Les Pleurs/Abnégation

Pour les autres éditions de ce texte, voir Abnégation.

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 143-146).

ABNÉGATION.

Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si là-bas on ne croit pas que mourir c’est vivre ?
— EURIPIDE. —

XXVIII.

Si solitaire, hélas ! et puis si peu bruyante,
Tenant si peu d’espace, on me l’envie encor !
Cette pensée est triste, elle entraîne à la mort ;
Et, pour s’en reposer, la tombe est attrayante !
C’est la première fois qu’elle a navré mon sein ;
À tous les flots amers de ma vie écoulée,
Cette goutte de fiel ne s’était pas mêlée ;
Personne n’avait dit : « S’en ira-t-elle enfin ! »

Oh ! personne ! À présent je suis de trop au monde,
Et j’ai hâte, et j’ai peur d’amasser mes instans ;
Je trompe une espérance !… En vain je la seconde ;
Importune et mourante, on peut vivre long-temps !

Oui, je me presse en vain d’avancer et de vivre.
Quelque anneau tient encor mon cœur ; il se rompra.
Tout ce que j’aime est frêle et meurt ; et pour vous suivre,
Mes chers anneaux brisés, mon cœur se brisera !