Les Poëtes français/Avril (Belleau)

Pour les autres éditions de ce texte, voir Avril (Rémy Belleau).

Les Poëtes français, Texte établi par publié sous la direction de M. Eugène CrépetGide, librairieTome deuxième : deuxième période : de Ronsard à Boileau (p. 113-115).

AVRIL

Avril, l’honneur et des bois
Et des mois :
Avril, la douce espérance
Des fruicts qui, sous le coton
Du bouton,
Nourrissent leur jeune enfance ;

Avril, l’honneur des prez verds,
Jaunes, pers[1],
Qui, d’une humeur[2] bigarrée,
Emaillent de mille fleurs
De couleurs,
Leur parure diaprée ;

Avril, l’honneur des soupirs
Des Zéphyrs,
Qui, sous le vent de leur æle[3]
Dressent encor, ès forests[4],
Des doux rets,
Pour ravir Flore la belle ;

Avril, c’est ta douce main
Qui, du sein
De la nature, desserre
Une moisson de senteurs
Et de fleurs,
Embasmant[5] l’air et la terre ;

Avril, l’honneur verdissant,
Florissant

Sur les tresses blondelettes
De ma dame, et de son sein
Tousjours plein
De mille et mille fleurettes ;

Avril, la grâce, et le ris
De Cypris,
Le flair et la douce haleine ;
Avril, le parfum des dieux,
Qui, des cieux,
Sentent l’odeur de la plaine ;

C’est toy, courtois et gentil,
Qui d’exil
Retires ces passagères,
Ces[6] arondelles qui vont,
Et qui sont
Du printemps les messagères.

L’aubespine et l’aiglantin,
Et le thym,
L’œillet, le lis, et les roses.
En ceste belle saison,
A foison,
Monstrent leurs robes écloses.

Le gentil rossignolet,
Doucelet,
Découpe dessous l’ombrage.
Mille fredons babillars
Fretillars,
Au doux chant de son ramage.

C’est à ton heureux retour
Que l’amour

Souffle, à doucettes haleines ;
Un feu croupi[7] et couvert
Que l’hyver
Receloit dedans nos veines.

Tu vois, en ce temps nouveau,
L’essaim beau
De ces pillardes avettes[8]
Volleter de fleur en fleur,
Pour l’odeur
Qu’ils mussent[9] en leurs cuissettes,

May vantera ses fraischeurs,
Ses fruicts meurs,
Et sa féconde rosée,
La manne et le sucre doux,
Le miel roux.
Dont sa grâce est arrosée.

Mais moy, je donne ma voix
A ce mois
Quî prend le surnom de celle[10]
Qui, de l’escumeuse mer,
Veit[11] germer
Sa naissance maternelle.



  1. Nuance intermédiaire entre le vert et le bleu.
  2. Le mot humeur répond ici assez exactement au sens du mot plus moderne : fantaisie.
  3. Pour : aile.
  4. Dans les forêts.
  5. Pour : embaumant.
  6. Pour : hirondelles.
  7. Assoupi.
  8. Abeilles.
  9. Cachent, logent.
  10. Aphrodite , Vénus.
  11. Pour : vit.