Les Muses françaises (Gérard)/Catherine d’Amboise
CATHERINE D’AMBOISE
Je ne veux pas lui chercher noise…
Mais je ne peux guère admirer
Cette Catherine d’Amboise
Qui rima sous François premier.
Je sais bien qu’à ce moment même
Où les femmes écrivaient peu
Elle écrivit de grands poèmes
Sur de grands sujets sérieux ;
Je sais bien qu’elle était pudique ;
Je sais qu’elle portait, le soir,
Sur une robe magnifique
Un grand éventail jaune et noir,
Et des sachets de chèvrefeuille
Et de rares colifichets…
Mais (pourquoi faut-il que je veuille
Toujours qu’un cœur soit un archet ?)
Il me semble, hélas, il me semble
Que son cœur, sous cet éventail,
N’a pas la voix d’un cœur qui tremble ;
Il me semble, à certain détail,
Qu’elle est trop sûre d’elle-même,
De ses robes, de ses aïeux ;
Un peu trop douce en ses poèmes,
Un peu trop dure à son neveu…
D’ailleurs, ces choses que je pense
N’empêchent pas que ses écrits
Traînèrent leur magnificence
Jusqu’à nos regards d’aujourd’hui.
Mais j’ai beau lire et beau relire
Ces pages aux riches couleurs,
Je ne trouve rien qui soupire,
Rien qui sanglote, et rien qui meurt…
Et, dans ces vers de grande dame
Qui daigne accomplir un travail,
Je sens moins la brise d’une âme
Que le souffle d’un éventail !
CHANT ROYAL
Anges, Throsnes et Dominations,
Principautés, Archanges, Cherubins,
Inclinés-vous aux basses regions
Avec Vertus, Podestes, Seraphins.
Transvolités des haultz lieux cristallins,
Pour decorer la triumphante entrée,
La tres digne naissance venerée,
Le sainct concept par misteres tres haultz
De nostre Vierge où toute grace abonde,
Decretée par dictz imperiaulx :
La plus belle qui jamais fut au monde.
Faictes sermons et predications,
Carmes devotz, Cordeliers, Augustins.
Du sainct concept portés relacions,
Caldeïens, Hebrieux et Latins.
Roumains, chantés sur les monts palatins
Que Jouachim saincte Anne a rencontrée
Et que par eulx nous est administrée
Ceste Vierge sans amours conjugaulx,
Que Dieu créa de plaisance feconde
Sans poinct sentir vices originaulx,
La plus belle qui jamais fut au monde.
…Muses, venés en jubilacions
Et transmigrés vos ruisseaulx cristalins.
Viens, Aurora, par lucidations
En precursant les beaulx jours matutins.
Viens, Orpheüs, sonner harpe et clarins.
Viens, Amphion, de la belle contrée.
Viens, Musicque, plaisamment acoustrée.
Viens, Royne Hester, preparée de joyaulx.
Venez, Judith, Rachel et Florimonde.
Accompagnés, par honneurs spéciaulx,
La plus belle qui jamais fut au monde.
Doulx Zephyres, par sibillacions,
Sepmés partout roses et romarins.
Nimphes, lessés vos inundations,
Lieux stigieulx et Charybdes marins.
Sonnés des chors, violes, tabourins.
Que la Vierge, ma maistresse honorée,
Soit de chascun en tous lieux decorée.
Viens, Apollo, jouer des chalumeaulx.
Sonne, Panna, si hault que tout redonde.
Collaudés tous, en termes generaulx,
La plus belle qui jamais fut au monde.
Espritz devotz, fidelles et loyaulx,
En Paradis beaulx manoirs et chasteaulx,
Au plaisir Dieu, la Vierge pour nous fonde :
Ou la verrés en ses palais royaulx
La plus belle qui jamais fut au monde.
