Les Muses françaises/Comtesse Mathieu de Noailles

Les Muses françaises : anthologie des femmes-poètesLouis-MichaudII (XXe Siècle) (p. 212-227).



COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES




Grecque et Roumaine d’origine, fille du prince G. Bibesco, née à Paris, élevée en France, Anne-Elisabeth de Bassaraba de Brancovan est devenue Française par son mariage avec le comte Mathieu de Noailles.

De toutes les femmes poètes contemporaines, Mme de Noailles est la plus célèbre, et si personne ne fut plus louée qu’elle, personne ne fut plus décriée aussi. Peut-être la gloire lui est-elle venue trop vite ; — il faut beaucoup d’habileté pour se faire pardonner cela. Sans doute aussi eut-elle des amis trop enthousiastes et qui ne firent pas montre d’assez de réserve dans leurs éloges. De l’autre côté, on n’eut pas davantage de retenue.

Une des meilleures pages et l’une des plus pondérées qui ait été imprimée sur son œuvre, on la doit à M. Robert de Montesquiou. Cette page est à citer :

« Bittô (Bittô est le nom d’une petite bergère grecque dont Mme de Noailles nous a dit les jeux amoureux en vers délicieux, — M. de Montesquiou se plaît à désigner la poétesse du nom de son héroïne), Bittô n’est pas chrétienne. Pas une seule fois, elle ne prononce le nom de Dieu.

« Mais bien qu’elle les nomme souvent, Junon, Eros, Priapos, les dieux ne sont pour elle que de poétiques mythes. Sa déesse, la seule qu’elle invoque avec foi, c’est la Nature. Quand nous nous exclamons : Seigneur ! » elle s’écrie : « Nature ! » Elle n’aime, elle n’adore que Gaïa, la Terre.

« Son art maintenant. Il est, comme elle, vêtu à l’antique. Á l’ancienne quelquefois, notamment dans cette charmante pièce le Pays, qui résonne comme d’un accent de la Pléiade. Partout ailleurs, son vers résonne d’un timbre qu’il emprunte à cette épigraphe de Taine : « L’antiquité est la jeunesse du monde. » — On dirait une transposition de la poésie grecque, avec parfois une attitude de Chénier, une intonation de Keats. Ses strophes sont des frises de vases où jouent des bergers tendres et tristes, vivants et rêveurs, rieurs et sérieux. Elles sont enguirlandées de mélisse et de réglisse, de cytises et de citrons, de résine et de menthe dont elle excelle à pénétrer, à saturer ses poèmes, comme des sachets avec un sens de l’olfactif qu´ aromatise le terme et donne à l’expression quelque chose d’odorant qui ne se rencontre avec cette intensité que dans le style de d’Annunzio. »

Une chose que tous les critiques s’accordent à reconnaître chez Mme de Noailles, une chose assurément qui prime de beaucoup le sentiment très pur qu’elle a de l’antique et son goût pour Ronsard et les poètes de son école, — c’est l’influence profonde des romantiques sur sa pensée,

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sur son inspiration et sa forme. — « C’est bien d’eux — écrit M. Charles Maurras — que Mme de Noailles a mémoire quand elle songe, écrit et vit. La face épanouie de la lune l’émeut à peu près des mêmes pensées qui auraient visité l’imagination d’une affiliée du Cénacle. C’est la rêverie de Musset devant Phœbé la blonde. À propos d’animaux, des « sobres animaux », quand elles les admire et les salue un à un, en suppliant une divinité champêtre de la rendre elle-même pareille à ces bestiaux suaves,

Rendez-nous l’innocence ancestrale des bêtes !

le souvenir de Baudelaire s’entrelace à celui de Vigny, qui voulait que les animaux fussent nos « sublimes » modèles. Enfin, elle s’est exercée à fusionner, sur les savants exemples de Victor Hugo, le matériel et le mystique, le pittoresque et le rêvé, le sentiment et la chair… »

Dans le même ordre d’idées, M. Léon Blum écrit ces lignes excellentes :

« Mme de Noailles n’est guère qu’une romantique, et c’est de Musset que je la verrais proche, un Musset qui ne cherche pas l’esprit, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un Musset barbare. »

Et pour en terminer avec les ; citations, encore ces lignes d’un jeune écrivain de talent, M. René Gillouin.

« Je ne sais qui a dit que, s’il était une petite fille qui fût née sous un chou, c’était certainement Mme de Noailles. Le mot est joli, mais un peu injuste. Sans doute les jardins, même potagers, ont leur part dans l’amour de Mme de Noailles ; et ne faut-il pas remercier le poète qui le premier sut dégager l’humble beauté de nos légumes ? »

L’humble beauté… Au fait pourquoi ne chanterait-on pas aussi bien les légumes que les fruits ? — la tomate rouge n’a-t-elle point sa beauté tout comme la pêche ou la grappe de raisin, et le superbe artichaut aux larges feuilles découpées n’est-il point aussi bellement décoratif que tant de plantes grasses souvent affreuses !… En quoi des vers comme ceux-ci ne sont-ils pas exquis :

Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates.
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates.
Chancellent de rosée et de sève pourvus,

Des brugnons roussiront sur leurs feuilles collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur aux l’ombre des fleurs est comme un vêtement.

Au milieu de cet Eden familier, au milieu des doux parfums s’exhalant de la « courge humide et du melon », des coings savoureux et des framboises fraîches, le poète se sentira heureux, bon et reposé : Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/220 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/221 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/222 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/223 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/224 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/225 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/226 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/227 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/228 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/229 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/230 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/231 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/232 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/233