Les Muses françaises (Gérard)/Marquise de Sévigné
MARQUISE DE SÉVIGNÉ
née Marie de Rabutin-Chantal
Les lettres, autrefois, ce n’étaient pas ces choses
Éphémères qu’au jour d’aujourd’hui l’on reçoit,
Avec un timbre vert, avec un timbre rose,
Et qui presque jamais ne tremblent dans les doigts.
La nouvelle, aujourd’hui, par fil télégraphique,
Tombe comme un éclair sur nos fronts étonnés ;
Et la lettre d’amour n’est plus qu’un pneumatique,
À moins qu’elle ne soit trois mots téléphonés.
Autrefois, messagère ardente qui frissonne
Du plaisir ou du pleur qu’elle doit apporter,
La lettre voyageait ainsi qu’une personne :
Pâle de rêve et de responsabilité.
Prenant la diligence aux coussins de panthère
Avec, des deux côtés, des cortèges d’oiseaux,
Chaque lettre était seule à porter le mystère
Qui, d’une âme vivante, a passé dans des mots.
Mais jamais une lettre, en traversant la brise,
Ne sut faire voler ses rêves les plus fous
Autant que les billets de la tendre marquise
Dont les célèbres mots tremblent autour de nous.
Elle écrivait : « Je pars. Il n’y a rien à craindre.
La solitude est verte et ne me fait pas peur.
Je m’arrange de tout. Et je ne suis à plaindre
Pour rien que pour les maux qui viennent de mon cœur. »
Elle écrivait : « La vie est un pauvre supplice…
Et la route est plus sombre au cœur plus éternel.
J’aurais voulu mourir aux bras de ma nourrice,
À cette heure où l’on est encor si près du ciel. »
Elle écrivait : « Je fuis l’endroit qui représente,
À mon cruel présent, tout mon passé si doux ;
Partout je vous revois et vous m’êtes vivante…
Ma Fille !… je ne sais où me sauver de vous ! »
Partout où le voyage aurait pu la conduire,
Elle écrivait… Penchant ses boucles de cheveux,
Elle demandait « tout ce qu’il faut pour écrire »
Avant même d’avoir ôté son manteau bleu…
Bien des gens, ici-bas, s’occupent d’autres choses :
L’un va réaliser ce que l’autre rêvait ;
Les uns mangent des fruits, d’autres cueillent des roses ;
D’autres s’en vont au bout du monde… Elle écrivait !…
Elle écrivait toujours… Torturée ou ravie,
Son âme ne faisait que se recopier…
Et, ses lettres, c’étaient des gouttes de sa vie
Oui, lorsqu’elle tremblait, tombaient sur le papier !
C’est pourquoi, parmi tant d’illustres écritures
Qui gardent à jamais des rêves si divers,
C’est pourquoi j’ai voulu que ces lettres figurent,
Ces lettres qui semblaient ne pas être des vers…
Car elles sont, ces lettres simples et sublimes,
Des poèmes aussi d’une indicible ardeur,
Mais qui, superbement dédaigneux de la rime,
Ne font rimer le cœur qu’avec un autre cœur !
UNE LETTRE DE Mme DE SÉVIGNÉ
À M. DE COULANGES
Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’à aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie ; enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n’est-il pas juste ; une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourroit-on croire à Lyon ? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame d’Hauterive ; une chose, enfin, qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire, devinez-la ; je vous le donne en trois ; jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien, il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse, dimanche, au Louvre, devinez qui ! Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit : « Voilà qui est bien difficile à deviner : c’est madame de la Vallière. — Point du tout, Madame. — C’est donc mademoiselle de Retz ? — Point du tout ; vous êtes bien provinciale. — Ah ! vraiment, nous sommes bien bêtes ! dites-vous ; c’est mademoiselle Colbert. — Encore moins. — C’est assurément mademoiselle de Créqui ? — Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle, mademoiselle de… mademoiselle… devinez le nom ; il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle, Mademoiselle, fille de feu Monsieur, Mademoiselle, petite-fille de Henri IV, mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, Mademoiselle d’Orléans, Mademoiselle, cousine-germaine du roi ; mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous. Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.
