Les Muses françaises (Gérard)/Épilogue
FLORILÈGE
Il en est bien d’autres encore
Dont je voudrais encor parler :
Âmes d’orage, âmes d’aurore,
Cheveux d’ombre, cheveux de blés ;
Solitude dans la campagne,
Mondanité dans le soleil…
Le rêve qui les accompagne
N’est jamais tout à fait pareil.
Il a bien, comme tous les rêves,
Des surprises et des clartés ;
Mais l’un n’a que des ailes brèves,
L’autre va vers l’éternité.
Et, dans une vapeur confuse,
Je les vois sur un beau chemin,
Comme un doux cortège de Muses,
Se tenant presque par la main.
Guirlande de notre mémoire,
Elles vont entre les buissons :
Chacune disant son histoire,
Chacune chantant sa chanson !
Voici Marie Dauguet, si pure
Et puissante, Marie Dauguet
Dont le cœur peignit la nature
Comme le pinceau de Courbet.
J’en vois tout autour de la plaine ;
L’une venant quand l’autre part…
Isabelle Sandy… Hélène
Seguin… puis Hélène Picard.
Et là, parmi les anémones,
Qui donc chante, les yeux fermés ?
Bertha Galeron de Calonne,
C’est vous, cœur deux fois parfumé,
Qui brillez sans voir la lumière…
Et là, comme une sage fleur,
C’est Jeanne Perdriel-Vaissière
Qui tremble autour de son bonheur…
Et qui donc sut naître, comme Ève,
Dans un verger qui fleurira ?
Vérité qui ressemble au rêve,
C’est bien vous, Amélie Murat…
Et qui donc refusa de suivre
Tous les petits sentiers battus ?
Qui donc a voulu, dans un livre,
S’éloigner des rythmes connus ?
Qui donc a voulu que la rime
À la fin du vers abdiquât ?
Marie Krysinska, cœur intime,
C’est vous… Mais, Marie Krysinska,
Retrouvant le secret murmure
De votre cœur étrange et doux
Et dépassant votre écriture,
Tous vos vers riment malgré vous !
Entre les arbres en colonne,
J’en vois encor de toute part :
Je vois Marie-Paule Salonne…
Je vois Marie-Louise Dromart…
Que de frissons sous le feuillage…
Cœur du soir ou cœur du matin…
Et je vois Cécile Sauvage…
Et je vois Cécile Perrin…
J’en vois partout… Et j’en vois jusque
Là-bas, au bord du ciel léger :
Et voici Berthe de Puybusque ;
Harlette Gregh et Lys Berger…
Pardon ! Pardon ! si j’en oublie…
J’en vois encor sur le chemin ;
Et des livres de poésie
Resplendissent entre leurs mains.
Ah ! je voudrais les garder toutes
Dans ce jardin que je construis,
Car, si parfois je les écoute,
Je les entends mieux aujourd’hui.
Elles ont formé sous la nue
Une chaîne aux vivants chaînons.
Même, il y a des inconnues
Dont on ignore tous les noms…
Je veux que la plus effacée,
La plus oubliée aujourd’hui,
Sente, un instant, que ma pensée
À côté d’elle me conduit,
Et sache, la pauvre petite,
Qu’en terminant j’écris tout bas
— Comme une fleur qu’on ressuscite —
Son nom, que je ne connais pas !
