Pour les autres éditions de ce texte, voir Ma fille (« Ondine ! enfant joyeux qui bondis sur la terre, »).

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 213-218).

MA FILLE.

T’is very strange, my little dove,
That all I ever loved, or Love,
In wondrous visions still I trace
While gazing on thy guiltles’s face.

— ROBERT BURNS. —

XXXIX.

Ondine ! enfant joyeux qui bondis sur la terre,
Mobile comme l’eau qui t’a donné son nom,
Es-tu d’un séraphin le miroir solitaire ?
Sous ta grâce mortelle orne-t-il ma maison ?

Quand je t’y vois glisser dansante et gracieuse,
Je sens flotter mon ame errante autour de toi :

Je me regarde vivre, ombre silencieuse ;
Mes jours purs, sous tes traits, repassent devant moi !

Car toujours ramenés vers nos jeunes annales,
Nous retrempons nos yeux dans leurs fraîches couleurs ;
Midi n’a plus le goût des heures matinales
Où l’on a respiré tant de sauvages fleurs !
Le champ, le plus beau champ que renfermât la terre,
Furent les blés bordant la maison de mon père,
Où je dansais, volage, en poursuivant du cœur
Un rêve qui criait : « Bonheur ! bonheur ! bonheur ! »

C’est toi ! mes yeux blessés par le temps et les larmes,
Redevenus miroirs, se rallument d’amour !
N’es-tu pas tout ce monde infini, plein de charmes,
Que j’encerclais d’espoir, en essayant le jour ?

Viens donc, ma vie enfant ! et si tu la prolonges,
Ondine ! aux mêmes flots ne l’abandonne pas.
Que les ruisseaux, les bois, les fleurs où tu te plonges,
Gardent leur fraîche amorce au penchant de tes pas ;
Viens ! mon âme sur toi pleure et se désaltère.
Ma fille, ils m’ont fait mal… ! Mets tes mains sur mes yeux.
Montre-moi l’espérance et cache-moi la terre ;
Ange ! retiens mon vol, ou suis-moi dans les cieux.


Mais tu n’entendras pas mes plaintes interdites.
Dit-on au passereau de haïr, d’avoir peur ?
Tes oreilles encor sont tendres et petites,
Enfant ! je ne veux pas méchantiser ton cœur.

Garde-le plein d’écho de ma voix maternelle :
Dieu qui t’écoute encore ainsi m’écoutera.
Ô ma blanche colombe ! entr’ouvre-moi ton aile ;
Mon cœur a fait le tien ; il s’y renfermera ;
Car ce serait affreux et pitié de t’apprendre,
Quand tu baises mes pleurs, ce qui les fait couler ;
Va les porter à Dieu, sans chercher à comprendre
Ce qu’une larme pèse et coûte à révéler !

Tout pleure ! et l’innocent que le torrent entraîne,
Et ceux qui, pour prier, n’ont que leurs repentirs ;
Peut-être en ce moment les soupirs d’une reine,
Sur la route du ciel, rencontrent mes soupirs.

Mais que l’oiseau des nuits t’effleure en sa tristesse :
Il passe, mon Ondine, il passe avec vitesse :
Sur tes traits veloutés j’aime à boire tes pleurs ;
C’est l’ondée en avril qui roule sur les fleurs.


Que tes cheveux sont doux ! étends-les sur mes larmes,
Comme un voile doré sur un noir souvenir.
Embrassons-nous… ! Sais-tu qu’il reste bien des charmes
À ce monde pour moi plein de ton avenir ?
Et le monde est en nous : demeure avec toi-même ;
L’oiseau pour ses concerts goûte un sauvage lieu ;
L’innocence a partout un confident qui l’aime.
Oh ! ne livre ta voix qu’à cet écho : c’est Dieu !