Les Muses françaises (Gérard)/Madame de Villedieu
MADAME DE VILLEDIEU
née Marie-Catherine-Hortense des Jardins
Fillette fantasque et peu sage,
Délaissant un brave cousin,
Elle quitte un soir son village
Pour suivre des comédiens.
À Paris, elle n’attend guère
Pour trouver un brillant mari ;
Mais ce mari part à la guerre,
Elle reste seule à Paris.
Elle se jette dans l’étude
Mais, rimant le jour et la nuit,
De solitude en solitude,
Elle est presque morte d’ennui !
Hélas ! de la lointaine guerre,
Son mari ne revint jamais…
Trop seule, elle ne sait que faire,
Et ne sait plus ce qu’elle fait.
Parmi d’étranges aventures,
S’aventure son cœur si doux ;
Elle loge dans des masures
Qui n’ont ni vitres ni verrous ;
Elle rencontre, sur des routes,
Des séducteurs et des voleurs…
Enfin, de déroute en déroute,
Elle est presque morte de peur !
Alors, pâle de repentance,
Vers son village elle revint,
Et, comme dans une romance,
Elle retrouve son cousin.
On se marie… et l’on espère
Vivre enfin quelques jours plus doux…
Mais, hélas, la vie est trop chère :
Un seul poulet coûte deux sous ;
Le soir, sous la pauvre lumière,
Elle rimaille encore… Enfin,
Traînant de misère en misère,
Elle est vraiment morte de faim !
SONNET
Impétueux transports d’une ardeur insensée,
Douces illusions qui réduisez nos sens,
Souvenirs qui rendez mes efforts languissans,
C’est trop long-temps regner dans ma triste pensée.
Malgré tous vos appas vous serez effacée,
Fatale impression de tant d’attraits puissans ;
Mouvements indiscrets, si doux et si puissans,
Je vous immole tous à ma gloire offensée.
Mais quel trouble secret s’oppose à mes desseins ?
Quel désordre imprévu rend ces mouvements vains ?
Que me demandes-tu, cœur ingrat et rebelle ?
Si l’honneur et la foy ne te peuvent guérir,
Pour éviter les noms de faible et d’infidelle,
Lasche, montre du moins que tu sçais bien mourir.
