Les Poissons et les Animaux à fourrure du Canada/Chapitre 3

CHAPITRE III

TERRITOIRES DE CHASSE ET DE PÊCHE

I


Celui qui jette un coup d’œil sur une carte détaillée de l’Amérique Britannique reste stupéfait du nombre incalculable de grandes rivières, semblables à des fleuves, de cours d’eau, moyens et petits, et de lacs de toute dimension, comprenant ceux même qui dorment dans les anfractuosités des montagnes ou dans des creux étroits de terrain, semblables à des coupes ou à de petits réservoirs de fraîcheur, de reproduction et de vie, taillés par la nature pour de multiples variétés de poissons, en même temps que pour l’agrément et l’utilité de l’homme.

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En amont du Saguenay seulement, on compte, parmi les principales rivières qui débouchent dans le Saint-Laurent, la Maskinongé, la Batiscan, la Jacques-Cartier, la Montmorency, la Sainte-Anne, le Gouffre et la Malbaie ; en aval, la Portneuf, la Betsiamis, la rivière des Outardes, la Manicouagan, la Pentecôte, la Moisie, la Saint-Jean, la Natashquan, la Mécatina, et la rivière des Esquimaux. Toutes ces rivières proviennent du versant septentrional du Saint-Laurent, qui s’étend, sur une grande profondeur, jusqu’à la ligne de partage de ses eaux d’avec celles de la mer Hudson.


Le versant sud, beaucoup moins profond, donne aisance à des cours d’eau moins considérables, mais dont bon nombre, néanmoins, sont très importants et très avantageux, à l’unique point de vue de la pêche et de la chasse.

Telles sont les rivières Richelieu, Yamaska, Nicolet, Becancour, Chaudière, Etchemin, la rivière Ouelle, la rivière du Loup, de Trois-Pistoles, la rivière Verte, celle de Rimouski, la rivière Métis, la Blanche, la Matane, la Madeleine, etc., etc., sans compter le réseau de la Gaspésie, qui comprend la Métapédia, la Bonaventure, la Grande-Cascapédia, la Nouvelle et la Ristigouche.

En un mot, le pays tout entier est comme sillonné d’un immense réseau de cours d’eau de toutes les dimensions, et d’une multitude infinie de lacs reliés entre eux par de gracieuses et pittoresques rivières. Rien qu’avec les principaux cours d’eau de la province de Québec, on ferait un ruban liquide de plus de seize mille kilomètres de longueur.

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Ces lacs sont une source incalculable de richesse, tout autant, proportions gardées, que le sont le golfe et le fleuve Saint-Laurent, avec leurs prolifiques tribus de poissons qui pourraient peupler tous les océans du globe, si rien n’entravait leur reproduction presque illimitée.


Celui des poissons d’eau douce qui donne le plus de profits est probablement le poisson blanc, dont la production atteint jusqu’au chiffre de 25 millions de livres, évaluées à près de 8 millions de francs.

En outre, le saumon, la truite, le brochet, le doré, le bar, l’achigan, l’esturgeon, le maskinongé et la truite mouchetée abondent dans la plupart des rivières et des lacs.

Dans les provinces maritimes et sur la côte du Labrador canadien on peut, à vrai dire, pêcher le saumon à discrétion, ainsi que la truite mouchetée. Vers l’ouest, et particulièrement dans la province d’Ontario, l’achigan et le maskinongé offrent une pêche des plus attrayantes et des plus lucratives.

La grande truite de la rivière et du lac Népigon, au nord du lac Supérieur, a tout aussi brillante réputation que le huananiche, saumon d’eau douce particulier au lac Saint-Jean, l’un des lacs les plus étendus de la province de Québec.


Les principales rivières à saumon des provinces de Québec et du Nouveau-Brunswick, telles que la célèbre Ristigouche, la Miramichi, la Saint-Jean, la Nipissiquit, la Cascapédia et le Saguenay, sont pour la plupart louées par des clubs ou par des particuliers, en grande partie des Américains, gens précieux qui font de la pêche un divertissement d’après des règles et des lois, pour qui les simples plaisirs du « sport » sont bien inférieurs à l’art de conserver et de multiplier les espèces, qui ont fait des dépenses d’installation considérables, ont ouvert des chemins et accompli une foule de travaux dont profite toute la région environnante.

II


Il y a longtemps que la province de Québec est reconnue comme le paradis des Nemrods amateurs, comme le pays par excellence pour les chasseurs et les pêcheurs de profession. Il y a longtemps que le superbe orignal, le plus grand des fauves du continent américain, haut de sept à huit pieds, quadrupède géant des forêts, qui porte lui-même une forêt sur sa tête, dont l’encolure est celle du lion, la force et la rapidité égales, les jambes comme des flèches rasant le sol et le sabot aussi dur, aussi meurtrier qu’un boulet de canon, est l’objet des exploits cynégétiques des « sportsmen » les plus audacieux des deux mondes. Il y a longtemps que le noble caribou, ce dandy des montagnes, svelte, élégant, gracieux, qui court dans les clairières des bois, le long des lacs et des précipices, avec le souci de l’art et la correction du gymnaste, qui ne se laisse jamais prendre qu’avec des précautions infinies et une astuce raffinée, qui, lorsqu’il est blessé, se défend avec fureur, et dont l’ouïe est si délicate que les coureurs de bois sont obligés, pour arriver jusqu’à lui, de se traîner à plat ventre sur la neige, partage avec l’orignal la gloire d’être la plus magnifique victime, marquée d’avance aux coups des chasseurs infatigables et convoitée par-dessus toutes les autres. À un degré moindre, le grand cerf ou wapiti, le chevreuil, l’ours, le loup, la loutre, le carcajou, le lynx et enfin le castor, celui-ci modèle vivant de l’industrie et de la sagacité, le plus précieux des quadrupèdes pour les trappeurs dans leurs longues courses d’hiver, à travers les forêts, lorsqu’ils sont menacés d’inanition ; et, toujours en diminuant dans l’échelle des proportions, mais non de l’utilité, la martre, le renard, le putois, le vison, l’hermine, l’écureuil gris font et feront longtemps l’objet des plus estimables convoitises, et livreront, avec leur luxueuse fourrure, un élément indispensable de bien-être, de confort et d’élégance.

III


Le plus vaste et le plus important de tous les territoires de chasse de l’Amérique britannique est incontestablement le Labrador canadien, communément appelé le Grand-Nord, qui embrasse une immense superficie, s’étendant entre le 57e et le 61e degrés de longitude ouest, sur le littoral du golfe Saint-Laurent, et, dans l’intérieur, jusqu’à la limite même des forêts.

Sur toute la longueur du littoral la côte est perpétuellement découpée, pénétrée, échancrée par des anses et des baies étroites, longues, souvent très profondes, qui ont fait de temps immémorial, de cette partie du Dominion, le lieu d’élection des oiseaux de mer, des crustacés, des poissons mixtes et des pinnipèdes et carnassiers terrestres.

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Le littoral du Grand-Nord est, en certaines parties, découpé à l’infini et tout garni d’îles et d’îlots rocheux. Entre ces îles et ces îlots se croisent et s’entrecroisent une multitude de chenaux, quelquefois très profonds, et se forment avec facilité des bassins intérieurs éminemment propres à la reproduction du homard. Aussi, jadis, y voyait-on ce crustacé en quantités énormes ; mais il a depuis beaucoup diminué. On prenait assez facilement, il y a vingt ans, des homards pesant jusqu’à 18 et 20 livres, et la moyenne en poids s’élevait à 4 ou 5 livres ; aujourd’hui le maximum en poids de ce crustacé dépasse de peu sept livres et encore est-il rare ; la moyenne s’est abaissée à deux livres.

Chaque pêcheur de homard se croyait en droit de chasser le gibier qui l’entourait,

d’en consommer la chair, d’en recueillir la plume ou la peau, d’en emporter les œufs, de s’en servir pour amorcer ses cages à homards, et n’hésitait pas à tendre un filet à l’entrée d’un cours d’eau fréquenté par le saumon et la truite. Presque toujours, ces deux poissons venaient déboucher dans le fond de l’anse ou de la baie où le pêcheur avait établi sa homarderie.

IV


Le plus grand nombre des palmipèdes de la famille des outardes, oies, canards, nichent à des distances quelquefois assez considérables du littoral et échappent ainsi relativement aux chasseurs. Mais il est deux ou trois espèces, appartenant à ces familles, qui exécutent leur ponte sur le littoral même, ou sur les îlots qui l’avoisinent.

La plus exposée de ces espèces, en même temps que la plus précieuse, est le canard eider (moniac, dans la langue du bas Saint-Laurent.)

On connaît la valeur commerciale de l’eider. Son duvet se vend sur les marchés de Londres au prix moyen de 32 francs 50 centimes la livre, ou 45 francs le kilo.

Ce canard est en abondance si extraordinaire dans le golfe Saint-Laurent que c’est à peine si l’enlèvement persistant de ses œufs a amené une diminution tant soit peu inquiétante de son espèce. Dans tous les cas, il serait facile d’y remédier.


La pelleterie, qui est la plus grande richesse du Labrador canadien, n’a pas encore vu décroître sa prospérité. Elle est toujours abondante.

Le renard, la loutre et la martre se vendent bien, le renard surtout, dont la dépouille atteint, pour les espèces noires et argentées, le prix élevé de 600 à 750 francs. Le castor, de même, se rencontre en bonne quantité, quoique la chasse en soit peut-être un peu plus difficile qu’autrefois.

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Dans la région très giboyeuse qui forme l’arrière-pays de la capitale provinciale se trouvent de nombreux lacs et rivières, où les amateurs de pêche peuvent s’en donner à cœur-joie ; tels sont le lac Saint-Charles, le lac Beauport, la rivière Montmorency, la rivière Sainte-Anne, les lacs Joachim et Philippe, le Parc National des Laurentides, la rivière Jacques-Cartier et les lacs voisins, lac des Neiges, lac Vert, lac des Roches, lac à Noël, lac Long, lac à la Coupe, lac Fraser, lac Régis, grand lac à l’Épaule, grand lac Jacques-Cartier, et enfin la rivière Sautoriski et le lac Édouard.


Puis vient le district du Lac Saint-Jean où se trouvent en nombre des clubs élégants et luxueux, dont plusieurs sont déjà installés dans des régions lointaines où n’a pas encore pénétré le commun des mortels, et dont le cachet mystérieux va désormais tendre à s’effacer de plus en plus.


Dans la région du Saint-Maurice, on voit le club Shawenegan, qui possède par droit de location une large étendue de forêt et tout un groupe de lacs. De même pour le club des Laurentides et d’autres clubs qui possèdent, au même titre, divers groupes de lacs se rattachant entre eux par de courts portages. Toute la région de l’Outaouais et de la Gatineau est semée de lacs dont le nombre est encore inconnu, et dont plusieurs attendent des touristes pour les baptiser.


Dans le comté de Pontiac, célèbre par ses grands lacs Keepewa et Témiscamingue, il n’y a pas un lac sur cent qui soit loué, et les cours d’eau de premier ordre y sont nombreux. Et quelles belles courses aventureuses ne peut-on faire du côté du lac Abbitibi, ou par le lac des Quinze, l’Expanse et le Grand-Victoria, un voyage circulaire de 1,000 kilomètres seulement ! On signale particulièrement aux chasseurs la route des lacs Kekabonga et des Allumettes, où l’orignal, le caribou, la perdrix, etc., abondent. Il s’est fait des chasses phénoménales dans les vallées des rivières Du Moine et de Maganacipi. Au nord de Mattawa, la forêt vierge est de plus en plus invitante pour les amateurs sérieux.

V


Au sud du Saint-Laurent, la rivière Richelieu, avec son brochet, son achigan et son maskinongé ; le lac Brome, le lac Memphrémagog, le lac Aux Arraignées sont, avec leur système de cours d’eau, des centres d’attraction déjà bien connus. Au-dessous de Québec on pêche le bar, à l’embouchure de la rivière du Sud ou au large des îles Madame, Marguerite, etc.


Peu de gens connaissent la région du lac Témiscouata et des Squatteck : Le lac Témiscouata est une superbe nappe d’eau de 45 kilomètres de longueur. Il y a encore la rivière Touladi, très profonde, la rivière des Aigles, et, enfin, les célèbres Squatteck, près desquels abonde l’orignal. Mentionnons encore les sources de la rivière Rimouski, de la rivière Métis, de la Métapédia, ainsi que les lacs Supérieur, de la Croix, Humqui, Taché, Du Milieu et Mistigouèche. C’est un pays de caribous. Enfin la péninsule Gaspésienne, avec son système hydrographique, sa Cascapédia, l’une des meilleures rivières du monde pour le saumon, et ses forêts intérieures peuplées d’orignaux. Et la région du Saguenay, célèbre par ses jardins de caribous de Charlevoix !…

Il y a des centaines de lacs dans la région de Charlevoix, une multitude de lacs et de rivières en arrière des comtés de Champlain, Saint-Maurice, Maskinongé, Berthier et Joliette, ainsi que dans l’Outaouais et le Pontiac.

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Inutile de continuer cette liste. Il faudrait un petit volume pour faire connaître tous les lacs et cours d’eau de la province de Québec, là seulement où la pêche peut se faire avec abondance et profit. Répétons simplement que cette province est le paradis des “sportsmen,” et qu’elle le sera tant que dureront ses conditions physiques, ce qui veut dire que l’existence de la poule aux œufs d’or est assurée d’une prolifique perpétuité.