Les Muses françaises (Gérard)/Jacqueline Pascal

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 54-57).

1625-1661

JACQUELINE PASCAL

Elle a fait des rondeaux, des stances,
Des sérénades, des sonnets,
Et quelques petites romances
Et des chansons qui s’envolaient ;
Elle a laissé tout un bagage
Mélodique et sentimental…
Mais, comment juger ses ouvrages ?
Elle était la sœur de Pascal.

Ses vers, son cœur, son âme blanche,
Sans doute que tout est charmant,
Mais, aussitôt que l’on se penche,
C’est comme un éblouissement :
On voit briller sur chaque rime
Le reflet d’un autre fanal ;
Car un soleil est sur la cime…
Elle était la sœur de Pascal.

Trop près de ces jardins d’enfance
Remplis de timides clartés,
La foi troublante et la science
Ont séparé leurs vérités ;

Et qu’est-ce qu’une poésie
Près du renoncement total
D’un rêve inondé de génie ?…
Elle était la sœur de Pascal.

Sur un de ses petits poèmes
Dès qu’on veut se pencher un peu,
On ne voit plus qu’un théorème
Qui s’inscrit en lettres de feu ;
Malgré leur touchante musique,
Les pieds d’un vers se comptent mal
Près du Triangle arithmétique…
Elle était la sœur de Pascal.

Toutes les puissances de l’âme,
Tous les secrets du cœur humain,
Jettent leurs aveuglantes flammes
Sur le modeste parchemin ;
La pensée où le ciel s’incline
Écrase le cœur virginal,
Pardon, petite Jacqueline…
Vous étiez la sœur de Pascal !


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STANCES

Un jour dans le profond d’un bois,
Je fus surprise d’une voix ;
C’était la bergère Sylvie
Qui parlait à son cher amant,
Et lui dit pour tout compliment :
« Je vous ayme bien plus, sans doute, que ma vie. »

Lors, j’entendis ce bel amant
Lui respondre amoureusement :
« De plaisir mon âme est ravie ;
Je me meurs, viens à mon secours,
Et pour me guérir dis toujours :
« Je vous ayme bien plus, sans doute, que ma vie. »

Vivez, ô bienheureux amants,
Dans ces parfaits contentements,
Malgré la rage de l’envie ;
Et que ce mutuel discours
Soit ordinaire en vos amours :
« Je vous ayme bien plus, sans doute, que ma vie. »

CHANSON

Sombres déserts, retraite de la nuit,
Sacré refuge du silence,
Un malheureux Amant à qui le monde nuit
Ne vient pas par ses cris vous faire violence.
Son tourment est si doux qu’il n’en veut pas guérir.
Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir !


Par son trépas dans les lieux fréquentés
On saurait les maux de son âme,
Mais, dans ces bois toujours inhabités,
Il vient cacher sa mort pour mieux couvrir sa flamme.
Ne craignez pas ses pleurs en le voyant périr :
Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir !


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