Les Muses françaises (Gérard)/Princesse de Salm

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 92-94).

1767-1845

PRINCESSE DE SALM

Son mari étant botaniste,
C’est sans doute, au bord du gazon,
Où, sitôt que le rêve existe,
Il interroge la raison,

Qu’elle dut contracter, sans trêve,
Cette habitude assurément
De ne pouvoir, au bord du rêve,
Que rêver raisonnablement.

À chaque instant, la raison brille
Parmi ses ouvrages divers :
Que ce soit son drame Camille,
Ou bien ses Épîtres en vers,

Ses essais sur l’Indépendance
Ou sur la Rime, c’est toujours
Avec la raison qu’elle pense,
Et même en pensant à l’amour.

Si bien qu’un soir, sur un programme,
Un journaliste admirateur
La nomma « le Boileau des Femmes »…
Était-ce vraiment très flatteur ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Cher Boileau, je voudrais vous dire
Ce que je pense exactement :
J’adore votre bon sourire
Et votre simple jugement.

Autrefois, sur les bancs rustiques
De mon vieux couvent de Neuilly,
Votre fameux Art Poétique
Me laissait les yeux éblouis…

Vos vers me chantaient dans la tête
Avec un air de clavecin,
Je voyais le beau jour de fête…
La bergère et le pré voisin…

J’évoquais l’innocente idylle
Tremblante sous les arbres verts…
Et tous les beaux conseils utiles
Pour ceux qui s’expliquent en vers…

Mais, malgré votre bon sourire
Et votre rêve si sensé,
Et malgré tout ce qu’on peut dire,
Et tout ce qu’on pourrait penser,

Je suis sûre que vous, dont l’âme
Avait tant de grâce et de goût,
Vous préféreriez qu’une femme
Ne vous ressemblât pas du tout !


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LES CINQ ACTES DE LA VIE

Le drame de la vie, hélas ! est peu de chose…
Au drame de la scène on peut le comparer :
Jusques au dénoûment jamais on n’y repose ;
Bien ou mal, pauvre ou riche, on doit y figurer.

Au premier acte, on naît ; avec peine on s’avance
À travers mille écueils vers un but ignoré.
Au second, on s’éclaire, on pressent l’existence ;
À de vagues désirs on est déjà livré.

Au troisième, emporté par une aveugle ivresse,
Par le monde, l’amour, les renaissants plaisirs,
On ose, on brave tout, on s’égare sans cesse,
On s’apprête souvent d’éternels repentirs.

Au quatrième, las de vaines jouissances,
Le cœur d’autres besoins, d’autres feux se remplit ;
L’orgueil, l’ambition, leurs transports, leurs souffrances
Viennent tout remplacer… Cependant on vieillit.

Au cinquième arrivé, le corps, l’esprit s’affaisse,
Chaque jour, chaque instant voit briser un lien ;
On pense, on parle encor… mais la toile se baisse…
Le spectacle finit, et l’homme n’est plus rien !


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