Les Pleurs/À M. A. de L.

Pour les autres éditions de ce texte, voir À M. A. de L..

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 219-224).
◄  Ma Fille

À MONSIEUR A. DE L.

Quand je suis seul en voyage, et que sur ma route, près d’un village, au carrefour d’un bois, je rencontre une chapelle, une croix, une madone, j’y dépose un bouquet, ou bien une prière pour toi : je demande tout ce que tu désires.
— M. DE LATOUCHE. —

XL.

Nacelle abandonnée,
Errante comme moi,
Avec ta destinée !
Tu n’entraînes que toi :
Que t’importe l’orage,
Libre jouet des vents ?

Moi je crains le naufrage ;
J’emporte mes enfans !

J’ai vu la voile sombre
Qui t’enlève du port ;
Et j’ai pleuré de l’ombre
Où s’enferme ton sort ;
Mais aux vents déchirée,
Elle s’égare en vain ;
Cette voile est sacrée,
Et son but est divin !

Sur la route attristée
Où s’envolaient mes jours,
Par un charme arrêtée,
Je crus l’être toujours :
Du sort la folle envie,
Vers de lointaines mers
Pousse encor de ma vie
Les flots toujours amers !

Doucement captivée
Au bord d’un nid de fleurs,
Sur ma jeune couvée
J’ai ri de mes douleurs ;

Et l’on trouvait des charmes
À mes chants d’autrefois ;
Mais ma voix a des larmes,
Et j’ai peur de ma voix !

Nacelle fugitive
Échappée à ce bord,
Une immuable rive
Doit nous rejoindre encor :
Là, les voiles amies,
Calmes dans leurs débris,
Reposent endormies
Sous d’immortels abris !