Les Muses françaises/Louise Colet

Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 292-299).

LOUISE COLET



C’est à Aix-en-Provence, le 15 septembre 1810, que naquit Louise Colet. Par son père, elle appartenait à une famille de riches négociants lyonnais, les Revoil ; par sa mère à une vieille famille provençale, les de Servanne, dont un des membres, son grand-père, faisait partie du Parlement de Provence. Elle fut élevée au château de Servanne par deux de ses tantes et c’est de là qu’elle envoya aux journaux de Marseille, de Lyon et de Paris, ses premiers vers, signés une femme.

Elle épousa, n’ayant guère que vingt ans, Hippolyte Colet, d’Uzès, compositeur de musique, prix de Rome, qui devint plus tard professeur au Conservatoire.

En 1835, nous la trouvons à Paris et, tout aussitôt, elle s’y fait des amitiés nombreuses et puissantes, à la suite de la publication de son premier livre de vers : Fleurs du Midi.

Quelques années après, en 1839, elle fait représenter au théâtre de la Renaissance, un acte en vers : la Jeunesse de Gœthe.

La voilà lancée !

A quatre reprises, en 1839, 1843, 1852 et 1855, l’Académie Française lui décerna le prix de poésie, grâce à la protection de Victor Cousin.

Cette protection passa d’ailleurs les bornes de la simple amitié.

En 1840, la Muse donna même une petite fille au philosophe. Cet événement excita la verve d’Alphonse Karr qui, dans ses Guêpes, manifestant son étonnement de la persistance avec laquelle l’Académie couronnait Mme Colet, parla d’une « piqûre de cousin ». Pour toute réponse, Mme Colet attendit un soir le journaliste et lui donna un coup de couteau qui, heureusement, ne fut pas porté avec assez de force. Alphonse Karr désarma la jeune femme et, dans le numéro suivant des Guêpes, on put voir le dessin d’un couteau de cuisinière avec cette devise : « Offert… dans le dos par Mme Louise Colet ».

L’Irascible poétesse eut encore des liaisons avec Flaubert, avec Musset. Ce fut chez Pradier, en juin 1846, qu’elle rencontra Flaubert et l’on connaît, par la correspondance de ce dernier, toutes les péripéties tragi-comiques de leurs amours. Au printemps de 1852, Flaubert s’étant retiré à Croisset pour travailler, Louise Colet eut une passade avec Musset. Elle l’a racontée dans un livre Lui, qui, avec le livre de George Sand Lui et Elle et celui de Paul de Musset Elle et lui, forme une trinité romantique tout à fait curieuse.

Dans ses diverses aventures sentimentales Louise Colet nous apparaît comme le type de la femme de lettres, du bas bleu pour lâcher le mot. Vindicative et vaniteuse, Louise Colet, nous dit M. Léon Séché, « a fait des scènes terribles à tous les malheureux qui entrèrent dans sa vie par le grand escalier et même à ceux qui, sans y entrer, la côtoyèrent de trop près : à Cousin, à Flaubert, à Musset, qui furent ses amants avérés, comme à Sainte-Beuve qui ne fut même pas son ami ».

Aussi Sainte-Beuve n’est-il guère tendre pour sa poésie : « C’est, écrit-il. un je ne sais quoi qui est parfois le simulacre du bien, qui a un faux

air du beau. » Et encore  : « Sa poésie a un assez beau busc, ou buste si vous voulez. C’est comme la dame elle-même. La trouvez-vous belle ? me disait-on un jour. — Oui, ai-je répondu, elle a l’air d’être belle ».

Quant à Flaubert, il lui écrivait : « Écoute bien ceci et médite-le : tu as en toi deux cordes, un sentiment dramatique, non de coups de théâtre, mais d’effets, ce qui est supérieur, et une entente instinctive de la couleur, du relief (c’est ce qui ne se donne pas, cela). Ces deux qualités ont été entravées et le sont encore par deux défauts dont on t’a donné l’un et dont l’autre tient à ton sexe : le premier, c’est ce philosophisme, toute cette bavure qui vient de Voltaire et dont le père Hugo lui-même n’est pas exempt ; la seconde faiblesse, c’est le vague, la tendromanie féminine. Il ne faut pas, quand on est arrivé à ton degré, que le linge sente le lait ».

Malgré sa peur de froisser la vanité toujours à vif de son amie, Flaubert est ici dans le vrai. On en jugera par les vers que nous citons ci-après.

Outre plusieurs recueils de poésies, Mme Louise Colet a édité les lettres de Benjamin Constant et de Mme Récamier. Elle est morte à Paris le 8 mars 1876.

BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES POÉTIQUES : Fleurs du Midi, 1836. — A ma mère / 8 juin 1839 ; Penserosa, 1839, in-8. — Les Funérailles de Napoléon, 1840. in-8o. — Poésies, 1842, (grd in-4o tiré à 25 exemp.). — Le Marabout de Sidi-Brahim, suivi de la Chanson des soldats d’Afrique, 1845. — Les Chants des vaincus, 1846. — Ce qui est dans le cœur des femmes, 1852, in-18. — Le Poème de la femme, 1853. — Ce qu’on rêve en aimant, 1854, in-12. — Quatre poèmes couronnés par l’Académie française, 1855. — La Satire du siècle : I, Paris Matière ; II, La Voix du Tibre, 1808. in-8o.

CONSULTER : Journal des Goncourt, —[Eugène de Mirecourt, Louise Colet, [dans Les Contemporains. — Flaubert : Correspondance, Paris, 1887-1893. — Sainte-Beuve, Correspondance, t. I. ; Correspondance inédite avec M. et Mme Juste Olivier, Paris, 1904. — FÉLIX Cambon, Annales romantiques, juin/juillet 1904. — C. LATREILLE, Annales romantiques, octobre, novembre 1904. — LÉON SÉCHÉ, Alfred de Musset, t.II.Paris, 1907.

SONNET

Avoir toujours gardé la candeur pour symbole,
Croire à tout sentiment noble et pur. et souffrir ;
Mendier un espoir, comme une pauvre obole,
Le recevoir parfois, et longtemps s’en nourrir !

Puis, lorsqu’on y croyait, dans ce monde frivole
Ne pas trouver un cœur qui se laisse attendrir !
Sans fixer le bonheur voir le temps qui s’envole ;
Voir la vie épuisée, et n´oser pas mourir !

Car mourir sans goûter une joie ineffable,
Sans que la vérité réalise la fable
De mes rêves d’amour, de mes vœux superflus ;

Non ! je ne le puis pas ! non, mon cœur s’y refuse ;
Et pourtant ne crois pas, hélas ! que je m’abuse :
Je désire toujours… mais, je n’espère plus !

SONNET

Oui, les illusions dont toujours je me berce
En vain leurrent mon cœur d’un espoir décevant.
Impassible et cruel le monde les disperse.
Ainsi que des brins d’herbe emportés par le vent.

Va moi, me rattachant à ma fortune adverse,
J’étouffe dans mon sein tout penser énervant ;
Malgré mon désespoir et les pleurs que je verse,
Je crois à l’avenir, et je marche en avant !

Pour soutenir ma foi, j’affronte le martyre
Des sarcasmes que jette une amère satyre
A mon rêve d’amour le plus pur, le plus cher !

On peut tailler le roc. on peut mollir le fer,
Fondre le diamant, dissoudre l’or aux flammes.
Mais on ne fait jamais plier les grandes âmes !

LE PRINTEMPS

Quel beau soir ! quel air pur ! quel suave bien-être !
Dans son limpide azur la lune me sourit ;
Lilas et marronniers que le printemps fleurit.
Élèvent leurs rameaux jusques à ma fenêtre.

Dans ce petit jardin de hauts murs circonscrit.
Pour m’offrir son parfum chaque fleur semble naître ;
Chaque oiseau de son chant m’agite et me pénètre.
O nature ! je sens ton souffle et ton esprit !

En toi la sève court, en moi monte la flamme !
Mes bras cherchent des bras ; mon âme appelle une âme !
En face, à ce balcon, qui vient de s’éclairer.

Je crois le voir. C’est lui ! tout mon être s’élance.

Non ! il est loin ; partout solitude et silence. Passés dans l’abandon, les beaux soirs font pleurer.

SONNET

Veillant et travaillant, ô mon noble poète !
Lorsque tu seras triste et que mon souvenir,
Ainsi qu’un ami vrai, viendra t’entretenir,
En L´écoutant, ému, tu pencheras la tête.

Tu me verras courant à toi, te faisant fête ;
Avec un bel enfant qui semblait te bénir.
Le logis, la servante, en t’entendant venir,
Tout riait, tout chantait de me voir satisfaite.

On t’aimait ; l’humble toit, les cœurs t’étaient ouverts.
C’était peu pour ta gloire et peu pour ta fortune,
Mais la sincérité n’est pas chose commune.

Souviens-t’en, quand viendra la douleur importune ;
Moi, je ne me souviens que du beau clair de lune
Où tu m’as dit : Je t’aime ! et je relis tes vers.

VEILLÉE

La pente où toujours mon cœur glisse et s’oublie
En me retrouvant soûle durant la nuit.
C’est toi. mon amour, toi que rien ne délie ;
Tu restes, tu vis. quand tout meurt, quand tout fuit
Les autres n’étaient que des fantômes pâles.
Repoussant mon cœur d´un cœur épouvanté ;
Mais toi. fier amant dos choses idéales.
De ma passion t’émut l’immensité !

Tu la sentis vraie et tu compris qu’en elle,
Ainsi que dans l’art, ta passion à toi.
Était contenue une essence éternelle ;
Ton cœur s’attendrit , et tu revins à moi.

Dans tes vision, et d’homme et de poète
Passa l’idéal. et vers lui tu marchas ;

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