Les Muses françaises/Marie de Romieu

Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 83-85).

MARIE DE ROMIEU



Un sujet familier aux femmes écrivains c’est précisément, l’apologie des femmes et Marie de Romieu, qui vivait au xvie siècle, dans le Vivarais, ne doit d’être venue jusqu’à nous qu’à la particulière vivacité de ses revendications féministes.

Nous ne savons rien de la vie de cette poétesse, sinon qu’elle débuta en répondant à un de ses frères, Jacques de Romieu, gentilhomme et secrétaire du roi, qui, pour faire sa cour à un vieil oncle, Périnet des Auberts avait écrit une satire contre les femmes.

Marie voulut prouver la « prééminence de la femme sur l’homme » et elle publia un « brief discours en vers » dans lequel elle s’efforce d’établir que « l’excellence de la femme surpasse celle de l’homme » surtout en candeur et bonne foi. »

En dehors de cette dissertation poétique, les œuvres de Marie de Romieu publiées en 1581, contiennent de nombreuses pièces détachées, églogues élégies, odes, sonnets, hymnes, étrennes, anagrammes, énigmes, etc.

De tous ces morceaux, assez médiocres, une imitation d’Anacréon est à citer. Dans cet hymne de la Rose, Marie de Romieu a de la grâce et de la naïveté.


HYMNE DE LA ROSE


À M.  FRANÇOIS DE LA ROSE


Je veux chanter ici la beauté de la rose
Qui de toutes les fleurs la beauté tient enclose.
Puis la rose je veux à la Rose donner,
À toi Rose, qui peux tout un monde étonner.
Et ravir les esprits d’un singulier bien dire,
Qu’à ta volonté doctement les attire.
Au dedans d’un jardin s’il y a rien de beau,
C’est la rose cueillie au temps du renouveau :
L’Aube a les doigts rosins ; de roses est la couche
De la belle Vénus, et teinte en est sa bouche :
En Paphos, sa maison est remplie toujours
De la suave odeur des roses, fleur d’amour.
La rose est l’ornement du chef des damoiselles.
La rose est le joyau des plus simples pucelles :
De roses est semé des Charités[1] le sein
Et de leur doux parfum le ciel lui-même est plein ;
Bacchus, ce deux fois né, ce Bassar[2] vénérable,

De roses et de vin garnit toujours sa table.
Et verse incessamment les roses près le vin,
Versant aussi le vin près les roses sans fin.
De roses l’amoureuse embaumera son coffre,
Lorsque de son ami le linge blanc encoffre !
Quand le jour adviendra de mon dernier vouloir,
Je veux par testament expressément avoir
Mille rosiers plantés près de ma sépulture,
Afin que, grandissant, ils soient ma couverture.
Puis l’on mettra ces vers, engravés du pinceau
En grosses lettres d’or, par dessus mon tombeau.
« Celle qui gît ici, sous cette froide cendre.
Toute sa vie aima la rose fraîche et tendre ;
Et l’aima tellement qu’après que le trépas
L’eût poussée à son gré aux ondes de là-bas,
Voulut que son cercueil fut entouré de roses
Comme ce qu’elle aimait par-dessus toutes choses. »

SONNET

L’un chantera de Mars la force et le courage,
L’autre loûra les rois, les princes, les seigneurs,
Et l’autre entonnera de Vénus les honneurs,
Son œil, son ris, ses traits et son gentil corsage.

L’un voudra s’égayer, orné d’un beau ramage ;
Sus, un hymne mondain qui, de sa voix, les cœurs
Des hommes va charmant ; l’autre dira des mœurs.
L’un à mépris aura la loi de mariage ;

L’autre, d’un vers doré des célestes flambeaux,
Qui de Mars, qui des rois, qui des humides eaux.
Qui d’Amour, qui des cieux, qui dira de sagesse :

Quant à moi, je ne veux désormais que mes vers
Chantent, sinon le los de Dieu par l’univers,
Lui offrent tout le fruit de ma tendre jeunesse.

CHANSON

D’où vient cela. Marie, ô vous ma douce vie,
Mon amour, doux amer, que vous êtes marrie
De m’appeler mari ? Ah ! que je suis marri
De n’être de Marie aux beaux yeux le mari !


Marions-nous, Marie, afin que chacun rie.
Et se réjouissant de notre amitié, die :
Béni soit le lien de ces deux mariés
Qui sont si fermement d’un serment alliés.

Marie, aimer, amour faut que nos cœurs allie
En un même vouloir et qu’étranges nous lie[3]
D’un lien que jamais la mort ne déliera
Mais plutôt nos deux cœurs ensemble mariera.

  1. Des grâces.
  2. Un des surnoms de Bacchus.

  3. Marie, il faut que l’amour allie (réunisse) nos cœurs dans un même
    désir, et qu’il nous lie, nous qui sommes maintenant étrangers l’un pour
    l’autre, d’un lien que jamais la mort ne pourra rompre, car elle ne fera
    qu’unir nos deux cœurs davantage.