Les Muses françaises (Gérard)/Delphine Gay

Les Muses françaisesFasquelle (Collection : Bibliothèque Charpentier) (p. 140-155).

1804-1855

DELPHINE GAY

(Madame Émile de Girardin.)

Quoi ! Delphine aux robes de tulle,
Elle était de vous la chanson
Charmante et presque ridicule
Que l’on chantait en pension ?

Elle était de vous la romance
Qui s’intitulait l’Étranger ?
Aussitôt que mon cœur y pense,
Je respire un air plus léger ;

Et, parmi les anciens ombrages,
J’entends la romance qui court :
« Il a passé comme un nuage,
Comme un flot rapide en son cours »…

Ô magnétisme évocatoire !
Rien qu’en disant ces vers légers,
Je retrouve, dans ma mémoire,
Le portrait de cet étranger…

Cet étranger, sous les charmilles,
Il troubla souvent vos leçons,
Car nos âmes de sages filles
Rêvaient de ce mauvais garçon.


Nous lui prêtions des mandolines,
Des yeux d’azur, un cœur d’acier…
Mais il n’y a que vous, Delphine,
Vous seule qui le connaissiez !

Vous le connaissiez, — et, sans doute
Que, dans un pays plein de fleurs,
Il dut passer sur votre route
Un peu trop près de votre cœur.

D’ailleurs, entre toutes les pages
De ce livre que je relis,
Je vous vois dans les paysages,
C’est vous qui peuplez les pays.

C’est vous dont la charmante flamme
Rallume tous les printemps verts,
Et l’on croit feuilleter votre âme
Sitôt qu’on feuillette vos vers !

Le cœur de Corinne en délire,
C’est le vôtre, au bord du récit ;
Et, toutes les larmes d’Elvire,
C’est vous qui les pleurez aussi…

Dans l’histoire de Napoline,
Où tremble un destin si fatal,
On vous retrouve… et l’on devine
Que c’est vous qui courez au bal…

Vous qui tracez la tendre lettre
Où parle un si vrai désespoir,
Vous qui pleurez, et vous, peut-être,
Qui voulûtes mourir un soir !


Dans ces vers aux paupières closes
Où tant de souvenirs passaient,
On retrouve l’odeur des roses
Et l’influence de Musset.

On voit des instants de folie,
Des orchestres, des oliviers…
On voit que vous étiez jolie,
Et l’on voit que vous le saviez…

Mais, dans ces jardins pleins de charmes
Qui ne demandaient qu’à fleurir,
Qui fut la cause de ces larmes ?
Qui donc vous a fait tant souffrir ?

On cherche ? on repense ? on s’arrête ?
Qui causa ce mortel danger ?
Est-ce un rêve ? est-ce un grand poète ?
Ou bien cet étrange étranger ?…


Séparateur

NAPOLINE

(Fragment.)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Elle n’a pu dormir la nuit… Elle a pleuré.
Le matin à des soins prudents est consacré :
C’est un grand embarras qu’une mort volontaire :
Le jour où l’on se tue, on a beaucoup à faire.
Elle a revu son oncle avant de le quitter
Pour toujours. — L’aimable oncle a voulu plaisanter
Sur Alfred, la duchesse et le bal de la veille,
Napoline l’écoute en riant… ô merveille !
« Je l’avais dit : Alfred ne te convenait point ;
Et nous sommes d’accord maintenant sur ce point,
N’y pensons plus !… Enfin, te voilà raisonnable.
Va, tu ne l’aimais pas… Allons nous mettre à table ! »
En causant tous les deux, ils dînèrent gaîment.
Le soir, elle rentra dans son appartement ;
Puis, on la vit sourire en taillant une plume ;
Mais, triste, elle exhalait ces mots pleins d’amertume :
« Il a dû recevoir ma lettre ce matin…
Point de réponse !… Un mot eût changé mon destin.
Hélas ! pour s’excuser qu’aurait-il pu me dire ?
Ce soir elle l’attend… il cède à son empire.
Il est tout au bonheur d’un premier rendez-vous !
Oh ! que j’aime à troubler ce souvenir si doux !

Oui… puisque le bonheur ne m’offre plus de chance,
Que l’horreur de ma mort, du moins, soit ma vengeance
S’il me voyait mourir lentement dans les pleurs,
Il s’accoutumerait à mes longues douleurs,
Les médecins diraient : « Morte de la poitrine,
Comme sa mère ! » Et lui : « Faible, d’humeur chagrine,
Elle ne pouvait pas être heureuse ici-bas… »
Et tranquille, il lirait le Journal des Débats !
Ou bien il s’en irait, de peur d’être malade,
Faire au Bois de Boulogne un tour de promenade.
Au spectacle, il serait deux jours sans se montrer ;
Ou bien, pour se distraire, il irait s’enivrer !…
Mais, s’il me trouve un soir morte dans sa demeure,
Il faudra bien alors qu’il m’aime et qu’il me pleure !…
Sur sa couche funèbre il me verra toujours ;
Je placerai ma tombe entre tous ses amours ;
Le cœur, d’un vain regret, d’un remords se dégage,
Mais les yeux ne sauraient se sauver d’une image,
D’une image de mort qui sans cesse poursuit ;
Elle combat le jour, et triomphe la nuit ;
Elle est là, toujours là… Je connais sa faiblesse ;
Il m’oublie aujourd’hui, sans crainte il me délaisse ;
Mais, quand soudain ma mort l’aura glacé d’effroi,
Il ne m’oubliera pas… il sera tout à moi !…
Morte, je régnerai sur son âme oppressée ;
Mon souvenir constant nourrira sa pensée ;
Ah ! la douleur s’éteint ; mais, chez les gens d’esprit,
L’imagination jamais ne se guérit.
Son cœur est sec et froid, mais sa tête est brûlante… »
En se parlant ainsi, Napoline, tremblante,
Agitée, écrivait… hélas ! son dernier vœu.
Sur le papier tombaient des pleurs, des pleurs de feu,
Et l’on voyait passer sur son jeune visage
Toutes les passions : l’orgueil, l’amour, la rage,

La colère du cœur, si noble en ses excès…
Puis la douleur revint plus calme après l’accès.
Elle essuya ses yeux, acheva sa parure,
Attacha son manteau, demanda sa voiture,
Et le pas des chevaux, dans la cour retentit…
Et, comme pour un bal, légère, elle partit !

DÉSENCHANTEMENT

Dès l’aube on admira mon étoile sereine ;
Le chemin, devant moi, s’étendait aplani ;
Mes parents me flattaient comme une jeune reine,
Car j’étais un enfant béni !

Mon front était si fier de sa couronne blonde,
Anneaux d’or et d’argent, tant de fois caressés ;
Et j’avais tant d’espoir quand j’entrai dans le monde,
Orgueilleuse et les yeux baissés !

Toutes les vanités vinrent charmer mon âme ;
L’hommage le plus beau soudain me fut rendu ;
Oh ! les brillants succès de poète et de femme,
Succès permis et défendus !


La gloire de mon char ne s’est point retirée ;
L’écho s’émeut encore aux accents de ma voix ;
Il suit toujours mon nom, et ma tête est parée
De blonds cheveux comme autrefois.

Pourtant il est des jours où mon orgueil envie
Le nom le plus obscur, la plus pâle beauté ;
Des jours d’affreux chagrins où pèse sur ma vie
Une poignante humilité ;

Et je me désespère, et je me crois maudite,
Et je ne comprends plus ce qu’on aimait en moi…
La pensée est si pauvre, et l’âme est si petite
Sans désir, sans rêve et sans foi !

C’est que l’orgueil s’éteint quand les pleurs l’humilient
C’est qu’il n’est plus d’éclat ni d’auréole au front ;
C’est que tous les lauriers, tous les succès s’oublient
Quand le cœur a reçu l’affront !

Heureux ceux que le monde a poursuivis d’outrages,
Si des regards amis veillent sur leur tourment !
Un malheur partagé donne tous les courages :
Ils se consolent en aimant.

Mais moi… l’amour m’appelle, en vain sa voix me charme
En vain, par la prière, il veut me retenir…
Ma douleur le repousse, elle est froide, elle s’arme
D’un implacable souvenir.

L’amitié !… je la crains, je l’épie et la juge ;
Pour suivre ses conseils, j’attends au lendemain ;
Comme un héros trahi, qui soupçonne transfuge
L’allié qui lui tend la main.


Et j’envie en leur sort ces êtres que l’on pleure,
Qui, tombés de leur tige, ont fleuri sans mûrir,
Dont le cœur, plein d’amour jusqu’à la dernière heure,
Ne s’arrêta que pour mourir.

Qu’importe le destin qui pour moi se prépare,
Quand le sol poétique a manqué sous mes pas ?
Hélas ! ce feu sacré, dont le ciel est avare,
Ici ne se rallume pas.

On peut rendre la joie à l’âme qu’on afflige,
Au pauvre la fortune, au mourant la santé,
Jamais on ne rendra le sublime prestige
Au poète désenchanté !

IL M’AIMAIT !

Il m’aimait !… et mon cœur ne l’a pas deviné !
Et l’espoir à mes pas ne l’a pas enchaîné !
Je n’ai point reconnu l’amour à son silence,
Aux feux dont un regard trahit la violence,
À ces oublis, ces torts, à cet esprit distrait
Qui même au sein du monde est tout à son secret ;
À ces jaloux dépits qu’un rien calme ou rallume ;
À ces mots si flatteurs, dits avec amertume ;
À cet effroi charmant qu’il savait m’inspirer ;
Enfin sur son amour tout devait m’éclairer,

Et son trouble et le mien, et sa gaîté factice,
Ses soupçons offensants dont j’aimais l’injustice,
Sa haine pour les soins que d’autres me rendaient,
Et sa protection pour ceux qui m’obsédaient.

Que de fois j’ai souffert de cette jalousie !
Lorsque d’un peu d’orgueil je me sentais saisie
Au bruit harmonieux de ces flatteurs discours,
Qu’on sait n’être pas vrais, et qui plaisent toujours ;
Lorsqu’au bal j’arrivais élégamment parée,
Il semblait malheureux de me voir admirée ;
Et, du moindre succès qui pouvait m’éblouir,
Son absence aussitôt m’empêchait de jouir.
Mais c’est dans le malheur que l’amour se révèle ;
Et si je m’affligeais d’une triste nouvelle,
Si le sort m’accablait en frappant mes amis,
Je comptais sur des soins qu’il n’avait point promis.
L’infortune, le deuil, les regrets, la souffrance,
De le revoir soudain me donnaient l’assurance,
Et je me reprochais d’attendre sans effroi
Le malheur qui devait le ramener vers moi.

Puis, quand il revenait, par sa vue embellie,
Quand sa voix triomphait de ma mélancolie,
Quand chacun partageait ma subite gaîté,
Lui s’indignait tout bas de ma légèreté.
Dans le monde on exclut la jeunesse de l’âme ;
On veut que la langueur soit l’amour d’une femme ;
On la juge insensible alors qu’elle sourit ;
On ne croit pas qu’elle aime en gardant de l’esprit ;
Aussi, de ma gaîté soupçonnant l’apparence,
Il prenait mon bonheur pour de l’indifférence.
Sans oser l’avouer, je l’aimais cependant,
Et j’avais tant souffert la veille en l’attendant !

Ah ! je n’en puis douter au regret qui m’oppresse ;
Celui dont la douleur accuse ma tendresse,
Celui qui pour me fuir a quitté ce beau lieu
Ne serait point parti s’il m’avait dit adieu !

Mais plein de mon image, et s’affligeant de même,
Ne peut-il à son tour deviner que je l’aime ?
Éclairé comme moi par un doux souvenir,
Inspiré par l’espoir, ne peut-il revenir ?
Ne puis-je désormais lui consacrer ma vie ?…
Non… de le consoler la douceur m’est ravie ;
Non… en cédant trop tard à son charme vainqueur,
J’ai mérité qu’une autre entende mieux son cœur ;
J’ai mérité qu’il cherche à m’oublier près d’elle.
Peut-être, à ce moment, sans plaisir infidèle,
D’un lien sans bonheur il va subir la loi,
Et tout en me pleurant il est perdu pour moi.

Ainsi, las d’espérer, fatigués de s’attendre,
Deux êtres, par l’amour destinés à s’entendre,
Trouvant enfin l’objet qui peut seul les charmer,
Se quittent pour toujours quand ils allaient s’aimer.
La gloire et le bonheur, sourds à nos voix plaintives,
N’accordent à nos vœux que des faveurs tardives.
Ainsi le vieux poète à regret voit fleurir
Un laurier qu’à l’amour il ne peut plus offrir.
Après l’orage ainsi s’effeuille l’anémone,
Quand le soleil venait relever sa couronne.
Le matelot périt aux lueurs du fanal
Qui s’allume pour lui sur le rocher natal.
Le guerrier, qui pleurait une gloire flétrie,
Tombe dans le combat qui sauve sa patrie.
Ainsi se perd la vie en des jours douloureux…
Et l’on se sent mourir au moment d’être heureux !

À QUI PENSE-T-IL ?

Ange aux yeux de flammes,
Tu sais nos secrets ;
Tu lis dans nos âmes,
Dis-moi ses regrets.
Sur l’onde en furie
Cherchant le péril,
Loin de sa patrie,
À qui pense-t-il ?

Quand ses blanches voiles
Flottent dans les airs,
Quand l’or des étoiles
Brille sur les mers,
Quand seul il admire
L’onde sans péril,
Si son cœur soupire,
À qui rêve-t-il ?

Alors qu’il succombe
Au plus triste ennui,
Et qu’une colombe
Vole devant lui,
Dans ce doux présage
Sauveur du péril,
Voit-il un message ?
Et qui nomme-t-il ?


Quand l’orage gronde
Au sein de la nuit,
Qu’on entend sous l’onde
Un funeste bruit ;
Si, dans la tempête.
Un affreux péril
Plane sur sa tête…
Pour qui tremble-t-il ?

Mais, de son empire
Est-il étonné ?
Tout ce qu’il inspire
L’a-t-il deviné ?
Un jour s’il arrive
Au port sans péril,
De loin sur la rive
Qui cherchera-t-il ?

LA NUIT

Voici l’heure où tombe le voile
Qui, le jour, cache mes ennuis :
Mon cœur, à la première étoile,
S’ouvre comme une fleur de nuit.

Ô nuit solitaire et profonde,
Tu sais s’il faut ajouter foi
À ces jugements que le monde
Prononce aveuglément sur moi.


Tu sais le secret de ma vie,
De ma courageuse gaîté ;
Tu sais que ma philosophie
N’est qu’un désespoir accepté.

Pour toi je redeviens moi-même ;
Plus de mensonges superflus ;
Pour toi, je vis, je souffre, j’aime,
Et ma tristesse ne rit plus.

Plus de couronne rose et blanche,
Mon front pâle reprend son deuil,
Ma tête sans force se penche
Et laisse tomber son orgueil.

Mes larmes, longtemps contenues,
Coulent lentement sous mes doigts,
Comme des sources inconnues
Sous les branches mortes des bois.

Après un long jour de contrainte,
De folie et de vanité,
Il est doux de languir sans feinte
Et de souffrir en liberté.

Oh ! oui, c’est une amère joie
Que de se jeter un moment
Comme une volontaire proie,
Dans les secrets de son tourment ;

Que d’épuiser toutes ses larmes
Avec le suprême sanglot,
D’arracher, vaincue et sans armes,
Au désespoir son dernier mot.


Alors la douleur assouvie
Vous laisse un repos vague et doux ;
On n’appartient plus à la vie,
L’idéal s’empare de vous.

On nage, on plane dans l’espace,
Par l’esprit du soir emporté ;
On n’est plus qu’une ombre qui passe,
Une âme dans l’immensité.

L’élan de ce vol solitaire
Vous délivre comme la mort ;
On n’a plus de nom sur la terre,
On peut tout rêver sans remords.

D’un monde trompeur rien ne reste,
Ni chaîne, ni loi, ni douleur ;
Et l’âme, papillon céleste,
Sans crime peut choisir sa fleur.

Sous le joug de son imposture,
On ne se sent plus opprimé,
Et l’on revient à sa nature
Comme à son pays bien-aimé.

Ô Nuit ! pour moi brillante et sombre,
Je trouve tout dans ta beauté :
Tu réunis l’étoile et l’ombre,
Le mystère et la vérité.

Mais déjà la brise glacée
De l’aube annonce le retour ;
Adieu, ma sincère pensée :
Il faut mentir… voici le jour !

L’ÉTRANGER

Il a passé comme un nuage,
Comme un flot rapide en son cours ;
Mais mon cœur garde son image
Toujours.

Mais son regard, plein de tendresse,
A rencontré mes yeux ravis ;
Et, depuis ce moment d’ivresse,
Je vis !

Et ma pensée aventureuse
D’un rêve se laisse charmer ;
Je l’aime… et je me sens heureuse
D’aimer.

Mais parfois aussi je me livre,
Hélas ! au plus cruel ennui,
Quand je songe qu’il me faut vivre
Sans lui !

Quoi ! cette âme que j’ai rêvée,
Que longtemps j’ai cherchée en vain,
Cette âme, je l’avais trouvée
Enfin !


Je l’avais trouvée… ô martyre !
Affreux tourment que j’offre à Dieu !
Je la trouve !… et c’est pour lui dire :
« Adieu ! »

Pourtant, si le Ciel nous protège…
Il était si pur, notre amour !
Peut-être encor le reverrai-je
Un jour.

Oh ! qu’un moment je le revoie,
Qu’un moment j’ose le chérir…
Oui, dussé-je de tant de joie
Mourir !


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