Les Muses françaises/Pauline de Flaugergues

Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 232-239).
PAULINE DE FLAUGERGUES

Il y aurait un bien curieux livre à écrire sur Henri de Latouche (1), poète.romancier et journaliste. Ce n’est pas que son œuvre soit de première importance, mais le rôle qu’il joua dans les lettres pendant une trentaine d’années, et les aventures de sa vie sentimentale, en font une des plus intéressantes personnalités de son époque. Eu 1819, il révèle André Chénier au public en éditant les poésies du grand élégiaque ; directeur du Figaro, il aide puissamment Georges Sand qui débute dans la littérature ; Desbordes— Valmore pleure pour lui ses vers admirables ; enfin, sur ses vieux jours il inspirera encore un dévouement infiniment touchant à la plus tendre des femjnes : Pauline de Flaugergues.

Elle était née à Rodez le 4 fructidor au vu (21 août 1799). Son père, Pierre-François Flaugergues, était un homme très distingué. Girondin convaincu, son irréductible opposition à Bonaparte lui fit perdre son emploi et fut cause de sa ruine complète. Il avait épousé une demoiselle Marie— Antoinette-Sophie Patris.

Pauline (Marie-Anne-Françoise) reçut une forte instruction : elle parlait plusieurs langues. — Très précoce, elle aima de bonne heure la littérature et, aux environs de sa douzième année, elle ébaucha ses premiers vers. Mais ses poésies, comme tant d’autres qu’elle fera par la suite, elle les gardera pour elle, sans songer jamais à en tirer vanité. Il faudra la ruine de sa famille pour la faire sortir de sa réserve. Alors, elle prend la plume Avec l’espoir de venir en aide aux siens. En 1827, elle publie La Grèce,. poème de William Haygarth, traduit de l’anglais ; puis, en 1835, La Violette d’or, lais imités do l’anglais. Entre temps, elle a accepté d’aller auprès de la jeune reine Dona Maria de Portugal, dans son château de Belem. Ce fut alors qu’elle ajouta une particule à son nom.

La mort de son père, survenue en 1836, la fit rentrer en France.

Comment elle connut Henri de Latouche ? On ne sait trop. — Toujours est-il qu’étant venue à Paris, dans l’intention de gagner sa vie avec sa plume, elle le fréquenta beaucoup… jusqu’au jour où elle s’en vint demeurer aupres de lui, dans sa petite maison de la Vallée-aux-Loups.

Je l’appelle tantôt mon enfanfet ma mère,
Près d’un lit résigné, c’est l’envoyé de Dieu.
C’est l’encens d’une fleur pour embaumer l’adieu !

Ainsi dira le vieux poète reconnaissant des soins de la tendre fllle. Il avait déjà connu plus d’un dévouement de femme, « aucun pourtant n’atteignait, — dit M. Ed. Pilon, — par sa grandeur dans le sacrifice, le profond attachement de cette modeste Flaugergues de qui l’âme poéticjue trouva dans l’amour d’un homme accablé, misanthrope et vieilli, l’aliment de tout<3 une vie de tendresse et de souffrance. »

(1) Hyncinthe-Joseph-Alexandro Thnbaud de Latouche (dit Henri de Latouche) né â la Châtre, dans le Berri, le 2 février 1785, mort à Auliiay près Paris, le 9 mars 1851. Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/235 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/236 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/237 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/238

ASPIRATIONS


Quand la vigne languit sur sa tige affaiblie.
Mon Dieu, lorsque l’orage est venu la flétrir,
Que sans appui sa tête à tous les vents se plie,
   Ta pitié la laisse périr.

Atteint de la cognée, il meurt de sa blessure,
Le myrte du vallon. Sous le fer du faucheur
Tombe l’épi brisé. La feuille au doux murmure
Disparaît quand le givre a terni sa fraîcheur.

Quand l’aiguille cruelle, à la flamme rougie,
Perce le pauvre insecte endormi sur la fleur,
Il tressaille et se meurt, son aile épanouie
N’a frémi qu’un moment sous l’atroce douleur.

Si le plomb meurtrier, sous l’ombreuse ramée,
Frappe l’oiseau chanteur, sa gémissante voix
Appelle en expirant sa douce bien-aimée,
Et puis, il tombe ainsi qu’une feuille des bois.

À l’espoir du bonheur, seule dois-je survivre ?
Mon Dieu ! vois ce front lourd, vers la tombe incliné !
Du poids brûlant des jours que ta main le délivre,
Si d’assez de douleurs elle l’a couronné !


MATINÉE DE MAI 1851



Pourquoi renaissez-vous dans la pelouse verte.
Douces fleurs qu’il aimait, petites fleurs des prés ?
Pourquoi parer ces murs et ce toit qu’il déserte,
Jasmin de Virginie aux corymbes pourprés ?

Et vous, jasmin d’Espagne, aux étoiles sans nombre.
Écartez vos festons qui nous charmaient jadis !…
Qui vous demande à vous des parfums et de l’ombre.
Jeunes acacias si promptement grandis ?

Pourquoi viens-tu suspendre, ô frêle clématite !
Ta blanche draperie à sa croisée en deuil ?
Ne sais-tu pas qu’ici le désespoir habite,
Que le poéte aimé dort sous un froid linceul ?


L’ébénier rajeuni balance, gracieuses,
À la brise de mai, ses riches grappes d’or,
L’oiseau remplit de chants les nuits mélodieuses
Comme si deux amis les admiraient encor.

Pour qui vous parez-vous ainsi, chère retraite ?
Vêtissez-vous de deuil, comme moi, pour toujours ?
Vous ne le verrez plus, le docte anachorète.
Oubliant sa langueur pour sourire aux beaux jours.

Vous ne l’entendrez plus, cette voix adorée.
Qui sut en vers si frais chanter ces frais taillis ;
Qui, naguère, plus grave et du ciel inspirée,
Forma de saints accords des anges accueillis.

Aux goûts simples et purs, à ces vallons fidèles.
Par UR rayon d’avril il était réjoui ;
Ses regards épiaient la première hirondelle,
Et le premier bouton à l’aube épanoui.

Et moi, quand s’apaisait cette fièvre brûlante,
Qui sur ta couche, hélas, souvent te retenait,
Que j’aimais à guider ta marche faible et lente.
À sentir à mon bras ton bras qui s’enchaînait.

Quoi ! pour jamais absent, tendre ami que je pleure !
En vain je crois te voir aux lieux où tu n’es pas ;
Et pour te retrouver, c’est loin de ta demeure,
C’est dans l’enclos des morts qu’il faut porter ses pas.

Et le printemps revient avec son gai cortège ?
On voit les fruits germer, le feuillage frémir,
La vigne couronner le pin qui la protège.
Dans cet ingrat séjour, je suis seule à gémir !

Tout chante, aime, fleurit… Incessante ironie,
Pour mes yeux qu’ont brûlés tant de veilles, de pleurs ?
Pour ce cœur dévasté, plein de ton agonie,
Que font saigner encor tes suprêmes douleurs !

Ah ! viennent les frimas, l’inclémente froidure,
Et dans les bois flétris les longs soupirs du Nord,
Et la neige étendant sur la molle verdure,
Son suaire glacé d’une pâleur de mort !

L’âme stérilisée où toute joie expire
Du retour des saisons ne comprend plus la loi,
Mes pleurs sont plus amers à voir le ciel sourire.
Et ta vallée en fleurs s’épanouir sans toi !


LIERRE

As-tu quelque douleur qu’elle ne m’appartienne ?
Ton âme ne s’est point confiée à la mienne,
Et pourtant sur ton front, ami, j’ai vu, tracés.
Des plis par l’insomnie ou la fièvre laissés.

Sur ta force appuyée, et la main dans la tienne.
J’ai marché sans effroi, six ans déjà passés.
Que mon bras à son tour t’enlace et te soutienne,
Si la route un moment meurtrit tes pas lassés !

Aux lieux de mon enfance (il m’en souvient encore)
Du merveilleux clocher d’où l’angelus sonore
Vibre tout près du ciel, un lierre enceint les pieds ;

Et l’on dit : gardons-nous de toucher à l’arbuste.
Honneur à ses rameaux ! car de la tour robuste.
Les flancs qui l’ont nourri par lui sont étayés.