Les Mystères du confessionnal/Supplément au traité du mariage/02/02
CHAPITRE II. — De l’usage du mariage
Nous examinerons dans ce chapitre :
1o Quand les époux tombent dans le péché en usant du mariage ;
2o Ce qu’il faut décider des attouchements voluptueux et réciproques.
Article premier. — Quand les époux pèchent en usant du mariage
I. Les époux commettent un péché mortel, non-seulement lorsque leur union charnelle a lieu hors du vase naturel, ou que, par des moyens adroits, ils répandent la semence hors de ce vase, mais encore lorsqu’ils préludent à l’acte vénérien dans le vase qui ne lui est pas destiné, par exemple, en introduisant le priape, c’est-à-dire le membre viril dans l’anus, avec l’intention de terminer la jouissance dans la matrice ; car ils prennent ainsi un moyen qui s’écarte des voies naturelles, et comme cet acte tend, par lui-même, à faire répandre la semence hors du vagin, cette pratique n’est pas autre chose qu’une véritable sodomie. Voy. Sanchez, l. 9, disp. 17, no 4, St Ligori, l. 6, no 916, et beaucoup d’autres dont ils rapportent les décisions.
II. D’après l’opinion générale, c’est un péché mortel, tant de demander que de rendre le devoir conjugal lorsqu’on ne doit pas l’accomplir dans la position naturelle, mais en se plaçant de côté pour la copulation, parce qu’il y a danger de répandre la semence hors du vase : la raison en est évidente. Mais si ce danger n’est pas à craindre, c’est seulement un péché véniel de demander ou de rendre le devoir conjugal de cette manière, qui ne s’écarte que légèrement de la position naturelle, car une pareille inversion n’est pas essentiellement contre nature, étant admis qu’elle ne s’oppose pas à la génération. On doit cependant la blâmer sévèrement, surtout si l’homme, pour augmenter ses jouissances, prend sa femme par derrière, à la mode des animaux, ou s’il se place sous elle, en intervertissant les rôles : cette inversion est souvent le signe de concupiscences mortellement mauvaises chez celui qui ne sait pas se contenter des moyens ordinaires de pratiquer le coït.
Mais lorsqu’il y a nécessité d’en agir ainsi, à l’époque de la grossesse, par exemple, ou parce qu’on ne peut supporter d’autres positions, il n’y a nul péché à prendre ces diverses postures, pourvu qu’il n’y ait pas danger de répandre la semence hors du vase.
III. Pèchent mortellement les époux qui se livrent à des actes obscènes et qui répugnent à la pudeur naturelle, et surtout ceux qui pratiquent l’union charnelle dans un vase autre que celui qui est destiné à cet acte ; c’est ce qui arrive lorsque la femme prend dans sa bouche le priape de son mari, c’est-à-dire le membre viril, ou le place entre ses seins, ou l’introduit dans son anus, etc… etc. ; on ne peut jamais s’appuyer sur les licences du mariage pour excuser de pareilles lubricités.
IV. Pèchent mortellement les personnes mariées qui pratiquent l’acte conjugal d’une manière qui s’oppose à la génération, par exemple si l’homme répand sa semence hors du vase, comme nous l’avons dit, s’il s’oppose à l’écoulement complet de la semence, si la femme rejette le sperme ou fait des efforts pour le rejeter, si elle reste passive afin d’empêcher la conception, etc. St Antoine, Sanchez et beaucoup d’autres cités par St Ligori, l. 6, no 918, prétendent qu’il n’y a pas de péché lorsque le mari, du consentement de sa femme, retire son membre de la matrice, avant l’écoulement de la semence, afin de ne pas donner naissance à des enfants, à la condition, cependant, que ni le mari ni la femme ne tomberont dans le danger de pollution. Cependant, Navarrus, Sylvestre, Ledesma, Azor et beaucoup d’autres pensent avec raison que, dans ce cas, le péché est mortel, tant à cause du danger de pollution dans lequel se trouve toujours le mari, qu’en raison de l’injure grave faite à la nature en laissant l’acte conjugal imparfait. C’est cette dernière opinion seulement qu’on doit suivre dans la pratique.
V. Les personnes mariées pèchent mortellement en demandant ou en rendant le devoir conjugal, lorsqu’il peut résulter de l’accomplissement de l’acte charnel un grave danger d’avortement, quoique le fœtus ne soit pas encore vivant, ou lorsque cet acte doit être notablement préjudiciable à la santé de l’enfant ; cela résulte de ce qui a été déjà dit ; car l’acte pratiqué de manière à produire de semblables résultats est tout à fait contre nature.
VI. Les époux pèchent encore mortellement lorsque, dans l’accomplissement de l’acte conjugal, ils ont des désirs adultères, c’est-à-dire s’ils se figurent que c’est une autre personne qui est présente et s’ils prennent volontairement plaisir en pensant que c’est avec cette personne que le commerce a lieu. Il en est de même lorsqu’ils accomplissent l’acte conjugal dans un but mortellement mauvais, par exemple, si l’homme demande ou rend le devoir conjugal avec le désir que sa femme meure dans les douleurs de l’enfantement.
VII. L’acte charnel est un péché mortel lorsqu’il se fait dans le lieu saint, même en temps de guerre, à cause du respect dû à ce lieu et de la défense faite par l’Église de pratiquer le coït dans le lieu saint ; les personnes mariées, en effet, peuvent parer à cette nécessité par d’autres moyens.
VIII. Pèchent encore mortellement les époux qui pratiquent l’acte conjugal devant d’autres personnes, à cause du grave scandale qui en résulte : Ils doivent donc éviter, avec soin, de faire coucher d’autres personnes dans leur chambre. Les gens pauvres et les habitants des campagnes qui n’ont souvent qu’une seule chambre pour eux, leurs enfants et leurs domestiques, doivent s’observer nuit et jour avec soin, de crainte qu’en usant de leurs droits ils ne soient pour les autres une occasion de ruine. Hélas ! que de servantes, que d’enfants en bas-âge sont déjà perdus de mœurs et doivent leur dépravation au défaut de précaution de personnes mariées !
Article II. — Des attouchements entre époux
I. Les attouchements qui ont pour but de parvenir à l’acte charnel légitime sont, sans aucun doute, licites à la condition de ne pas entraîner le danger de pollution ; ils sont, en effet, comme les accessoires de cet acte : ils ne peuvent donc être défendus puisque cet acte est licite. Si cependant ils avaient pour but d’obtenir une plus grande jouissance, il en résulterait un péché véniel, quoique tendant à l’acte charnel, car ce but serait véniellement mauvais. Mais le péché serait mortel si ces attouchements, quoique faits en vue de l’acte charnel, répugnaient gravement à la droite raison, comme d’appliquer les parties génitales à un vase autre que le vase naturel, — par exemple, si les époux s’appliquaient réciproquement la bouche aux parties sexuelles, pour les lécher à la manière des chiens. — Les époux chrétiens, en effet, doivent se conduire autrement que les chevaux et les mulets qui sont privés de raison. (Ps. 31. 11) : Mais que chacun de vous sache qu’il a un vase pour sa sanctification et son honneur et non pas pour la satisfaction de ses désirs et de ses passions, comme cela se pratique chez les peuples qui ne connaissent pas Dieu. (I. aux Thess. 4.4.)
II. Les attouchements entre époux sont des péchés mortels lorsqu’il en résulte un danger de pollution car la pollution n’est pas plus permise aux personnes mariées qu’à celles qui ne le sont pas ; on ne peut donc pas davantage les excuser de se mettre volontairement dans le danger de pollution. Mais les embrassements et les autres attouchements honnêtes que les personnes mariées ont l’habitude de se faire pour entretenir un amour mutuel ne sont pas des péchés lorsqu’ils ne mettent pas dans le danger de pollution ; ils sont permis, pour de justes raisons, entre personnes non mariées, même lorsqu’il y a danger de pollution ; à plus forte raison le sont-ils entre époux : car lorsqu’ils ont pour but d’entretenir l’amour mutuel, le motif est suffisant pour excuser un léger danger, si le danger existe.
III. Les docteurs ne s’accordent pas sur le point de savoir si les attouchements obscènes faits entre époux, sans qu’il y ait danger de pollution, sont des péchés mortels ou véniels.
St Antoine, Sylvestre, Comitolus et beaucoup d’autres cités par Sanchez, l. 9, disp. 44, affirment que les attouchements et les regards de cette nature constituent autant de péchés mortels s’ils n’ont pas l’acte conjugal pour but ; alors, en effet, ils ne tendent pas à cet acte qui exclut le péché, mais à la pollution qui est essentiellement mauvaise.
Sanchez, l. 9, disp. 44, no 11 et 12, St Ligori, l. 6, no 932, et les autres théologiens en général, prétendent que les attouchements et les regards de cette nature, n’excèdent pas le péché véniel, lorsque, comme il a été dit ci-dessus, il n’y a pas danger prochain de pollution, même quand ils ne se rapportent pas à l’acte conjugal : car de tels actes, entre époux, ne sont pas péchés de leur nature puisqu’ils peuvent être faits d’une manière licite pour parvenir à l’acte conjugal ; si donc ils ne tendent pas à cet acte, ils n’ont pas de but légitime et sont, par conséquent, des péchés véniels ; mais ils n’excèdent pas la gravité du péché véniel parce qu’il n’y a pas grave danger de pollution.
Cette dernière opinion nous paraît la plus probable : en général, cependant on doit, dans la pratique, sévèrement blâmer les époux qui agissent ainsi, surtout lorsque ces actes font éprouver de graves commotions aux esprits génitaux, car il est rare, dans ce cas, qu’il n’y ait pas danger de pollution. C’est ce que pensent le P. Antoine et Collet.
On ne doit pas les regarder comme coupables de péché mortel lorsqu’ils affirment, de bonne foi, que leurs sens ne sont pas ébranlés ou qu’il n’y a pas danger probable de pollution, ce qui est assez ordinaire pour les personnes mariées depuis longtemps accoutumées aux actes vénériens. Nous ne saurions blâmer en aucune façon une épouse pieuse qui, par timidité, ou par crainte d’irriter son mari, ou dans le but de conserver la paix dans le ménage, permettrait des attouchements libidineux, affirmant d’ailleurs qu’ils ne produisent chez elle aucun mouvement désordonné ou que, du moins, ces mouvements sont légers.
Les discours obscènes entre mari et femme ne sont pas des péchés mortels, à moins qu’ils n’entraînent un grave danger de pollution, ce qui est rare : les confesseurs doivent peu s’en occuper.
IV. Sanchez, l. 9, disp. 44, no 15, et plusieurs autres avec lui, disent que l’époux qui, en l’absence de son conjoint, prend plaisir à se toucher ou à se regarder, mais sans qu’il y ait danger de pollution, commet seulement un péché véniel, parce qu’il fait des actes secondaires qui tendent à l’acte principal licite en soi, c’est-à-dire l’union charnelle, mais qui, dans ce cas, sont sans nécessité. Ils sont d’avis qu’il faut en dire autant de la délectation continuelle dans l’acte conjugal qu’on se représente comme accomplissant actuellement.
D’autres, au contraire, plus ordinairement, comme Layman, Diana, Sporer, Vasquez, St Ligori, etc., peu suspects d’une trop grande sévérité, donnent comme probable que c’est un péché mortel, tant parce que l’époux n’a le droit de disposer de son corps qu’accidentellement et, selon l’ordre, pour accomplir l’acte charnel, qu’en raison de la tendance de ces attouchements à la pollution et du danger prochain qui en est inséparable, lorsqu’on s’y arrête et qu’ils produisent une commotion dans les esprits.
On doit donc les interdire comme mortels lorsqu’ils produisent de notables commotions ; dans le cas contraire, ils nous paraissent seulement véniels.
Comme la délectation dans l’acte conjugal auquel on s’est livré ou que l’on se propose d’accomplir, a une moindre influence sur la commotion des esprits, nous pensons qu’on doit souvent l’excuser de péché mortel La délectation dans un acte licite ne peut être gravement mauvaise. Or, l’acte charnel est permis aux personnes mariées ; donc la délectation dans cet acte fait ou à faire, ou qu’on se représente comme s’accomplissant, ne peut constituer un péché mortel lorsqu’il n’y a pas danger prochain de pollution, Aussi lit-on dans St Thomas, Traité des actions mauvaises, q. 12, art. 2 : L’union charnelle n’étant pas un péché mortel pour les personnes mariées, le consentement à la délectation ne peut être un péché plus grave que le consentement à l’acte lui-même. C’est-à-dire que si c’est seulement un péché véniel de pratiquer l’acte conjugal pour l’unique plaisir qui en résulte, le péché n’est pas plus grave lorsqu’on prend plaisir à se représenter cet acte. Le péché ne peut donc être mortel, si ce n’est en raison du danger qui en résulte, danger dont on doit supposer la présence, si la délectation est accompagnée non-seulement de la commotion des esprits, mais encore de chatouillements ou plaisirs vénériens, dit St Ligori, 1. 6, no 937.
Tels sont les principaux péchés qui souillent d’habitude la sainteté du mariage : Dieu les punit souvent, même dans cette vie, par l’extinction des familles, le défaut de soumission des enfants, la mort subite et autres calamités. Les personnes mariées sont donc gravement dans l’erreur, lorsqu’elles pensent que tout leur est permis dans le mariage : elles commettent d’innombrables péchés en soi mortels, qu’elles ne découvrent pas en confession et dans lesquels pourrissent les pécheurs. Aussi l’auguste Dauphin, père de Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X, disait avec raison que la chasteté conjugale était plus difficile que la parfaite continence.