Les Pleurs/À M. Alphonse de Lamartine

Pour les autres éditions de ce texte, voir À Monsieur Alphonse de Lamartine.

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 197-212).

À Monsieur
ALPHONSE DE LAMARTINE.

Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux qui pleurent.
Imitation de J.-C.
Dieu, dit l’Écriture, entend la fleur s’ouvrir, et il distingue dans les bois le dernier souffle de l’oiseau.
— M. H. DE LATOUCHE. Lettre de Carlin

XXXVIII.

Triste et morne sur le rivage
Où l’espoir oublia mes jours,
J’enviais à l’oiseau sauvage
Les cris qu’il pousse dans l’orage
Et que je renferme toujours !


Et quand l’eau s’enfuyait, semée
De tant d’heures, de tant de mois,
Sous ma voile sombre et fermée,
D’une vie autrefois aimée
Je ne traînais plus que le poids !

J’osais, au fond de ma misère,
Rêvant sous mes genoux pliés,
Sans haleine pour ma prière,
Murmurer à Dieu : « Dieu, mon père !
Mon père ! vous nous oubliez ! »

« Vous ne donnez repos ni trève,
Ni calme à notre errant esquif
Tantôt échoué sur la grève,
Tantôt emporté comme un rêve,
Perdu dans l’orage ou captif !

» Partout où le malheur l’égare,
Une mère a peur de mourir ;
J’ai peur : j’ose nommer barbare

Le destin mobile et bizarre
Qui fit mes enfans pour souffrir !

» Qui prendra la rame affligée,
Quand la barque, sans mouvement,
De mon faible poids allégée,
Leur paraîtra vide, changée,
Et sur un plus morne élément ?

» Sans char, sans prêtre, au cimetière
Leur piété me conduira ;
Puis, d’un peu de buis ou de lierre,
Doux monument de sa prière.
Le plus tendre me couvrira !… »

Tout passe ! Et je vis disparaître
L’orage avec l’oiseau plongeur ;
Et sur mon étroite fenêtre
La lune, qui venait de naître,
Répandit sa douce blancheur.

J’étendis mes bras devant elle,
Comme pour atteindre un ami

Dont le pas vivant et fidèle
Tout à coup au cœur se révèle
Sur le seuil long-temps endormi.

Je ne sais quelle voix puissante
Retint mon souffle suspendu ;
Voix d’en haut, brise ravissante,
Qui me relevait languissante,
Comme si Dieu m’eût répondu !

Mais pour trop d’espoir affaiblie,
Et voilant mes pleurs sous ma main,
J’ai dit dans ma mélancolie :
« Lorsque tout m’ignore ou m’oublie,
Quel ange est donc sur mon chemin ? »

C’était vous ! j’entendis des ailes
Battre au milieu d’un ciel plus doux ;
Et sur le sentier d’étincelles
Que formaient d’ardentes parcelles,
L’ange qui venait, c’était vous !

Oui, du haut de son vol sublime,
Lamartine jetait mon nom,

Comme d’une invisible cime,
À la barque, au bord de l’abîme,
Le ciel ému jette un rayon !

Doux comme une voix qui pardonne,
Depuis que ton souffle a passé
Sur mon front pâle et sans couronne,
Une sainte pitié résonne
Autour de mon sort délaissé !

Jamais, dans son errante alarme,
La Péri, pour porter aux cieux,
Ne puisa de plus humble larme
Que le pleur plein d’un triste charme
Dont tes chants ont mouillé mes yeux !

Mais dans ces chants que ma mémoire
Et mon cœur s’apprennent tout bas,
Doux à lire, plus doux à croire,
Oh ! n’as-tu pas dit le mot gloire ?
Et ce mot, je ne l’entends pas ;

Car je suis une faible femme ;
Je n’ai su qu’aimer et souffrir ;

Ma pauvre lyre, c’est mon ame,
Et toi seul découvres la flamme
D’une lampe qui va mourir.

Devant tes hymnes de poète,
D’ange, hélas ! et d’homme à la fois,
Cette lyre inculte, incomplette,
Long-temps détendue et muette,
Ose à peine prendre une voix.

Je suis l’indigente glaneuse
Qui d’un peu d’épis oubliés
A paré sa gerbe épineuse,
Quand ta charité lumineuse
Verse du blé pur à mes pieds.

Oui ! toi seul auras dit : — Vit-elle ? —
Tant mon nom est mort avant moi !
Et sur ma tombe, l’hirondelle
Frappera seule d’un coup d’aile
L’air harmonieux comme toi !

Mais toi ! dont la gloire est entière
Sous sa belle égide de fleurs,

Poète ! au bord de ta paupière,
Dis vrai, sa puissante lumière
A-t-elle arrêté bien des pleurs ?

Nous faisons suivre cette pièce de madame Desbordes-Valmore des beaux vers qui lui avaient été adressés par M. de Lamartine. Nos lecteurs nous sauront gré de les trouver ici.

À Madame
DESBORDES-VALMORE.

Souvent sur les mers où se joue
La tempête aux ailes de feu,
Je voyais passer sur ma proue
Le haut mât que le vent secoue,
Et pour qui la vague est un jeu !

Ses voiles ouvertes et pleines
Aspiraient le souffle des flots,

Et ses vigoureuses antennes
Balançaient, sur les vertes plaines,
Ses ponts chargés de matelots.

La lame en vain dans la carrière,
Battait en grondant ses sabords.
Il la renvoyait en poussière,
Comme un coursier sème en arrière
blanche écume de son mors !

Longue course à l’heureux navire,
Disais-je ; en trois bonds il a fui !
La vaste mer est son empire,
Son horizon n’a que sourire,
Et l’univers est devant lui !

Mais, d’une humble voile sur l’onde,
Si je distinguais la blancheur,
Esquif que chaque lame inonde,
Seule demeure qu’ait au monde
Le foyer flottant du pêcheur ;

Lorsqu’au soir sur la vague brune,
La suivant du cœur et de l’œil,
Je m’attachais à sa fortune,
Et priais les vents et la lune
De la défendre de l’écueil ;


Sous une voile dont l’orage
En lambeaux déroulait les plis,
Je voyais le frêle équipage
Disputer son mât qui surnage
Aux coups des vents et du roulis.

Debout, le père de famille
Labourait les flots divisés ;
Le fils manœuvrait, et la fille
Recousait avec son aiguille
La voile ou les filets usés.

Des enfans acroupis sur l’âtre,
Soufflaient la cendre du matin ;
Et déjà la flamme bleuâtre
Égayait le couple folâtre
De l’espoir d’un frugal festin.

Appuyée au mât qui chancelle,
Et que sa main tient embrassé,
La mère les couvait de l’aile,
Et suspendait à sa mamelle
Le plus jeune à son cou bercé.

Ils n’ont, disais-je, dans la vie
Que cette tente et ces trésors ;

Ces trois planches sont leur patrie ;
Et cette terre en vain chérie
Les repousse de tous ses bords !

En vain de palais et d’ombrage
Ce golfe immense est couronné.
Ils n’ont pour tenir au rivage
Que l’anneau, rongé par l’orage,
De quelque môle abandonné !

Ils n’ont pour fortune et pour joie
Que les refrains de leurs couplets,
L’ombre que la voile déploie,
La brise que Dieu leur envoie,
Et ce qui tombe des filets !

Cette pauvre barque, ô Valmore,
Est l’image de ton destin.
La vague, d’aurore en aurore,
Comme elle te ballotte encore
Sur un océan incertain !

Tu ne bâtis ton nid d’argile
Que sous le toit du passager,
Et comme l’oiseau sans asile,
Tu vas glanant de ville en ville
Les miettes du pain étranger.


Ta voix enseigne avec tristesse
Des airs de fête à tes petits,
Pour qu’attendri de leur faiblesse,
L’oiseleur les épargne, et laisse
Grandir leurs plumes dans les nids !

Mais l’oiseau que ta voix imite
T’a prêté sa plainte et ses chants,
Et plus le vent du nord agite
La branche où ton malheur s’abrite,
Plus ton ame a des cris touchans !

Du poète c’est le mystère :
Le luthier qui crée une voix,
Jette son instrument à terre,
Foule aux pieds, brise comme un verre
L’œuvre chantante de ses doigts ;

Puis, d’une main que l’art inspire,
Rajustant ces fragmens meurtris,
Réveille le son et l’admire,
Et trouve une voix à sa lyre
Plus sonore dans ses débris !…

Ainsi le cœur n’a de murmures
Que brisé sous les pieds du sort !

L’ame chante dans les tortures ;
Et chacune de ses blessures
Lui donne un plus sublime accord !

Sur la lyre où ton front s’appuie
Laisse donc résonner tes pleurs !
L’avenir du barde est la vie
Et les pleurs que la gloire essuie
Sont le seul baume à ses douleurs !