Les Muses françaises (Gérard)/Madeleine et Catherine des Roches

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 41-46).

15..-1587

MADELEINE
ET CATHERINE DES ROCHES

Deux dames, la mère et la fille,
Dans un jardin faisaient des vers.
Dans un jardin plein de jonquilles,
D’arbres fruitiers et de prés verts ;

Dans un jardin qui voyait luire
Des nénuphars sur un étang…
Il est difficile de dire
Laquelle a le plus de talent ?…

L’une a peut-être plus de style ?
L’autre a peut-être plus de cœur ?
La maison, de son péristyle,
Voyait au loin des moissonneurs

Et les toits de Poitiers qui brillent
Quand le ciel n’était pas couvert…
Deux dames, la mère et la fille,
Dans le jardin faisaient des vers.

Les rêves, les romans, les plantes,
Prenaient le reste de leur temps…
Elles étaient assez charmantes ;
Elles n’ont pas vécu longtemps.

Mais leurs ombres qui se ressemblent
Garderont, à peine effacés,
Leurs timides refrains qui tremblent
Sous les grands arbres du passé…

Et, quelquefois, une brindille
Dira peut-être au printemps vert :
« Deux dames, la mère et la fille,
Dans ce jardin faisaient des vers ! »


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I

DE MADELEINE DES ROCHES

À SA FILLE

Ny pour nous voir tant semblables de corps,
Ny des esprits les gracieux accorde,
Ny ceste double aimable sympathie
Qui faict aymer la semblable partie
N’ont point du tout causé l’entier effect
De mon amour envers toy si parfaict :
Ny les efforts mis en moy par nature,
Ny pour autant qu’es de ma nourriture ;
Mais le penser qu’entre tant de mal-heurs,
De maux, d’ennuis, de peines, de douleurs,
Subjections, tourmens, travail, tristesse,
Qui puis treize ans ne m’ont pas donné cesse ;
Tu as, enfant, apporté un cœur fort
Pour résister au violent efforct
Qui m’accabloit, et m’offrir dez l’enfance
Amour, conseil, support, obéissance.
Le Tout-Puissant, à qui j’eus mon recours,
A faict de toy naistre mon seul secours :
Or, je ne puis de plus grands benefices
Récompenser tes louables offices
Que te prier de faire ton devoir
Envers la muse et le divin sçavoir.

II

ODE

Ainsy que la lumière
Dompte l’obscurité,
La science est la première,
Mais tout est vanité.

Ce qui feut vraysemblable
Selon l’antiquité
Se contera pour fable
À la postérité.

Nostre principe est songe,
Nostre maistre mal-heur,
Nostre vye mensonge
Et nostre fin douleur.

Qui dresse l’édifice,
Qui le rend plus tortu,
Qui embrasse le vice,
Qui ayme la vertu,

Qui chemine en tenebre,
Qui ayme la clarté,
Qui joinct son jour funebre
À sa nativité.

Toute chose a son terme
Et ne le peut passer :
L’inconstance est plus ferme
Qu’on ne sçaurait penser.

La seure sapience
Suit la grande union,
Et l’humaine science
N’est rien qu’opinion.

DE CATHERINE DES ROCHES

I

À SA QUENOUILLE

Quenouille, mon soucy, je vous promets et jure
De vous aymer toujours et ne jamais changer
Vostre honneur domestic pour un bien estranger
Qui erre inconstamment et fort peu de temps dure.

Vous ayant au costé, je suis beaucoup plus seure
Que si encre et papier se venoient arranger
Tout à l’entour de moy ; car, pour me revenger
Vous pouvez bien plus tost repousser une injure.

Mais, Quenouille, ma mie, il ne fault pas pourtant
Que, pour vous estimer et pour vous aymer tant,
Je délaisse de tout ceste honneste coustume

D’escrire quelquefois : en escrivant ainsy,
J’escris de vos valeurs, Quenouille, mon soucy,
Ayant dedans la main le fuseau et la plume.

II

À SA MÈRE

en lui adressant une imitation de Salomon.

Je vous fais un présent de la vertu supresme,
Depeinte proprement par un roy très parfaict,
Ma mère : en vous offrant cet excellent pourtraict,
C’est vous offrir aussy le pourtraict de vous-mesme.


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