Les Muses françaises (Gérard)/Sabine Sicaud
SABINE SICAUD
Douze ans… Une petite fille…
Un jardin… du soleil… des fleurs…
Et chaque instant léger qui brille
Semble rimer avec bonheur.
L’oiseau vient boire à la fontaine…
Le soir s’endort sur un glaïeul…
La poupée, oubliée à peine,
Reste encor là sur un fauteuil…
Et, pris par une âme charmante
Qui palpite avec l’univers,
Les fleurs, les animaux, les plantes
Viennent d’eux-mêmes dans les vers.
Treize ans… Sur la nature tendre,
Elle penche son cœur tremblant…
Mais pourquoi veut-elle comprendre
Tant de choses, déjà ?… Treize ans…
Pourquoi cette angoisse si forte
Pour tout ce qui meurt dans les bois ?
Le fruit tombé… la feuille morte…
Est-ce un pressentiment ?… Pourquoi
Interroge-t-elle les choses
Avec des mots illimités ?
Croit-elle un instant que les roses
Lui répondront la vérité ?…
Quinze ans… l’âge de Juliette…
L’âge où l’amour est sans péché…
Pauvre petite âme inquiète,
Sens-tu comme une ombre approcher ?
Tu t’éloignes de la nature
Qui trembla si près de ton cœur…
Et pourtant ta courte aventure
Ressemble à celle de ses fleurs…
Ainsi qu’une fleur infinie
Sous un soleil trop épuisant,
Brûlée à ton propre génie,
Tu meurs !… et tu n’as que quinze ans !
FRAGMENT
Souffrance je vous hais…
Vous êtes lâche, injuste, criminelle, prêle
Aux pires trahisons ! Je sais
Que vous serez mon ennemie infatigable
Désormais… Désormais, puisqu’il ne se peut pas
Que le plus tendre parc embaumé de lilas,
Le plus secret chemin d’herbe folle ou de sable
Permette de vous fuir ou de vous oublier.
Chère ignorance en petit tablier,
Ignorance aux pieds nus, aux bras nus, tête nue
À travers les saisons, ignorance ingénue
Dont le rire tintait si haut, Mon Ignorance,
Celle d’Avant, quand vous m’étiez une inconnue,
Qu’en a-t-on fait, qu’en faites-vous, vieille Souffrance ?
Vous pardonner cela qui me change le monde ?
Je vous hais trop ! Je vous hais trop d’avoir tué
Cette petite fille blonde
Que je vois comme au fond d’un miroir embué…
Une autre est là, pâle, si différente !
VIGNE VIERGE D’AUTOMNE
Vous laissez tomber vos mains rouges,
Vigne vierge, vous les laissez tomber,
Comme si tout le sang du monde était sur elles.
À leur frisson, toute la balustrade bouge,
Tout le mur saigne,
Ô vigne vierge… Tout le ciel est imbibé
D’une même lumière rouge.
C’est comme un tremblement d’ailes pourpres qui tombent
D’ailes d’oiseaux des Îles, d’ailes
Qui saignent… C’est la fin d’un règne,
(Ou quelque chose de plus simple infiniment ?)
Ce sont les pieds palmés de hauts flamands
Ou de fragiles pattes de colombes
Qui marchent dans l’allée.
(Où vont-elles, si rouges ?)
Leurs traces étoilées
Rejoignent l’Autre vigne où l’on vendange.
Si rouge, est-ce déjà le sang des cuves pleines ?
Ah ! simplement, la fête des vendanges,
Simplement, n’est-ce pas ?
Et pourtant que vos mains sont tremblantes ? Leurs veines
Se rompent une à une. Tant de sang…
Et cette odeur si fade, étrange.
Ces mains qui tombent d’un air las,
Ô vigne vierge, d’un air las et comme absent,
Ces mains abandonnées…
(Lady Macbeth n’eut-elle pas ce geste
Après avoir frotté la tache, si longtemps ?)
Mains qui se crispent, mains qui restent
En lambeaux rouges sur octobre palpitant,
Dites, oh ! dites, chaque année
Êtes-vous les mains meurtrières de l’automne ?
Ou, chaque année,
Sans rien qui s’en émeuve, ni personne,
Des mains assassinées
Qui flottent au fil rouge de l’Automne ?…
L’OUSTALET
L’Oustalet est vide.
Il est éventré l’on ne sait pourquoi.
La guerre des hommes
était loin d’ici.
Les vents du pays
Sautaient par-dessus comme des cabris
Sans même effleurer son toit de joubarbes.
Et le feu du ciel, qu’aurait-il puni
dans ces quatre murs couleur de cigale ?
Un pauvre foyer couleur de souris
Mourut en secret sous la crémaillère.
Peut-être un passant, le temps d’une averse,
rêva-t-il hier de le ranimer ?
Peut-être les dieux nous attendent-ils ?
Le chemin s’arrête,
au bord du ravin…
N’est-ce pas l’odeur de ces violettes
dont tu te souviens ?
