Les Muses françaises/Mme Dufrenoy

Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 180-187).



Mme  DUFRÉNOY




Adélaïde-Gillette Billet était la fille d’un grand joaillier ; elle naquit à Paris le 3 décembre 1765. — Elle avait seize ans lorsque son esprit et sa grâce, sans parler de la fortune de ses parents, la firent demander en mariage par un procureur au Châtelet, M. Petit-Dufrénoy. Déjà elle se sentait un certain penchant pour la littérature, pour la poésie surtout, et elle s’essayait à composer de petits vers. Mais, il fallut le grand bouleversement de la Révolution qui ruina complètement son mari, — pour décider de sa vocation. Ayant perdu sa charge, M.Dufrénoy fut obligé d’accepter pour vivre, d’aller dans une petite ville d’Italie où on lui offrait une place de greffier. Une fois là-bas, il devint presque aveugle ; ce fut sa femme qui écrivit les rôles et copia les dossiers pour lui… Et puis, elle s’avisa qu’elle pourrait peut-être se créer quelques ressources avec sa plume. Elle composa divers ouvrages d’éducation et des romans pour jeunes personnes.Elle publia aussi des élégies qui eurent un grand succès.Longtemps après, Béranger s’écrira encore dans une de ses jolies pièces :

Veille ma lampe, veille encore, Je lis les vers de Dufrénoy.

Rentrée en France, par l’entremise de M. de Ségur, elle obtint du Gouvernement Impérial une pension qui l’aida à sortir de la gêne où elle se débattait. En 1815, l’Académie ayant mis au concours un poème sur les Derniers moments de Bayard, ce fut Mme Dufrénoy qui remporta le prix. — La Grèce s’armant pour reconquérir son indépendance n’eut pas de chantre plus enflammé qu’elle.Mais, comme Mme Dufrénoy n’avait pas dans son Inspiration le grand souffle qui convient aux sujets héroïques, lorsque nous relisons aujourd’hui ses longues compositions, nous n’y trouvons plus guère qu’un intérêt rétrospectif. Aussi bien est-ce encore dans ses élégies que l’on rencontre les pièces les plus dignes de conserver vivant le nom de Mme Dufrénoy. Là, elle a laissé parler son cœur, elle n’a pas craint de traduire ses sentiments elle a vraiment été elle-même en osant être sincère. « L’originalité poétique de Mme Dufrénoy (si on lui en trouve), — écrit Sainte-Beuve — n’est pas dans les chants consacrés à des événements publics, mais dans la simple expression de ses sentiments tendres… De bonne heure, le maître habile qu’elle eut, et qui n’était autre que Fontanes, la détourna des graves poèmes et lui indiqua son sentier : « Aimer, toujours aimer, voilà ton énergie. Chez elle, dans ses élégies, plus de petits moutons ni de bergère Célimène ; il était moins besoin de travestissement : c’est de l’amour après Parny ; Bouflers a déjà chanté le cœur ; le positif se découvre tout nu. » Tout nu, Sainte-Beuve exagère quelque peu et, à l’entendre, on serait tenté de croire que les contemporains de Mme Dufrénoy avaient raison lorsqu’ils la surnommaient la « Sapho française » et lorsqu’ils l’accusaient d’érotisme. En réalité, s’il y a quelque passion dans ses élégies — et c’est bien là leur premier mérite ! — on ne saurait y découvrir aucune trace d’une brutale sensualité. Il est vrai que depuis l’époque de leur première publication et depuis Sainte-Beuve aussi. les temps ont marché !… Mme Dufrénoy mourut à Paris le 7 mars 1825.

BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES POETIQUES : Elégies, Paris, 1807. — 1813, 1821, in-12. — Œuvres poétiques. (Elégies et Poésies diverses) Paris, 1827, in-8.

CONSULTER : A. Jay, Notice en tête de l’édition des Œuvres poétiques, 1827. — QUÉRARD, La France littéraire. — SAINTE-BEUVE, Portraits de femmes, Nouveaux lundis, T. IX, Portraits littéraires, T. II.

LA CONSTANCE

Ne crains pas, ô mon bien-aimé !
Ne crains pas que jamais je brise notre chaîne.
De ton amour heureuse et vaine,
Je bénis chaque instant le nœud que j’ai formé.
Oui, l’on verra plutôt disparaître les ondes
De ce vaste Océan, ceinture des deux mondes,
Les étoiles tomber des cieux,
Et le Soleil privé de ses clartés fécondes,
Que de me voir trahir mes serments et mes feux.
Eh ! qui pourrait, dis-moi, te ravir ma tendresse ?
Quel autre amant pourrais-je aimer ?
Je ne trouve qu’en toi tout ce qui peut charmer,
Esprit, talent, fleur de jeunesse.
Elève chéri des neuf sœurs.
C’est pour toi que ces immortelles
Gardent leurs plus nobles faveurs
Et leurs couronnes les plus belles.
Ah ! quand assis à mon côté,
L’œil tout brillant des feux d’un sublime délire
Par la gloire et l’amour en secret excité,
Tu fais entendre sur ta lyre
Ces chants que la postérité
Se plaira toujours à redire.
Mon cœur, qui t’adore et t’admire.
Dans sa double félicité
Tour à tour palpite, soupire
Et d’orgueil et de volupté :
Si ma main alors de la tienne
A senti le trouble flatteur.
Si tu lèves sur moi ton regard enchanteur,
Si ta bouche effleure la mienne,
Je me sens expirer d’amour et de bonheur.
Laisse, laisse l’homme ordinaire
Troubler par les soupçons ses plaisirs les plus doux ;
Sans doute il peut cesser de plaire,

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