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LES
MISSISSIPIENS.
PROVERBE.

PROLOGUE.

1703.
PERSONNAGES.

La Marquise de Puymonfort.
Julie, sa fille.
Le Duc, ami de la maison.
Samuel Bourset, fait comte de Puymonfort par son mariage avec Julie.

Léonce, chevalier de Puymonfort, cousin de Julie.
Deschamps, vieux valet de chambre de la marquise.


Chez la marquise de Puymonfort. — Un petit hôtel au marais.


Scène Première.


LE DUC, DESCHAMPS.
LE DUC, entre en belle toilette du matin.

Eh bien ! Deschamps, on est déjà parti pour l’église. ?

DESCHAMPS.

Ah ! monsieur le duc ! votre présence eût été bien nécessaire. Au moment de monter en voiture, mademoiselle s’est trouvée mal. Il a fallu la rapporter dans son appartement, où madame la marquise a eu toutes les peines du monde à la faire revenir. Madame la marquise s’inquiétait beaucoup de ne pas voir arriver monsieur le duc ; elle me disait : Deschamps, aussitôt que monsieur le duc sera au salon, faites-le monter ici. Et puis elle ajoutait, comme se parlant à elle-même : Ah ! mon Dieu ! il n’y a que lui qui ait un peu de tête ici ! Enfin, mademoiselle a repris courage, et elle s’est laissée emmener ; mais madame la marquise m’a ordonné, en partant, de prier monsieur le duc d’aller la rejoindre à l’église…

LE DUC, s’asseyant.

C’est çà !… je vais aller m’enrhumer dans vos diables d’églises ! (Se parlant à lui-même en se frottant les jambes.) La chère marquise croit que j’ai toujours vingt ans… C’est bien assez qu’il faille avaler la messe du roi quand on va faire sa cour… Oh ! pardi, j’ai de la dévotion par-dessus les yeux !

DESCHAMPS.

Monsieur le duc aura la bonté de dire à madame la marquise que j’ai obéi à ses ordres, car elle me gronderait beaucoup si j’y manquais.

LE DUC.

Te gronder, toi, Deschamps ? est-ce qu’on se fâche avec un vieux serviteur comme toi ?

DESCHAMPS.

Eh ! eh ! quelquefois, monsieur le duc, depuis la mort de monsieur le marquis !

LE DUC.

Eh ! eh ! monsieur Deschamps, vous persiflez, je crois !… Il y a long-temps que je ne t’ai rien donné… Tiens, vieux coquin !


Scène ii.


LE DUC, seul.

Ces canailles-là se mêlent d’avoir de l’esprit ! Ah çà, pourvu que la petite n’ait pas fait quelque nouvelle sottise avec sa belle passion… Baste ! elle se consolera comme se consolent toutes les femmes à présent, avec des parures, de beaux équipages et un grand train de vie… Autrefois les femmes valaient mieux ; c’est un fait, elles nous aimaient quelquefois pour nous-mêmes ; pas souvent, mais enfin çà se voyait, tandis qu’aujourd’hui il n’y a pas un regard qu’il ne faille payer au poids de l’or… La Maintenon, et avec elle la dévotion, a introduit cet usage… Aussi il fait cher vivre à présent… Mais qu’y faire ?… Il faut bien marcher avec son siècle.


Scène iii.


LE CHEVALIER, LE DUC.


(Le chevalier, pâle et dans un grand désordre, quoique mis avec une certaine recherche, entre avec agitation, et, sans faire attention au duc qui est enfoncé dans un fauteuil, jette brusquement son chapeau sur la table.)
LE DUC, tressaillant.

Eh ! doucement donc, mon cher ! vous avez des façons… (Se retournant vers le chevalier.) Ah ! comment diable ! c’est toi, mon pauvre chevalier ? Je ne m’y attendais guère.

LE CHEVALIER.

Et cela vous paraît bien ridicule, monsieur le duc ?

LE DUC.

Passablement, à ne te rien cacher. Que diable viens-tu faire ici, mon cher ?

LE CHEVALIER.

Je voulais la voir encore une fois, lui dire adieu, ou du moins rencontrer son regard avant que cet horrible sacrifice fût accompli.

LE DUC, tranquillement.

En ce cas tu viens trop tard, car déjà le sacrement est entre vous. Tiens, écoute ces cloches ; c’est le sanctus qui sonne à la paroisse. La messe touche à sa fin, le mariage est consacré. (En chantant.) : Allez-vous-en, gens de la noce.

LE CHEVALIER.

Avec quelle horrible tranquillité vous m’enfoncez ce poignard dans le cœur !… Ah ! je vous ai cru mon ami, celui de Julie du moins, et vous voyez notre désespoir avec une indifférence !…

LE DUC.

Votre désespoir ! dis le tien, pauvre fou, puisque tu es assez naïf pour prendre la chose au sérieux ; mais quant à celui de Julie, elle épouse Samuel Bourset. C’est ce que j’y vois de plus clair.

LE CHEVALIER.

Et qui donc a fait ce mariage infâme ? car enfin, je le sais, et désormais votre feinte pitié ne me trompera plus ; c’est vous qui l’avez conseillé, et vous l’avez mené à bout avec une persévérance, avec une perfidie…

LE DUC, haussant les épaules.

Chevalier, tu perds la mémoire. Tu es fort troublé, c’est ton excuse. Mais essaie un peu de rappeler tes esprits. Lorsqu’il y a huit jJours tu vins me trouver et me dire : La succession de mon père est liquidée ; il s’y trouve plus de dettes que d’argent ; je suis un homme ruiné…

LE CHEVALIER.

Ah ! je vous ouvris mon cœur avec un abandon !

LE DUC.

As-tu donc sujet de t’en repentir ? Quels conseils me demandas-tu ? Des conseils pour être heureux ou des conseils pour être sage ?

LE CHEVALIER.

Je vous demandai de me tracer mon devoir ; vous l’avez fait, j’en conviens ; mais…

LE DUC.

Mais j’aurais dû y joindre un miracle, n’est-ce pas, et trouver le moyen de te conserver honnête homme en te faisant faire une mauvaise action ? Je ne suis pas si habile.

LE CHEVALIER.

Je sais que, perdu sans ressource, je ne pouvais plus aspirer à la main d’une fille bien née, sans fortune elle-même.

LE DUC.

Quand la faim et la soif se marient, comme on dit, ils ont pour enfans la misère et la honte.

LE CHEVALIER, vivement.

Non, monsieur le duc, la misère n’est pas la sœur de la honte.

LE DUC.

Eh bien ! mettons qu’elle est sa cousine germaine. Je ne dis pas cela pour te blesser, chevalier. Tu es jeune, tu as du courage, de l’esprit, du génie… Tu feras ce que tu as projeté. Tu iras dans l’Inde ou dans le Nouveau-Monde refaire ta fortune ou mourir. C’est le devoir d’un homme de ta naissance. Mais tu m’avoueras qu’en épousant ta cousine, tu ne prenais pas le chemin de réparer tes désastres. Jeunes tous deux et amoureux en diable, vous eussiez eu une nombreuse famille…

LE CHEVALIER.

Ah ! quelles images d’un bonheur pur vous me mettez cruellement sous les yeux ! Et maintenant il faut qu’elle passe du sanctuaire où je la plaçais dans mes rêves, aux bras d’un ignoble traitant, d’un juif, d’un Samuel Bourset ! Oh ! non, ce n’est pas la misère qui est la sœur de la honte, monsieur le duc ! c’est la richesse acquise au prix de l’amour et de la pudeur.

LE DUC.

Parlons-nous philosophie ? j’en suis et je te donne raison. Mais si nous vivons dans un monde positif, et je crois que nous ne pouvons en sortir décemment, quoi que nous fassions, il nous faut bien suivre l’opinion, accepter ce qu’elle encourage et nous garder de ce qu’elle proscrit. Tu te croyais passablement fortuné et tu allais épouser ta cousine. Un beau matin tu te trouves sur le pavé, il faut que tu t’en ailles, et de plus il faut que ta cousine se marie. Je sais bien que dans le premier moment tu t’es flatté qu’elle attendrait ton retour des Grandes-Indes. Il a fallu te le laisser croire pour te donner du courage.

LE CHEVALIER.

Eh ! ne pouviez-vous me le laisser croire du moins jusqu’à mon départ !… Quelques jours encore, et je serais parti plein d’avenir, plein d’illusions, tandis que maintenant je n’ai plus qu’à me brûler la cervelle.

LE DUC.

Fi donc ! c’est du plus mauvais goût. Mon perruquier en a fait autant la semaine dernière pour la femme de mon valet de chambre. Tu n’en feras rien, mon cher ; un gentilhomme ne doit pas finir comme un pleutre. Et, quant au reproche que tu me fais de ne t’avoir pas embarqué avec tes illusions en pacotille, j’ai à te répondre que si on t’avait laissé l’ombre d’une espérance, tu ne serais jamais parti. Tel est l’homme, surtout quand il est amoureux et qu’il a dix-huit ans.

LE CHEVALIER.

Ah ! que vous étiez tous pressés de me voir partir !… Eh bien ! si je devais subir ce dernier supplice, fallait-il donc mêler le ridicule à l’odieux, et sous mes yeux la livrer à un homme de cette espèce ?

LE DUC.

Mon cher ami, cet homme a des millions, et la semaine dernière sa majesté a promené elle-même dans ses jardins de Marly, de l’air le plus gracieux qu’on lui ait vu depuis vingt ans, et en disant les plus aimables choses qu’elle ait dites de sa vie, maître Samuel Bernard le financier, l’oncle du Samuel Bourset que nous épousons aujourd’hui. Maître Bernard paie les dettes du roi, cela vaut bien deux heures d’affabilité, car ce ne sont pas de petites dettes ! mais aussi ce n’est pas un petit monsieur que celui que Louis XIV caresse de la sorte !

LE CHEVALIER.

Et vous aussi, vous contemplez tranquillement de pareilles choses ?

LE DUC.

Moi ? je sais qu’en penser, aussi bien que toi. Mais à nous deux nous ne changerons pas le monde. La cour et la ville se modèlent l’une sur l’autre ; le roi est ruiné et nous le sommes. Il est magnifique et veut que nous le soyons ; il s’endette et nous nous endettons, il flatte la finance et nous tirons le chapeau après lui. Ainsi, ta cousine fait aujourd’hui un excellent mariage, et, à l’heure qu’il est, plus de deux mille nobles familles qui ne savent plus à quel clou se pendre, bien loin de mépriser le sang d’Israël, eussent bien voulu attirer vers elles ce filon d’or.

LE CHEVALIER.

Julie est assez belle, assez charmante, d’une famille assez illustre pour qu’un homme riche et bien né eût recherché sa main.

LE DUC.

Non pas dans le temps où nous sommes. Et d’ailleurs, chevalier, puisque tu me forces à te le dire, Julie était compromise plus que tu ne penses par la violence de ton amour. L’attrait d’un grand nom a pu seul déterminer un traitant à passer par-dessus certaines craintes… qui sont un préjugé sans doute, mais un préjugé moins facile à vaincre chez nous autres que chez les gens du commun.

LE CHEVALIER.

Ah ! elle est pure comme la vertu elle-même !… J’en atteste…

LE DUC.

Je ne te demande pas cela ; ça ne regarde personne ; la voilà mariée…

LE CHEVALIER.

Si cet homme a de pareilles craintes, il n’en est que plus vil de les braver.

LE DUC.

Cet homme quitte aujourd’hui son fâcheux nom de Samuel Bourset pour celui de Bourset de Puymontfort. Sa femme le rebaptise par contrat de mariage ; qui sait ? le roi l’anoblira peut-être. C’est comme cela que les grandes familles se conservent ; c’est l’usage maintenant, il n’y a rien à dire. Les hommes de finance y tiennent beaucoup. S’ils ne changeaient de nom, ils n’arriveraient pas aux emplois, et il faut bien qu’ils y arrivent. Dans vingt ans d’ici ils y seront tous. Heureusement je n’y serai plus… Et toi qui vas en Amérique, je t’en félicite ; je voudrais être assez jeune pour t’accompagner.

LE CHEVALIER.

Eh bien ! votre froide sévérité sur les choses et sur les hommes de ce temps me gagne et me fortifie… Oui, je partirai, mais sans l’avoir vue… Je veux qu’elle sache que je la méprise trop pour lui dire adieu.

LE DUC, l’observant.

Est-ce que, par hasard, elle comptait te revoir ?

LE CHEVALIER.

Croyez-vous que je serais venu ici de moi-même ? Non ; je n’aurais jamais remis les pieds dans cette maison ; mais elle l’a voulu… Tenez, voici le billet que j’ai reçu ce matin…

LE DUC, à part, le parcourant.

Ah ! c’est donc pour cela qu’elle a fait promettre à sa mère de ne pas la conduire directement de l’église à la maison du banquier, mais de la ramener ici pour quelques instans !… (Lisant.) J’ai arraché à maman la promesse que nous nous verrions un instant en sa présence. (Haut.) Mais non pas en la présence du mari, je pense ?… (Avec une mordante ironie.) Bonne mère ! je la reconnais bien là ! (Regardant le chevalier, qui est fort ému.) Et tu comptes accepter ce rendez-vous ?

LE CHEVALIER.

Non pas ! Vous me rappelez à moi-même… je pars à l’instant !… (Il fait quelques pas, regarde autour de lui et fond en larmes.) Ah ! ce pauvre vieux petit salon où j’ai passé la moitié de ma vie, innocent et pur, auprès d’elle !… heureux comme jamais ne l’a été le roi de France au milieu des pompes de Versailles !… je ne le verrai plus… Je vais vivre sur une terre étrangère, où pas une main amie ne serrera la mienne, où pas un cœur ne comprendra ma souffrance ?

LE DUC.

Pauvre chevalier !… il me fait vraiment pitié… Voyons, modère-toi un peu, que diable ! Veux-tu m’écouter un instant et suivre mes conseils ?

LE CHEVALIER.

Parlez ! Je suis privé de force et dépourvu de raison à l’heure qu’il est.

LE DUC.

À ta place, voici ce que je ferais : je ne partirais pas, du moins je ne partirais que l’année prochaine.

LE CHEVALIER.

Et à quoi bon prolonger d’une année ce supplice, trop long déjà d’une heure ?

LE DUC.

Qu’il est simple ! Mais où donc as-tu été élevé, mon pauvre garçon ? Comment, tu ne me comprends pas ? Voilà le mariage conclu à ne plus s’en dédire ; ta présence ne peut plus l’embrouiller… Maintenant, tu aimes, tu es aimé… Tu me regardes avec de grands yeux ! Que diable ! je ne peux pas parler plus clairement, ce me semble ?

LE CHEVALIER.

Que me dites-vous ? Troubler son repos ? ternir sa réputation ?…

LE DUC.

C’est ce que tu fais depuis huit jours avec tes emportemens. Calme-toi, sois modeste dans ton bonheur, tout ira bien, car c’est ainsi que va le monde.

LE CHEVALIER.

Puis-je vivre ainsi, sans fortune et sans état ?

LE DUC.

À quoi bon faire fortune, si tu n’épouses pas ? Pourvu que tu aies une position dans le monde, d’ici à un an je te ferai avoir une compagnie de quelque chose.

LE CHEVALIER.

Croyez-vous donc que dans un an je pourrai quitter Julie plus aisément qu’aujourd’hui ?

LE DUC.

Oh ! bien certainement je le crois. Il est même possible que dans ce temps-là vous soyez aussi charmés de vous quitter que vous en êtes désolés aujourd’hui.

LE CHEVALIER.

Mais Julie oubliera-t-elle ainsi ses devoirs, car enfin son mari… sa mère…

LE DUC.

Sa mère est la meilleure femme du monde. Je la connais, moi. Je la connais même beaucoup, entre nous soit dit, et je te réponds qu’au lendemain du mariage ses idées sur la morale ne seront plus celles de la veille.

LE CHEVALIER.

Oh ! comme vous parlez de ma tante ! Moi, qui l’ai vénérée jusqu’ici comme une mère !… Je crois rêver.

LE DUC.

Relis donc le billet ; tu verras que la marquise ne veut pas que sa fille meure de chagrin. Quant au mari, dans cette classe-là ils sont tous aveugles de naissance. Et puis, quand il se douterait de quelque chose, est-ce qu’un homme comme ça oserait faire du bruit ? Je voudrais bien voir !

LE CHEVALIER.

Mon Dieu !… préservez ma raison !… Mais, monsieur le duc, vous l’oubliez donc ? ce misérable est son maître désormais… Partagerai-je ce trésor précieux et sans tache avec le vil traitant qui l’a acheté ?…

LE DUC.

Bah ! tu songes à tout ! Ventregois ! j’étais plus amoureux que cela à ton âge.

LE CHEVALIER.

C’est parce que j’aime que cette idée m’est insupportable, odieuse !… Oh ! jamais… jamais !…

LE DUC.

Eh bien ! mon Dieu, si ce n’est que cela, ne sais-tu pas que les femmes ont mille ruses pour retarder, pour ajourner indéfiniment le bonheur d’un mari ? Allons, Julie est une femme d’esprit… Tu lui en donneras plus encore.

LE CHEVALIER.

Ah ! ne vous faites pas un jeu de mon délire ! Je ne suis qu’un pauvre enfant sans expérience, mais éperdument amoureux… Ne m’ôtez pas le courage, car vous ne pouvez plus me donner le bonheur.

LE DUC.

Voici la voiture de la mariée dans la cour… Mais il me semble que le mari est avec elle ! Va-t-en.

LE CHEVALIER, égaré.

Fuir devant lui ?… N’ai-je pas le droit, comme cousin de Julie, de venir faire mon compliment ici, chez ma tante ? Soyez tranquille, je suis calme, je suis glacé !…

LE DUC.

Et tu dis cela du ton d’un homme qu’on va mener aux Petites-Maisons !… Allons, songe que le mari ne sait rien, et ton désordre lui apprendrait tout… Viens avec moi. Je ne te quitte pas d’un instant.

(Il l’entraîne par une petite porte conduisant aux appartemens intérieurs.)

Scène iv.


JULIE, en costume de mariée des plus magnifiques, LA MARQUISE, fort parée, SAMUEL BOURSET, en habit écrasé de broderies. Julie, chancelanle et pâle, est soutenue d’un côté par sa mère, de l’autre par son mari. Ils l’approchent d’un fauteuil où elle se laisse tomber.


LA MARQUISE.

Eh bien ! ma fille, n’êtes-vous pas mieux ?

JULIE, d’une voix éteinte.

Non, ma mère.

SAMUEL, lui tapant dans les mains.

Ma chère demoiselle, reprenez courage. (Julie retire ses mains avec horreur.)

LA MARQUISE.

Allons, Monsieur, laissez-nous un peu ensemble… Vous voyez que ma fille est malade.

SAMUEL.

Je vous aiderai à la soigner.

LA MARQUISE.

Eh ! cela ne vous regarde pas.

SAMUEL.

Si fait.

JULIE.

Monsieur !… je voudrais être seule avec ma mère…

SAMUEL.

Je ne m’éloignerai pas dans l’état où je vous vois.

LA MARQUISE.

Mais vous êtes nécessaire chez vous. Tout notre monde y arrive en ce moment, et il n’y a personne pour recevoir. Voulez-vous qu’on trouve chez vous visage de bois un jour de noce ?

SAMUEL.

Oh ! mes gens sont là, j’en ai beaucoup, et des mieux stylés.

LA MARQUISE.

C’est peut-être l’usage dans votre monde que les valets remplacent le maître ; mais, dans le nôtre, cela ne se fait pas, mon cher.

SAMUEL.

En ce cas, madame la marquise, vous aurez la bonté de remonter dans ma voiture et d’aller faire les honneurs de mon hôtel, car pour moi je reste auprès de ma femme.

LA MARQUISE.

De votre femme !… Eh ! vous êtes bien pressé de lui donner ce nom.

JULIE.

Ma mère, ne me quittez pas !

SAMUEL.

Je vous en supplie, n’ayez pas peur de moi, madame… madame Bourset !…

LA MARQUISE.

Elle s’appelle de Puymonfort, monsieur ! et elle vous a épousé à condition de ne pas perdre son nom.

SAMUEL.

Ah ! ce n’est pas comme moi, qui l’ai épousée à condition de perdre le mien.

LA MARQUISE.

On le sait bien… Allons ! voilà ma fille qui s’évanouit… Allez donc appeler sa femme de chambre.

SAMUEL.

Je sonnerai, ce sera plus tôt fait.

JULIE, bas à la marquise.

Ah ! ma mère, quel supplice !

LA MARQUISE, de même.

Le duc !… nous voilà sauvées.


Scène v.


LE DUC, LA MARQUISE, JULIE, SAMUEL.
LE DUC.

Quoi ! monsieur, Julie en cet état ? Et vous êtes ici, M. de Puymonfort ?

SAMUEL, à part.

À la bonne heure, voilà un homme qui ne craint pas de s’écorcher la langue… (Haut.) Eh bien ! monsieur le duc, n’est-ce pas ma place ?

LE DUC.

Pas encore, mon cher ami. Vous tourmentez la pudeur de votre femme… Allons ! un homme comme vous sait son monde ! Laissez cette enfant avec sa mère. Elles ont à se dire des choses que vous n’êtes pas censé deviner.

(Il passe son bras familièrement sous celui de Samuel et l’emmène.)
SAMUEL, à part.

Celui-là me flatte… hem ! je ne m’en vas pas pour long-temps. (Ils sortent.)


Scène vi.


JULIE, LA MARQUISE, puis LE CHEVALIER.
JULIE.

Ah ! j’en mourrai… Cet homme me fait horreur !

LA MARQUISE.

Il t’aime beaucoup, mon enfant, et son empressement le rend indiscret. Il faudra lui apprendre à vivre, et ce sera un excellent mari.

JULIE, pleurant.

Et Léonce !… (Le chevalier sort du cabinet et se jette à ses pieds.)

LA MARQUISE.

Mes enfans, mes enfans ! ayez du courage !

LE CHEVALIER.

Vous ne voulez pas qu’elle meure ? Vous ne la livrerez pas à ce rustre ! Ah ! Julie, je le tuerai plutôt !

LA MARQUISE.

Eh ! pour Dieu, ne parlez pas si haut. M. Bourset est ici près… J’entends sa voix. (Elle court fermer la grande porte du salon en dedans.)

JULIE.

Léonce, il faut nous séparer à jamais !

LE CHEVALIER.

Est-ce vous qui l’ordonnez ?… Non, Julie, ce n’est pas toi !

(Il l’entoure de ses bras.)
JULIE.

Mon Dieu ! (On entend tousser.)

LA MARQUISE.

Ah ! c’est la grosse toux de ce Bourset ! Sauvez-vous, Léonce ! (Le chevalier se relève et veut tirer son épée.) Y songes-tu, malheureux enfant ? Veux-tu donc perdre ma fille ? Et vite ! et vite !

(Elle le pousse vers une des petites portes de dégagement. Bourset tousse encore.)
LE CHEVALIER, exaspéré.

Julie !

JULIE, hors d’elle-même.

Ne crains rien, Léonce ! Cache-toi, nous nous reverrons bientôt. Ma mère, je le veux, je veux lui dire adieu, une dernière fois, devant vous.

LE CHEVALIER.

Mais cet homme ?…

JULIE.

Ne crains rien, jamais, jamais ! (Elle se lève et le pousse aussi vers la porte.)

LE CHEVALIER.

Nous nous reverrons ? Oh ! dis-le-moi, ou je brave tout. Je ne puis te quitter ainsi !

JULIE.

Oui, nous nous reverrons ; la conduite de cet homme me pousse à bout. (Bourset rentre par une autre porte de dégagement, pendant que Julie et la marquise entraînent le chevalier par la porte opposée et lui tournent le dos.)

LA MARQUISE, à sa fille.

Je vais le cacher dans ma chambre, car je suis sûre que Bourset nous espionne. (Elle sort avec le chevalier.)

JULIE, leur parlant encore sur le seuil de la porte de gauche.

Et revenez vite près de moi, ma mère, car il va venir m’obséder de sa présence. (Elle se retourne, trouve Samuel debout devant elle, et reste muette d’effroi. Aussitôt Samuel, qui a déjà eu soin de refermer la porte par laquelle il vient d’entrer, va à celle par où vient de sortir le chevalier, et la ferme aussi, puis il met tranquillement les deux clés dans sa poche. Julie s’élance vers la grande porte pour s’enfuir et la trouve fermée.)

SAMUEL.

Oh ! cette clé-là, votre mère l’a dans sa poche.

JULIE.

Quelle est cette inconvenante plaisanterie ? Je veux être seule avec ma mère, je vous l’ai déjà dit, monsieur. (Elle veut s’approcher d’une sonnette, Samuel lui barre le chemin, la salue et lui offre une chaise.)

SAMUEL.

Je suis charmé que vous vous portiez mieux. Comme vous vous êtes promptement remise sur pied ! C’est merveille de voir comme les couleurs vous sont vite revenues.

JULIE.

Laissez-moi.

SAMUEL.

Là, là, je ne vous regarde seulement pas. Quelle mouche vous pique ?

JULIE.

Mais pourquoi m’enfermez-vous ainsi ? Nous n’avons rien à nous dire.

SAMUEL.

Si fait, si fait, nous avons à causer.

JULIE.

Je n’y suis nullement disposée.

SAMUEL.

Je suis sûr que vous l’êtes au contraire, et que le nom seul de la personne dont j’ai à vous entretenir va vous donner de l’attention.

JULIE.

Que voulez-vous dire ?

SAMUEL, lui offrant toujours la chaise.

Asseyez-vous.

JULIE.

Non, dites tout de suite, je ne m’assoierai pas.

SAMUEL, s’asseyant.

À votre aise ! quant à moi, j’ai tant couru ces jours-ci pour vos cadeaux de noces, que je n’en puis plus.

JULIE, à part.

Oh ! quel supplice !…

SAMUEL.

Vous avez un parent qui vous intéresse ?

JULIE, troublée.

J’en ai plusieurs, ma famille est nombreuse, et, quoique pauvre, elle est encore puissante, monsieur.

SAMUEL.

Je le sais, c’est à cause de cela que j’ai voulu en faire partie ; ainsi donc vous avez, c’est-à-dire, nous avons un cousin.

JULIE, tremblante.

Eh bien ! que vous importe ?

SAMUEL.

Il m’importe beaucoup, parce que premièrement il est mon parent, et qu’en second lieu il est mon débiteur.

JULIE.

Votre débiteur ?

SAMUEL tire des papiers de sa poche et les déroule lentement.

Il a eu le malheur d’emprunter, du vivant de M. le baron de Puymonfort son père, qui ne lui donnait pas beaucoup d’argent (et pour cause), la somme de quatre cents et tant de louis à un capitaliste de mes amis, lequel m’a cédé sa créance pour se libérer envers moi d’une somme égale…

JULIE.

Abrégeons, monsieur. Si c’est pour me parler d’affaires que vous me retenez ici contre ma volonté, le procédé est au moins bizarre ; et si le chevalier de Puymonfort, mon cousin, est votre débiteur, il s’acquittera envers vous : cela ne me regarde pas. Laissez-moi sortir.

SAMUEL.

Un petit moment, un petit moment ! ceci vous regarde plus que vous ne pensez. Le chevalier est insolvable.

JULIE.

Ma famille se cotisera pour ne vous rien devoir.

SAMUEL.

Ah bien oui ! votre famille !… si entre vous tous vous aviez pu réunir cinq cents louis, vous ne m’auriez pas épousé.

JULIE, outrée.

C’est possible ! après ?

SAMUEL.

Après !… comme j’ai droit à être payé, j’ai pris des sûretés, et voici une lettre de cachet que le ministre de sa majesté, plein de bontés pour moi, a bien voulu me délivrer contre ce bon chevalier.

JULIE.

Quoi ! vous n’avez pas reculé devant une pareille violence ? vous, à la veille de votre mariage, vous avez sollicité une lettre de cachet contre un des membres de la famille où vous alliez entrer ?

SAMUEL.

Et je m’en servirai le jour même de mon mariage, si la famille dans laquelle j’ai l’honneur d’être admis ne fait pas ma volonté.

JULIE.

Votre volonté !… oh ! il est facile de vous contenter. Le chevalier a des protecteurs aussi, monsieur ! le duc, notre ami intime, ne souffrira pas,… vous serez payé.

SAMUEL.

Et si je ne veux pas l’être ?

JULIE.

Mais que voulez-vous donc ?

SAMUEL.

Si je veux faire mettre tout bonnement le chevalier à la Bastille ? Une lettre de cachet n’est pas toujours un mandat de prise de corps pour dettes, c’est aussi parfois un ordre absolu motivé par le bon plaisir de qui le donne, et exécuté selon le bon plaisir de qui s’en sert, eh ! eh !

JULIE.

Si votre bon plaisir est de vous déshonorer…

SAMUEL.

Oui-dà, madame ma femme ! Ici les rieurs seraient de mon côté. Diantre !.. un mari qui le jour de ses noces fait embastiller l’amant de sa femme, ce n’est pas si bête, eh ! eh !

JULIE.

Ah ! vous m’outragez, monsieur ! et votre brutalité m’autorise à rompre dès à présent avec vous. Je suis encore chez moi, sortez d’ici ! laissez-moi ! jamais je n’aurai rien de commun avec un homme tel que vous ! (On essaie d’ouvrir la porte par laquelle sont sortis la marquise et le chevalier. Julie veut se lever.)

SAMUEL, la retenant.

Un petit moment, s’il vous plaît. Le chevalier est dans la maison… Oh ! je la connais, la maison : ici, un cabinet qui n’a qu’une porte donnant dans la chambre de votre mère ; et puis, la chambre de votre mère, où est maintenant le chevalier, laquelle chambre a une sortie sur le vestibule, dont j’ai aussi la clé dans ma poche. J’ai beaucoup de clés ! Et une autre sortie sur le petit escalier, au bas duquel il y a quatre laquais à moi, postés avec des armes. Je ne voudrais pas qu’il arrivât malheur à ce pauvre chevalier… ni vous non plus ?…

JULIE.

Oh ! monsieur… au nom du ciel !…

SAMUEL.

N’ayez pas peur, mignonne, je ne suis pas méchant quand on ne me pousse pas à bout. Allez dire à votre maman, par le trou de la serrure, que vous voulez causer encore avec moi un petit instant.

(Julie s’élance vers la porte, Samuel la suit et se place à côté d’elle pour entendre les paroles qu’elle échange avec sa mère.)
LA MARQUISE, derrière la porte, frappant avec impatience.

Julie ! Julie ! êtes-vous seule ?

SAMUEL, parlant très haut.

Je suis avec ma femme, et je désire lui parler sans témoins. C’est son intention aussi.

LA MARQUISE, dehors.

Ce n’est pas vrai.

SAMUEL.

Si fait. (À Julie.) Dites donc, madame…

JULIE.

Ma mère, je suis à vous dans l’instant.

LA MARQUISE, d’un ton d’étonnement, toujours dehors.

Ah ! vraiment, ma fille ? (Samuel serre avec force le bras de Julie, et la regarde fixement.)

JULIE, épouvantée.

Oui, vraiment, ma mère !

LA MARQUISE, dehors.

J’attends !

SAMUEL, ramenant Julie à son fauteuil, où elle tombe accablée.

Maintenant, ma colombe, calmez-vous ; il ne sera fait aucun mal à votre bon petit cousin. Je n’exigerai même pas qu’il paie ses dettes. Je lui fais grace. Je suis généreux, moi, quand c’est mon intérêt. Mais voyez-vous, il faut qu’il parte aujourd’hui, tout de suite, et pour tout de bon.

JULIE.

Il partira, monsieur, mais je suis bien aise de vous dire que c’est la première et la dernière de vos volontés que je subirai.

SAMUEL.

Vous vous abusez, mon enfant, vous les subirez toutes ; et pour commencer, ouvrez cette porte. (Julie se lève indignée, et le toise avec hauteur.) Si vous n’ouvrez pas cette porte, j’ouvrirai cette fenêtre, et je jetterai cette clé à mes laquais, qui sont au bas du petit escalier, afin qu’ils entrent, et qu’ils se saisissent du chevalier dans la chambre de votre mère. (Julie, terrassée, va ouvrir la porte à sa mère. Samuel la suit, et la tient fascinée sous son regard. — La marquise, entrant, les regarde tour à tour d’abord avec effroi, puis avec surprise, et finit par éclater de rire.)

JULIE, se cachant le visage.

Ô ma mère ! ne riez pas.

LA MARQUISE, riant toujours.

Eh bien ! eh bien ! ma pauvre enfant… Il n’y a pas de mal à cela !…

(Elle rit encore.)
SAMUEL.

N’est-ce pas que c’est drôle ? Et le chevalier ?…

(Il rit aux éclats.)
LA MARQUISE, reprenant son sérieux.

Comment !… le chevalier ?… (Elle regarde Samuel attentivement ; puis elle part encore d’un grand éclat de rire.) Eh bien ! le tour est parfait ! (Elle tend la main à Samuel.) Mon gendre, je vous rends mon estime !

JULIE.

Ah ! c’est odieux ! (Elle pâlit et chancelle.)

SAMUEL, bas en la soutenant.

Je n’entends pas que vous vous évanouissiez, entendez-vous bien ? (Haut.) Ma chère marquise, je ne suis pas si mal élevé que vous pensiez. Je ne veux pas enfoncer le poignard dans le cœur de ce pauvre chevalier au moment de son départ… Il est amoureux de sa cousine !… Ce n’est pas à moi de m’en étonner ; mais Julie vient de m’ôter, par une sincère explication et d’aimables promesses, tout sujet de jalousie, et je désire qu’elle lui fasse ses adieux ici, tout de suite, sans mystère et de bonne amitié… Appelez-le, je vous prie.

LA MARQUISE.

Le voulez-vous, Julie ?

JULIE hésite, rencontre le regard de Samuel, et dit en s’efforçant de sourire :

Je vous en prie, maman. (La marquise sort.)

SAMUEL.

Je veux qu’il reçoive son congé sur l’heure… Et croyez bien qu’il ne sera pas perdu de vue un instant jusqu’à ce qu’il ait mis le pied sur le navire qui doit l’emmener en Amérique.

JULIE, accablée.

Vous serez obéi !

(On frappe. Samuel va ouvrir. Tandis que le duc entre par la grande porte, la marquise et le chevalier entrent par la petite. Le chevalier fait quelques pas avec impétuosité vers Julie ; puis, voyant Samuel, il s’arrête stupéfait et se retourne d’un air d’interrogation et de reproche vers la marquise, qui essaie de tenir son sérieux, et rit sous cape de temps en temps.)
LE DUC.

Ah çà ! je ne conçois rien à ce qui se passe ici, et je ne sais à quoi vous pensez tous. Comprend-on un jour de noces où toute la famille attend, les mariés dans une maison, tandis qu’ils s’amusent à babiller dans l’autre ?… Monsieur Puymonfort, votre majordome envoie ici message sur message pour vous dire que votre hôtel est plein de monde et qu’il ne sait où donner de la tête ; et vous êtes inabordable…

SAMUEL.

Ma mère est là, qui ne s’en tirera pas mal… C’est une femme qui n’est pas sotte.

LA MARQUISE, à part.

Et qui a une jolie tournure ! (Elle se contient un instant, puis éclate de rire.)

LE CHEVALIER, avec amertume.

Vous êtes fort gaie, ma tante !

(La marquise passe auprès du duc et lui parle bas.)
LE CHEVALIER, bas à Julie.

Que se passe-t-il, Julie ? Mon Dieu !

JULIE, bas.

Vous devez partir à l’instant même, et ne me revoir jamais.

SAMUEL, passant entre eux.

Monsieur le chevalier, je suis tout à vous. Ma femme vient de m’ouvrir son cœur, et de me dire que vous désiriez prendre congé d’elle. Je suis heureux de trouver cette occasion pour vous offrir mes petits services… Vous partez ? Une de mes voitures et plusieurs de mes gens sont à votre disposition… Vous êtes gêné d’argent ? m’a-t-on dit. Mes correspondans ont déjà reçu avis de tenir des fonds à votre ordre dans toutes les villes où vous voudrez séjourner, tant en France qu’à l’étranger.

LE CHEVALIER, avec hauteur.

C’est trop de grâces… Je n’en ai que faire.

SAMUEL, lui offrant un portefeuille.

Vous voulez de l’argent comptant ?

(Le chevalier jette le portefeuille à terre avec un mouvement de fureur.)
SAMUEL le ramasse tranquillement, l’ouvre, et en tire un papier qu’il lui présente.

Puisque vous ne voulez rien me devoir, reprenez donc ce petit effet au porteur de quatre cent vingt-cinq louis qui a été passé à mon ordre par Isaac Schmidt, échéable au 15 octobre 1703, c’est-à-dire après-demain.

LE CHEVALIER, le repoussant avec indignation.

J’acquitterai cette dette, monsieur, n’en doutez pas.

SAMUEL, remettant le papier dans sa poche.

À votre aise !… Maintenant, je vous présente le bonjour, et vous souhaite un bon voyage. Ma femme vous en souhaite autant et vous fait ici ses adieux.

(Il s’éloigne d’un pas, mais sans les perdre de vue.)
LE CHEVALIER, à Julie.

Ainsi vous trahissez jusqu’au secret, vous effacez jusqu’au souvenir de notre amour !

JULIE.

Partez ! il le faut.

LE CHEVALIER.

Oh ! malédiction sur vous ! (Il veut se retirer par la petite porte.)

SAMUEL, se rapprochant.

Pas par ici, les portes sont closes. Si vous voulez donner le bras à ma femme jusqu’à la voiture, vous sortirez par la grande porte. (Le chevalier jette à Julie un regard d’indignation, à Samuel un regard de mépris, et s’élance dehors avec impétuosité.)

SAMUEL, bas, prenant le bras de Julie.

Allons ! ferme sur les jambes ! marchons !

JULIE.

Et la lettre de cachet ! ne la déchirez-vous pas ?

SAMUEL.

Nous verrons cela demain.

LA MARQUISE, moitié triste, moitié gaie, prenant le bras du duc et les suivant.

N’est-ce pas incroyable ?… Comment ce Bourset a-t-il pu s’emparer si vite de sa confiance ?

LE DUC.

Ce n’est pas malhabile de la part de Julie. Le chevalier, furieux et passionné, eût pu la compromettre par ses clameurs involontaires. Elle lui ferme la bouche en prenant son mari pour rempart ; c’était le meilleur parti à prendre.

LA MARQUISE.

Pauvre chevalier !

LE DUC.

Pauvre Bourset, peut-être !


FIN DU PROLOGUE.