Les Muses françaises (Gérard)/Louise Labé
LOUISE LABÉ
Sa vie est un conte de fée
Vivant, véridique, et vermeil :
Les cheveux dont elle est coiffée
Sont en or comme le soleil.
Elle sait tout : la rhétorique,
Le grec, l’espagnol, le latin,
L’astronomie et la musique…
Elle est belle dès le matin.
Autour d’elle le jour, sans trêve,
Semble sourire à sa beauté…
Le mariage, comme un rêve,
L’entoure de félicités…
Son jardin réunit sans peine
Tous les châtelains d’alentour ;
Elle semble une jeune reine
Régnant sur la province… Un jour,
Voyageant au bord d’une plaine,
Elle rencontre un régiment ;
On veut la nommer « Capitaine » !
Quel capitaine plus charmant ?
Pour aller conquérir le monde,
Quel capitaine plus vainqueur
Que cette poétesse blonde
Dont les chansons troublent le cœur ?
Car déjà ses jeunes ouvrages
Émerveillent les environs :
Elle reçoit, sous des ombrages,
Tous les beaux esprits de Lyon.
Olivier de Magny arrive ;
Il est beau, fatal et bien fait :
Ce fut une amour excessive…
Et chacun trouve ça parfait !
Ils s’aiment : le printemps lui-même
Leur apporte le mois de Mai…
Et le destin dit : « Puisqu’ils s’aiment,
Leur amour ne mourra jamais »…
Amour ! éternité ! lumière !
Front vers un autre front courbé…
Et le ciel ajoute à la terre
Les sonnets de Louise Labé !
Voilà, dans toutes les lectures,
Ce qu’on peut lire apparemment
Sur la merveilleuse aventure
D’où viennent ces sonnets charmants…
Mais, moi, je crois que cette histoire
À moins de secrète splendeur
Et je ne crois pas que la gloire
Se gagne avec tant de bonheur…
Dans les aveux si pleins de charme
De ces pathétiques sonnets,
Je vois des invisibles larmes
Et j’entends des sanglots muets…
Célèbre petite amoureuse
Qu’aucun drame n’a pu trahir,
Pour tant dire qu’elle est heureuse
Comme elle a dû vraiment souffrir…
Et si, traversant tant de brises,
Ce roman d’amour nous rejoint,
C’est que, seul, un cœur qui se brise
Pouvait s’entendre de si loin !
SONNETS
I
O beaus yeus bruns, o regards destournez ;
O chaus soupirs, o larmes espandues,
O noires nuiz vainement atendues,
O jours luisans vainement retournez !
O tristes pleins, o desirs obstinez,
O tems perdu, o peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pire maus contre moi destinez !
O ris, o fronts, cheveus, bras, mains et doits !
O lut plaintif, viole, archet et vois !
Tant de flambeaux pour ardre une femmelle !
De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d’endrois d’iceus mon cœur tatant,
N’en est sur toy volé quelque estincelle.
II
Depuis qu’Amour cruel empoisonna
Premierement de son feu ma poitrine,
Tousjours brulay de sa fureur divine,
Qui un seul jour mon cœur n’abandonna.
Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menasse et procheine ruine,
Quelque penser de mort que tout termine,
De rien mon cœur ardent ne s’estonna.
Tant plus qu’Amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir
Et tousjours frais en ses combats fait estre ;
Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,
Cil que les Dieus et les hommes mesprise,
Mais pour plus fort contre les forts paroître.
VII
O dous regars, o yeus pleins de beauté,
Petits jardins pleins de fleurs amoureuses,
Où sont d’Amour les flesches dangereuses,
Tant à vous voir mon œil s’est arresté !
O cœur felon, o rude cruauté,
Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
Tant j’ay coulé de larmes langoureuses,
Sentant l’ardeur de mon cœur tourmenté !
Donques, mes yeus, tant de plaisir avez,
Tant de bons tours par ses yeus recevez ;
Mais toy, mon cœur plus les vois s’y complaire,
Plus tu languiz, plus en as de souci.
Or devinez si je suis aise aussi,
Sentant mon œil estre à mon cœur contraire.
XII
Predit me fut que devois fermement
Un jour aymer celuy dont la figure
Me fut descrite ; et, sans autre peinture,
Le reconnu quand vy premierement.
Puis, le voyant aymer fatalement,
Pitié je pris de sa triste aventure,
Et tellement je forcay ma nature,
Qu’autant que luy aymay ardantement.
Qui n’ust pensé qu’en faveur devoit croître
Ce que le Ciel et destins firent naître ?
Mais, quand je voy si nubileus aprets
Vents si cruels et tant horrible orage,
Je croy qu’estoient les infernaus arrets
Qui de si loin ourdissoient ce naufrage.
XV
Ne reprenez, Dames, si j’ay aymé,
Si j’ay senti mile torches ardentes,
Mile travaux, mile douleurs mordantes,
Si en plorant j’ay mon tems consumé,
Las ! que mon nom n’en soit par vous blasmé.
Si j’ay failli, les peines sont présentes.
N’aigrissez point leurs pointes violentes,
Mais estimez qu’Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d’un Vulcan excuser,
Sans la beauté d’Adonis acuser,
Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses,
En ayant moins que moy d’ocasion,
Et plus d’estrange et forte passion ;
Et gardez-vous d’estre plus malheureuses.
