Les Muses françaises (Gérard)/Marie Stuart
MARIE STUART
Je ne veux rien savoir encore
De tout son dernier désespoir,
Je ne regarde que l’aurore…
Et, tout le reste, c’est le soir.
Toute la suite de sa vie
Et toutes ces tristes saisons
Qui se passent parmi l’envie,
Le deuil, le drame et les prisons ;
Toutes ces choses de l’Histoire,
Je préfère les effacer
De mon cœur et de ma mémoire…
Ce que je ne peux oublier
C’est, qu’en sa robe d’innocence,
Elle fut reine — ça n’est rien —
Mais qu’elle fut reine de France :
C’est un titre presque divin !
Et quand, laissant ce doux royaume,
Elle partit sur un bateau,
Royal et si jeune fantôme
Qui tremble au tremblement de l’eau,
Il me semble — quoi qu’il arrive
Plus tard de sombre et d’alarmant —
Que celle, au bord de cette rive,
Qui chanta cet adieu charmant,
Avant d’être, en terre écossaise,
Cette héroïne au noir destin,
Était une muse française
Au bord de la Seine, un matin…
CHANSON
En mon triste et doux chant,
D’un ton fort lamentable,
Je jette un deuil tranchant,
De perte incomparable,
Et en soupirs cuisans
Passe mes meilleurs ans.
Fut-il un tel malheur
De dure destinée,
N’y si triste douleur
De dame fortunée,
Qui mon cœur et mon œil
Vois en bierre et cercueil ?
Qui, en mon doux printemps
Et fleur de ma jeunesse,
Toutes les peines sens
D’une extresme tristesse,
Et en rien n’ay plaisir,
Qu’en regret et désir ?
Ce qui m’estoit plaisant
Ores m’est peine dure,
Le jour le plus luisant
M’est nuit noire et obscure,
Et n’est rien si exquis,
Qui de moy soit requis.
J’ay au cœur et à l’œil
Un portrait et image
Qui figure mon deuil
Et mon pasle visage,
De violettes teint,
Qui est l’amoureux teint.
Pour mon mal estranger
Je ne m’arreste en place ;
Mais j’en ay beau changer,
Si ma douleur n’efface ;
Car mon pis et mon mieux
Sont les plus déserts lieux ;
Si en quelque séjour,
Soit en bois ou en prée,
Soit sur l’aube du jour,
Ou soit sur la vesprée,
Sans cesse mon cœur sent
Le regret d’un absent.
Si parfois vers les cieux
Viens à dresser ma veue,
Le doux traict de ses yeux
Je vois en une nue ;
Ou bien le vois en l’eau,
Comme dans un tombeau.
Si je suis en repos,
Sommeillant sur ma couche,
J’oy qu’il me tient propos,
Je le sens qui me touche :
En labeur, en recoy,
Tousjours est près de moy.
Je ne vois autre object,
Pour beau qu’il se présente,
À qui que soit subject
Oncques mon cœur consente,
Exempt de perfection
À cette affection.
Mets, chanson, icy fin
À si triste complainte,
Dont sera le refrein :
Amour vraye et non feinte
Pour la séparation
N’aura diminution.
QUATRAIN
Adieu charmant pays de France
Que je dois tant chérir.
Berceau de mon heureuse enfance…
Adieu ! te quitter c’est mourir !
