Les Muses françaises/Marguerite Coppin

Les Muses françaises : anthologie des femmes-poètesLouis-MichaudII (XXe Siècle) (p. 39-44).


MARGUERITE COPPIN




Née à Bruxelles en 1867, Mlle Marguerite Coppin vit à Bruges ; elle est professeur libre. Conférencière, elle s’est fait applaudir en Hollande et en Belgique. Mlle Marguerite Coppin est l’auteur de quatre volumes de prose, romans et contes, et de trois recueils de poésies.

A mon sens, l’originalité de Mlle Coppin réside dans les sentiments qu’elle exprime en ses vers. Elle n’est pas très artiste, en effet, sa forme manque de souplesse et, aussi, de goût et de sûreté. Elle écrira, par exemple, des vers comme celui-ci :

De sa mère qui lutte avec ténèbre et flamme !

Il me semble qu’on lutte avec courage et avec ou contre les ténèbres et les flammes.

Il est regrettable qu’elle n’apporte pas un plus grand souci artistique à ce qu’elle écrit. Les beaux vers sont légion dans son œuvre ; il y en aurait davantage si elle se montrait plus attentive à se corriger.

Ceci dit, il faut s’empresser de reconnaître chez Mlle Marguerite Coppin un don très réel d’émotion : elle est sincère et elle sent profondément. C’est une âme noble, un esprit sain, un cœur rempli de tendresse. Elle intitule un de ses livres : Poèmes de la femme, et c’est bien, en effet, l’expression de vrais sentiments féminins que l’on trouve dans ces poèmes. Par ces temps de féminisme aigu, Mlle Coppin a la lâche audace d’être satisfaite du rôle que l’homme force la femme à jouer dans la Société (style féministe !) Être la compagne, la consolatrice, l’inspiratrice et l’appui de l’homme aimé, — elle n’aspire pas pour son sexe à une plus belle tâche. Les « ni épouses ni mères » doivent professer un bien grand mépris pour cette simple femme. Pour moi, je lui suis infiniment reconnaissant d’avoir écrit telle pièce : Notre tâche, — d’où j’extrais ces vers :

Si vous avez été sa force, son bonheur,
Que pouvez-vous encor demander à la vie ;
Et sauriez-vous pleurer, vous dont la voix ravie
S’est mêlée à son rire ému parti du cœur.
La tâche de la femme est d’aimer, simplement.
C’est la plus magnifique — et la plus difficile ;
— Et l’on peut résumer, sans rhétorique habile,
Sa vie en ces deux mots si doux : aimée aimant.

Penser cela, écrire cela — c’est très courageux et très original… à force d’être contraire aux révoltes bruyantes et prolixes de tant de femmes assoiffées d’une liberté illusoire.

Au reste, tout son bonheur, Mlle Coppin le place dans l’amour. Elle a une pitié profonde

Pour les pauvres gens qui n’ont pas d’amour !

Il n’entre d’ailleurs aucune sensualité dans sa tendresse. Ce n’est pas une mystique, non plus, c’est une spiritualiste. L’amour est à ses yeux la grande source d’idéal et d’énergie. La vie cependant, pour elle comme pour tant d’autres, fut souvent dure et cruelle ; qu’importe, elle étouffe ses souffrances, elle ne se plaint pas. Elle ne se plaint pas parce qu’elle a aimé et parce qu’une heure d’amour suffit à embellir toute la vie, — parce qu’une heure d’amour vaut toute la vie !

De même elle pense :

Que le génie est peu quand l’amour se révèle,
Et que le meilleur livre — et qu’on n’écrit jamais —
C’est celui qu’aux yeux chers de l’amant on épelle.

Pourquoi elle écrit ? — Elle le dira encore, avec une sorte de pieuse humilité. Elle ne se fait pas illusion sur son génie, elle sait qu’elle n’en a pas, mais elle veut qu’un jour il reste d’elle quelque chose. Et c’est pourquoi elle nous donne

Cet élan simple et pur : un livre écrit d’amour !


BIBLIOGRAPHIE. — Poésie : Poèmes de Femme, Popp, Bruges, 1896, in-18. — Maman et autres poèmes, Bouchery et Cie, Ostende, 1898, in-18. — Triomphal Amour, Boucherie et Cie, Ostende, 1899. in-8 carré.

Prose : Solesme sceul ayme, roman, 1891. — Le Charme de Bruges, roman, 1892. — Initiation, roman. 1898. — Némésis, roman, 1908. — Conte sur l’Histoire de Belgique, 1905.

COLLABORATION — Carillon d’Ostende. — La Verveine. — La Fédération Artistique. — La Roulotte, etc.

CONSULTER. — E. de Linge, l’Art moderne, juin 1896. — Arthur Daxhelet, Le Petit Bleu ; La Flandre libérale ; Journal de Bruges, 1898. — Eug. Gilbert, Le Carillon ; Revue littéraire trimestrielle ; Revue Bibliographique Belge. 1896, — Arm. Dauby, Journal de Bruxelles, 1900. — Em. Pels, Tout Louvain, 1900. — Gatti de Gamond, Cahiers féministes, 1900. — H. Delcourt, Idée libre ; l’Art moderne ; L’Économie, 1900. — Em. Moreau, La Roulotte, 1900. — E. Baes, La Fédération artistique, 1904. — A. Balaud, Le Florilège, 1904. etc.

LE CHANT DES LABORIEUX



Compagnons de labeur qui revenez le soir,
Le pas long, le pied lourd, d’une allure engourdie,
Suivant, troupeau serré d’hommes las, sans me voir,
Le chemin que la nuit fait d’ombre attiédie ;

Et qui, dans ce beau soir, le regard étranger,
Hâtez vers le repos votre marche cassée,




Phot. J. Hermans, Bruges.

Sans rêves, sans espoirs, sans regrets, sans pensée,
N’ayant que cet instinct aveugle : aller manger !

Échangeant rarement quelque mot bref et fort.
Simple et lourd comme vous — et comme vous plein d’ombre ;
Sans un cri de fureur, sans un blasphème au sort
Qui vous fait à la fois la faiblesse — et le nombre !

Sans un appel de lutte et de sombre vouloir
Qui vous redresse tous dans la révolte immense…
Compagnons de labeur, qui revenez le soir.
Redoutables et nuls dans votre inconscience !

(Maman et autres poèmes.)


AUX POÈTES



Hé bien ! non, hé bien non, je ne vous comprends pas !
Vous vous plaignez, ô grands, que j’admire d’en bas,
Infime, humble, et pourtant plus grande que vous n’êtes !…
Vous tous que je révère, ô divins ciseleurs
Des vers taillés dans l’or ; et vous les fiers penseurs,
Vous qui formez l’élite, artistes et poètes ;

Tous vous pleurez sur vous, sur votre cœur blessé,
Sur la joie envolée et l’amour délaissé,
Sur l’amie oublieuse — ou sur votre âme errante
Qui n’a pas su rester dans le nid que deux bras
Lui faisaient doux et chaud ! Tous vous pleurez tout bas
Ou vous criez tout haut que la vie est méchante !

Hé bien ! non ! je ne puis vous comprendre et saisir
Pourquoi ce dégoût vain après ce vain désir,
Pourquoi ces pleurs de rage après ces cris de joie,
Pourquoi cette amertume immense en votre cœur,
Pourquoi ces fronts pâlis et ces frissons d’horreur,
Où toute volupté dans le mépris se noie !…

N’est-ce donc pas assez d’avoir connu l’amour
D’un élan merveilleux jusqu’au divin séjour
Où le dieu rayonnant sourit à ses fidèles,
N’êtes-vous pas montés, frémissants de bonheur,
N’avez-vous pas goûté l'orgueilleuse douceur
De planer sur la joie et la douleur mortelles ?


N’avez—vous pas baisé des yeux brillants et doux ;
N’avez-vous pas pressé dans vos deux mains, à vous,
Des mains qui se tendaient toutes à vos tendresses ?…
N’avez-vous pas rêvé, le soir, à cœur gonflé
Tout vibrant de bonheur récent, tout affolé
De penser, les yeux clos, aux futures ivresses ?

N’avez-vous donc cueilli la fleur d’or de l’amour
Que pour la voir faner et pâlir en un jour
Que pour que son arome ineffable s’efface ?…
Que pour fouler aux pieds ses pétales brisés,
Et maudire et railler tous les cœurs abusés
Qui n’ont pas su garder la fleur fraîche et vivace ?

Eh ! bien, non, je ne puis vous comprendre, hé bien non !
Car si l’amour demain devait fuir — oh ! pardon,
J’ai peur de t’offenser, dieu cher que je blasphème ! —
Le parfum de la fleur embaumerait mes jours
Et du souvenir doux et cher de mes amours
Je ferais du bonheur encor — sans anathème !…

Si vous pouvez maudire après avoir aimé
Si vous trouvez le mot qui raille ou qui décrie
Sur la lèvre qui dit, dans un soupir pâmé,
Le mot divin « Je t’aime » à la lèvre chérie !…

Si votre cœur regrette un seul de ces instants
Qui font toute une vie infiniment heureuse ;
Si votre chair est froide aux souvenirs brûlants ;
Si rien n’émeut votre âme endormie ou haineuse !…
 
Si vous pouvez lancer des brocarts de mépris
À la vie ineffablement belle et sacrée
Qui vous donna l’Amour !… le seul trésor sans prix
La joie unique, entière, incorruptible et vraie !…

En suivant de si bas, votre essor acclamé
Dans les cieux où la gloire attend les grandes âmes
Je vous le dis, ô grands ! en vos beaux vers de flammes
Vous avez dit l’amour :
Vous n’avez pas aimé !

(Poèmes de femme.)


LE BEAU



Il ne faut point chercher si loin le lac d’azur
Et le mont, et le fleuve, et les sombres vallées
Pour permettre à son cœur les vastes envolées
Et cet amour du Beau, si puissant et si pur.
 
Mais simplement lever les yeux ; et sur le toit
Regarder de la rue obscurément étroite
L’étroit morceau de ciel, qui scintille et miroite
De topaze et de pourpre au soleil qui décroît ;
  
Parfois un lourd nuage y glisse, triste, obscur ;
Et tous les soirs, au moins une étoile y vient luire
Et l’infini du Beau, qui ne peut se traduire,
Vibre entier dans cet astre et ce morceau d’azur !…
 
Ah ! le rêve est partout — et partout l’idéal.
— Et partout le bonheur — pour qui veut le comprendre.
La vie est si remplie ; et la main qu’on sait tendre
Peut saisir tant de mains ; et guérir tant de mal !

Et les yeux bien ouverts, les yeux qui veulent voir,
Peuvent tant admirer ! Mais, que de fleurs on passe
Qu’on ne regarde pas ! Et que de joies on chasse
Qui naissent tous les jours du plus humble devoir !

Cueillez toutes les fleurs, chacune a sa beauté.
Et regardez le ciel, fut-ce aux fenêtres closes ;
Et cherchez — comme en juin vous chercherez les roses —
Les tristes, pour leur voir un éclat de gaîté ;

Et prenez à la Vie avec tout votre cœur
Tout ce qu’elle vous offre. Et vivant aux coins sombres.
Levez les yeux, sachant qu’au-dessus de ces ombres
Le ciel brille — et l’amour — dans leur pure splendeur.
 

(Poèmes de femme.)