Les Muses françaises (Gérard)/Madame Amable Tastu

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 117-121).

1798-1885

MADAME AMABLE TASTU

Ayant d’une tendresse étrange
Et qui vient peut-être de loin,
Fidèlement aimé les anges
Dont l’âme humaine a tant besoin,

Comment donc serais-je capable
De résister à la vertu
De cette poétesse aimable
Qui se nomme Amable Tastu ?

Non seulement on nous assure
Que vers neuf ans — presque un bébé ! —
Elle commença ses lectures
Par l’Homère de Bitaubé ;

Non seulement son front de nacre,
Qui pâlissait sur tant de vers,
Abrita « Les Oiseaux du Sacre »
Qui volèrent sur l’univers ;

Non seulement son âme neuve
N’épuisa jamais sa clarté ;
Et non seulement Sainte-Beuve
Désira la complimenter,


Mais c’est elle, certain Dimanche,
Qui composa pour notre bien,
La cantilène bleue et blanche
Qui s’appelle L’Ange gardien.

Dans tous les Trésors Poétiques
On voit ce poème charmant
Mêlant sa petite musique
À de grands accompagnements.

Près de Musset, de La Fontaine,
De Lamartine et de Hugo,
Il est là, respirant à peine,
Entre le Chêne et le Roseau…

Et ma mémoire la première
Avait retenu son frisson,
Car c’était presque une prière
Et c’était presque une chanson !


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L’ANGE GARDIEN

Veillez sur moi quand je m’éveille,
Bon ange, puisque Dieu l’a dit ;
Et chaque nuit, quand je sommeille,
Penchez-vous sur mon petit lit.
Ayez pitié de ma faiblesse,
À mes côtés marchez sans cesse,
Parlez-moi le long du chemin ;
Et, pendant que je vous écoute,
De peur que je ne tombe en route,
Bon ange, donnez-moi la main.

LE DERNIER JOUR DE L’ANNÉE

Déjà la rapide journée
Fait place aux heures du sommeil,
Et, du dernier fils de l’année,
S’est enfui le dernier soleil.

Près du foyer, seule, inactive,
Livrée aux souvenirs puissants,
Ma pensée erre, fugitive,
Des jours passés aux jours présents.


Ma vue au hasard arrêtée,
Longtemps de la flamme agitée
Suit les caprices éclatants,
Ou s’attache à l’acier mobile
Qui compte, sur l’émail fragile,
Les pas silencieux du temps.

Un pas encore, encore une heure,
Et l’année aura, sans retour,
Atteint sa dernière demeure ;
L’aiguille aura fini son tour.

Pourquoi de mon regard avide
La poursuivre aussi tristement,
Quand je ne puis d’un seul moment
Retarder sa marche rapide ?

Du temps qui vient de s’écouler
Si quelques jours pouvaient renaître,
Il n’en est pas un seul, peut-être,
Que ma voix daignât rappeler !

Mais des ans la fuite m’étonne ;
Leurs adieux oppressent mon cœur ;
Je dis : c’est encore une fleur
Que l’âge enlève à ma couronne
Et livre au torrent destructeur.
C’est une ombre ajoutée à l’ombre
Qui déjà s’étend sur mes jours ;
Un printemps retranché du nombre
De ceux dont je verrai le cours !


Écoutons !… le timbre sonore
Lentement frémit douze fois ;
Il se tait… je l’écoute encore,
Et l’année expire à sa voix.
C’en est fait : en vain je l’appelle,
Adieu !…

Adieu !… Salut, sa sœur nouvelle,
Salut ; quels dons chargent ta main ?
Quel bien nous apporte ton aile ?
Quels beaux jours dorment dans ton sein ?
Que dis-je ?… à mon âme tremblante
Ne révèle point tes secrets.
D’espoir, de jeunesse, d’attraits,
Aujourd’hui tu parais brillante,
Et ta course insensible et lente
Peut-être amène les regrets.

Ainsi chaque soleil se lève,
Témoin de nos vœux insensés ;
Ainsi toujours son cours s’achève,
En entraînant, comme un vain rêve,
Nos vœux déçus et dispersés.
Mais l’espérance fantastique,
Répandant sa clarté magique
Dans la nuit du sombre avenir,
Nous guide d’année en année
Jusqu’à l’aurore fortunée
Du jour qui ne doit pas finir !


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