Les Muses françaises (Gérard)/Anaïs Ségalas
ANAÏS SÉGALAS
Si mes souvenirs sont fidèles,
Il me semble qu’elle est vraiment
La plus grande de toutes celles
Qui n’eurent qu’un petit talent.
Il y a, dans ses poésies,
Mille purs et charmants objets :
De la neige, de l’ambroisie,
Des papillons et des projets ;
Des fleurs, du cristal, de la mousse,
Des serments, des firmaments bleus,
Un grand navire, un petit mousse,
Et des retours, et des adieux…
Mais palpitant sur les paroles
Du modeste panorama,
On voit quelque chose qui vole,
On sent quelque chose qui bat.
Ce quelque chose, c’est une aile…
Ce n’est pas l’aile assurément
De la grande Muse immortelle
Blessant le cœur mortellement,
Ce n’est qu’une aile qui ressemble
— Volant un peu par-ci, par-là —
À l’aile d’un oiseau qui tremble…
Et c’est sans doute pour cela
Qu’au cimetière, sur sa tombe,
On a sculpté, près d’un cyprès,
Deux blanches petites colombes
Qui ne la quitteront jamais !
À CEUX QUI SONT PARTIS
ET À CEUX QUI RESTENT
Amis du paradis, je vous ai vus partir !
La douleur pâlissait vos fronts. Prête à sortir,
Votre âme, travaillant pour se faire un passage,
Donnait de grands coups d’aile… Ô mort ! affreux bourreau,
Tu ne pouvais donc pas, pour délivrer l’oiseau,
Ouvrir plus doucement la cage ?
Que d’amis sont là-haut ! Qu’on doit m’aimer au ciel !
Mon cercle idolâtré du foyer paternel
Se rétrécit… Je vois, autour de l’âtre en flamme,
Plus d’ombres que de corps. Pour retrouver leurs traits,
Je dis au Souvenir, ce peintre des portraits,
De les peindre au fond de mon âme.
Mais vous me restez, vous ! Dieu n’a pas tout chez lui.
J’ai comme deux foyers de famille aujourd’hui :
L’un ici, l’autre au ciel ; chers absents, c’est le vôtre !
Dans ces deux foyers-là je sens qu’on m’aime autant ;
Dans l’un on me retient, et dans l’autre on m’attend…
Et mon cœur va de l’un à l’autre.
Ne me quittez pas, vous ! Je partirais demain
Si vous n’étiez plus là pour me tenir la main !
Le bonheur a toujours un nom de la famille :
Je l’appelais mon père et ma mère autrefois ;
Aujourd’hui, mon ami, le bonheur a ta voix,
Il a ton sourire, ô ma fille !
