Les Muses françaises (Gérard)/Pernette de Guillet
PERNETTE DE GUILLET
Il fut une Dame Pernette,
Vers l’an quinze cent vingt et un,
Plus tremblante qu’une alouette…
Ses cheveux, dit-on, étaient bruns,
(D’un brun presque rose à l’aurore
Et presque violet le soir) ;
On la trouvait plus belle encore
Quand elle s’habillait en noir.
Elle avait des sentiments tendres ;
Elle rêvait au bord des eaux ;
Elle aimait chaque soir entendre
De la musique et des oiseaux.
Ses deux cousins, tous deux poètes,
Avaient prétendu lui donner
Quelques leçons un peu distraites
Pour bien écrire et bien rimer ;
Mais, s’échappant des théories,
Seule entre Bonheur et Malheur,
Elle sut tracer, de sa vie,
Quelque chose qui vient du cœur…
Et c’est pourquoi sa simple histoire
D’un amour conjugal très doux,
Sans prendre un grand chemin de gloire,
Vint tout de même jusqu’à nous.

RIMES
Quant vous voyez que l’estincelle
Du chaste amour soubs mon aiselle
Vient tous les jours à s’allumer,
Ne me debvez-vous bien aymer ?
Quant vous me voyez tousjours celle
Qui pour vous souffre, et son mal cele,
Me laissant par luy consumer,
Ne me debvez-vous bien aymer ?
Quant vous voyez que pour moins belle
Je ne prens contre vous querelle,
Mais pour mien vous veulx réclamer,
Ne me debvez-vous bien aymer ?
Quant pour quelque aultre amour nouvelle
Jamais ne vous seray cruelle,
Sans aulcune plaincte former,
Ne me debvez-vous bien aymer ?
Quant vous verrez que sans cautelle
Tousjours vous seray esté telle
Que le temps pourra affermer,
Ne me debvrez-vous bien aymer ?
Qui dira ma robe fourrée
De la belle pluye dorée,
Que Danæ enclose esbranla :
Je ne sçais rien moins que cela.
Qui dira qu’à plusieurs je tends
Pour en avoir mon passe temps,
Prenant mon plaisir ça et là :
Je ne sçais rien moins que cela.
Qui dira que j’ay revelé
Le feu longtemps en moy celé
Pour en toy voir si force il a :
Je ne sçais rien moins que cela.
Qui dira que d’ardeur commune,
Qui les jeunes gens importune,
De toy je veulx, et puis hola :
Je ne sçais rien mieulx que cela.
Mais qui dira que la vertu,
Dont tu es richement vestu,
En ton amour m’estincela :
Je ne sçais rien mieux que cela.
Mais qui dira que d’amour saincte
Chastement au cueur suys atteincte
Qui mon honneur onc ne foula ;
Je ne sçais rien mieulx que cela.
