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Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 119-123).
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RÉVEIL.

Avoir aimé, ce n’est plus vivre.
— PARNY. —

XXIV.

C’est qu’ils parlaient de toi, quand, loin du cercle assise,
Mon livre trop pesant tomba sur mes genoux ;
C’est qu’ils me regardaient, quand mon ame indécise
Osa braver ton nom qui passait entre nous !

Et puis leurs voix riaient ! j’ai pu rester sans crainte.
On disait ton bonheur et tes belles amours :

À mon livre fermé moi je lisais toujours ;
Car sur mon front baissé toute une ame était peinte !

Te voilà donc heureux ! je sais donc tout prévoir !
Je ne crains donc plus rien… rien, que de te revoir :
Heureux par tant d’objets, je respire moi-même ;
Sur deux cœurs à la fois je n’ai plus à gémir ;
Je dirai : Quel bonheur ! ce n’est plus moi qu’il aime ;
D’autres ont pris mes pleurs… et je pourrai dormir !

Reste à ce doux éclat qui rayonne autour d’elles ;
Leur front se baigne encor dans l’air pur du matin,
Et je leur sais gré d’être belles.
Si ces fleurs d’un moment consolent ton destin :
Mais le voir ! ah ! c’est trop. N’attends pas l’impossible ;
Laisse au ruisseau désert son cours triste et paisible ;
Ne viens pas me surprendre, et, d’un regard glacé,
Me défendre de vivre au moins dans le passé !
Ne viens pas dans mes traits qu’au tourment décolore,
Plus voilés, plus rêveurs encore,
Oh ! ne viens pas compter, malgré moi découverts,
Les pleurs que j’ai versés, les jours que j’ai soufferts !
Laisse-moi m’isoler dans l’oubli de mes peines ;
D’un esclave qui dort ne heurte pas les chaînes ;
Si je dois au passé quelques éclairs heureux,
Il est temps de mourir à ce qu’il eut d’affreux :

Ne fais plus fermenter dans mon ame troublée
Tous ces germes amers où s’éteint la raison ;
Laisse tomber en paix une fleur accablée,
Atteinte dans le cœur d’un tranquille poison.

Tu le sais, comme on voit un calme et frais breuvage
Tourner pendant l’orage,
Tu le sais ! quand l’amour gronde et fait tant souffrir,
La douce humeur de l’ame est facile à s’aigrir.
J’ai senti… (le dirais-je ? oui, s’accuser soi-même
Est peut-être un besoin d’absoudre ce qu’on aime) :
J’ai senti tout mon cœur s’élever contre toi ;
J’ai supplié la mort d’éteindre ma mémoire ;
Oui, j’ai haï ton nom ! oui, j’ai haï ta gloire !
Ah ! c’est que je t’aimais alors ; pardonne-moi !