Les Muses françaises (Gérard)/Thérèse Martin

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 191-206).

1873-1897

THÉRÈSE MARTIN

D’abord, sous un ciel qui scintille
D’une incomparable lueur,
Ce fut une petite fille
Qui ressemblait à une fleur.

Son existence pourrait presque
Se chanter comme une chanson
Ou se peindre comme une fresque :
Son père, au soleil d’Alençon,

Réglait les heures de la terre ;
Sa mère avait les doigts légers ;
Car sa mère était dentellière,
Et son père était horloger.

Mais bientôt la sainte famille
Partit pour habiter Lisieux ;
Sous un autre soleil qui brille,
On choisit un autre toit bleu ;

Ce toit, entouré de feuillage,
Avait pour nom « Les Buissonnets » ;
Ce n’était qu’un jardin sauvage :
Le monde, aujourd’hui, le connaît.


C’est là que Thérèse, si douce,
Grandit dans le rêve éternel
Des fleurs, étoiles de la mousse,
Et des étoiles, fleurs du ciel.

Elle cherche dans la verdure
Tous les petits oiseaux mourants,
Les assiste, et, d’une main pure,
Les enterre « honorablement »…

Quoi ! perdre des heures de vie
Pour ensevelir des oiseaux ?
Thérèse savait que l’on prie
Autrement qu’en disant des mots.

À côté d’un vieux banc de marbre
Que le soir changeait de couleur,
Elle dressait, au cœur des arbres,
L’autel qui brûlait dans son cœur ;

Prenant des vers luisants pour cierges,
Et, pour chantre, un bourdon pressé,
Elle invoquait la sainte Vierge…
Mais, bientôt, ce n’est pas assez !

À quinze ans — pâle et si petite,
Ses cheveux sont un manteau d’or —
Elle veut être carmélite !
Mais le Carmel se ferme encor.

Un jour elle se précipite
Jusqu’à l’évêque de Lisieux :
Elle veut être carmélite,
Avec des larmes dans les yeux !


Il hésite… Alors, de sa cape
Enroulant son cœur désolé,
À Rome, elle va voir le Pape
Et se jette en pleurs à ses pieds.

« Que me veut donc cette petite ? »
Dit l’apôtre de Jésus-Christ.
« Elle veut être carmélite ! »
Il hésite… mais tant de cris

Ont troublé le ciel qui palpite…
Jésus dit : « Que veut cette enfant ?
— Elle veut être carmélite ! »
Répond la Vierge en souriant…

Alors, devant la palme verte
D’un archange envoyé du ciel,
La sombre porte s’est ouverte :
Thérèse est entrée au Carmel !


Ô douce paix de la prière !
Mais il n’est pas que des douceurs…
La Supérieure est sévère.
Tant mieux ! Souffrir est un bonheur.

Chaque jour, Thérèse est grondée ;
Pour tout : pour un geste tremblant,
Pour un mot, pour une araignée
Oubliée au coin du mur blanc.


Une araignée !… ah ! pourrait-elle
La chasser, elle qui sait, pour
Tisser une toile éternelle,
Ce qu’il faut de soins et d’amour ?

D’ailleurs elle a, de son enfance,
Gardé le culte trois fois saint
Des fleurs, des saisons, des présences,
De tous les ouvrages divins.

Le jour où sa bouche prononce
Le vœu qui doit être éternel,
Elle voudrait, comme réponse,
Quelque présent tombé du ciel ;

« Ah ! Seigneur… » dit-elle, « que n’ai-je
Un vêtement du paradis…
Seule, une robe toute en neige
Serait assez blanche aujourd’hui… »

Et Thérèse, d’un front qui penche
Traversant le parc du Carmel,
Fut habillée en neige blanche
Avant d’arriver à l’autel !


Petite Sainte qui fut blonde
Afin de mieux nous éclairer,
Elle voulut quitter le monde
Et le monde accourt à ses pieds.


Ainsi qu’une tendre poussière,
Tous les pays veulent venir
Admirer le beau reliquaire
Où dorment tant de souvenirs :

On y voit presque à tous les âges
L’humble rose qu’elle porta,
Et sa robe de mariage
Que la neige même argenta…

On voit l’espargate de toile
Cent fois recousue à son pied
Car son rêve entouré d’étoiles
N’aima rien que la pauvreté…

On voit, sur une très petite
Table dont le pied est tordu,
Son doux couvert de carmélite
(Sans fourchette bien entendu) ;

Et la pauvre petite chaise
Frissonnante d’un tel émoi
Qu’on se demande si Thérèse
N’est vraiment pas morte de froid ?

Son front était couleur de cire…
Ses petits pieds étaient glacés…
Mais elle n’a rien voulu dire
Tant qu’on pouvait la réchauffer…

Ce n’est qu’en mourant que sa gorge
Avoua cette chose à Dieu,
Le matin où le rouge-gorge
Était venu lui dire « adieu »…


D’ailleurs, les bêtes et les choses,
Les soirs de Juin, les fleurs d’été,
L’aimaient… Le parfum de la rose
Ne voulut jamais la quitter.

Et, quand sa jeune âme fleurie
Remonta tout droit vers les cieux,
L’éternel parfum de sa vie
L’accompagna jusqu’au seuil bleu.

Saint Michel et sa grande épée
En demeuraient tout interdits :
« Quoi ?… peut-on s’être parfumée
Pour arriver au paradis ?… »

Traînant ses clefs en ribambelle,
Saint Pierre n’osait pas ouvrir…
Quelle était donc, tout autour d’elle,
Cette odeur qui semblait fleurir ?

Saint Joseph, qui se remémore
Tous les copeaux du bois vermeil,
Pensait : « Le cœur du sycomore
N’avait pas un parfum pareil ! »

Sainte Cécile, toute blême,
Chantait : « Quel est donc ce parfum
Plus doux que la musique même
De ma harpe sous mes doigts fins ? »

Sainte Rose, la Péruvienne,
Disait en cachant son émoi :
« Quelle âme peut, d’où qu’elle vienne,
Sentir la rose mieux que moi ? »


Catherine, au bonnet qui brille,
Soupirait, fronçant le sourcil,
« Je ne serais pas vieille fille
Si j’étais parfumée ainsi !… »

Et les anges, beaucoup moins sages
Devant ce printemps qui passait,
Criaient en poussant les nuages :
« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ?… »

Alors, Jésus leva la tête ;
Il sentit le parfum d’Avril ;
Et, voyant tout le ciel en fête,
Il dit à son tour : « Qu’y a-t-il ?

Sur le seuil d’amour et de crainte,
Parmi cette grande lueur,
Quelle est cette petite sainte
Que l’on prendrait pour une fleur ?

Comment ce parfum de la terre
A-t-il accompagné ses pas ?
Qui est-elle ? Parlez, Saint Pierre !
— Mais c’est que je ne le sais pas !

À son regard de fleur limpide,
J’ai bien posé la question ;
Mais, Seigneur, elle est si timide,
Qu’elle ne m’a pas dit son nom…

J’ai demandé, pour qu’elle reste,
Le nom dont elle s’appelait ;
Mais, Seigneur, elle est si modeste,
Qu’un peu plus elle s’en allait…


— Ah ! » cria la Vierge à la chaise
En relevant son voile bleu,
« Mais c’est la petite Thérèse…
Et c’est la Rose de Lisieux ! »


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MON CIEL À MOI

Pour supporter l’exil de la terre des larmes,
Il me faut le regard de mon divin Sauveur ;
Ce regard plein d’amour m’a dévoilé ses charmes,
Il m’a fait pressentir le céleste bonheur.
Mon Jésus me sourit, quand vers lui je soupire ;
Alors je ne sens plus l’épreuve de la foi.
Le regard de mon Dieu, son ravissant sourire,
Voilà mon ciel à moi !

Mon ciel est d’attirer sur l’Église bénie,
Sur la France coupable et sur chaque pêcheur,
La grâce que répand ce beau fleuve de vie
Dont je trouve la source, ô Jésus, dans ton cœur.
Je puis tout obtenir lorsque, dans le mystère,
Je parle cœur à cœur avec mon divin Roi.
Cette douce oraison, tout près du sanctuaire,
Voilà mon ciel à moi !

Mon ciel, il est caché dans la petite hostie
Où Jésus, mon Époux, se voile par amour.
À ce foyer divin je vais puiser la vie ;
Et là, mon doux Sauveur m’écoute nuit et jour.
Oh ! quel heureux instant, lorsque dans la tendresse
Tu viens, mon Bien-Aimé, me transformer en toi !
Cette union d’amour, cette ineffable ivresse,
Voilà mon ciel à moi !


Mon ciel est de sentir en moi la ressemblance
Du Dieu qui me créa de son souffle puissant ;
Mon ciel est de rester toujours en sa présence,
De l’appeler mon père et d’être son enfant ;
Entre ses bras divins je ne crains pas l’orage…
Le total abandon, voilà ma seule loi ;
Sommeiller sur son cœur, tout près de son Visage,
Voilà mon ciel à moi !

Mon ciel, je l’ai trouvé dans la Trinité sainte
Qui réside en mon cœur, prisonnière d’amour ;
Là, contemplant mon Dieu, je lui redis sans crainte
Que je veux le servir et l’aimer sans retour.
Mon ciel est de sourire à ce Dieu que j’adore,
Lorsqu’il veut se cacher pour éprouver ma foi ;
Sourire, en attendant qu’il me regarde encore,
Voilà mon ciel à moi !

MON CHANT D’AUJOURD’HUI

Ma vie est un instant, une heure passagère,
Ma vie est un moment qui m’échappe et qui fuit,
Tu le sais, ô mon Dieu, pour t’aimer sur la terre,
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !

Oh ! Je t’aime Jésus, vers toi mon âme aspire…
Pour un jour seulement, reste mon doux appui ;
Viens régner dans mon cœur, donne-moi ton sourire,
Rien que pour aujourd’hui !


Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre,
Te prier pour demain, oh ! non, je ne le puis…
Conserver mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd’hui !

Si je songe à demain, je crains mon inconstance,
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui ;
Mais je veux bien ; mon Dieu, l’épreuve, la souffrance,
Rien que pour aujourd’hui !

Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle,
Ô Pilote divin dont la main me conduit !
Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle,
Rien que pour aujourd’hui !

Ah ! laisse-moi, Seigneur, me cacher en ta Face ;
Là je n’entendrai plus du monde le vain bruit,
Donne-moi ton amour, conserve-moi ta grâce,
Rien que pour aujourd’hui !

Près de ton Cœur divin, oubliant ce qui passe,
Je ne redoute plus les traits de l’ennemi.
Ah ! donne-moi, Jésus, dans ton cœur une place,
Rien que pour aujourd’hui !

Pain vivant, Pain du ciel, divine Eucharistie,
Ô mystère touchant que l’amour a produit !
Viens habiter mon cœur, Jésus, ma blanche Hostie,
Rien que pour aujourd’hui !

Daigne m’unir à toi, Vigne sainte et sacrée,
Et mon faible rameau te donnera son fruit,
Et je pourrai t’offrir une grappe dorée,
Seigneur, dès aujourd’hui.


Cette grappe d’amour dont les grains sont les âmes,
Je n’ai pour la former que ce jour qui s’enfuit…
Oh ! donne-moi, Jésus, d’un apôtre les flammes,
Rien que pour aujourd’hui !

Ô Vierge immaculée ! Ô toi la douce Étoile
Qui rayonne Jésus et qui m’unit à Lui,
Ô Mère, laisse-moi me cacher sous ton voile,
Rien que pour aujourd’hui !

Ô mon Ange gardien, couvre-moi de ton aile,
Éclaire de tes feux ma route, ô doux ami !
Viens diriger mes pas, aide-moi, je t’appelle,
Rien que pour aujourd’hui !

Je veux voir mon Jésus, sans voile, sans nuage,
Cependant ici-bas je suis bien près de Lui…
Il ne sera caché son aimable Visage
Rien que pour aujourd’hui !

Je volerai bientôt pour dire ses louanges,
Quand le jour sans couchant sur mon âme aura lui ;
Alors je chanterai sur la lyre des anges
L’éternel aujourd’hui !

JETER DES FLEURS

Jésus, mon seul amour, au pied de ton calvaire,
Que j’aime, chaque soir, à te jeter des fleurs !
En effeuillant pour toi la rose printanière,
Je voudrais essuyer tes pleurs !


Jeter des fleurs !… C’est l’offrir en prémices
Les plus légers soupirs, les plus grandes douleurs.
Mes peines, mon bonheur, mes petits sacrifices :
Voilà mes fleurs.

Seigneur, de ta beauté mon âme s’est éprise ;
Je veux te prodiguer mes parfums et mes fleurs,
En les jetant pour toi sur l’aile de la brise,
Je voudrais enflammer les cœurs !

Jeter des fleurs, Jésus, voilà mon arme
Lorsque je veux lutter pour sauver les pécheurs.
La victoire est à moi ; toujours je te désarme
Avec mes fleurs !

Les pétales des fleurs caressant ton Visage
Te disent que mon cœur est à toi sans retour.
De ma rose effeuillée, ah ! tu sais le langage
Et tu souris à mon amour…

Jeter des fleurs ! redire tes louanges,
Voilà mon seul plaisir sur la route des pleurs.
Au ciel j’irai bientôt avec les petits anges
Jeter des fleurs !

LA ROSE EFFEUILLÉE

Jésus, quand je te vois, soutenu par ta Mère,
Quitter ses bras,
Essayer en tremblant sur notre triste terre
Tes premiers pas ;

Devant toi je voudrais effeuiller une rose
En sa fraîcheur,
Pour que ton petit pied bien doucement repose
Sur une fleur.

Cette rose effeuillée est la fidèle image,
Divin Enfant,
Du cœur qui veut pour toi s’immoler sans partage,
À chaque instant.
Seigneur, sur Les autels plus d’une fraîche rose
Aime à briller ;
Elle se donne à toi, mais je rêve autre chose :
C’est m’effeuiller…

La rose en son éclat peut embellir ta fête,
Aimable Enfant !
Mais, la rose effeuillée, on l’oublie, on la jette
Au gré du vent…
La rose, en s’effeuillant, sans recherche se donne
Pour n’être plus.
Comme elle, avec bonheur, à toi je m’abandonne,
Petit Jésus !

L’on marche sans regret sur des feuilles de rose,
Et ces débris
Sont un simple ornement que sans art on dispose.
Je l’ai compris…
Jésus, pour ton amour j’ai prodigué ma vie,
Mon avenir ;
Aux regards des mortels, rose, à jamais flétrie,
Je dois mourir !

Pour toi je dois mourir, Jésus, beauté suprême,
Oh ! quel bonheur !
Je veux en m’effeuillant te prouver que je t’aime
De tout mon cœur.

Sous les pas enfantins, je veux avec mystère
Vivre ici-bas ;
Et je voudrais encor adoucir au Calvaire
Tes derniers pas…

PRIÈRE DE JEANNE D’ARC
DANS SA PRISON

Mes voix me l’ont prédit : me voici prisonnière ;
Je n’attends de secours que de vous, ô mon Dieu !
Pour votre seul amour j’ai quitté mon vieux père,
Ma campagne fleurie et mon ciel toujours bleu ;
J’ai quitté mon vallon, ma mère bien-aimée,
Et, montrant aux guerriers l’étendard de la croix,
Seigneur, en votre nom j’ai commandé l’armée :
Les plus grands généraux ont entendu ma voix.

Une sombre prison, voilà ma récompense,
Le prix de mes travaux, de mon sang, de mes pleurs…
Je ne reverrai plus les lieux de mon enfance,
Ma riante prairie avec ses mille fleurs…
Je ne reverrai plus la montagne lointaine
Dont le sommet neigeux se plonge dans l’azur,
Et je n’entendrai plus, de la cloche incertaine,
Le son doux et rêveur onduler dans l’air pur…


Dans mon cachot obscur, je cherche en vain l’étoile
Qui scintille le soir au firmament si beau !
La feuillée, au printemps, qui me servait de voile,
Lorsque je m’endormais en gardant mon troupeau.
Ici, quand je sommeille au milieu de mes larmes,
Je rêve les parfums, la fraîcheur du matin ;
Je rêve mon vallon, les bois remplis de charmes,
Mais le bruit de mes fers me réveille soudain…

Seigneur, pour votre amour j’accepte le martyre,
Je ne redoute plus ni la mort ni le feu,
C’est vers vous, ô Jésus, que mon âme soupire ;
Je n’ai plus qu’un désir, et c’est vous, ô mon Dieu !
Je veux prendre ma croix, doux Sauveur, et vous suivre,
Mourir pour votre amour, je ne veux rien de plus :
Je désire mourir pour commencer à vivre,
Je désire mourir pour m’unir à Jésus !


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