces petites pièces assez plaisantes… qui font rire…

Vertchoisi

Ah ! voilà !… qui font rire !… ils ont tout dit, quand ils ont dit ça !

Dumouflard

Mais il me semble que le rire, c’est quelque chose ; d’abord c’est un produit français… qu’on n’a pas encore trouvé le moyen de contrefaire à l’étranger.

Gaudin

C’est vrai !… la gaieté et le bon vin !… ça ne se trouve qu’en France… On dit que la vigne est malade… eh bien, morbleu !… tâchons que le rire se porte bien !…

Ulric, à Gaudin

Monsieur, vous parlez du rire… Savez-vous ce que c’est ?

Gaudin

Mais il me semble…

Ulric

C’est une contraction nerveuse du diaphragme !

Gaudin

Je ne sais pas si ça vient de la Chine ou du diaphragme ! mais c’est bien bon !

Dumouflard

Tenez… je connais à Paris… un petit théâtre… qui n’a pas le sens commun (je ne veux pas le vanter…) près d’un jardin… entouré de traiteurs… qui joue ses farces presque au choc des verres et au bruit du Champagne…

Valtravers

Ah ! oui ! je connais… des farceurs !… des pantins !… des acteurs qui sont toujours de là.

Il gesticule et imite M. Grassot.
Ulric, avec mépris

Du gros sel !…

Vertchoisi

Du sel de cuisine !

Gaudin

Monsieur, quand il est pilé… c’est celui qui sale le mieux !

Dumouflard

Eh bien, ce petit théâtre-là… je lui sais gré d’être resté fidèle à sa gaieté, à sa folie, à ses calembours même !…

Delphine, à part, indignée


Oh !

Madame Gaudin, à part

Cet homme est un monstre de prose !

Dumouflard

Je lui dois mes meilleures digestions…

Gaudin

Moi aussi ! — Si j’étais le gouvernement, je le subventionnerais… je n’ai pas de conseils à lui donner… mais je le subventionnerais !..,

(Il se lève.)

parce que le rire…

Ulric, se levant, à Gaudin avec colère.

Le rire !… chatouillez-vous la plante des pieds… et vous rirez.

(A part.)

Crétin ! {{didascalie|Tous se lèvent.

Gaudin
excité.

Ah ça ! vous qui trouvez tout mauvais !… qu’est-ce que vous avez donc fait ?

Madame Gaudin, s’interposant majestueusement.

Pas de blasphème sur la tête des poètes !

(Exhibant la romance.)

Inclinez-vous devant leur œuvre !

Gaudin

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Madame Gaudin, déroulant le papier.

Une romance ! que ces Messieurs m’ont dédiée…

Gaudin

A trois ! en voilà un pique-nique !

Dumouflard, tenant la romance.

Ah ! la singulière vignette !

Ulric, s’approchant.

Elle est de moi, Monsieur.

Dumouflard

Votre bergère a une épaule bien plus ambitieuse que l’autre…

Madame Gaudin

Une bergère ! c’est la Muse du désespoir.

Dumouflard

Eh bien, elle est bossue la Muse du désespoir !… (Ulric remonte.) Quant à la poésie…

Vertchoisi

Eh bien ?

Dumouflard

Voilà déjà une petite lacune dans la dédicace… hommage prend deux m…

Vertchoisi

Allons donc !

Gaudin

C’est fromage qui n’en prend qu’un !

Vertchoisi, à part.

Pédant !

Dumouflard

Quant à la musique…

Valtravers, s’approchant.

Monsieur ?

Dumouflard

Je suis forcé de le reconnaître… elle est charmante…

Valtravers

C’est large… j’ai l’habitude de faire large !… j’ai la facture très large !

Dumouflard, déchiffre en fredonnant l’air de Malborough.

Trahi par mon Hélène, Que mon cœur…

Gaudin

Mironton, ton, ton, mirontaine ; Tiens ! je connais ça !

Dumouflard

C’est l’air de Malborough… dérangé !

Tous

Hein ?

Valtravers, avec aplomb.

Si cet air est de Malborough… ce compositeur me l’a volé… je lui ferai un procès !

Madame Gaudin

Calmez-vous !… Messieurs, un tour de promenade !…

Valtravers

J’en suis ! ça m’ouvrira l’appétit !

Fulbert, s’approchant de lui une brosse à la main.

Monsieur, voilà le moment de la friction !

Valtravers, à part.

Cristi !

Gaudin, bas à Dumouflard.

Restez avec ma nièce et faites votre cour.

Chœurs
AIR : Garçons et fillettes (Giralda).
Vertchoisi, Ulric, Madame Gaudin, Delphine, Fulbert

Le doux voisinage D’un rivage Plein d’ombrage, Ici n/vous engage ; Au bord de l’eau, Tout est grand, tout est beau.

Valtravers, à part.

Maudit esclavage ! Moi, j’enrage Dans ma cage ; J’aurais, je le gage, Au bord de l’eau, Pu manger un morceau.

Gaudin et Dumouflard

Après un voyage, Retrouver, dans sou ménage, Un tel voisinage, C’est du nouveau. Mais, quel triste tableau.

Vertchoisi, Ulric et Mme Gaudin sortent par le fond, Fulbert entraîne Valtravers à droite.

Scène XI

DELPHINE, DUMOUFLARD, PUIS VERTCHOISI
Dumouflard, arrêtant Delphine qui se dispose à suivre la société.

Pardon, Mademoiselle…

Delphine

Monsieur ?

Dumouflard

Votre oncle m’a autorisé à vous demander un moment d’entretien…

Delphine

Si c’est pour me parler de la gaieté française… je vous préviens que je l’apprécie fort peu… ma pensée habite d’autres régions…

Dumouflard, à part.

Diable !

Delphine

Monsieur est membre de la Société du Caveau, sans doute ?

Dumouflard

Pardonnez-moi… je n’ai pas assez d’esprit pour cela…

Delphine

Dans tous les cas, vous êtes un rude adversaire de la poésie.

Dumouflard

Moi ! je l’aime beaucoup dans les livres.

Delphine

Dans les Grands-livres peut-être ?

Dumouflard

Ah ! Mademoiselle, c’est un calembour.

Delphine

Un calembour !… ah !…

Dumouflard

Que voulez-vous ? on ne se refait pas… j’aime ce qui est simple, vrai, naturel… et dans la conversation je n’admets pas qu’un monsieur prenne une lyre pour me dire : « Comment vous portez-vous ? » Aussi permettez-moi de vous parler sans phrases… honnêtement, des espérances que monsieur votre oncle…

Delphine

En effet… on m’a parlé de cela… il paraît que nos fortunes se sont rencontrées… et qu’elles brûlent de se conduire à l’autel !

Dumouflard

Ah ! Mademoiselle, voilà un vilain sentiment ! je ne me suis informé que de votre caractère, de vos goûts afin de les mieux satisfaire… on m’a dit que vous aimiez les fleurs… j’ai fait planter des rosiers tout autour de ma petite maison… j’y ai travaillé moi-même…

Delphine

Oh ! les rosiers !

Dumouflard

Plaît-il ?

Delphine

Les rosiers sont des petits bâtons qui tiennent la place des asperges…

Dumouflard

Ah bah ! et moi qui ai fait arracher mes asperges pour y planter des rosiers !… qu’à cela ne tienne, Mademoiselle ! nous arracherons les rosiers et nous replanterons des asperges… de poétiques asperges !

Delphine

C’est inutile, Monsieur…

Dumouflard

Comment !

Delphine

Je ne puis vous épouser… La profession que vous exercez…

Dumouflard

Hein !…

Delphine

Est honorable sans doute… mais elle ne saurait faire vibrer en moi que la corde de l’estime…

Dumouflard, à part.

Aïe ! la corde de l’estime !

Delphine

C’est trop peu, vous en conviendrez, pour ce sublime duo des âmes qu’on nomme le mariage…

Dumouflard, à part.

Elle a aussi sa petite lyre…

Vertchoisi paraît au fond.
Delphine

Enfin j’aime un artiste…

Dumouflard

Ah ! bah !

Vertchoisi, au fond.

Ah ! bah !

Delphine

Un homme qui symbolise la femme dans cette image suave : « Une goutte de rosée endormie dans le sein d’un pavot. »

Vertchoisi, à part.

Hein ! ma phrase !… elle m’aime !… c’est une affaire superbe !

Il se cache.
Dumouflard

Mon Dieu, Mademoiselle, je n’ai rien à répondre à cela… mais si je ne craignais d’abuser… je vous raconterais l’histoire d’une pauvre petite fleur des champs qu’on a eu la maladresse de laisser tomber dans un flacon de musc…

Delphine, blessée.

Monsieur…

Dumouflard

Pardon… je ne vous la raconterai pas… La délicatesse me fait un devoir de me retirer… je trouverai un prétexte pour repartir ce soir.

(La saluant.)

Mademoiselle…

Delphine, saluant.

Monsieur…

Dumouflard, sortant.

Pauvre enfant, c’est dommage !

Il sort à droite, deuxième plan.

Scène XII

DELPHINE, VERTCHOISI, PUIS GAUDIN
Delphine, à elle-même.

Honnête homme… mais manquant tout à fait de lyrisme !

Vertchoisi sort de sa cachette.
Vertchoisi, à part.

Superbe affaire !… {{didascalie|Se jetant à ses pieds. Delphine !

Delphine, surprise et émue.

Monsieur !

Vertchoisi, avec passion.

Oh ! j’ai tout entendu ! et mon âme s’est mise à la fenêtre de mon cœur, pour vous écouter chanter la mélopée de la jeunesse et de l’amour.

Il tombe à genoux.
Gaudin, entrant par le fond.

Voyons si ce cher Dumouflard…

Apercevant vertchoisi aux genoux de sa nièce.

Ah ! mon Dieu !

Delphine

Mon oncle !

Gaudin, furieux.

Monsieur, c’est une horreur ! une infamie !

Vertchoisi, toujours à genoux, avec le plus grand sang-froid.

Qu’avez-vous donc, Monsieur ?

Gaudin

Ce que j’ai !  !

Delphine

Pourquoi cette colère ?

Gaudin

Ah ! c’est par trop fort… Comment ! quand je vous trouve !… Que faites-vous là, Monsieur ?

Vertchoisi, se levant.

J’aime, et je le dis !

Gaudin

Comment ?

Delphine

Nous chantons la mélopée de la jeunesse et de l’amour !

Gaudin

Qu’est-ce qu’elle me chante ? Quoi, Mademoiselle, je vous laisse avec votre prétendu… et vous souffrez sans rougir…

Vertchoisi, lui prenant la main.

Le soleil dit à la terre : Je t’aime ! et la terre ne rougit pas !

Gaudin

Hein ?

Delphine

Le flot dit à la brise : Je t’aime ! et la brise ne rougit pas.

Gaudin

Comment ! Quoi ? la brise ! le soleil !…

S’exaltant.

Je me moque de la brise !… je me fiche du soleil !… c’est trahir l’hospitalité… Monsieur ; c’est une indélicatesse…

Vertchoisi, de très haut.

Monsieur, la vieillesse est une royauté… je respecte votre couronne !… mais, sachez-le, celui qui trahit… est un traître… L’homme qui manque à la délicatesse est un homme sans honneur… j’aime à croire, Monsieur, qu’en me jetant à la face de telles paroles, vous n’en aviez pas pesé toute la portée…

Gaudin, ahuri.

Monsieur… bien certainement… mon intention n’était pas précisément…

Vertchoisi

C’est bien, Monsieur, j’accepte vos explications…

Offrant le bras à Delphine.

Venez, Mademoiselle, venez… on ne vous comprend pas ici.

Delphine, s’éloignant au bras de Vertchoisi.

Ma tante nous comprendra mieux.

Gaudin

Mais…

Vertchoisi, se retournant sur le seuil avec une suprême dignité.

Je respecte votre couronne…

Gaudin, intimidé et saluant.

Monsieur..

Vertchoisi, à part, en saluant.

Il est épaté !


Scène XIII

GAUDIN, PUIS ULRIC
Gaudin, ahuri.

Il respecte ma couronne ?… et il emmène ma nièce… Ah ça ! mais, je suis stupide, moi ! j’aurais dû lui répondre : « Monsieur, vous n’êtes qu’un polisson ! » Mais, avec leurs grandes phrases, on ne trouve jamais le mot sur le moment.

Ulric, entrant vivement par le fond avec un sac qui s’agite tout seul.

J’ai pincé le cygne… Il fait là-dedans une vie de polichinelle…

Gaudin

Hein ?

Ulric, à part.

Oh ! du monde !

Il cherche à dissimuler son sac.
Gaudin, très intrigué par les soubresauts du sac.

Qu’est-ce que vous portez donc là. Monsieur ? Qu’y a-t-il donc dans ce sac ?

Ulric, de très haut.

Prenez garde, Monsieur !… du soupçon à l’injure, il n’y a qu’un pas…

Gaudin

Mais il y a quelque chose dans ce sac !…

Ulric, avec amertume.

Ainsi donc, vingt-huit ans d’une vie de droiture et d’honneur ne sauraient mettre un homme à l’abri des imputations les plus stigmatisantes… Oh ! la société ! la société !

Gaudin, interloqué.

Ne vous fâchez pas…

Ulric

Assez, Monsieur !

Gaudin

Je n’ai pas eu l’intention…

Ulric, avec majesté.

Mon honneur est une vierge… enfermée dans une tour qui n’a pas d’escalier !

Gaudin

Mais ce sac qui gigote ?…

Ulric

Pas un mot de plus ! vous m’avez cruellement blessé !… Ah ! Monsieur !

Gaudin

Mais, enfin…

Ulric

Ah ! Monsieur !

Il passe son sac d’une épaule sur l’autre et atteint l’épaule de Gaudin, puis il sort à droite.

Scène XIV

GAUDIN,
PUIS FULBERT, QUI PORTE UN SAC DE NUIT ET UNE MALLE.
Gaudin, seul.

Sapristi !… j’ai encore manqué ma réponse… j’aurais dû lui dire : « Mais, gredin ! si tu n’es pas un filou, ouvre le sac ! »

Fulbert, portant une malle.

Monsieur, je vous apporte vos bagages.

Gaudin

C’est bien ! sais-tu où est Dumouflard ?

Fulbert, très gourmé

Demander à un homme qui vient du chemin de fer où est un homme qui est resté à la maison, c’est inintelligent… c’est poncif !

Il se retourne comme pour s’en aller.
Gaudin, lui donnant un coup de pied.

Tiens, drôle, ceci n’est point poncif…

Fulbert, laissant tomber ses bagages.

Oh !

Gaudin

Cette fois j’ai trouvé le mot !

Fulbert, regardant avec dédain le pied de Gaudin.

Une telle injure porte trop bas pour que je veuille la relever.

Gaudin fait mine de recommencer, se sauvant.

Oh ! la société !


Scène XV

GAUDIN, PUIS DUMOUFLARD
Gaudin, seul.

Qu’est-ce qu’ils ont donc tous après la société ?

(Hors de lui.)

Mais c’est la leur… c’est celle de ces trois galopins qui a mis ma maison à l’envers… qu’est-ce qui me débarrassera de tout ce monde— là ?

Dumouflard, qui a entendu ces derniers mots.

Parbleu, c’est bien difficile !… pourquoi ne la congédiez-vous pas cette société… qui n’est pas la vôtre ?

Gaudin

Ah ! vous croyez que ça se fait comme cela !… Exproprier trois rats qui se sont logés dans mon fromage !… ils me font des phrases… ils me parlent de ma couronne… de vierges sans escalier… je ne les comprends pas, ça m’ahurit, et je leur fais des excuses !…

Dumouflard

Des excuses !… allons donc !… signifiez-leur un congé en bonne forme !

Gaudin

Un congé, moi !… je me connais… je n’oserai jamais ! Chargez-vous de ça !

Dumouflard

Moi ?

Ici on entend la cloche du dîner.

Scène XVI

DUMOUFLARD, ULRIC, VERTCHOISI, VALTRAVERS, habillé, GAUDIN, MADAME GAUDIN, PUIS FULBERT
Madame Gaudin, entrant.

Eh ! bien, Monsieur Gaudin, il faut venir vous trouver !..

A part.

Vous n’entendez donc pas la cloche du dîner ?…

Apercevant dumouflard.

Encore ce forgeron !

Dumouflard

Madame, veuillez excuser ma présence et ne plus voir en moi que l’ami de M. Gaudin.

Gaudin

Comment !

Dumouflard

Je vous expliquerai…

Madame Gaudin

Ah ! c’est d’un gentilhomme !… En ce cas, Messieurs, j’ai l’honneur de vous faire part du mariage de ma nièce avec M. de vertchoisi.

Valtravers, à part.

Une noce !… va-t-on manger du poulet !

Gaudin

Mais, je m’y oppose formellement !…

Vertchoisi

Et pourquoi, Monsieur ?

Madame Gaudin

Oui ! pourquoi ?… tu ne vois donc pas que ces hommes sont des géants !

Gaudin

Je ne veux pas que ma nièce épouse un géant !… c’est bon dans les cafés !… et puis… poète… ce n’est pas un état !

Tous, révoltés.

Oh !…

Vertchoisi

C’est un sacerdoce, Monsieur !

Madame Gaudin

Ah ! les voilà bien ces bourgeois !… quand on ne ve nd pas quelque chose à quelqu’un… on n’existe pas !… Mais, ces hommes que voilà n’ont qu’à ouvrir la main pour verser à grands flots, sur le front de leurs compagnes, cette trilogie du bonheur : Amour, fortune et célébrité !

Gaudin

Mais, cependant…

Madame Gaudin

Assez !

Vertchoisi, Ulric, Vlatravers

Assez !

Madame Gaudin

Je vais commander le trousseau… et nous verrons si l’on osera me contredire…

A Fulbert qui entre.

Dites à la couturière de descendre.

Valtravers, à part.

Elle va bien, la vieille !

Madame Gaudin, à Fulbert qui entre.

Où est ma nièce ?

Fulbert

Je ne sais pas ce que Monsieur lui a dit… mais elle pleure près de la pièce d’eau.

Il entre à gauche.
Madame Gaudin

Près de la pièce d’eau !… ah ! mon Dieu ! elle est capable… je cours !…

De la porte.

Monsieur Gaudin ! que son sang retombe sur votre tête !…

Elle sort.
Valtravers, Ulric, Vertchoisi, avec indignation.

Ah !


Scène XVII

GAUDIN, DUMOUFLARD, VERTCHOISI, VALTRAVERS, ULRIC, PUIS OLYMPE
Gaudin

Allons donc !… elle n’est pas assez bête… et puis, elle sait nager !

Olympe, entrant.

Madame m’a fait demander ?

Valtravers, la reconnaissant.

Hein !… ma femme !  !  !

Olympe

Mon mari !  !  !

Tous

Son mari !  !  !

Chœur
AIR

N’espérez pas que de mon âme

(Giralda.)
Olympe

Je n’en fais pas un grand mystère, Je suis ici comme ouvrière, S’il me fallait conter le fait, C’est mon mari qui rougirait.

Valtravers, Ulric et Vertchoisi

M/Sa femme ici ! triste mystère ! Quel tour donner à cette affaire ? Ce contretemps peut, en effet, Renverser tout notre projet.

Gaudin et Dumouflard

Lui ! le mari d’une ouvrière ! Expliquez donc un tel mystère ! Ah ! c’est affreux !… et c’en est fait, Maintenant de leur beau projet.

Gaudin, indigné

Sa femme !… une couturière… c’est du propre !

Vertchoisi, à part

L’imbécile !… ça allait si bien !

Valtravers, avec dignité, à Olympe.

Madame de Valtravers, permettez-moi de m’étonner de voir une personne de votre rang…

Olympe

Je te trouve superbe, avec ton rang !… Monsieur sort pour aller lire La Patrie… Et reste trois mois sans rentrer !…

Valtravers

J’avais une mission du gouvernement !

Olympe

As-tu fini ?… Et il me laisse à la maison, avec deux biscuits de Reims, un chardonneret et huit termes échus !…

Dumouflard

Mais, c’est abominable !

Gaudin

Et voilà la position que vous faites à vos femmes !

Vertchoisi

C’est-à-dire…

Dumouflard

Amour, fortune et célébrité !

Olympe

Eux !… en voilà de jolis maris !… des poètes en carambolages… des enlumineurs de pipes et des compositeurs en verres d’absinthe !

Valtravers

Mme Valtravers !…

Dumouflard et Gaudin

Très bien !

Olympe

Ça passe sa jeunesse à se faire une tête… qu’on ne rencontre sur les épaules de personne… tenez !

regardez-moi ça !
Valtravers, Vertchoisi et Ulric

Hein !…

Olympe

Eh ! bien, ils sont une centaine comme ça dans Paris !… ça bourdonne, ça crie, ça grince contre la société ; ça déchire tout ce qu’on fait… et ça ne fait rien… ça n’est bon à rien… comme les hannetons !…

Valtravers, Ulric, Vertchoisi

Madame !

Olympe

Et un beau jour… ça crève en gants jaunes sur une paillasse… faute de matelas !…

Valtravers

Olympe !

Dumouflard et Gaudin

Bravo ! très bien !

Vertchoisi et Ulric

C’est un scandale !…

Olympe

Et pourtant, ils ont des bras !… et s’ils voulaient travailler… ils pourraient se faire pharmaciens ou pâtissiers… comme tout le monde !

Valtravers, Ulric et Vertchoisi

Travailler !

Dumouflard

Certainement, travailler !…

Olympe

Pourquoi pas ?

Dumouflard, à Valtravers.

Vous préférez donc vous faire nourrir par votre femme ?.., sapristi ! Monsieur, vous ne comprenez donc pas qu’il y a quelque chose de plus utile et de plus honorable à faire pour un homme… que de débiter des phrases creuses, et replâtrer l’air de Malborough… tandis que votre pauvre femme se piquera les doigts pour vivre !… et pour vous faire vivre !… vous n’avez donc pas de ça ?

Valtravers, attendri, pousse tout à coup un sanglot.

Heu !  !  ! si ! que j’en ai !  !  ! heu !… je suis une affreuse canaille !

Dumouflard

Eh ! bien, voyons !… voulez-vous une place dans mon usine ?

Valtravers, étonné.

Moi ? forgeron !

Dumouflard

Je vous emmène… j’emmène votre femme, elle tiendra la lingerie.

Valtravers

Deux places !

Dumouflard

Et nourri !

Valtravers

Trois plats ?…

Vertchoisi

Trois plats !

Dumouflard, riant.

Et le café…

Ulric, à Vertchoisi.

Et le café !

Valtravers

J’accepte ! je casse ma lyre !

Dumouflard, Gaudin et Olympe

Bravo !

Vertchoisi

Monsieur, vous n’auriez pas deux places de reste ?

Dumouflard

Ah ! bah ! vous aussi ?… volontiers !… dans l’industrie, il y a place pour tous ceux qui travaillent… tandis que dans les arts, il n’y en a que pour ceux qui ont du talent…

Olympe

Et ils n’en ont pas !


Scène XVIII

LES MÊMES, MADAME GAUDIN, DELPHINE, PUIS FULBERT
Madame Gaudin

Oui, mon enfant, tu l’épouseras !… que tu vas être heureuse !

Gaudin, à part

Attends ! attends !

Haut, prenant Olympe par la main.

J’ai l’honneur de vous présenter la femme de M. de Valtravers.

Madame Gaudin

Une couturière !… ah !… l’horreur !

Dumouflard

Et moi, des fantaisistes sans ouvrage, devenus mes chauffeurs.

Madame Gaudin

Des chauffeurs !… grands Dieux ! qu’est-ce que c’est que cela ?

Gaudin

Cela, Madame, ce sont des hommes utiles, des hommes comme tout le monde…

Dumouflard

Qui, désormais, piocheront toute la semaine, et ne feront plus de vers que le dimanche.

Madame Gaudin

Je vous félicite, Messieurs.

Gaudin
Et moi, je vous rends mon estime ; venez trinquer avec nous, sacrebleu !
Valtravers

II a du bon, le vieux !

Gaudin

Et pour nous prouver que votre conversion est complète, vous nous chanterez tous les trois quelque chose au dessert.

Valtravers

Volontiers, je vous chanterai ma Symphonie du Silence.

Vertchoisi

Moi, ma Muse du Désespoir.

Ulric

Et moi, ma romance du Spectre aux mollets d’azur.

Dumouflard

Du tout !… plus de ces machines-là !… mais, quelque bon refrain du vieux temps, quelque flon flon bien gai…

Gaudin

Et, surtout, pas précieux.

Dumouflard

Ce sera votre amende honorable.

Fulbert, annonçant.

Le potage tourne ses yeux vers madame.

Gaudin

Animal !

Dumouflard

Butor !

Valtravers

Faquin !

Gaudin

A table !…

Tous

A table !…

Gaudin
AIR

Des gloux gloux

Couplet d’ARMAND GOUFFE.

Mes chers amis, pour jouir de la vie, Le verre en main, narguons la faulx du temps…

Dumouflard

Et, pour Momus, prodiguant notre encens, Que sa marotte nous rallie !

Vertchoisi

Joyeux troubadours, Répétons toujours : « Non, non, non, non, non, point de mélancolie ! »

Ulric

Oui, le vrai bonheur Naît du son flatteur De tous les panpans, les panpans des bouchons.

Valtravers

De tous les gloux gloux, les gloux gloux des flacons, De tous les lonla, les lonla des chansons.

Tous

De tous les gloux gloux… etc.


FIN
  1. Gaudin, Fulbert, Dumouflard.
  2. Gaudin, Dumouflard, Fulbert.