Les Parvenus
1868
Quiconque par hasard d’un fruit s’est souvenu, Dira qu’au potiron ressemble un parvenu : C’est bien là l’homme lourd, à vaste corpulence, Qui, fier de ses pépins, joint l’or à l’insolence ; C’est bien là cette courge, au sortir du fumier, Qui se donne le nom de Citrouillard premier ! Diversement on peut juger de loin les choses ; De près les parvenus ne sont ni fruits ni roses ; Ce sont, à mon avis, des chardons orgueilleux, Armés de leurs piquants pour nous crever les yeux. Leur maintien sans valeur d’avance les condamne ; Que peuvent-ils offrir ?... Rien que des repas d’âne ! Or pour vivre à leur table, il faut être flatteur, Espion, intriguant ou bien dissipateur, N’avoir point de crédit, n’avoir point de salaire, Ne plus s’en rapporter aux lois de la grammaire, Oublier son français, et sourire aux jurons D’un vantard que j’inscris chez les aliborons. Mais avant de flétrir leur rang, leur cœur, leur âme, Leur vice, leur astuce et leur conduite infâme, Distinguons tel ou tel parmi les parvenus Qui riches en ce jour hier étaient tout nus. Dieu me garde en mes vers d’attaquer leur conduite Des hommes arrivés par leur propre mérite ! Un travail incessant les a guidés au port, Et ma main les salue avec un vif transport ! Oui, j’aime que la gloire ait au front sa couronne, Et que le laboureur qui sut semer moissonne. J’aime qu’après l’hiver vienne le doux printemps, Que l’artisan bâtisse un toit pour ses vieux ans. Parvenir sans bassesse et grandir sans intrigue, C’est avoir le cœur droit, tout cœur droit est prodigue ; Il reçoit pour donner ; s’il donne, il est heureux !... Mais que de parvenus ne sont pas généreux ! Regardons devant nous l’impudent personnage Que la fortune a mis dans un bel équipage ; Il nous toise en passant, et son sourire est vain : C’est un gros parvenu fils d’un marchand de vin. Son père a conservé sur sa superbe trogne Le long certificat des produits de Bourgogne. Il boit sec, mange bien, a bon pied et bon œil, Point d’esprit apparent, mais un ballon d’orgueil ! Son chapeau semble avoir pris racine à sa tête. – Mon père, dit le fils, est une grosse bête ! Sans mérite, sans cœur et sans distinction, Qui n’a jamais reçu la moindre instruction. Le jour de son hymen, pour aller à l’église, Il était sans cravate, en manches de chemise ; S’il endossa l’habit ce fut pour un moment ; Car il se mit à l’aise après le sacrement. Sa fortune arriva d’abord par héritage, Puis il vendit du vin, un affreux tripotage, Provenant de Bercy pour l’acheteur ! On tirait au tonneau sous les yeux du buveur. Quel débit !... Et les fûts étaient mis en vidange Au tumulte des voix célébrant la vendange. La foule, en son ivresse, et n’ayant plus le sou, S’écriait : – Au revoir !... A l’enseigne du chou ! Et l’on y revenait… D’un million mon père Parvint à s’enrichir… Sa fortune m’est chère ! Car il m’en a donné moitié de son vivant ; Mais je n’imite pas le petit débitant Qui n’aurait jamais su faire en grand le commerce. Ce n’est pas moi qui mets les barriques en perce, J’ai pour me remplacer des commis, des agents, Et j’attends près du feu mes dociles clients. Il est bien loin le chou qui parait la boutique Où mon père servait tour à tour la pratique ! Voyez ces bâtiments !... Voyez ces magasins ! Ils sont remplis de fûts d’eau-de-vie et de vins. Visitez mon logis !... Ce salon est de marbre !... Sur ce plateau d’argent, voyez ce qu’un seul arbre De mon vaste verger m’a donné de beaux fruits !... Admirez cette poire !... Admirez ces produits !... Ma chambre est là… mon lit est de nacre et d’ébène !... Ce tapis qui s’étend… c’est de haute laine !... Mes enfants sont heureux ! car ils ont comme moi Ce confortable aisé que chacun veut pour soi. Mon fils sort du lycée… Ah ! c’est un beau jeune homme ! Ma fille le surpasse !... Et l’un et l’autre, en somme, Recevront pour leur dot quatre cent mille francs !... – Oh ! vaniteux ! je hais tous ceux qui font les grands !... Je hais ton fol orgueil et ta folle dépense ! Ton fils, qu’a-t-il appris ? Pas un mot de science ! C’est un sot parvenu ; son habit de velours Ne couvrira jamais les fautes du discours ! C’est un niais, à part qu’il a de la fortune ; Si l’âne monte en chaire, à ton fils la tribune ! A lui tous les honneurs ; mais à lui mes dédains ; Les fils de parvenus sont de droit des crétins !... Si le lecteur voulait me suivre en un village, Du côté de Rouen nous ferions le voyage. Vous consentez ?... Partons !... Voyez-vous ce coteau ? Ici c’est le village, et là-bas le château Qui n’a pas de donjon se mirant dans la Seine ; Mais son grand parc s’étend fort au loin dans la plaine. Le domaine remonte au temps de nos aïeux, Au temps où les seigneurs étaient nobles et preux. Il a changé trois fois d’intendant et de maître ; Mais il était toujours ce qu’un château doit être : L’abri de l’orphelin, un refuge, un secours… L’hirondelle y trouvait un nid pour ses amours. C’était le rendez-vous des tournois, de la chasse. Un homme y pardonnait avant qu’on eût dit : Grâce ! Car il était clément, car il était humain ! Le pauvre avait sa part quand il tendait la main. Le vieux seigneur mourut !... Mais non moins charitable, Son fils aux voyageurs disait : – J’ai bonne table ! Le feu m’éclaire… Auprès, asseyez-vous aussi. Buvez ! La coupe est pleine !... – A notre hôte ! – Merci !... Ce temps n’est plus, hélas !... Le maître du domaine A passé comme lui… Se trouvant dans la gêne, Un héritier parla de vendre le château. L’hirondelle partit et fit place au corbeau… Du bâtiment les murs tombaient presque en ruine Lorsqu’un jour, un vacher dit à sa femme : – Aline, L’argent est le seul dieu, l’argent est le seul roi ; Le bien que l’on achète, on peut le dire à soi, Je veux du vieux domaine être propriétaire, Et qu’on passe aujourd’hui l’acte chez le notaire… – À merveille ! notre homme, il faut placer nos fonds ; La terre ne craint point les révolutions ; Tu la cultiveras. Le produit des semences Couvrira tous les ans nos modestes dépenses, Et puis !... de ce pays nous serons les seigneurs !... La chose est arrivée ! Et le pauvre est en pleurs ; Car le château se ferme à la voix qui demande. Un homme à bonnet bleu dit haut, pour qu’on l’entende. – Malotru, travaillez ! au lieu de rester coi !... Je porte des sabots !... Qu’on fasse comme moi !... Je m’adonne au labour, je m’adonne à la taille ; Je sais couper le foin, je sais rentrer la paille ; Ma femme a soin du linge et le porte au lavoir. Nous avons un salon qui nous sert de séchoir. Les fruits qu’on a de trop on les vend à la ville… – Assez, beau parvenu, vis donc sobre et tranquille, Le pauvre, en te quittant sait maudire un vilain ! – Tais-toi ! pauvre, tais-toi !... Je suis ton châtelain !... Paris n’est pas exempt de pareilles épreuves. J’ai vu des parvenus avoir des blouses neuves Ne valant pas pour moi celles du dernier rang. La caque, Henri l’a dit, sent toujours le hareng. Tel marchand qui vendait du fromage et du beurre, Après s’être enrichi se tient dans sa demeure Comme un vieil escargot enfermé tout l’hiver ; Le soir, avec sa bonne, et sur un tapis vert, Il joue… Et quand la chance à ses yeux est constante, Le maître fortuné prend l’or de sa servante. Ce parvenu partout dit qu’il est gueux… Le rat ! N’ayant jamais donné n’a jamais fait d’ingrat. Il craint les visiteurs qu’on charge d’une quête ; S’ils sont dans l’escalier, il a mal à la tête : – Jeanne ! Je suis au lit. – On frappe… – N’ouvrez pas ! Les quémandeurs iront porter ailleurs leurs pas… Des parvenus je crois que la coquille est dure ; Si parfois le public les souffre, les endure, C’est que tout œuf gâté brisé reste puant. Le parvenu d’hier sent mauvais constamment. Je n’ai jamais compris qu’ils pussent dans la glace Se regarder pour mettre un col blanc à leur face. Un parvenu, messieurs, c’est un melon trompeur ; Garnissez bien sa couche, il n’en est pas meilleur ! Un parvenu, c’est l’huître au rocher bien assise ; C’est un homard paré, c’est un suisse d’église ; C’est un ancien portier, concierge en un palais ; C’est un frotteur qui monte au grade de laquais ; C’est un jeune effronté qui pose et qui s’admire ; C’est un fat à gants blancs qui n’a jamais su rire ; C’est ce petit pantin que l’on nomme crevé, Possédant un emploi productif, élevé, Grâce à l’intrigue, hélas ! d’une femme du monde Ou d’une actrice ayant moins d’or que de faconde ; C’est le maître exigeant qui jadis fut valet Et qui dit : – On me vole !... Attendu qu’il volait… C’est enfin tout ingrat qui méconnaît son frère, Et ne se souvient plus qu’étant dans la misère, On lui donna du pain, on réchauffa son corps !... Oh ! le serpent maudit !... Il a fait des efforts Pour siffler et pour mordre… Il relève la tête !... Que ne puis-je abaisser son orgueilleuse crête ! Je voudrais le hacher menu, menu, menu, Et qu’il ne restât rien de ce vil parvenu ! <br />