Les Muses françaises (Gérard)/Marceline Desbordes-Valmore

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 97-116).

1786-1859

MARCELINE DESBORDES-VALMORE

Je crois que j’ai compris ce cœur mélancolique
Dans sa grâce parfaite et son total frisson,
Le jour où j’ai touché la petite relique
Où ce cœur chante encore un peu de sa chanson.

Un de tous ces amants qu’elle séduit quand même
Avec des yeux depuis si longtemps refermés,
Un de ces amoureux désespérés qui l’aiment
Pour la manière dont un autre fut aimé,

Me dit : « Voyez cela. Tournez ces quelques pages.
C’est un petit cahier qu’elle emporta jadis
Et qu’elle conserva tout le temps d’un voyage…
C’était probablement en mil huit cent vingt-six, —

Traversant l’Italie en vieille diligence,
Elle avait dans sa main cet humble confident :
Et ce petit cahier connut le cœur immense
Qui demeurait plus frais de rester plus ardent.

Elle notait dessus toutes sortes de choses,
C’est un effeuillement continu de son cœur ;
Tenez, voici des vers ! et voici de la prose !
Et cette tache, ici, pourrait bien être un pleur…


Regardez ! regardez !… » Pauvre cahier de toile,
Qui faisait dans mes doigts semblant de palpiter.
Je le tenais comme l’on tiendrait une étoile
Sans oser regarder trop loin dans sa clarté…

Mais, dès que je l’ouvris, la charmante écriture
M’apparut tout à coup comme un portrait vivant :
Des vers… des vers toujours… Merveilleuse lecture !…
Je tourne… un vers encor… Je tourne… et, brusquement

Je vois — fut-il jamais chanson plus émouvante
Dans sa faiblesse humaine et sa fragilité —
Entre deux vers plus beaux que deux oiseaux qui chantent
Un cheveu noir scellé d’un pain à cacheter.

Car, pour partir au loin et pour un long voyage,
Parmi l’éclair du jour et l’angoisse du soir,
— Le cœur a bien le droit de choisir un bagage —
Marceline emportait un petit cheveu noir !



Éternelle, vivante aux mains ensevelies,
Que je l’aime d’avoir eu ce geste enfantin !
D’autres emporteraient, partant pour l’Italie,
Des voiles vaporeux pour charmer le matin ;

Des escarpins pointus pour étonner les routes,
Des diamants tremblants pour éclairer le soir ;
L’une aurait un collier, l’autre une aigrette ; et toutes
Auraient deux éventails, au moins, et trois miroirs…

Mais elle ! qui ne sut jamais être coquette,
Elle qui ne daigna consentir à porter,

Comme ornements brillants sur sa pensive tête,
Que les quatre cent trente astres des nuits d’été ;

Elle qui n’éclairait ses ombrelles légères
Que de la pâle main qui les tenait au jour ;
Elle qui se faisait un chagrin de bergère
En relisant cent fois une lettre d’amour ;

Elle qui frissonnait comme une jeune plante ;
Elle qui ne mettait, comme poudre de riz,
Que la chère pâleur dont une âme brûlante
Signe sincèrement tous les mots qu’elle dit…

Le jour où cette diligence vint la prendre
Pour l’emporter au loin vers le pays des fleurs,
Comme il fallait toujours que son cœur fier et tendre
Finît par être fou pour que ce fût son cœur,

Elle voulut jeter, d’une âme encor grisée,
La possibilité d’un suprême lien
Entre les marronniers de nos Champs-Élysées,
Et les sombres cyprès des champs italiens ;

Et c’est ainsi, qu’allant vers ce grand paysage
Où quelquefois le jour a la beauté du soir,
— Le cœur a sa façon de partir en voyage —
Marceline emporta ce petit cheveu noir !



Et, lorsque je revois la folie enfantine
Qui, de ce cheveu noir, orna ce blanc feuillet,
Voici que je suis prête à pleurer, Marceline,
Devant ce petit geste où je me reconnais…


Toi, tu l’avais encor l’âme faible et ravie,
L’âme que nous avons toutes à dix-sept ans,
Mais que sévèrement nous confisque la vie
Pour ne nous la prêter que huit jours au printemps…

Et ce petit cheveu — sombre corde de lyre —
Qui s’allonge et qui semble, entre les autres vers,
Un vers écrit trop fin pour qu’on puisse le lire…
Je dis que ce cheveu toucherait l’univers.

Car il explique bien ton émoi, ta faiblesse,
Ta rage d’emporter un morceau de bonheur,
Et cette odeur d’oiseau palpitant que tu laisses
Sur tous les sentiments où se posait ton cœur.

Car c’est encor ton cœur qui crie à la Nature :
« Oui, la création, je l’adore en tous points ;
Mais, d’un plus fol amour, j’aime la créature… »
Car c’est toujours ton cœur qui va toujours plus loin.

Toi, tu voulais trouver des soupirs dans la brise,
Serrer le temporaire en goûtant l’éternel,
Et tu ne pouvais pas te passer, à Venise,
D’un petit cheveu noir pour voir le bleu du ciel !


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LES ROSES DE SAADI

J’ai voulu, ce matin, te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir ;

Les nœuds ont éclaté ! Les roses, envolées,
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées,
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir.

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir ma robe encore en est toute embaumée.
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

L’AVEU PERMIS

Viens, mon cher Olivier, j’ai deux mots à te dire,
Ma mère l’a permis ; ils te rendront joyeux.
Eh bien ! je n’ose plus. Mais, dis-moi, sais-tu lire ?
Ma mère l’a permis, regarde dans mes yeux.

Voilà mes yeux baissés. Dieu ! que je suis confuse !
Mon visage a rougi ; vois-tu, c’est la pudeur.
Ma mère l’a permis, ce sera ton excuse ;
Pendant que je rougis, mets ta main sur mon cœur.


Que ton air inquiet me tourmente et me touche !
Ces deux mots sont si doux ! mon cœur les dit si bien !
Tu ne les entends pas, prends-les donc sur ma bouche,
Je fermerai les yeux, prends, mais ne m’en dis rien.

LE CHIEN D’OLIVIER

Pour trouver le bonheur, je me ferai bergère :
Le bonheur est aux champs, s’il existe pour moi.
Oui, du temps, au hameau, la course est plus légère ;
La veillée est paisible, et la nuit sans effroi ;
Le laboureur, couché sous son toit de fougère,
Ne dormirait pas mieux sur l’oreiller d’un roi.

D’un simple ajustement j’ai déjà fait l’emplette,
On ressemble au Plaisir, sous un chapeau de fleurs ;
Les prés m’en offriront pour garnir ma houlette ;
On n’y forcera point mon choix pour leurs couleurs ;
J’y mêlerai le lys à l’humble violette,
Sans crainte qu’un bouquet me prépare des pleurs.

Des moutons, un bélier, deux agneaux et leur mère,
Composeront ma cour, mon empire et mon bien ;
L’écho me distraira d’une douce chimère
Que je veux oublier, aussi je n’en dis rien ;
Et pour me suivre aux bois, où je suis étrangère,
Il me faudrait encore… il me faudrait un chien.

Que le chien d’Olivier paraît tendre et fidèle !
Sous sa garde un troupeau bondirait sans danger.
Mais des maîtres son maître est, dit-on, le modèle ;

À le quitter pour moi je n’ose l’engager…
Ah ! pour ne pas détruire une amitié si belle,
Je voudrais qu’Olivier se fît aussi berger !

LA SINCÈRE

Veux-tu l’acheter ?
Mon cœur est à vendre.
Veux-tu l’acheter,
Sans nous disputer ?

Dieu l’a fait d’aimant ;
Tu le feras tendre ;
Dieu l’a fait d’aimant
Pour un seul amant !

Moi, j’en fais le prix ;
Veux-tu le connaître ?
Moi, j’en fais le prix ;
N’en sois pas surpris.

As-tu tout le tien ?
Donne ! et sois mon maître.
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien ?

S’il n’est plus à toi,
Je n’ai qu’une envie ;
S’il n’est plus à toi,
Tout est dit pour moi.


Le mien glissera
Fermé dans la vie ;
Le mien glissera,
Et Dieu seul l’aura !

Car, pour nos amours,
La vie est rapide ;
Car, pour nos amours,
Elle a peu de jours.

L’âme doit courir
Comme une eau limpide ;
L’âme doit courir,
Aimer ! et mourir.

LA JALOUSE

Sans signer ma tristesse, un jour, au seul que j’aime
J’écrivis en secret : « Elle attend, cherche-la !
Devine qui t’appelle et réponds : « Me voilà ! »
Et quand il apparut, quand j’accourais moi-même,
Quand je retins le cri d’un bonheur plein d’effroi,
Il n’a pas dit : « C’est elle ! » il n’a pas dit : « C’est toi ! »

Sans me nommer, craintive en livrant mes alarmes,
J’écrivis : « J’ai pleuré ; je pleure… C’est pour vous :
Que l’amour vous éclaire et demeure entre nous ! »
Et quand il vit mes veux encor voilés de larmes.
Quand il toucha ma main qui lui rendait ma foi,
Il n’a pas dit : « C’est elle ! » il n’a pas dit : « C’est toi ! »


Sans dire : « C’était moi ! » je m’enfuis ; je succombe.
Bientôt je n’aurai plus de secret à cacher.
S’il rêve alors au nom qui courut le chercher,
Il le devinera peut-être sur ma tombe ;
Et, soulevant enfin ma vie avec effroi.
Qu’il dise au moins : « C’est elle ! Ô pitié ! c’était toi ! »

JAMAIS ADIEU

Ne t’en va pas, reste au rivage ;
L’amour le veut, crois-en l’amour.
La mort sépare tout un jour :
Tu fais comme elle ; ah ! quel courage !

Vivre et mourir au même lieu ;
Dire : au revoir ; jamais adieu.

Quitter l’amour pour l’opulence !
Que faire seul avec de l’or ?
Si tu reviens, vivrai-je encor ?
Entendras-tu dans mon silence ?

Vivre et mourir au même lieu ;
Dire : au revoir ; jamais adieu.

Leur diras-tu : Je suis fidèle ?
Ils répondront : Cris superflus ;
Elle repose et n’entend plus.
Le ciel du moins eut pitié d’elle !

Vivre et mourir au même lieu ;
Dire : au revoir ; jamais adieu !

PRIÈRE DE FEMME

Mon saint amour ! mon cher devoir !
Si Dieu m’accordait de te voir,
Ton logis fût-il pauvre et noir,
Trop tendre pour être peureuse,
Emportant ma chaîne amoureuse,
Sais-tu bien qui serait heureuse ?
C’est moi. Pardonnant aux méchants,
Vois-tu ! les mille oiseaux des champs
N’auraient mes ailes ni mes chants !

Pour te rapprendre le bonheur,
Sans guide, sans haine, sans peur,
J’irais m’abattre sur ton cœur,
Ou mourir de joie à ta porte.
Ah ! si vers toi Dieu me remporte,
Vivre ou mourir pour toi, qu’importe ?
Mais non ! rendue à ton amour,
Vois-tu ! je ne perdrais le jour
Qu’après l’étreinte du retour.

C’est un rêve ! Il en faut ainsi
Pour traverser un long souci,
C’est mon cœur qui bat : le voici,
Il monte à toi comme une flamme !
Partage ce rêve, ô mon âme !
C’est une prière de femme,
C’est mon souffle en ce triste lieu,
C’est le ciel depuis notre adieu :
Prends ! car c’est ma croyance en Dieu !

RÊVE D’UNE FEMME

« Veux-tu recommencer la vie,
Femme, dont le front va pâlir ?
Veux-tu l’enfance, encor suivie
D’anges enfants pour l’embellir ?
Veux-tu les baisers de ta mère
Échauffant tes jours au berceau ?
— Quoi ! mon doux Éden éphémère ?
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau !

— Sous la paternelle puissance,
Veux-tu reprendre un calme essor,
Et dans des parfums d’innocence
Laisser épanouir ton sort ?
Veux-tu remonter le bel âge,
L’aile au vent comme un jeune oiseau ?
— Pourvu qu’il dure davantage,
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau !

— Veux-tu rapprendre l’ignorance
Dans un livre à peine entr’ouvert ?
Veux-tu ta plus vierge espérance,
Oublieuse aussi de l’hiver ?
Tes frais chemins et tes colombes,
Les veux-tu jeunes comme toi ?
— Si les chemins n’ont plus de tombes,
Oh ! oui, mon Dieu ! rendez-les-moi !


— Reprends donc de ta destinée
L’encens, la musique, les fleurs,
Et reviens, d’année en année,
Au temps qui change tout en pleurs.
Va retrouver l’amour, le même !
Lampe orageuse, allume-toi !
— Retourner au monde où l’on aime ?…
Ô mon Sauveur ! éteignez-moi ! »

À QUI ME L’A DEMANDÉ

Quoi ! vous voulez savoir le secret de mon sort ?
Ce que j’en peux livrer ne vaut pas qu’on l’envie :
Mon secret, c’est mon cœur ; ma souffrance, la vie ;
Mon effroi, l’avenir, si Dieu n’eût fait la mort !

LOIN DU MONDE

Entrez, mes souvenirs, ouvrez ma solitude !
Le monde m’a troublée ; elle aussi me fait peur.
Que d’orages encore et que d’inquiétude
Avant que son silence assoupisse mon cœur !

Je suis comme l’enfant qui cherche après sa mère,
Qui crie, et qui s’arrête effrayé de sa voix.
J’ai de plus que l’enfant une mémoire amère :
Dans son premier chagrin, lui, n’a pas d’autrefois.


Entrez, mes souvenirs, quand vous seriez en larmes,
Car vous êtes mon père, et ma mère, et mes cieux !
Vos tristesses jamais ne reviennent sans charmes ;
Je vous souris toujours en essuyant mes yeux.

Revenez ! vous aussi, rendez-moi vos sourires,
Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs,
Où les anges riaient dans nos vierges délires,
Où nos fronts s’allumaient sous de chastes rougeurs.

Dans vos flots ramenés quand mon cœur se replonge,
Ô mes amours d’enfance ! ô mes jeunes amours !
Je vous revois couler comme l’eau dans un songe,
Ô vous, dont les miroirs se ressemblent toujours !

L’IMPOSSIBLE

Qui me rendra ces jours où la vie a des ailes
Et vole, vole ainsi que l’alouette aux cieux,
Lorsque tant de clarté passe devant ses yeux
Qu’elle tombe éblouie au fond des fleurs, de celles
Qui parfument son nid, son âme, son sommeil,
Et lustre son plumage ardé par le soleil !

Ciel ! un de ces fils d’or pour ourdir ma journée,
Un débris de ce prisme aux brillantes couleurs !
Au fond de ces beaux jours et de ces belles fleurs,
Un rêve où je sois libre, enfant, à peine née !


Quand l’amour de ma mère était mon avenir ;
Quand on ne mourait pas encor dans ma famille ;
Quand tout vivait pour moi, vaine petite fille ;
Quand vivre était le ciel, ou s’en ressouvenir !

Quand j’aimais sans savoir ce que j’aimais, quand l’âme
Me palpitait heureuse, et de quoi ? Je ne sais ;
Quand toute la nature était parfum et flamme,
Quand mes deux bras s’ouvraient devant ces jours passés !

PRESSENTIMENT

Une autre le verra, tendre et triste auprès d’elle,
Vivre de ses regards, frissonner de sa voix,
Lui demander la mort s’il la croit infidèle,
Et, s’il se croit aimé, ce qu’il fut une fois ;

Ce qu’il est, quand mes yeux lui promettent mon âme,
Quand le doute et l’espoir l’approchent de mon cœur ;
Quand il cherche un serment dans mes baisers de flamme
Quand il ne doute plus, soumis par le bonheur.

Le bonheur s’enfuira, ses ailes sont rapides ;
Le jour nous pleurerons, sans nous calmer le soir :
Cet adieu suspendu sur nos têtes timides,
Il nous aura brisés du même désespoir.

Et comme moi, longtemps malheureux et fidèle,
Quand il aura souffert tout ce qu’il peut souffrir,
Une autre le verra tendre et triste près d’elle…
Mon Dieu ! que de pensers consolent de mourir !

MA CHAMBRE

Ma demeure est haute,
Donnant sur les cieux ;
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux.
En bas que l’on sonne,
Qu’importe aujourd’hui ?
Ce n’est plus personne
Quand ce n’est pas lui !

Aux autres cachée,
Je brode mes fleurs ;
Sans être fâchée,
Mon âme est en pleurs ;
Le ciel bleu sans voiles,
Je le vois d’ici ;
Je vois les étoiles,
Mais l’orage aussi !

Vis-à-vis la mienne
Une chaise attend :
Elle fut la sienne,
La nôtre un instant ;
D’un ruban signé,
Cette chaise est là,
Toute résignée,
Comme me voilà !

LES SÉPARÉS

N’écris pas ! Je suis triste et je voudrais m’éteindre ;
Les beaux étés, sans toi, c’est l’amour sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre ;
Et, frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas !

N’écris pas ! N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes ;
Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi si je t’aimais.
Au fond de ton silence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !

N’écris pas ! Je le crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas !

N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur,
Que je les vois briller à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les répand sur mon cœur.
N’écris pas !

QU’EN AVEZ-VOUS FAIT ?

Vous aviez mon cœur,
Moi, j’avais le vôtre ;
Un cœur pour un cœur :
Bonheur et malheur !

Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre ;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L’encens, la couleur,

Qu’en avez-vous fuit,
Mon maître suprême,
Qu’en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,


Vous me laissez là
Dans ma vie amère,
Vous me laissez là
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu’un jour
L’homme est seul au monde ?
Savez-vous qu’un jour
Il revoit l’amour ?

Vous appellerez,
Sans qu’on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !…

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte ;
Ami, comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l’on vous dira :
« Personne !… Elle est morte »
On vous le dira…
Mais qui vous plaindra ?

CIGALE

De l’ardente cigale
J’eus le destin,
Sa récolte frugale
Fait mon festin.
Mouillant mon seigle à peine
D’un peu de lait,
J’ai glané graine à graine
Mon chapelet.

« J’ai chanté comme j’aime
Rire et douleurs ;
L’oiseau des bois lui-même
Chante des pleurs ;
Et la sonore flamme,
Symbole errant,
Prouve bien que toute âme
Brûle en pleurant.

« Puisque Amour vit de charmes
Et de souci,
J’ai donc vécu de larmes,
De joie aussi.
À présent, que m’importe !
Faite à souffrir,
Devant, pour être morte,
Si peu mourir. »


La chanteuse penchée
Cherchait encor
De la moisson fauchée
Quelque épi d’or,
Quand l’autre Moissonneuse,
Forte en tous lieux,
Emporta la glaneuse
Chanter aux cieux !


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