Les Muses françaises (Gérard)/Prélude

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 5-7).

PRÉLUDE

Puisqu’un livre sincère et sage
Sur les saisons et leur couleur
Collectionne à chaque page
Les vérités sur chaque Fleur ;

Puisqu’un Traité de Botanique
Présente scrupuleusement
Depuis la fleur la plus unique
Jusqu’au plus modeste sarment,

Je pense qu’une Anthologie
Devrait limiter quelquefois
Et découvrir, dans chaque vie,
La qualité de chaque voix…

Pourquoi l’injustice méchante ?
Et le parti pris persifleur ?
N’est-elle pas, la voix qui chante,
Presque aussi faible qu’une fleur ?

Et quelquefois beaucoup plus triste
Quand on sait bien l’écouter… Mais,
Aussi tendre qu’un botaniste,
Un critique ne l’est jamais.

Ceux qui font des anthologies
Ont trop souvent la volonté
De montrer leur propre génie
Et leur originalité…

Qu’importe un pauvre paysage ?
Le sanglot d’un soir ? la couleur
D’un amour ?… Mais, à chaque page,
Il faut étonner le lecteur.

Et, comme en un parc de folie
Où l’on verrait un jardinier
Qui ferait des bouquets d’orties
Et chasserait tous les rosiers,

Ils vont, pris d’un mauvais délire,
À travers les mots palpitants,
Exaltant quelquefois les pires
Pour condamner les plus charmants.

Qu’importe un rêve qui s’efface,
Pourvu qu’on fasse le malin…
Ô cher petit livre de classe
Qui parliez si bien des jardins !

Petit volume en toile grise
(Avec des planches en couleur)
Qui parliez de la moindre brise
Sur le front de la moindre fleur, —

Qui parliez du moindre brin d’herbe
Frissonnant au bord de l’été,
Dans le langage humble et superbe
Qui s’appelle la vérité,

Apprenez-moi comment vous-même,
Vous penchant au bord du gazon,
Vous résolviez le grand problème
Du mystère avec la raison,

Et donnez-moi l’intelligence
De savoir, en toute ferveur,
Préférer à mes préférences
La vérité des autres cœurs !


Séparateur