Les Poëmes de l’amour et de la mer/Les Féeries de la mer

IX.

LES FÉERIES DE LA MER

La mer, la mer ! Oh ! regardez là-bas
La grande mer toute blanche de voiles !
Le soleil d’or prend la mer dans ses bras
En des baisers étincelants d’étoiles.

Paillettes d’or, saphirs et diamants
Font miroiter le riche écrin des vagues ;
La nymphe glauque aux murmures charmants
Peut prendre là colliers, chaînes et bagues.


Et le poète amoureux des splendeurs
En qui l’on voit s’épanouir la vie,
Aux flots, aux cieux, aux sereines grandeurs
Mêle son âme éperdue et ravie.

Et vers le ciel il lève les deux mains :
Salut ! salut ! sainte beauté physique !
Nous ignorons les sombres lendemains,
Mais roule, ô mer, ta profonde musique !

Quand verra-t-on s’éteindre le soleil,
Et quand la mer, la grande âme vivante,
Ensevelie en l’éternel sommeil,
Deviendra-t-elle un lit noir d’épouvante ?

Silencieuse épouvante des nuits,
Sans rayons d’or et sans ouragans sombres…
Quand se perdront les formes et les bruits
Dans l’océan mystérieux des ombres ?

Qui le dira, soit-il prêtre ou savant ?
Hors le soleil, tout est obscur au monde :
Mais quelque jour se lèvera le vent
Pour balayer l’existence féconde.


Mais nous, pourquoi penser à l’avenir ?
Joyeuse mer, tu n’en es pas moins belle,
Et le soleil, avant de se ternir,
Jette en nos yeux encore une étincelle.

Et nous t’aimons, nature au cœur amer,
Grande nature impassible et divine !
Quand d’un rayon tu réjouis la mer,
La volupté fait bondir ta poitrine.

Et quand l’amour de tes splendeurs nous prend,
Nous te donnons notre sang et nos âmes,
Et le souci de l’art tranquille et grand
Bouche nos yeux à la beauté des femmes.

Nous savons bien que nous ne pouvons pas
À tout jamais nous suspendre à ta bouche ;
Et que vers nous s’avance à larges pas
La mort, l’amante effroyable et farouche.

Mais va, sois belle, et nous t’adorerons,
Que les flots d’or et d’azur soient ton trône ;
Nous courberons l’orgueil de nos grands fronts
Sous un rayon du couchant vert et jaune.


Et nous verrons saphirs et diamants,
Paillettes d’or et rubis des soirées
Étinceler au cou des flots charmants,
Dans les cheveux des vagues empourprées !