Les Muses françaises (Gérard)/Madeleine de Scudéry
MADELEINE DE SCUDÉRY
Madeleine de Scudéry
Est une personne étonnante :
Elle parle quand elle rit,
Elle parle quand elle chante ;
Elle vit sa vie en parlant,
Sans arrêt, sans peur, sans prudence ;
Elle parla tant, tant, et tant,
Qu’elle eut même un prix d’éloquence…
Esquissons donc, sans parti pris,
Le dessin de sa vie entière :
Madeleine de Scudéry
— N’oublions pas — avait un frère ;
Ce frère est nommé Gouverneur
De Notre-Dame de la Garde ;
Il lui dit : « Viens ! partons, ma sœur,
Partons sans que rien nous retarde… »
Mais pour rejoindre le Midi,
Ils emportèrent tant de choses,
Tant de robes en organdi,
De tableaux, de tulipes roses ;
Ils subirent tant de cahots
Dans les diligences d’usage,
Firent, prenant les coches d’eau,
Tant d’erreurs et tant de naufrages, —
Que le trajet jusque là-bas
Dura plus d’une année entière…
D’ailleurs ils ne restèrent pas
Dans le pays de la lumière :
Bientôt Paris les revoyait ;
Paris ! L’art ! La littérature !
Du grand hôtel de Rambouillet
Madeleine fut la parure,
Elle parlait incessamment…
On venait de partout l’entendre…
Elle racontait des romans…
Inventait la Carte du Tendre…
Et chacun disait à Paris,
Autour de seize cent cinquante :
« Madeleine de Scudéry
Est une personne étonnante ! »
Or, voici qu’un doux soir d’Avril
Où fleurissaient des primevères,
Pellisson la vit, paraît-il,
Et l’aima d’un amour sincère.
Quoi ! vraiment ! le vrai Pellisson
Qui, de son âme emprisonnée,
Fut assez poète, en prison,
Pour adorer une araignée ?…
Oui, Pellisson fut amoureux
De cette intarissable fille ;
Et, le sachant, je comprends mieux
L’anecdote de la Bastille :
Puisqu’il trouvait — pauvre exilé —
Lorsque son cœur voulait se fondre,
Quelqu’un qui le laissait parler,
Enfin ! sans jamais lui répondre…
(Mais ceci n’est rien en passant
Qu’une remarque personnelle
Et dont je me vais excusant
Près de la docte demoiselle) ;
D’ailleurs, le temps passait ; les jours
Dorés passaient et les nuits pâles ;
Madeleine parlait toujours…
Émerveillant la capitale.
Et Madeleine vieillissait,
Toujours jeune en son bavardage,
Car, tout le temps qu’elle parlait,
Le temps même oubliait son âge ;
Incessamment, elle parlait :
De tout, de rien, du bien, du pire.
Elle parlait comme on se tait…
Elle parlait comme on respire…
Quelqu’un même m’a raconté
— Mais ceci n’est pas historique —
Qu’un beau perroquet rapporté
Par un voyageur d’Amérique,
Un beau perroquet vert et gris
Répétait d’une voix tonnante :
« Madeleine de Scudéry
Est une personne étonnante ! »
IMPROMPTUS
I
Sur des fleurs que le prince de Condé
cultivait lui-même.
En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrosa d’une main qui gagna des batailles,
Souviens toy qu’Apollon bastissoit des murailles
Et ne t’étonne point que Mars soit jardinier.
II
À Robert Nanteuil qui avait fait d’elle
un portrait flatté.
Nanteuil, en faisant mon image,
A de son art signalé le pouvoir :
Je hay mes yeux dans mon miroir,
Je les aime dans son ouvrage.
LA FAUVETTE À SAPHO
En arrivant à son petit bois, suivant sa coutume,
le 15 Avril.
Plus vite qu’une hirondelle
Je viens avec les beaux jours,
Comme fauvette fidelle
Avant le mois des amours.
J’ay trouvé sur mon passage
Un spectacle fort nouveau ;
Pour m’expliquer davantage,
C’est le doge et son trouppeau.
— Quoi, lui dy-je, entrer en France
Et vous montrer en ces lieux !
— Oui, dit-il, par la clemence
Du plus grand des demy-dieux ;
Son cœur toujours magnanime
Ne pouvant se démentir,
Veut oublier nostre crime,
Voyant nostre repentir.
— Ah ! m’écriai-je, ravie,
Ce héros, par son grand cœur
Pardonne à qui s’humilie
Et de luy mesme est vainqueur.
Dieux ! quel bonheur est le vostre
D’aller recevoir sa loy ;
Je n’en voudrois jamais d’autre
Mais ce bien n’est pas pour moy.
C’est assez que ma maistresse
Souffre que ma faible vois
Chante et rechante sans cesse
Qu’il est le Phénix des rois.
Allez, doge ; allez sans peine
Lui rendre grace à genoux,
La République romaine
En eust fait autant que vous.
