Les Muses françaises/Gabrielle de Coignard
Gabrielle de Coignard était née à Toulouse. Elle avait épousé un président au parlement de cette ville. M. de Mireniont.
A la mort de ce dernier, Gabrielle de Coignard, qui depuis longtemps déjà faisait des vers, chercha dans la poésie une consolation à sa douleur.
Profondément chrétienne, elle tourna toutes ses pensées vers la religion et le principal objet de ses poésies sera de glorifier Dieu dans la nature.
Gabrielle de Coignard était d’une grande modestie,
Je ne veux rien savoir pour savante paraître
dit-elle. Aussi n’attachait-elle aucun prix à ses vers. Réunis, après sa mort survenue en 1594, ils ont été publiés par les soins de ses enfants sous le titre de Œuvres chrétiennes de feue dame Gabrielle de Coignard, (1595, in-12). — Ce recueil contient des odes, des stances et plus de cent cinquante sonnets, quelques-uns fort beaux.
Le style de Gabrielle de Coignard est souvent empreint d’une vraie noblesse qui s’harmonise parfaitement avec l’ordinaire gravité de ses sujets familiers.
Vous le voulez, et je le veux aussi.
Vous le voulez, ô ma douce lumière.
Vous le voulez, que je sois coutumière
A receler maint ennuyeux souci.
Mon cœur se deuil, mon corps est tout transi,
étant privé de sa santé première :
apprenez-moi quelque douce manière.
Pour supporter tous ces travaux ici.
Je veux la croix et puis elle me fache.
je veux souffrir, et puis après je tâche
Par tous moyens à recouvrer santé :
je sens en moi une guerre intestine.
Contre le corps mon âme se mutine.
Et chacun d’eux n’est jamais contente.
La crainte de la mort incessamment me trouble
En enfer il n’y a nulle rédemption,
Je n’ai de mes péchés nulle contrition.
Tant plus je vais avant, plus ma peine redouble.
Tu me consommeras comme une sèche estouble [1]
A ce terrible jour de tribulation.
Laisse-moi repentir de ma transgression,
-Car l’amère douleur à mon âme s’accouple.
Tu as bâti mon corps, de chair, d’os et tendons,
De peau, veines et sang, rate, foie et poumons,
Souvienne-toi seigneur, que je suis poudre et cendre :
Comme un fétu poussé par la rigueur du vent.
Tu me peux balayer, et réduire à néant.
Hé ! ne me laisse pas aux abîmes descendre.
<poem>
Instrument de Pallas quenouille ménagère,
Chargée de fin lin gentiment replié,
Ton fardeau d’un lacet verdoyant est lié.
Décorant le beau sein de la gaie bergère.
Par ton subtil moyen la soigneuse lingère,. Agence proprement son filet délié. L’heur de ces grands effets ne doit être oublié, Départant tes trésors à la rive étrangère.
Quenouille s’il te plait m’apprendre la façon. De tordre le fuseau aggravé du peson, Mouiller les bouts des doigts, allonger ta dépouille
Et en pirouettant rendre les brins égaux. Faisant par ton métier adoucir mes travaux. Je t’aimerai toujours, ô ma chère quenouille.
</PŒM>
Les jours me sont si doux en ce beau lieu champêtre,
Voyant d’un fer tranchant fendre le long guéret,
Et enterrer le blé jaunissant, pur, et net.
Puis le voir tôt après tout verdoyant renaître.
Mon Dieu le grand plaisir de voir sur l’herbe paître.
La frisée brebis portant son agnelet.
Et le cornu bélier qui marche tout seulet,
Au devant du troupeau, comme patron et maître.
L’air est délicieux sans pluies, ni chaleurs,
Un petit vent mollet fait ondoyer les fleurs.
Les bois portent encor leur superbe couronne.
L’on n’oit point la rumeur d’un vulgaire babil,
Sinon des oiselets le ramage gentil :
Loué soit l’éternel qui tous ces biens nous donne.
Éternel fils de Dieu, gloire de tous les anges,
Lumière du pécheur, force de l’oppressé.
Toi qui es le plus grand t’es le plus abaissé,
Tournant seul le pressoir des cruelles vendanges.
En criant hautement ta faible voix tu changes.
Disant : mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu laissé ?
Tous les flots du torrent sur ton chef ont passé,
Le père t’a frappé pour nos péchés étranges.
Tu ne te plaignais pas de ce que tu souffrois
Le supplice mortel aux branches de la croix.
C’est pour moi que tu lis une plainte si haute :
Pour me mettre en crédit tu t’es fait oublier.
Pour rompre nos liens tu t’es voulu lier,
tu verses ton sang pour en laver ma faute.
Dieu a tout fait par temps, par nombre, et par mesure,
Lui-meme est le niveau, la règle, et le compas :
Il dispose tout bien, et même à son trépas,
Il voulut accomplir de tout point l’Écriture.
La mort qui talonnait son humaine nature
Rendit son corps divin si mortellement las.
Que ce verbe éternel soutenant les combats,
Dit tout est consommé, père voici mon heure.
J’ai ouvert les sept sceaux du livre cacheté,
Satan est ruiné, mon peuple est racheté.
J’ai choisi dans mon cœur une épouse nouvelle
Les portes de l’enfer sous elle trembleront,
Et tant qu’à l’avenir les siècles dureront,
Elle doit être en moi, comme je suis en elle.
La nuit qui couvre tout de ses ailes obscures,
Cacha les membres nus de Jésus-Christ mourant,
Nul des cruels juifs ne le fut secourant.
Mais en le tourmentant lui disaient mille injures,
La mort qui bien sentait ces mortelles pointures,[2]
Ne lui pouvait aider sinon qu’en soupirant.
Mais cette triste nuit son seigneur honorant,
Déploya son manteau, repos des créatures.
nuit, heureuse nuit, qui asservi ton Dieu,
Faisant tous les meurtriers retirer de ce lieu,
Afin d’être approché de ceux qui le désirent :
Venez tous travailler, et chargés de péché,
Voyez le fils de Dieu sur la croix attaché.
Qui oyt[3] bénignement les pécheurs qui soupirent.
Ainsi que le berger qui voit une tempête
S’épaissir dedans l’air d’une noire couleur,
Menaçant les vers prés, et la superbe fleur,
De la rose, du lis, qui élève la tête.
Il serre les brebis dans sa basse logette,
Et triste voit tomber l’orage, et le malheur.
Puis revoyant Phebus il chasse sa douleur,
Et fait sortir aux champs sa bande camusette.
Dieu lors que j’entends comme un brillant éclat,
Menacer mes péchés par un docte prélat,
Je m’en vais retirer à ta grand bergerie :
Remachant l’âpreté de mes vices pervers,
Et puis à mon pasteur les ayant découverts,
Tu montres tes clartés, et mon âme est guérie.